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— Alex, je t’assure tu n’as pas besoin de venir !
— Bien sûr que si, Sara. Tu ne vas certainement pas passer ton anniversaire toute seule à bouffer de la glace devant ta télé, il en est hors de question !
— Je vais seulement avoir vingt-cinq ans, y a rien d’exceptionnel.
— Tu rigoles ! Un quart de siècle ce n’est pas rien et crois-moi ça se fête.
Depuis mon arrivée à New York, il n’y a pas une semaine sans que je n’aie Alex en appel vidéo. Nous nous sommes bloquées un jour où l’on voit au moins une fois notre petite bouille à travers l’écran et je dois avouer que ça me fait du bien. Comme ça, je me sens proche d’elle et elle de moi. Nous avons instauré ce petit rituel et pour rien au monde je ne m’en séparerai, mais bizarrement aujourd’hui ce n’est pas le cas. Nous sommes au téléphone depuis un bon quart d’heure et elle ne cesse de me dire qu’elle viendra la semaine prochaine pour fêter mon anniversaire, alors que je lui assure que ce n’est pas nécessaire. Pour moi c’est un jour comme un autre, c’est juste la date à laquelle je suis venue au monde et lorsque l’on voit ma vie, je ne me sens pas dans l’obligation le célébrer. Je préfèrerais même que l’on m’oublie le temps de cette journée, qu’on la saute même et que l’on arrive directement au lendemain. J’ai juste horreur de cette date, horreur du 22 juillet.
— C’est non négociable, je serai là ! Et quoique tu en penses je m’en contrefous. Je veux être présente lors de cette journée. Ma petite sœur va avoir vingt-cinq ans ! Je te revois encore lorsque tu étais dans ton berceau, quand tu étais encore une petite crevette.
— Alex, s’il te plaît, stop !
— Tu grandis vraiment trop vite…
— Arrête on croirait entendre maman !
Je la vois se marrer et bordel, c’est qu’elle me manque vraiment cette g***e ! Je savais que ça allait être difficile, mais je ne pensais pas à ce point. Je suis heureuse qu’elle vienne me voir, mais j’aurais préféré dans d’autres circonstances. Et puis, elle a son boulot et Max, elle ne peut pas tout lâcher rien que pour moi. De toute façon quoique je lui dise, elle ne m’écoutera pas. Quelle tête de mule !
— J’arriverai certainement deux ou trois jours avant ton anniversaire pour que l’on puisse profiter et surtout visiter.
Je vois ses yeux briller, ce qui fait naître un sourire sur mes lèvres. Depuis le temps qu’elle rêve de venir dans cette ville mythique pour la découvrir.
— Avoue que la vraie raison de ta venue c’est pour flâner sur la 5e Avenue et te prendre en photo devant la Statut de la Liberté !
— Je suis grillée à ce point-là ?
— Oh que oui !
Nous rions d’une même voix, mon Dieu que ça fait du bien de tout oublier le temps d’un instant. Même à distance, Alex est certainement ma meilleure thérapie.
— Tu me manques Sara…
Une pointe de tristesse perle dans ses yeux. Je n’aime pas la voir comme ça, surtout que c’est à cause de moi et ça me bouffe.
— Toi aussi Alex…
J’aimerais tellement pouvoir la prendre dans mes bras, la rassurer et la réconforter. Lui dire que tout va bien et que même si ce n’est pas tous les jours facile, ma nouvelle vie me plaît.
— Tu sais, il ne va pas bien…
Je sais de qui elle parle et j’en ai un pincement au cœur, mais c’est trop facile.
— Et tu crois que je vais bien moi peut-être ? Même si j’essaie de m’adapter, c’est dur Alex ! Si aujourd’hui on se parle à travers un écran c’est à cause de lui !
— Mais personne ne t’a demandé de partir Sara, personne ! C’est toi qui as fait ce choix de tout plaquer pour partir à des milliers de kilomètres.
— Parce que ça va être de ma faute maintenant ?
— Je ne dis pas ça, mais…
— J’ai juste saisi une opportunité. Tu aurais fait quoi à ma place si Max te rejetait ? S’il s’acharnait sur toi à coup de mots plus blessants les uns que les autres ? S’il devenait un étranger ? Ce jour-là je ne l’ai pas reconnu, ce n’était pas l’homme que j’ai rencontré… Il m’a blessée, fracassée même et je vis encore avec les séquelles aujourd’hui… Alors il peut se plaindre autant qu’il veut, regretter, il fallait qu’il réfléchisse avant de jouer au connard de première.
— Je ne lui cherche pas d’excuse Sara, je sais qu’il a merdé. Mais, laisse-lui peut-être la chance de s’expliquer.
