Chapitre 2

2951 Mots
2 Elles atterrirent à Shelby, Californie, un peu après vingt heures ce soir-là. Le ciel était magnifique avec les étoiles qui y scintillaient. Trisha choisit la plus brillante et raconta silencieusement à sa mère ses plans de rentrer à la maison. Trisha aurait juré la voir lui faire un clin d’œil. Elle prit cela pour un bon signe et laissa le stress se dissiper. Elle gémit tandis qu’elle se relevait lentement en s’étirant. S’il y avait une chose qui ne lui manquerait pas à propos du métier de pilote, c’était les vols nationaux et internationaux durant lesquels elle restait assise si longtemps. Elle avait encore des problèmes si elle restait immobile pendant un certain temps. Elle savait que la raideur ne disparaîtrait jamais. C’était l’un des facteurs décisifs dans sa décision de démissionner de son poste chez Boswell. Elle était en train de retirer sa veste du dossier de son siège et était sur le point d'atteindre la porte de la cabine quand Ariel posa sa main sur son bras pour l'arrêter. — Tu sais que je comprendrai ce que tu me caches, peu importe ce que c’est, n'est-ce pas ? dit doucement Ariel en regardant Trisha dans les yeux. Je sais que quelque chose ne va pas. Je serai toujours là pour toi. Les larmes brûlèrent les yeux de Trisha. Elle aurait dû savoir qu’Ariel remarquerait qu’elle n’était pas elle-même dernièrement. — Je sais. Trisha prit une grande inspiration avant de se lancer et de raconter tout ce qu’elle avait eu peur de dire à sa meilleure amie. J’ai démissionné de mon poste chez Boswell International et je rentre chez moi pour travailler avec mon père, dit Trisha avec précipitation. Son cœur battait la chamade en attendant la réponse d’Ariel. Ariel leva un sourcil en direction de Trisha avant d’exploser de rire. — C’est tout ? Je pensais que tu étais, genre, mourante ou quelque chose comme ça ! Alors, quand est-ce qu’on commence ? Trisha regarda Ariel dans un silence stupéfait. — Que veux-tu dire par quand est-ce qu’on commence ? On, qui ? — Toi et moi. Je sais que ton père a besoin d’aide. Depuis qu’on est parties, il m’appelle au moins une fois par semaine pour avoir de l’aide avec la paperasse ! Souviens-toi, j’étais sa comptable avant qu’on parte pour rejoindre l’Air Force. Je me suis occupée de toute la comptabilité principale depuis les dix dernières années au moins, dit Ariel en souriant. — Qu-quoi ? balbutia Trisha. Il n’a jamais rien dit ! Je ne savais absolument pas qu’il avait des problèmes. — Pas nécessairement des problèmes. Il a toujours détesté faire la compta. Il préfèrerait être dehors à chasser les débutants. Cela fait des mois que je lui parle de revenir à la maison, mais je ne voulais pas te laisser. Je suis fatiguée de tous ces voyages. Depuis que les choses ont explosé entre Eric et moi, j'ai pensé qu'il était temps de changer. Il y a quelques mois, j’ai demandé à ton père s’il m’engagerait si je rentrais, dit Ariel avec un sourire soulagé avant de se tourner et de sortir de la cabine. Trisha se contenta de regarder le dos de sa meilleure amie dans un silence stupéfait. Elles avaient grandi ensemble dans la petite ville de Casper Montain, Wyoming. Cela avait été Ariel, Carmen et Trisha contre le monde. Trisha étant enfant unique, il avait été merveilleux d’avoir deux autres filles d’un âge proche du sien. Ariel et Trisha étaient dans la même classe, tandis que Carmen était une classe en-dessous. Ariel avait commencé à travailler pour le père de Trisha, à faire la comptabilité, entre sa première et sa dernière année de lycée. Les deux filles avaient suivi des cours de la faculté en ligne tout en étant au lycée et elles avaient eu leur diplôme avant de passer leur baccalauréat. Elles commençaient toutes les deux leur deuxième année de faculté lorsque les parents d’Ariel et Carmen avaient été tués dans un accident de voiture. Trisha était certaine que la seule chose qui avait permise à Carmen de finir sa dernière année, c’était d’avoir le père de Trisha sur place, et Scott, l’amoureux de Carmen au lycée. Carmen et Scott s’étaient mariés quelques jours seulement après la remise de diplômes. Ariel et Trisha avaient décidé de rejoindre l’Air Force car toutes deux voulaient intégrer le programme spatial. Ariel n’avait pas réussi, mais Trisha oui, du moins