5
Julian
Elle écarquille ses yeux noirs et me fixe sans broncher, et je sais exactement quelle sera sa décision. Pour rassurer ses parents, elle sera la plus heureuse des mariées.
Elle va jouer la comédie comme elle ne l’a encore jamais fait.
À cette pensée, je sens de la colère et un autre sentiment que je ne prends pas la peine d’examiner de près me soulever le cœur. D’un point de vue rationnel, je comprends son hésitation. Je sais qui je suis, ce que je lui ai fait. Une femme intelligente s’enfuirait à toute vitesse, et Nora a toujours été plus intelligente, plus perspicace que la plupart des femmes.
Mais elle est jeune. Je l’oublie parfois. Dans le monde confortable de la bourgeoisie américaine, peu de femmes se marient à cet âge. Il est même possible qu’elle n’ait encore jamais pensé à se marier ; en fait, c’est même vraisemblable étant donné que je l’ai rencontré quand elle était encore au lycée.
D’un point de vue rationnel je comprends tout cela… mais la raison n’a rien à voir avec les émotions violentes qui s’agitent en moi. p****n, je veux la ligoter, la fouetter puis la b****r jusqu’à ce qu’elle ait si mal qu’elle implore ma pitié, jusqu’à ce qu’elle admette qu’elle m’appartient et qu’elle ne peut vivre sans moi.
Mais je ne fais rien de tout cela. À la place, je lui souris froidement en attendant sa décision.
Elle incline légèrement la tête.
― Entendu. Sa voix est à peine audible. Je vais le faire. Je vais leur parler de notre histoire d’amour.
Je cache ma satisfaction.
― Comme tu voudras mon chat. Je vais demander à Lucas d’établir une connexion sécurisée avec eux.
Et je la laisse là pour aller vers Lucas et parler avec lui de la manière de l’organiser.
Je demande au Père Diaz de nous laisser une heure avant le début de la cérémonie et je m’assieds sur l’un des bancs pour laisser Nora parler tranquillement avec ses parents. Évidemment, je surveille ce qu’elle leur dit avec un petit écouteur, mais elle n’a pas besoin de le savoir.
En m’adossant au mur, je m’installe confortablement et je me prépare à bien m’amuser.
Sa mère décroche à la première sonnerie.
― Salut maman… c’est moi. La voix de Nora est enjouée et gaie, presque débordante d’excitation. Je réprime un sourire. Elle va se surpasser.
― Nora, ma chérie ! La voix de Gabriela Leston exprime le soulagement. Je suis si contente que tu m’appelles. J’ai déjà essayé de t’appeler cinq fois aujourd’hui, mais à chaque fois je suis tombée sur ton répondeur. J’allais passer chez toi… mais de quel numéro m’appelles-tu ?
― Maman, ne t’inquiète pas, je ne suis pas chez moi, comprends-tu ? Nora a pris un ton réconfortant, mais dans mon for intérieur je fais la grimace. Je n’ai pas beaucoup l’expérience de parents normaux, mais il me semble que la phrase « Ne t’inquiète pas » les amène immédiatement à s’inquiéter.
― Qu’est-ce que ça veut dire ? La voix de sa mère se durcit immédiatement. Où es-tu ?
Nora s’éclaircit la gorge.
― Hum, en fait je suis en Colombie.
― QUOI ? Elle a crié si fort que j’en suis assourdi. Comment ça, tu es en Colombie ?
― Maman, tu ne comprends pas, j’ai une grande nouvelle à vous annoncer… Et Nora se lance dans des explications, nous sommes tombés amoureux l’un de l’autre dans l’île, elle était désespérée quand elle m’a cru mort, et elle est au septième ciel de me savoir sain et sauf.
Quand elle a terminé, il y a un long silence à l’autre bout du fil.
― Ne me dis pas que tu es avec lui maintenant ? demande finalement sa mère dont la voix est rauque et tendue. Il est revenu te chercher ?