J’essaie de repousser au loin les larmes qui menacent de s’écraser sur mes joues. En parlant avec ma sœur, je revis ce jour qui m’a fait prendre un virage à cent quatre-vingts degrés. Mon cœur saigne et la plaie béante qui s’y trouve a du mal à cicatriser. D’ailleurs, y arrivera-t-elle ?
— Est-ce que tu l’aimes encore ?
Je ne peux pas retenir le sanglot qui s’échappe de ma gorge… Bien sûr que je l’aime, je l’aime à en crever ! Même s’il me fait souffrir, même si je le déteste pour ce qu’il nous a fait, je ne peux pas empêcher mon cœur de battre pour lui. Ça a toujours été lui et il le sera encore. Mon cœur et ma tête éprouvent des sentiments contradictoires et c’est épuisant. Pour être honnête, je suis heureuse qu’il ait mal, qu’il se sente seul. Je veux juste que l’entaille présente dans son organe vital ne se referme jamais. Je veux qu’il ressente cette p****n de douleur comme je la ressens. Je veux qu’il garde en tête la connerie qu’il a faite. Je veux qu’il saigne et qu’il se consume de l’intérieur. Je veux qu’il souffre chaque jour de sa misérable vie, car je sais qu’il en sera ainsi pour moi… Mais dans mes rêves les plus fous, je n’ai qu’un souhait : le serrer dans mes bras, ne jamais le laisser partir et vivre ma vie à ses côtés…
Je hoche simplement la tête pour répondre à la question d’Alex. Je n’arrive pas à sortir ce simple « oui », c’est trop dur…
— J’aimerais tellement pouvoir être là, te câliner et te dire que tout s’effacera avec le temps ma bichette. La seule solution pour oublier tout ça c’est peut-être de lui pardonner ?
— Je ne sais pas si j’y arriverais et je ne sais pas si c’est ce que je veux. Si les choses s’arrangeaient, je n’ai aucune certitude que tout irait bien demain et pour l’instant j’ai besoin de stabilité. C’est ce que j’ai trouvé en venant ici.
Les yeux d’Alex s’embuent de larmes. Je vois que je l’ai blessée, car avant mon départ, elle faisait partie de ma stabilité, c’était un pilier indispensable à ma vie. Mais là, je constate qu’elle se sent inutile. Elle voudrait me secouer, me remettre les idées en place, mais à travers un écran ce n’est pas si simple. La semaine prochaine, je sais qu’elle va utiliser tout ce qui est en son pouvoir pour me faire rentrer en France.
— À certains moments, je te déteste de m’avoir fait ça, de nous avoir fait ça. En partant, tu as lésé toutes les personnes qui t’aiment. On ne méritait pas ça…
Je sais Alex, je sais… Mais je le devais, pour moi.
Chapitre 2
You Don't Know, Katelyn Tarver
Noah
— Noah… Noah !
Putain, mais qu’on dise à cette voix de la fermer !
— Noah debout !
Je grogne. Je veux juste qu’on me foute la paix. J’ai la tête sur le point d’exploser. J’ai l’impression qu’on me l’a coincée dans un étau et qu’on ne m’en a jamais libéré.
— Et p****n ça pue le fennec ici ! Je peux savoir à quand remonte ta dernière douche ?
— Bordel, boucle-la !
Les rayons du soleil s’infiltrent à travers mes paupières closes et me brûlent les yeux. Je sens aussi une légère brise me caresser la peau, ce n’est pas désagréable, mais pourquoi vient-on me faire chier de si bon matin ? Je veux juste dormir et échapper à ce mal de crâne.
— Debout la marmotte, il est déjà quinze heures.
— Je te jure, Josh, si tu ne la fermes pas, je te tue.
— Si tu ne reposes pas cette bouteille, c’est vraiment ce qui va finir par arriver !
Le bras en l’air, on me retire quelque chose des mains, certainement cette fameuse bouteille qui, si je me souviens bien, devait être du whisky.
J’ouvre péniblement les yeux. Une lumière m’aveugle et ne fait qu’accentuer cette douleur lancinante. J’ai la sensation que des milliers d’aiguilles se sont donné rendez-vous au sommet de mon crâne pour danser la polka, le tout accompagné de leur orchestre.
— La nuit a été bonne ?
— Je te jure, Josh, si tu ne parles pas moins fort je t’explose !
— Je chuchote déjà Noah !
Mon ami se trouve en face du canapé et m’observe, les yeux rieurs, alors que moi, je suis allongé sur le sofa avec la moitié de mon corps suspendu dans le vide. Connard !
— Alors ne dis plus rien !
Je vais encore être d’une humeur massacrante. De toute façon c’est le cas depuis qu’elle est partie, je suis infecte et invivable. Mon entourage a bien du courage.