jusqu’à l’accident. Trisha se secoua. Elle n’allait pas prendre ce chemin. Elle l’avait emprunté un millier de fois, et il se finissait toujours de la même façon. Elle fut prise d’un petit rire cynique. Est-ce que ce n’est pas la définition de la folie ? se dit-elle. Faire la même chose encore et encore et s’attendre à un résultat différent ? Elle secoua la tête, sortit de la cabine et suivit Ariel qui descendait l’escalier. Elle gloussa doucement au souvenir d’avoir entendu Cara ouvrir la porte du jet quasiment avant qu’elles ne s’arrêtent complètement. Abby regardait Cara avec un air quelque peu hésitant lorsqu’Ariel et elle s’avancèrent dans leur direction. Trisha se demanda si elle pensait qu’elle devait leur donner un pourboire ou quelque chose. Elle avait l’air si mal à l’aise. Cara, d’un autre côté, avait l’air d’être en train de chercher une raison pour ne pas remonter dans le jet. Trisha avait le sentiment que Cara se serait attachée sur le jet si elle avait pu y arriver. Elle ne l’avait pas dit à Cara, mais Ariel et elle savaient toutes les deux pour sa claustrophobie. Elles avaient déjà décidé de rester pour la nuit. Il n’était pas utile de les épuiser et de stresser Cara au point qu’elle les rendrait folles. — Il est vraiment tard pour que vous repartiez ce soir. Voulez-vous rester chez moi pour la nuit ? C’est un peu en hauteur dans la montagne, mais c’est vraiment beau. J’ai une chambre supplémentaire si ça ne vous gêne pas d’y dormir à deux et un canapé gigantesque qui fait un super lit, dit Abby dont le regard passait de l’une à l’autre avec nervosité. Trisha était sur le point d’ouvrir la bouche pour accepter lorsque Cara éclata en un soulagement évident. Il fallut à Trisha toute sa maîtrise de soi pour ne pas rire. Ariel leva les yeux au ciel tandis qu’elle tentait de cacher son sourire. — Ça me semble super ! dit Cara avec excitation. Je deviendrais dingue si je devais retourner dans cette boîte de conserve ce soir. J’adorerais rencontrer ton homme. Tu disais qu’il a des frères ? Il y a une chance pour les croiser entre ce soir et demain matin ? J’adore rencontrer des nouveaux mecs. J’essaye de battre mon record du temps passé pour les faire fuir. Je pense que le plus long qu'on m'ait supporté, c'était dix minutes. Trisha et Ariel rirent. — Ah Cara, je pense que ce gars, Danny, a tenu douze minutes. Tu en penses quoi, Ariel ? — Oh, au moins douze, peut-être même treize minutes, ajouta Ariel. Trisha grimaça. C’était elle qui avait ruiné le dernier « blind date » de Cara. Ce n’était pas l’un de ses moments les plus brillants. Elle avait décidé de surprendre Cara lors d’un dîner avec un professeur de physique de l’université locale, qui vivait en face de chez elle. Cara n’avait pas été très heureuse de son choix. Trisha grimaça et admit qu’elle ne pouvait pas vraiment la blâmer pour cela. Le gars les avait traitées toutes les trois comme des imbéciles. Cara avait rapidement retourné la situation lorsqu'elle avait commencé à réciter la théorie de Stephen Hawking sur les trous noirs, avec des détails exquis, et sur la façon dont les relations pouvaient y être corrélées. Le pauvre gars avait fini par faire une crise d’asthme en plein milieu. Cela n’aurait pas été si grave, si Trisha n’avait pas été si bien partie pour avoir une très bonne gueule de bois et qu'elle n’avait pas été totalement inconsciente de sa détresse. Elle avait donné sa démission à Boswell l’après-midi et avait fêté cela un peu en avance. Quelle n’avait pas été sa surprise de voir qu’Ariel n’était pas en meilleur état. Cara, qui était la seule du groupe à être sobre en dehors du professeur de physique, avait regardé chacune d’elle et s’était mise à rire. Trisha savait, aussi ivre soit-elle, que Cara collectionnait des points de chantage pour des utilisations futures. La dernière chose que voulait Trisha, c’était de le lui rappeler. — Vous êtes folles toutes les deux. Vous étiez tellement soûles, dit Cara en riant, vous ne vous rappelez même pas de son nom. C’était Douglas. Pas Dougie. L’imitation parfaite de Cara du professeur de physique outré fit tellement rire Trisha et Ariel qu’elles en eurent les larmes aux yeux. — Oh ouais, ce bon vieux Dougie, dit Trisha en s’essuyant les yeux. Comment l’oublier ? Trish regarda Abby et sourit. Elle