― Oui, exactement. La voix de Nora est jubilante. Tu ne comprends donc pas, maman ? Je n’ai pas pu vous en parler jusqu’à maintenant parce que c’était trop difficile, parce que je croyais l’avoir perdu. Mais maintenant, nous sommes à nouveau ensemble et j’ai quelque chose… quelque chose d’extraordinaire à vous annoncer.
― Qu’est-ce que c‘est ? Comme on peut s’y attendre, sa mère semble méfiante.
― Nous allons nous marier !
De nouveau, il y a un long silence à l’autre bout du fil, puis :
― Tu vas te marier… avec lui ?
Je réprime un autre sourire en écoutant Nora tenter de convaincre sa mère que je ne suis pas aussi méchant qu’ils le pensent, que c’est une suite de circonstances regrettables qui ont abouti à son enlèvement et que maintenant la situation est très différente entre nous. Je ne suis pas sûr que Gabriela Leston est convaincue, mais ça n’a pas d’importance. L’enregistrement de cette conversation sera envoyé aux responsables de certaines organisations officielles et contribuera à les apaiser. Ils comptent trop sur moi pour me b****r, mais il n’est pas inutile de jouer le jeu avec eux. Tout est affaire de perception et le fait que Nora soit ma femme leur convient bien mieux que de penser qu’elle est ma captive.
J’aurais pu l’épouser plus tôt, mais j’essayais de la cacher, de la garder en sécurité. C’est la raison pour laquelle je l’avais enlevée et amenée dans mon île, pour que personne ne découvre son existence et ne sache ce qu’elle représentait pour moi. Mais maintenant que ce secret a été découvert, je veux que le monde entier sache qu’elle est à moi et que ceux qui oseraient toucher à elle le paieront. Les nouvelles de ma vengeance contre Al-Quadar commencent à filtrer dans les bas-fonds de la pègre et j’ai fait en sorte que les rumeurs dépassent encore la réalité.
Ce sont ces rumeurs ainsi que le dispositif que j’ai mis en place pour la protéger qui garantiront la sécurité de la famille de Nora. Il est peu vraisemblable que quelqu’un essaye de m’atteindre à travers ma belle-famille – je n’ai pas vraiment la réputation de quelqu’un de dévoué à sa famille-, mais je ne veux prendre aucun risque. Je ne veux surtout pas que Nora perde ses parents alors qu’elle vient juste de perdre Beth.
Tandis que Nora termine sa conversation avec eux, le Père Diaz commence à s’impatienter. Je lui jette un regard menaçant et il arrête immédiatement de faire les cent pas, son visage retrouve sa sérénité. Le bon Père me connait depuis l’enfance et il sait quand il faut faire preuve de prudence.
Quand je jette de nouveau un coup d’œil à Nora, elle me fait signe et me demande de venir. Je me lève et je vais vers elle tout en éteignant mon oreillette. En m’approchant, je l’entends dire :
― Écoute, maman, laisse-moi te le présenter, d’accord ? Je vais lui demander de passer en vidéoconférence, ce sera presque comme si l'on était tous réunis pour de bon… ouais, je vais te rappeler dans deux ou trois minutes. Elle raccroche et attend en me regardant.
― Lucas ! J’ai à peine eu besoin d’élever la voix et il est déjà là avec un ordinateur portable et une connexion sécurisée. Il le pose sur un rebord de fenêtre et l’oriente de telle manière que la petite caméra soit dirigée vers nous. Une minute plus tard, le lien vidéo est établi et le visage de Gabriela Leston apparait sur l’écran. Tony Leston, le père de Nora, est derrière elle. Leurs deux paires d’yeux se tournent immédiatement vers moi et m’examinent avec un étrange mélange d’hostilité et de curiosité.
― Maman, papa, voici Julian, dit doucement Nora et j’incline la tête avec un léger sourire. Lucas va au fond de la pièce pour nous laisser seuls.
