Chapitre 1

1367 Mots
1.Paris, dix-huitième arrondissement, en plein cœur de Montmartre, une berline noire se faufilait tant bien que mal dans la rue Saint-Vincent. La voiture s’arrêta devant l’une des propriétés abritées par un grillage et des buissons. Une armoire à glace en descendit, lunettes de soleil et costume sombre de rigueur. Un regard à gauche, un regard à droite. Ses yeux, invisibles derrière ses lunettes, se fixèrent sur une b***e de jeunes venant dans sa direction. D’abord surpris, ils s’arrêtèrent net, avant d’invectiver le « bouffon » qui semblait les narguer. Le géant, faisant mine de ne pas les voir, ouvrit la portière arrière droite, et fit descendre les occupants. Un grand jeune homme svelte en sortit, la tête droite, les épaules tombantes et osseuses, les yeux bleus perçants, et une mine sombre contrastaient avec son acolyte, un petit homme trapu, aux cheveux ras et à la barbe poivre et sel, avec un regard noir à glacer le sang. Sans prendre le temps d’écouter les insultes des jeunes les apostrophant, ils gagnèrent la grille, et pénétrèrent dans le jardin de la propriété. Simon, Le Prêtre, et Jean, le Mage, car c’était bien d’eux qu’il s’agissait, arrivèrent à la porte. Simon frappa d’abord trois, un, puis deux coups. Ils attendirent quelques secondes et recommencèrent. La porte s’ouvrit, et ils purent pénétrer dans l’un des endroits les plus secrets de Paris : le cabinet ésotérique du Mage Rocambrune. Les deux satanistes suivirent le jeune indien qui leur ouvrit. Celui-ci les emmena à travers la maison, entre des piles de livres anciens, de faux monstres momifiés, et de bocaux contenant de véritables morceaux humains. Ils perçurent des odeurs d’encens et l’odeur âcre de la mort suintant des pots de verre. Après bien des méandres, une faible lueur ambrée leur parvint du fond du couloir. — Qu’est-ce que c’était, Dalip ? demanda une vieille voix éraillée. Le jeune indien répondit quelque chose que les deux visiteurs ne comprirent pas. Le vieil homme vint du fond du couloir, en titubant, regarda les deux visiteurs en costumes, d’un air surpris, puis mit une formidable gifle dans la figure de son jeune serviteur, lui hurlant ensuite : FILE ! Se tournant maintenant vers le plus âgé des visiteurs, le vieil homme sourit soudain. Celui-ci était amical, ce qui contrastait atrocement avec le visage décharné de l’homme. Il semblait buriné, malgré la pénombre, couvert de tant de rides qu’il était impossible de le placer dans une quelconque tranche d’âge. Il émanait de lui une impression de malveillance, comme ces petits vieux qui passent leur temps à la fenêtre pour invectiver les voisins et les passants. — Mon cher Jean, comme je suis content de te revoir, après toutes ces années ! — Ha, ha, ha ! Valéry ! Et moi donc ! Ils se prirent dans les bras, et se regardèrent un temps. — Ben mon vieux, tu ne grossis plus ; tu enfles ! — La ferme, vieux débris ! Toujours le mot pour rire ! — Que me vaut l’honneur de ta visite ? Ça fait bien longtemps qu’on ne s’est vu, non ? C’était quand, la dernière fois ? — À la mort du Sphinx, en 1996… — Déjà ? — Arrêtons là les lamentations. Ce n’était qu’un petit minable imbu de sa personne. Je suis là pour affaire. D’après mon Prêtre, Simon, ici présent, tu aurais localisé ce que je cherche. Je veux connaître tous les détails. — Ah ! C’est donc ce jeune gaillard que j’ai eu au téléphone… Tu devrais arrêter tes jeux lubriques, et t’occuper toi-même de tes affaires… — Est-ce que je te demande si tu continues à hypnotiser ton jeune serviteur pour qu’il oublie tes viols répétés ? — hm… touché ! Bon, venez par ici, avant que je ne vous jette à la porte… Ou un sort ; je réserve mon jugement. Plaisantait-il ? Valéry entraîna ses invités dans un petit salon contigu à son « magasin » : l’intérieur était cossu, bien éclairé, richement décoré ; un contraste flagrant entre ce qu’il voulait montrer aux clients et la vie qu’il menait vraiment. Simon en resta bouche bée quelques secondes, et oublia de s’asseoir. Il ne le réalisa que lorsque Dalip lui présenta une tasse de thé vert, le fumet parvenant malgré tout à ses narines, culminant presque au sommet de son mètre nonante-deux. — Bon, Jean, maintenant que nous sommes bien installés, je suis disposé à te répondre, mais ma mémoire n’étant plus ce qu’elle était, je compte sur vous deux pour ne pas m’interrompre. Le vieux Mage se frotta