savait que ses prochains mots s’adresseraient plus à Cara qu’à elles, mais elle ne l’admettrait jamais. — Contrairement à certaines personnes qu’on connait, Ariel et moi avons besoin d’au moins huit heures de sommeil plus d’une fois par mois pour survivre. Nous aimerions accepter tes deux offres. — Mes deux offres ? Abby fronça les sourcils. — Ouais, lit et frères. Trisha, Cara et Ariel sourirent. Trisha était d’accord avec la blague sur les frères, mais elle grimaça intérieurement. Elle ressemblait beaucoup à Carmen. Elle n’était pas encore prête pour une nouvelle relation. Trisha renifla en silence. Peut-être ressemblait-elle plus à son père. Il n’avait jamais trouvé une femme pour remplacer sa mère. Ses parents s’étaient mariés très jeunes, plus jeunes que Peter et elle, mais ses parents étaient faits l’un pour l’autre. Ils étaient mariés depuis un peu plus de quatre ans lorsque sa mère était morte brusquement. Le père de Trisha avait reporté tout son amour et toute son attention sur leur petite fille. Trisha savait qu’au fil des ans, son père avait eu quelques liaisons, mais rien qui n’avait jamais duré très longtemps. Il ne devenait jamais sérieux avec aucune de ces femmes, peu importe à quel point elles faisaient pression sur lui pour qu’il s’engage. Elle lui avait posé la question à ce propos une seule fois, mais il lui avait simplement offert un sourire triste et lui avait dit qu’il n’avait trouvé aucune femme qui avait provoqué la même étincelle que sa mère. Il lui avait dit que s’il en trouvait une autre comme sa mère, il s’en emparerait si vite qu’elle ne comprendrait pas ce qui lui arrivait. Lui et Trisha avaient ri et dressé une liste de tout ce qu’il recherchait chez une femme. Elle avait reconnu qu’ils n’avaient jamais trouvé une femme qui possédait tous les critères de sa liste. Trisha réalisa qu’elle aussi avait recherché cette personne spéciale. À l’époque, elle pensait que c’était Peter, mais de toute évidence, elle s’était trompée. Trisha revint au présent et à ce qui se passait autour d’elle lorsque Carmen arriva silencieusement derrière elle. — Merci pour l’offre mais je pense que je vais décliner. Je me suis faite livrer un moyen de transport tout à l'heure. Je pense que je vais sortir puisque j'ai dormi durant la majeure partie du voyage, dit calmement Carmen en s’avançant comme si elle sortait de nulle part. Trisha écouta Cara dire à Abby avec excitation qu’il ne lui faudrait pas longtemps pour aller chercher ses affaires. Mais son attention se porta sur Ariel. Elle s’inquiétait pour elle. Elle savait mieux que quiconque à quel point Ariel s’inquiétait pour sa petite sœur. Trois ans auparavant, ni l’une ni l’autre ne pensait que Carmen allait même survivre. Ariel n’avait pas renouvelé sa commission dans l’Air Force afin de pouvoir rester à l’hôpital pendant ces premières semaines critiques. Entre la guérison de Trisha et ce qui était arrivé à Carmen, Ariel avait été débordée trois ans auparavant, pensa Trisha avec regret. Bon sang, elle devait rester concentrée. Si elle ne faisait pas plus attention, elle se transformerait en une vieille fille grincheuse. — D’accord. Il nous faudra environ dix minutes pour tout boucler, dit Trisha en lançant un regard inquiet à Ariel. Trisha se retourna et se dirigea vers les marches du jet. Il ne leur faudrait pas si longtemps pour être prêtes. Elles devaient simplement verrouiller le jet et prendre leurs sacs. Trisha se rendit aux compartiments de rangement près de l’avant de la cabine et en sortit leurs sacs, à Ariel et elle. Elle en prit un dans chaque main et fit demi-tour pour redescendre de l’avion. Elle croisa Ariel en bas des marches. Ariel verrouilla la porte du jet avant de se tourner vers Trisha et d’attraper son sac. — Elle s’en sortira. Cela prend juste du temps, murmura Trisha en tendant son sac à Ariel. Les yeux d’Ariel brillaient de larmes retenues. Elle s’éclaircit la gorge avant de répondre. — Ouais, mais combien de temps ? Ça fait trois ans. — Pour moi aussi, ça fait trois ans, et je ne suis toujours pas prête, répondit doucement Trisha. Elle a perdu quelqu’un qui lui était très spécial, Ariel. Nous ne guérissons pas tous au même rythme. Regarde mon père. Tu dois juste avancer un jour après l’autre et espérer que ça ira mieux, finit