Chapitre 2

1946 Parole
2 Un bruit de sirène me parvient à travers la brume de mon sommeil. Je me souviens soudain très clairement des événements sur la plage et toute trace de fatigue disparaît. Avant d’ouvrir les yeux, j’envoie un fort message mental à Phoe. — Était-ce un rêve ? Et si ce n’était pas un rêve, qu’était-ce ? Phoe ne répond pas. Le bruit de sirène devient plus fort. Je subvocalise : — Phoe ? Elle ne répond pas, mais l’alarme sonne encore plus fort. — Phoe, dis-je en chuchotant. J’ouvre les yeux. Ils sont assaillis par des éclairs de lumière rouge qui me forcent à cligner des paupières. — Qu’est-ce que tu viens de marmonner ? demande Liam. La voix de mon ami retentit juste à côté de mon oreille. Je grimace en m’écartant. C’est peut-être mon esprit embrouillé qui me joue des tours, mais Liam a l’air effrayé : c’est une émotion que je le pensais incapable de ressentir. Mes yeux s’adaptent et je distingue les traits de Liam quand il se penche au-dessus de mon lit. Ses sourcils sont froncés avec cet air typique de ‘chenille sur le front’ et les lumières rouges clignotantes lui donnent une drôle de teinte. — Il y a une espèce d’alarme qui sonne, dit Liam quand je m’assois. Je n’ai jamais vu ça. — Bizarre. Je pose mes pieds par terre et je fais le geste du nettoyage de la bouche. Rien ne se passe. Je fais un geste pour obtenir de la nourriture et de l’eau : toujours rien. Au milieu de ma tentative de commande mentale, j’entends Liam dire : — Si tu essaies de faire apparaître un écran ou quoi que ce soit d’autre, cela ne fonctionnera pas. C’est comme la prison des sorcières ici. Afin de confirmer ses paroles, je fais le geste pour invoquer un écran. — Je te l’ai dit, insiste Liam quand rien ne se passe. Sa respiration semble laborieuse. J’essaie d’appeler mentalement un écran et j’échoue. — Phoe, il se passe quoi, p****n ? dis-je en me levant. Liam me regarde d’un air perdu et Phoe ne répond pas alors que j’ai dit son nom à voix haute, ce qui confirme ce que je savais déjà. Quelque chose s’est très mal passé. La question est : quoi ? Sans mes chaussures habituelles, mes pieds deviennent des glaçons au contact du sol froid. N’en tenant pas compte, je fais le tour de la pièce en essayant de comprendre la situation. La lumière clignotante rouge vient de toutes les directions, remplaçant nos lumières blanches habituelles. — As-tu vérifié si la porte était déverrouillée ? dis-je à Liam avant de crier mentalement à Phoe : où es-tu ? Que se passe-t-il ? Elle ne répond toujours pas. Liam marche vers la porte et fait un geste, mais la porte ne répond pas à la commande de Liam. Désespéré, je suggère : — Essaie de l’ouvrir manuellement. Je subvocalise à nouveau ma supplique pour Phoe. Elle reste silencieuse. Liam pousse la porte à la main, et elle s’ouvre sur le couloir. L’alarme continue à sonner. Je me demande s’il s’agit d’une sorte d’exercice incendie ou si c’est une véritable alarme. L’air dans la pièce sent le renfermé et il ne semble y avoir aucune aération. La respiration de Liam semble confirmer cette dernière supposition. Sa cage thoracique s’étire et se contracte vite et avec difficulté. Bien sûr, cela ne signifie pas forcément qu’il s’agit d’un empoisonnement au monoxyde de carbone, cela pourrait simplement être la peur. — Attention, dit Phoe d’une voix artificielle et très forte. Votre attention s’il vous plaît. Je hurle mentalement son prénom, mais je remarque alors que Liam semble écouter, comme s’il l’avait entendue, lui aussi. — La production et la circulation d’oxygène ont été compromises. Évacuez immédiatement le bâtiment, ordonne la voix tonitruante de Phoe. — C’est un exercice ? demande Liam. Je lève les sourcils. — Tu as entendu ça ? Liam