Chapitre 1

897 Mots
Chapitre 1 L’automne se parait de ses plus belles couleurs. Les feuilles des platanes dénudaient les branches aux soupirs du vent. Une feuille encore verte se détachait en tourbillonnant avant de rejoindre ses compagnes d’infortune sur le sol. Le soleil s’apprêtait à se coucher sur la région parisienne. Les élèves du lycée privé partaient en week-end. Une femme âgée conduisant une voiture, cherchait une place sur le parking. Une jeune fille à la chevelure rousse en descendit. Ses yeux portaient dans le vide. Elle sortait, sa valise à la main. Elle prenait la direction du bâtiment scolaire au milieu de ses futurs camarades et évitait à tout prix de se faire accoster. La vieille femme, sobrement vêtue, l’accompagnait et devançait ses pas au milieu des feuilles mortes qui jonchaient le sol. Elles se dirigeaient en silence vers le bureau de la directrice. Les longs couloirs se désertaient. Les cris exaltés devant les deux jours de liberté qui s’offraient à cette jeunesse remuante s’évaporaient peu à peu. L’adolescente marchait, la tête basse. Elles approchaient de leur lieu de rendez-vous. La jeune fille découvrait pour la première fois ces locaux. Malgré sa curiosité naturelle, elle se gardait de lever la tête. Si en temps normal, elle offrait son visage et appréciait laissait voler au grès du vent sa longue chevelure rousse qui tombait sur le bas de ses reins, là, elle baissait la tête et se servait de ses cheveux pour cacher son visage. Elle se contentait de jeter de rapides coups d’œil pour mémoriser les lieux. La vieille femme frappa à une porte où l’on pouvait lire, gravé sur une plaque en cuivre, le mot « direction ». Une voix caverneuse les autorisa à entrer. Elle passa la première et alla s’asseoir sur une des deux chaises en bois faisant face au bureau. ⸺ Madame la directrice, merci de m’avoir attendue et… veuillez excuser mon retard. Mais ils ont fait des histoires pour la laisser sortir. Un souci de signature. Vous savez comment ça se passe hein. Je vous présente ma petite-fille Balsamine. Puis se tournant vers la jeune fille, elle continua sur un ton moins solennel tout en la bousculant verbalement. ⸺ Allons rentre, et pose-moi donc cette valise, prononça la femme sur un ton sévère tout en l’invitant à s’asseoir d’un signe de la main. La grand-mère se rassit bien droite devant la directrice. Le bureau était grand, garni d’étagères grises en métal où étaient posés des registres et des livres. L’absence de décoration rendait cette pièce austère et la froideur de l’unique néon n’ajoutait rien de chaleureux. Seule une lumière vive, animant le bureau placé près de la fenêtre, indiquait qu’un être humain travaillait ici à longueur de journée. Une porte ouverte d’où sortait une odeur de café laissait entrevoir une pièce adjacente. La directrice se tenait assise, régentant sur ses dossiers ordonnés d’une rigueur militaire et observait d’un air froid ses deux visiteuses. Son visage ridé, marqué par les années reflétait la fatigue, ses cheveux grisonnants coiffés en un savant chignon lui donnaient un air pincé. Son chemisier en broderie anglaise d’une blancheur impeccable accentuait cette allure venue d’un autre temps. Elle parlait d’une voix lente et monocorde. ⸺ Bonsoir, prenez place, invita la directrice. Vous avez apporté les papiers ? ⸺ Oui, oui, les voici, signés par moi-même bien entendu. Puis chuchotant à l’attention de la jeune fille qui observait les lieux : ⸺ Mais viens donc t’asseoir, l’empressa-t-elle. La directrice vérifiait le contenu des documents. L’air impassible, ses mouvements étaient précis et méthodiques. Une fois inspecté l’ensemble de la paperasse, elle leva la tête en direction de la vieille femme. ⸺ Il manque le chèque. ⸺ Euh… c’est-à-dire que… vous m’aviez accordé cette faveur et, euh… Vous comprenez avec mes fins de mois difficiles, euh… Bien entendu je vous paierai, mais nous étions d’accord sur le prix n’est-ce pas ? questionna-t-elle en sortant son chéquier après s’être tordu les mains avec anxiété. ⸺ En effet, je me souviens. Tout est en ordre. Je vais donc l’inscrire sur le registre. En écrivant, elle annonçait à haute voix : ⸺ Inscription de mademoiselle Duboquet Balsamine aujourd’hui le vendredi quinze octobre mille neuf cent soixante-seize dans la classe de première S. Vous avez choisi comme langue étrangère l’anglais. Vous aviez un bon niveau à ce que je vois l’année dernière en seconde. Cependant, vous arrivez avec un mois et demi de retard... ⸺ Mais j’ai pu suivre des cours de soutien à l’hôpital, interrompit la jeune fille. ⸺ Apprenez mademoiselle que personne ici n’a pour habitude de me couper la parole, rappela la directrice de son ton monocorde sans lever la tête. Puis, terminant de noter les renseignements concernant l’adolescente, elle referma et posa son stylo horizontalement au registre. Ensuite se tournant vers Balsamine, elle la toisa et l’observa. ⸺ Mademoiselle, veuillez signer ce règlement intérieur. La jeune fille se tenait assise sur le bord de la chaise, ses cheveux ombrageant son visage. Elle tendit la main droite pour prendre le papier, et gardait sa main gauche sur sa joue, cachant en partie son œil. Sa grand-mère, agacée par ce comportement lui ordonna d’arrêter de se tenir de la sorte. Balsamine posa avec précaution son coude gauche pour tenir le document et signa d’une main sans lire le papier puis le remit à la directrice. Cette dernière appela la gouvernante, mademoiselle Leclaire, qui attendait dans la pièce voisine et proposa à madame Duboquet de visiter les lieux. ⸺ Oh non, je vous remercie madame Beck mais non, fit-elle empressée. Je dois prendre mon service vous savez bien, et puis de toute façon je garderai un œil sur elle tous les jours. Puis se tournant vers Balsamine : ⸺ Durant les repas, hein ? L’adolescente ne bougea pas et baissa les yeux. La gouvernante arriva tandis que madame Duboquet se sauvait et saluait encore la directrice d’une révérence maladroite et empressée.
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