Je tente de me relever afin de m’asseoir, mais mon corps me rappelle rapidement à l’ordre lorsque ma tête commence à tourbillonner et qu’une nausée me prend. J’inspire et expire profondément et l’air frais qui envahit mes poumons me fait du bien. p****n de gueule de bois !
Mon meilleur pote s’est installé sur la table basse et me regarde avec des yeux accusateurs. Finalement, je veux bien retrouver le mec qui se foutait de ma gueule il n’y a même pas cinq minutes, car là, je sens que je vais en prendre pour mon grade.
— Quoi ?
— Tu déconnes à plein tube, Noah ! C’est la quatrième fois cette semaine que je te retrouve dans cet état. Quand ce n’est pas l’alcool, tu enchaînes les gonzesses ! Il va vraiment falloir que tu te reprennes.
Il me tend un verre de jus d’orange frais et deux aspirines que j’accepte volontiers. Comment peut-il être aussi gentil et chiant à la fois ?
— C’est bon, je n’ai pas besoin d’un baby-sitter.
— C’est peut-être les vacances, mais je te rappelle que tu fais quand même la tournée des festivals d’été, alors tu as intérêt d’être en forme, car ta prochaine date est dans à peine deux semaines.
— Tu me fais chier, Josh, je connais mon boulot et il sera bien fait.
— Ah ouais ? Tu es sûr ? En ce moment, ton cerveau est plus imbibé de vodka et de whisky que de tes chansons. Il va falloir que tu te ressaisisses et vite.
— Je te dis que ça va aller.
— Je n’en suis pas si sûr ! Regarde-toi, on dirait un clochard. Et ta baraque est un vrai foutoir. Il y a des fringues partout, la vaisselle s’entasse dans l’évier et, p****n, y a même des capotes usagées par terre ! Tu abuses, Noah. Je vois bien que je te fais chier, mais tu es en train de foutre ta vie en l’air et ta carrière par la même occasion.
Il a raison ! Il me gonfle à me faire la morale et jouer au papa poule, mais d’un autre côté, il fait aussi retentir la sonnette d’alarme. Je sais que je déconne ces dernières semaines, mais depuis que Sara est partie, c’est la décadence dans ma vie. J’ai besoin de me sentir vivant et c’est le seul moyen que j’ai trouvé. Tout cet alcool et ces nanas dans mon pieu sont pour tenter d’oublier et très certainement de me punir. J’ai joué et j’ai perdu…
— Promis, je vais me calmer, mais tu n’as pas besoin d’en faire tout un plat.
Mon meilleur ami se lève en soupirant et se dirige vers la cuisine pour… ranger ! Ce n’est pas à lui de s’en occuper, mais je n’ai aucune envie de me lever pour l’aider alors si ça lui fait plaisir, je le laisse s’en charger avec joie.
— Tu devrais peut-être changer d’air avant de retourner sur scène ? Peut-être chez tes parents ? L’air marin te changerait les idées et t’éloignerait de tous tes souvenirs avec Sara.
Entendre son prénom me fait réagir et mes yeux se ferment automatiquement. Son visage vient se dessiner sous mes paupières. En voyant ses traits, mes lèvres esquissent un sourire. J’ai vraiment merdé avec elle, et, p****n, qu’est-ce que je regrette. Mais, si je la croisais demain, je ne sais pas si je pourrais lui dire tout ce qui me ronge. Ce n’est pas que je n’ai pas confiance en elle, c’est juste trop douloureux…
— Tu as certainement raison. Retourner aux sources ne me fera pas de mal et ma mère sera contente de me voir.
M’éloigner de Paris va me faire du bien et retourner à Saint-Malo, ma ville natale, va permettre de me ressourcer, d’arrêter les conneries, reprendre ma vie en main.
— Tiens, prends mon téléphone et jette un œil aux trains que tu pourrais avoir. Tu penses partir quand ?
D’ici deux ou trois jours, le temps de planifier mon voyage et de mettre mes parents au courant.
À l’aide du cellulaire de Josh, je commence à regarder les différents trajets qui me sont proposés. Il y en a à tous les prix, mais en soi, l’argent n’est pas un problème. Ce n’est pas faire Paris-Saint Malo qui me ruinera. Je veux juste un alleretour direct, pas de changement.
Je finis par trouver un train qui partira dans deux jours, il me fait arriver pour l’heure du déjeuner ce qui est parfait. Mon père viendra certainement me chercher à la gare tandis que ma mère terminera ses derniers préparatifs en cuisine. Chaque fois que je pose un pied à Saint Malo, celle qui m’a mis au monde me fait un repas digne de la cour du roi. Elle doit penser que je ne mange pas suffisamment à Paris. Je ne vais pas me plaindre, j’adore ses petits plats, ça me rappelle mon enfance.