incline la tête, le front plissé. — Mon vieux, une personne sourde l’aurait entendu. — La production et la circulation d’oxygène ont été compromises. Évacuez immédiatement le bâtiment, répète la voix et je me rends compte que bien qu’elle ressemble à Phoe, ce n’est pas exactement elle. Maintenant que j’y fais davantage attention, on dirait l’enregistrement de la voix de Phoe émise par un de ces anciens systèmes téléphoniques automatiques. Il n’y a aucune émotion et la diction est légèrement fausse. Liam sort dans le couloir, puis il revient une seconde plus tard. — Nous devrions partir. Sa voix est inhabituellement rauque. — Tous les autres sortent aussi. Comme pour souligner sa suggestion, la voix mécanique de Phoe répète l’ordre d’évacuer. — D’accord, dis-je. Allons-y. Dans le couloir, les lumières rouges sont plus éclatantes et l’annonce sinistre plus bruyante. Les Jeunes que Liam a vus plus tôt ont disparu, laissant le couloir entièrement vide. De plus en plus mal à l’aise, Liam et moi courons dans le couloir. Pendant que nous courons, j’évalue la distance que nous avons à couvrir et je maudis les choix de mon passé. Quand nous avions choisi notre chambre, c’était mon idée d’en prendre une à l’étage et dans le coin le plus éloigné des dortoirs. Pour ma défense, je ne pensais pas alors qu’il existait des situations d’urgence à Oasis. D’une certaine façon, je n’arrive toujours pas à croire qu’une urgence se produit. Je hurle mentalement : — Phoe. Phoe, si tu ne me réponds pas, je ne te parlerai plus jamais. Elle ne répond pas, sauf si l’on compte l’annonce robotique. Quand nous passons un coin du couloir, je vois deux Jeunes ébouriffés courir jusqu’aux escaliers. Ils ont une énorme avance sur nous. La respiration de Liam est audible à présent, ce qui m’inquiète. Ma part optimiste espère qu’il respire de cette façon parce qu’il a négligé le sport, mais je sais que le plus probable, c’est que Liam a du mal à respirer, car l’oxygène ne circule plus dans les dortoirs et qu’il souffre d’asphyxie. C’est une notion que je n’ai rencontrée que dans les livres et les films. Je m’examine et je me rends compte que ma propre respiration est tout à fait normale. Cela me laisse stupéfait pendant un instant, mais je me souviens alors des respirocytes : les nano machines que Phoe a débloquées dans mon flux sanguin il y a quelques jours. Cette technologie a la même fonction que les globules rouges, seulement les respirocytes sont quelques centaines de fois plus efficaces pour transporter l’oxygène que les petites cellules biologiques. Quand elle me l’a fait pour la première fois, je l’ai testé en courant tout en retenant ma respiration et cela ne m’a presque pas coûté d’effort. J’ai également utilisé les respirocytes pour survivre à un garde qui essayait de m’étrangler. Mon introspection égoïste est interrompue quand je vois Liam lutter pour ouvrir la porte des escaliers. — Laisse-moi faire, dis-je. Quand il enlève sa main, je tire sur la porte. Celle-ci s’ouvre si facilement que je m’étonne avec inquiétude de la difficulté qu’a éprouvée Liam. Nous nous précipitons dans les escaliers. Je ne peux m’empêcher de remarquer que la respiration de Liam devient plus frénétique et sa vitesse diminue à chaque pas. — Tu veux t’appuyer sur moi pour descendre ? m’enquis-je quand sa course devient une marche prudente. — Moi, m’appuyer sur toi ? dit Liam en haletant. Même si parler lui demande de gros efforts, l’air sombre de Liam se déride un peu. Il pense que je plaisante parce qu’il a toujours été considéré comme le plus fort de notre b***e. — D’accord. Tout arrive. Maintenant, ferme-la. Il n’y a pas beaucoup d’oxygène et nous le gaspillons en parlant. — C’est juste que c’est plus facile