Chapitre 2
— Tour de contrôle, ici le Lulu Belle en approche de la baie de réparation A4, annonça joyeusement le capitaine « Moustique » Lulu Belle Mann. Il faut que les vaisseaux en approche me fassent de la place. Oh, et vous feriez bien de sortir les défenses, les garçons, mes propulseurs se montrent un tantinet casse-bonbons en ce moment. Frog ! Comment tu t’en sors avec les réparations, mon chéri ?
— Deux minutes, Moustique ! J’ai besoin d’au moins deux minutes de plus ! cria frénétiquement la voix derrière elle.
Moustique ignora les jurons vulgaires en provenance de la tour de contrôle. Elle y était habituée maintenant. Elle ne savait si c’était le protocole pour toutes les tours de contrôle de tous les spatioports d’utiliser un tel langage. La prochaine fois qu’elle parlerait à Bulldog, son père adoptif, elle lui poserait la question. Elle apprenait encore tout le jargon technique depuis qu’il l’avait laissée prendre sa place en tant que capitaine du Lulu Belle. Jusqu’à présent, cela semblait être la norme dans tous les spatioports où elle avait effectué des livraisons.
— J’ai réussi à faire fonctionner les propulseurs arrière, Capitaine, répondit la voix aiguë de son copilote. Et je m’appelle Froget, pas Frog ! Combien de fois est-ce que je dois te le répéter ? grogna la créature verte, jaune et noir en sautant sur la chaise à côté d’elle.
Moustique éclata joyeusement de rire en entendant le ton légèrement exaspéré de son nouveau copilote. Elle avait récupéré l’amphibien de taille moyenne à la dernière minute sur le spatioport de Gallus. Peu lui importait son nom, il ressemblait comme deux gouttes d’eau aux grenouilles1 des vidcoms que lui avait donnés Bulldog quand elle était enfant.
Elle était tombée amoureuse des grands yeux et de la longue langue collante de Frog. Il pouvait attraper des choses qui se trouvaient sur un mur à près de trois mètres ! C’était la chose la plus cool qu’elle ait jamais vue, enfin, jusqu’à ce qu’il se coince une fois. Il ne lui avait toujours pas pardonné. Comment était-elle censée savoir que le papier ancien qu’elle avait récupéré et pendu au plafond était plus collant que sa langue ? Elle adorait la façon dont il s’enroulait en spirale et trouvait toutes les petites créatures volantes noires collées dessus sensass.
Sa seule déception, c’était que son nouvel ami et copilote était ne se soit pas transformé en prince charmant quand elle l’avait embrassé un soir. Moustique poussa un gros soupir à ce souvenir. Elle avait été certaine qu’il se transformerait, étant donné qu’il ressemblait à toutes les grenouilles des vieux livres. Au lieu de cela, il avait frissonné et lui avait fait promettre de ne jamais essayer de l’embrasser à nouveau.
— Merci, Froget, dit Moustique. Tour de contrôle, vous pouvez oublier les défenses. Frog a réussi à faire fonctionner les propulseurs arrière alors je vais rentrer en marche arrière.
— Lulu Belle, ici tour de contrôle un, reste en position pendant que nous dégageons la zone de tous véhicules, répondit une voix chaleureuse.
— Mince, désolée, murmura Moustique en faisant tourner à la dernière minute son vaisseau cargo Trident court-courrier de classe IV pour reculer entre deux plus grands vaisseaux long-courrier amarrés dans les baies de réparation adjacentes à celle qui lui avait été attribuée.
Le bruit de métal frottant contre du métal résonna brièvement à travers le petit vaisseau cargo au moment où il érafla le côté de l’un des grands vaisseaux tandis qu’elle se glissait entre eux.
— Tour de contrôle, ne vous embêtez pas avec les vaisseaux. J’ai réussi à m’amarrer.
— Confirmé. Verrous enclenchés, Lulu Belle. Le conduit de liaison a été connecté à ta porte d’accès arrière, répondit la tour de contrôle. Bienvenue à la station spatiale de Newport. Je vais prévenir tout le monde de ton arrivée.