Trisha en regardant dans l’obscurité avec une expression tourmentée. — Je suis désolée, dit Ariel en enlaçant Trisha d’un bras. J’oublie parfois que tu peux comprendre mieux que moi ce que traverse Carmen. Merci d’être là pour nous deux. — Hé, à quoi servent les sœurs ? dit Trisha en souriant. Maintenant, assez avec tous ces trucs sérieux et déprimants. J’en ai assez de me sentir comme une rabat-joie. Concentrons-nous sur tout le plaisir que nous allons avoir à embêter les débutants. Je crois que la marine envoie encore leurs SEAL chez mon père pour leur entraînement. J’ai hâte de voir leur tête quand je les marquerai. Ariel gloussa à cette pensée. — Tu es si vilaine ! Tu sais qu’ils vont avoir besoin de suivre une thérapie après que tu aies joué avec leur cerveau, n’est-ce pas ? Trisha était sur le point de répondre lorsqu’elle entendit un bruit de détonation. Ariel et elle avait entendu assez de coup de feu pour en reconnaître un immédiatement. Elles lâchèrent toutes les deux leurs sacs et partirent rapidement en courant en direction du parking d’où elles l’avaient entendu. Trisha se faufila la première à travers la clôture, suivie de près par Ariel. Trisha poussa un soupir de soulagement lorsqu’elle vit Cara et Carmen ensemble. Ses yeux cherchèrent frénétiquement Abby. Elle entendit le crissement de pneus et se tourna juste à temps pour voir les feux arrière d’une camionnette en train de quitter le parking à grande vitesse. — Merde, qu’est-ce qui s’est passé ? demanda Trisha. Carmen parla avant que Cara n’en ait le temps. Son expression était sombre et létale. Trisha vit qu’elle était énervée. — Un connard a agressé Abby. Du peu que j’ai pu comprendre, il n’est pas très content qu’elle ne l’ait pas choisi lui, au lieu de ce gars, Zoran. Il l’a piquée avec quelque chose et l’a menottée. Je vais le suivre. Gardez vos lignes ouvertes ; il se peut que j’aie besoin de renforts. Carmen se mit à courir vers une moto cachée dans l'obscurité entre deux hangars avant que quiconque ne puisse dire un mot. — Il nous faut un véhicule, murmura Ariel d’un ton sinistre en regardant sa sœur partir à la poursuite de la camionnette. — Je m'en occupe, dit Cara en tremblant, avant de traverser le parking mal éclairé en courant vers la camionnette d’Abby. Trisha la regarda déverrouiller habilement le camion et le faire démarrer en quelques secondes. Lorsqu’elle vit le sourcil levé de Trisha, le visage de Cara s’illumina d’un grand sourire. — J’avais ce problème avant, je prenais des véhicules pour aller faire un tour. Trisha se contenta de secouer la tête tandis qu’Ariel sautait dans la camionnette, en se glissant au milieu afin de lui faire de la place. Dans une confrontation rapprochée, Trisha restait meilleur qu’Ariel. Son père lui avait appris à se battre, parfois pas tout à fait à la loyale. Il savait que si elle se retrouvait seule dans les bois, parfois des jours ou des semaines, avec certains de leurs clients, elle devait être capable de se défendre en toutes circonstances. Certains de leurs clients n’aimaient pas perdre face à une femme. Paul Grove disait que lorsqu’il s’agissait de se battre pour sa vie, que vous soyez un homme ou une femme n’avait pas d’importance. Soit vous saviez vous battre pour votre vie, soit vous mouriez. Il s’était assuré que sa petite fille sache se battre pour sa vie. Trisha écouta avec une grande attention la conversation entre Ariel et Carmen. Lorsque Cara lança l’un de ses commentaires bizarres, Trisha ne put s’empêcher de répondre. Seule Cara pouvait penser à travailler sur de la mécanique pendant une course-poursuite à grande vitesse. Trisha leva les yeux au ciel lorsque Cara fit un commentaire sur l’accélération de la camionnette d’Abby. — Il n’y a que toi pour penser à quelque chose comme ça tout en chassant des méchants au milieu de nulle part. — Hé, je peux faire plus d’une chose à la fois, dit Cara juste avant de prendre un virage sur deux roues au lieu de quatre. Trisha ne fut pas la seule à laisser échapper une série de jurons qu’elle avait appris lorsqu’elle était dans l’Air Force. Ariel faisait de même tandis que Cara se contentait de rire. Trisha n’était pas certaine de vouloir savoir où Cara avait appris à conduire de la sorte.
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