vigoureusement les mains avant de poursuivre : — J’étais dans une foire du livre, plus un marché aux puces qu’autre chose si vous voulez mon avis, dans les faubourgs de Lille, il y a quelques semaines et là, j’ai été attiré par une devanture présentant d’anciens ouvrages. J’ai recueilli quelques éléments concernant des livres qui pourraient me rapporter un bon petit pactole en les revendant, à quelques « bobos » privilégiés voulant se donner mauvaise conscience, quand mon attention fut attirée par un personnage assez singulier : il était habillé un peu comme vous ; beau costume trois-pièces, lunettes de soleil, enfin bref, vraiment le chien dans le jeu de quilles ! Le vieil homme prit quelques instants pour se remémorer correctement la scène : — Je l’ai entendu parler avec un fort accent étranger. Je me suis approché, flairant la bonne piste, ou plutôt, le pigeon idéal, quand j’ai réalisé qu’il était occupé à négocier un très, très vieux livre avec une matrone à l’air sévère. Les deux n’en démordaient pas : le trois-pièces estimait le prix trop élevé, et la femme pensait qu’il essayait de la rouler. Voyant que la dame refusait de négocier, il a fait signe à un autre costume que je n’avais pas remarqué. Le nouvel arrivant à entrouvert son manteau, et il m’a semblé reconnaître un reliquaire. La vieille a fait une drôle de tête, mais a accepté immédiatement de céder son livre contre ce bel objet contrefait. On ne me la fait pas à moi ! J’ai l’œil ! Enfin bref. Je suis arrivé à me glisser entre les passants pour suivre les deux étrangers. Ils se sont enfin arrêtés à une terrasse de café. Je me suis installé derrière eux, et j’ai pu jeter un œil à l’étrange manuscrit. Il s’agissait du livre que tu cherches ! Ou alors, une très bonne imitation ! Mais je vois à ta tête que tu as envie que j’aille plus loin. Ils l’ont tourné dans tous les sens, cherchant je ne sais pas trop quoi, puis ont téléphoné. Là, ils ont sorti une carte de France, et j’ai entendu clairement « Brocéliande ». Si c’est bien le livre que tu cherches, il doit être là-bas. — Intéressant. Mais où, exactement ? Tu n’es pas sans savoir que la forêt est vaste, souvent visitée par des touristes en mal de sensations, mais si tu ne peux pas m’en dire plus, je ne vois pas ce que je pourrais faire d’une telle information. — À quoi penses-tu que ma magie me serve ? Je peux te donner un objet, muni d’une incantation, te permettant de retrouver le possesseur du livre. — Comment as-tu fait ça ? — Je suis vieux et décati. Il m’a suffi de faire deux pas, tousser comme un rat mort, et m’écrouler en prenant appui sur la table. D’une part, j’ai touché le livre, et senti toute la force magique prisonnière à l’intérieure, et d’autre part, le bonhomme a vite fait un geste machinal pour me retenir, et j’en ai profité pour le piquer avec une aiguille tenue entre mes doigts. J’avais ainsi son sang, me permettant de le retrouver n’importe où dans le monde. Jean regarda son ami avec un faux air détaché. En fait, il admirait l’habileté encore ardente du « vieux ». — Très bien, Valéry. Donne-moi cet objet, et tu seras bien récompensé. — Tu me laisseras tranquille encore dix ans ? — Si ça peut t’aider ! Valéry se leva tant bien que mal de sa chaise, et se rendit vers un petit « cabinet de curiosité » dans lequel il trifouilla un bon moment. Il revint avec une médaille, arborant l’aigle américain. Il expliqua qu’il l’avait fauchée au jeune homme qui l’aidait à se relever après le faux malaise. Avec cette amulette, mêlée au sang de l’homme, « l’instinct » pouvait pousser quiconque vers la cible. De fait, Jean sentit de suite vers où se diriger pour atteindre la forêt de Brocéliande. Sur ce, il laissa son ami, le remerciant encore de son aide précieuse, et quitta les lieux, suivi comme son ombre par Simon. Une fois dans la rue, il avisa les trois cadavres entre les voitures. C’était ce qui restait des jeunes, qui s’en étaient pris à Piotr, le garde du corps, ancien Spetnaz qui avait pris littéralement le premier pour taper sur les autres. Pas de raffut, personnel aux fenêtres ; le Diable était bien de la partie. Oh, une patrouille de police tenta bien de voir ce qu’il se passait, mais une carte de la sureté de l’État sortie au bon moment ravisa les agents. C’est incroyable le pouvoir que l’homme a pu donner à un vulgaire bout de papier !
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