pour moi de descendre, dis-je. Il y a une raison et je te l’expliquerai quand nous serons dehors, mais crois-moi quand je te dis que tu devrais me laisser t’aider. Secouant la tête avec obstination, Liam marche un peu plus vite. Cependant, cette énergie ne dure pas. Lorsque nous approchons du premier étage, il faiblit et pour ne pas tomber, il ralentit presque au point de ramper. Quelques instants plus tard, même une marche lente semble au-delà de ses forces et il s’agrippe à la rampe en respirant bruyamment. — Bon, ça suffit. Tu me laisses t’aider. Sans attendre ses objections, j’attrape son bras gauche et je le passe autour de mon cou. Une fois que je le tiens bien, je bouge aussi vite que possible. Je pensais que Liam allait se plaindre, mais il pousse un grognement reconnaissant et il s’appuie sur moi en descendant. Je pose mon index sur son poignet et je vérifie discrètement son pouls. Son cœur bat si vite que c’est effrayant. Je le dévisage en gardant un regard neutre pour cacher mon inquiétude. Je ne sais pas si c’est un effet secondaire de toutes les alarmes rouges, mais les yeux de Liam sont injectés de sang et son visage est bleuté. En outre, les veines sur son front et dans son cou paraissent gonflées. Un demi-escalier plus tard, j’ai mal au dos à force de me baisser pour m’adapter à la taille plus courte de Liam. Le bon côté, c’est que je ne ressens aucun effet de la privation d’oxygène. — Phoe, crié-je mentalement. Tu n’as même pas besoin de répondre. Active juste les respirocytes de Liam, s’il te plaît. Elle ne réagit pas. Liam se penche plus lourdement sur moi, me forçant à ralentir. Nous ne nous trouvons qu’à un étage du sol, mais une fois que nous atteindrons le rez-de-chaussée, il nous restera encore cinq longs couloirs à traverser. À mi-chemin entre les deux étages, la respiration de Liam devient plus sifflante et il se tient la gorge. Je serre les dents et je ne tiens pas compte de mon dos qui me lance à chaque pas. Vingt marches jusqu’en bas. Quinze marches. Pour ne pas penser à la douleur, je me concentre sur le décompte des marches et j’ignore le froid mordant qui s’insinue par mes pieds nus. J’écoute également la respiration haletante et irrégulière de Liam. Un nouveau développement brise ma concentration. La respiration frénétique de Liam cesse – ou bien ralentit pour devenir à peine audible. Au même moment, il s’effondre, faisant tomber tout son poids sur moi. Nous nous trouvons à dix pas du rez-de-chaussée, mais cela aurait aussi bien pu être le sommet du mont Everest. Non. Je vais faire sortir Liam de ce bâtiment. Mon cœur se met à battre comme un ancien outil électrique quand l’adrénaline explose en moi. Je tiens Liam plus fort et l’esprit embrumé par les muscles qui se déchirent, je nous fais descendre une marche. Une marche conquise, il en reste neuf. Ignorant la douleur de mon dos, je traîne Liam au bas d’une autre marche, puis une autre. Les sept dernières passent comme si j’étais en transe. Tout ce que je vois, c’est du rouge, tout ce que j’entends, c’est le vacarme de l’avertissement. Je ne sens plus mes muscles qui tirent ni la douleur de ma colonne. Ce n’est que lorsque mon pied touche le sol plat que la fatigue me frappe pleinement. Au lieu de céder, je pose Liam par terre, puis je l’attrape sous les bras et je commence à le traîner hors du bâtiment. Six mètres plus tard, j’ai l’impression d’avoir du plomb dans les veines de mes bras. Je me surprends également à respirer bruyamment, mais je ne sais pas si c’est par manque d’oxygène ou à cause de l’effort. Non pas que cela change quelque chose pour Liam. Je sais que mes muscles vont me lâcher dans quelques secondes.
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