― Je suis très heureux de faire votre connaissance. À dessein je parle très calmement. Je suis certain que Nora vous a déjà tout expliqué. Je vous présente mes excuses pour la rapidité des évènements, mais je serais très heureux que vous assistiez à notre mariage. Je sais que Nora aimerait beaucoup que ses parents soient présents, même à distance.
Je ne peux rien dire aux Leston pour justifier mes actes ou pour qu’ils me trouvent sympathique, je n’essaie donc même pas. Nora est à moi maintenant, il faudra qu’ils apprennent à accepter cette réalité.
Le père de Nora ouvre la bouche pour dire quelque chose, mais sa femme lui donne un coup de coude.
― Entendu Julian, dit-elle lentement en me regardant fixement. Ses yeux sont extraordinairement semblables à ceux de sa fille. Vous allez donc épouser Nora. Puis-je vous demander où vous allez habiter ensuite et si nous la reverrons ?
Je lui souris. Encore une femme intelligente et pleine d’intuition.
― Pendant les premiers mois, nous serons sans doute ici, en Colombie, j'explique en gardant un ton détaché et amical. Je dois m’occuper de certaines affaires. Après ça, nous serons très heureux de vous rendre visite ou que vous veniez.
Gabriela hoche la tête.
― Je vois. Son visage reste tendu même si un soupçon de soulagement apparait brièvement dans son regard. Et les projets de Nora ? Et l’université ?
― Je ferai en sorte qu’elle poursuive ses études et qu’elle ait la possibilité de se consacrer à la peinture. Je regarde calmement les Leston. Évidemment je suis sûr que vous comprenez que Nora n’aura plus de soucis d’argent. Et vous non plus. Financièrement, je suis très à l’aise et je prends toujours soin de mes proches.
Tony Leston plisse les yeux de colère.
― Vous ne pouvez pas acheter notre fille… commence-t-il à dire, mais de nouveau sa femme lui donne un coup de coude pour le faire taire. Visiblement, la mère de Nora a mieux pris la mesure de la situation ; elle comprend que cette conversation aurait très bien pu ne pas avoir lieu.
Je me penche vers la caméra.
― Tony, Gabriela, ai-je dit à voix basse, je comprends votre inquiétude. Mais dans une demi-heure, Nora sera ma femme, ma responsabilité. Je peux vous assurer que je prendrai soin d’elle et que je ferai de mon mieux pour assurer son bonheur. Vous n’avez aucune raison de vous inquiéter.
Tony serre la mâchoire, mais cette fois il garde le silence. C‘est Gabriela qui prend de nouveau la parole.
― Nous aimerions pouvoir lui parler régulièrement, dit-elle calmement. Pour être sûrs qu’elle est aussi heureuse qu’elle semble l’être aujourd’hui.
― Bien sûr. Je n’ai aucun problème à faire cette concession. Et maintenant, la cérémonie va commencer dans quelques minutes, nous allons vous installer une meilleure connexion vidéo. Je suis heureux d’avoir fait votre connaissance, ai-je dit poliment avant de refermer l’ordinateur portable.
En me retournant, je vois que Nora me regarde d’un air déconcerté. Dans sa longue robe blanche, avec son chignon, elle a l’air d’une princesse, et je suppose que je suis le méchant dragon qui l’a enlevée.
Cette pensée m’amuse sans savoir pourquoi. Je lève la main et effleure du doigt sa joue qui est douce comme celle d’un bébé.
― Es-tu prête mon chat ?
― Oui, je crois, murmure-t-elle en levant les yeux vers moi. Ces femmes que j’ai engagées ont maquillé ses yeux de manière à les rendre encore plus grands et plus mystérieux. Et sa bouche semble plus douce et plus brillante que d’habitude, ça donne envie de la b****r. Une violente bouffée de désir me prend par surprise et je m’oblige à reculer d’un pas avant de faire un acte sacrilège à mon propre mariage.
― La vidéo est prête, m’informe Lucas en revenant vers nous.
― Merci, Lucas, ai-je dit. Puis, me tournant vers Nora, je lui prends la main et je la conduis vers le Père Diaz.