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1238 Mots
Les couloirs du palais sont plongés dans une semi-obscurité, éclairés par la lumière tremblotante des chandeliers fixés aux murs. Je marche rapidement, serrant mon châle autour de moi, espérant que personne ne me remarque. Le poids de la journée pèse encore sur mes épaules, et l’air glacial des couloirs s’insinue jusque dans mes os. Les paroles de Vénus résonnent encore dans mon esprit, énigmatiques et lourdes de sens. «Et quand viendra le moment où le feu te trouvera… ne te détourne pas, même si cela signifie te perdre . » Je secoue la tête pour chasser ces pensées. Je n’ai pas le temps pour ces énigmes. Soudain, mon pied bute contre quelque chose de dur. Un instant, je perds l’équilibre. Mon corps vacille, mais avant que je ne touche le sol, une main puissante attrape mon bras et me redresse d’un geste ferme. Une chaleur inattendue traverse ma peau là où il me touche. Une chaleur qui semble s’infiltrer bien au-delà de ma chair. Je relève les yeux pour remercier la personne… et mes mots se meurent dans ma gorge. Il se tient là, devant moi, grand et imposant, ses doigts toujours autour de mon bras. Ses traits sont si marqués qu’ils semblent sculptés dans la pierre. Ses yeux, noirs comme une nuit sans lune, m’enveloppent d’un regard si intense que j’ai l’impression qu’il peut voir au plus profond de mon âme. Un frisson parcourt mon échine. Pas de peur, mais d’autre chose, quelque chose de plus primal, de plus troublant. « Eh bien, ça, c’est une entrée remarquée », murmura une voix grave, presque amusée. Une voix grave, vibrante, et me fait l’effet d’une caresse inattendue. Mon cœur s’emballe. Je n’arrive pas à détacher mes yeux de lui. Ses cheveux noirs de jais tombent en mèches élégantes autour de son visage, et une lumière presque imperceptible danse dans ses pupilles, comme un feu contenu. « Merci pour l’intervention héroïque, mais vous savez, je m’en serais probablement sortie... après m’être écrasée au sol. » dis-je. Il ne répond pas immédiatement. Son regard glisse sur moi, lentement, comme s’il m’évaluait. « Je n’en doute pas une seconde, répondit-il calmement, mais je préfère éviter que le couloir ne doive porter le poids de votre chute. » « Charmant, répondis-je en croisant les bras. Vous êtes toujours aussi concerné par l’état des couloirs, ou j’ai droit à un traitement spécial ? » Je sens mon souffle s’accélérer, ma poitrine se soulever sous l’effet de son regard. Pourquoi cet homme, cet inconnu, me fait-il cet effet ? Il relâche enfin mon bras, mais la chaleur de sa main semble s’être imprimée dans ma peau. Je recule d’un pas, essayant de mettre de la distance entre nous, mais son aura m’engloutit encore, comme si l’air autour de lui vibrait d’une énergie incontrôlable. « Mais qui êtes-vous ? » demandé-je, ma voix plus ferme que je ne l’aurais cru possible. Un sourire imperceptible étire ses lèvres, mais il n’y a rien de chaleureux dans son expression. « Juste un invité, » dit-il simplement. Un invité ? Mais son allure, sa présence, tout en lui crie qu’il est bien plus que cela. « Et vous ? » reprend-il, une lueur étrange dans les yeux. « Qui êtes-vous, pour vous aventurer seule dans ces couloirs ? » « Une personne qui se fait rattrapée par des « invités » dans des couloirs sombres apparemment » dis-je avec un clin d’œil. Il hoche lentement la tête, et ce sourire énigmatique revient sur ses lèvres. Il ne bougea pas tout de suite, me laissant juste assez de temps pour sentir à quel point sa présence était écrasante. Puis il se recula, mais ses yeux restèrent ancrés aux miens, comme s’il cherchait quelque chose que je ne comprenais pas.. « Et ben, bonne nuit chère demoiselle en détresse ». Je finis par avancer, mes jambes lourdes, mon cœur battant à tout rompre. Alors que je me retourne pour jeter un dernier coup d’œil, il n’est plus là. Mais cette sensation, cet effet qu’il a laissé en moi, reste. Dans ma chambre, je me laisse tomber sur le lit, incapable d’arrêter les pensées qui tourbillonnent dans mon esprit. Qui est-il ? Et pourquoi mon cœur refuse-t-il de se calmer ? *** Les heures s’étirent après ma rencontre avec la voyante, mais il n’y a pas de paix dans mon esprit. Le soir approche, et une lourde décision se pose devant moi. L’idée de quitter ce palais, de m’éloigner de ce royaume où je ne serai jamais plus qu’une étrangère, m’obsède. Chaque recoin de ce château me rappelle à quel point je ne suis qu’une intrusion. Un fardeau. Une anomalie. Je regarde autour de ma chambre, le silence pesant. Les fenêtres sont ouvertes, mais le vent froid n’atteint même pas l’air lourd qui m’entoure. La lumière douce du soir s’infiltre, baignant les murs de couleurs chaudes, mais cela ne suffit pas à réchauffer l’angoisse dans ma poitrine. Je me lève, me dirigeant vers le petit coin où je garde mes affaires. L’heure est venue. Il est inutile de repousser davantage ce moment. Je commence à rassembler quelques objets, des affaires de première nécessité, comme si tout cela avait une importance. Mais au fond, je sais que rien de tout cela ne compensera le vide qui m’envahit. Les robes, les livres… Rien n’a de valeur ici, et cela ne le sera plus jamais. Serena, qui n'a pas cessé de me regarder avec inquiétude depuis que j’ai pris ma décision, entre sans un mot. Elle me fixe, comme si elle attendait que je lui dise que tout cela n'est qu'un mauvais rêve. Mais je ne peux plus mentir. Tout est clair maintenant. « Tu es sûre de vouloir faire ça ? » demande-t-elle doucement, sa voix presque un murmure. Je n'ai pas besoin de répondre immédiatement. Mes gestes sont plus éloquents que toute parole. Je fais un dernier tour dans la pièce, observant le peu que j’ai emporté avec moi. Rien ne me retient ici. Pas même les souvenirs. « Il n’y a rien ici pour moi, Serena. Rien. » Ma voix est ferme, tranchante. « Tu sais aussi bien que moi que ce n’est qu’une question de temps avant que tout change… avant que je ne sois plus qu’une nuisance pour eux. » Elle hoche la tête, comprenant sans avoir besoin de plus de mots. Je vois dans ses yeux un mélange de tristesse et de résignation, comme si elle savait qu’il n’y avait pas d’autre issue possible pour moi. Je prends une dernière inspiration. Je sais que ce soir, je vais partir. Pour de bon. Sans retour possible. Je me dirige vers la porte, chaque pas me menant plus loin des murs froids du palais. Au moment où je franchis l’encadrement de la porte, je m’arrête un instant, sentant une étrange pression dans ma poitrine. Est-ce le soulagement de fuir, ou la terreur de l’inconnu qui m’attend dehors ? Je ne saurais dire. Mais ce que je sais, c’est que je n’ai plus d’autre choix que de continuer. Je sens la brise fraîche effleurer mon visage, mais je ne m’arrête pas. Je traverse le couloir, déterminée, les yeux fixés droit devant. Rien ne m'arrêtera. Les portes du palais s’ouvrent devant moi, et je franchis le seuil sans me retourner, laissant derrière moi tout ce que j’ai connu jusqu’à présent. C’est la première fois que je suis libre de choisir ma voie.
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