— Merci, Artemis, répondit chaleureusement Moustique. Comment va Tila ?
— Ses cheveux sont presque revenus à la normale depuis ta dernière visite. Je les aime en bleu, au fait, alors laisse-les tels quels, s’il te plaît. Je préviendrai ma compagne que tu t’es amarrée et que tu vas passer nous rendre visite. Oh, et, Moustique, ajouta Artemis, le contrôleur, une pointe de rire dans la voix. Le gouverneur Erosa demande que tu évites de te rendre au niveau 2 pendant que tu es là.
— Tu sais que ce n’est pas ma faute si Bulldog a pété un plomb ! se plaignit Moustique tout en coupant les moteurs. Lucas aurait dû se douter qu’il ne fallait pas essayer de m’engager pour m’occuper de transports illégaux. J’aurais pu avoir des problèmes avec la Confédération si papa ne m’avait pas dit ce que manigançait Lucas. Comment va-t-il, au fait ?
— Lucas vient de finir sa rééducation, répondit sèchement Artemis. Ils ont eu du mal à faire repousser ses doigts. Un problème très inhabituel, compte tenu de son espèce.
Moustique grimaça. Lucas était un Octoply, une espèce qui avait quatre bras, quatre jambes et une douzaine de doigts à chaque main. Bulldog lui en avait ôté quatre à chaque main quand il avait découvert que Lucas avait essayé de se servir de Moustique pour effectuer des « livraisons » non autorisées. Certes, Lucas lui avait proposé beaucoup de crédits pour cette mission, mais elle aurait pu avoir de gros ennuis si la Confédération était montée à bord de son vaisseau.
Cela aurait été sa première mission pour lui, et sa plus rentable depuis qu’elle avait repris le Lulu Belle. Lorsqu’elle avait parlé de son nouveau contrat à Bulldog, elle avait été surprise qu’il l’informe calmement qu’il avait été annulé à la dernière minute.
Moustique avait appris plus tard que son père avait rendu visite à Lucas. Le temps qu’il en finisse avec lui, le niveau deux était pratiquement détruit. Penser au nombre de doigts que l’Octoply avait dû faire repousser la fit grimacer à nouveau.
Frog sauta de son siège en poussant un juron sonore. Moustique se tourna et cligna des yeux lorsqu’il regarda par le hublot de bâbord avant de la fusiller une nouvelle fois du regard. La tension autour de sa bouche lui apprit qu’elle avait encore fait quelque chose qui l’avait contrarié. Il l’avait regardée de la même façon après l’incident avec le papier tue-mouches.
Poussant un grand soupir, elle se tourna sur son siège et croisa les bras sur sa poitrine généreuse.
— O.K., c’est quoi le problème cette fois ? questionna-t-elle d’un ton agressif.
— Tu ne le sais pas ? demanda Frog, incrédule. Tu n’as pas entendu le frottement du métal ? Tu sais, ce grand bruit qui retentit à chaque fois que tu percutes quelque chose ?
Moustique haussa les épaules et laissa tomber ses mains sur les accoudoirs usés du siège du capitaine.
— Ce n’était pas si terrible. Ce n’était pas aussi fort que la dernière fois. J’ai du mal avec la marche arrière. En plus, ça ne peut vraiment pas avoir été si terrible. Aucune des alarmes ne s’est déclenchée cette fois.
Froget Horntip observa l’Humaine pâle qui le regardait d’un air boudeur. Il avait rejoint son équipage à la dernière minute pour faire une faveur à son père adoptif. Froget ne comprendrait jamais ce que l’énorme Triterian à dents de rasoir voyait en la fragile créature qui se mordait la lèvre inférieure et semblait ne vraiment pas avoir la moindre idée de la raison de sa colère. Mais il ne remettrait cependant jamais en question la décision de Bulldog. Ce dernier avait la réputation de lacérer, de mutiler et de digérer ceux qui le faisaient.
Il regarda plutôt une nouvelle fois le grand vaisseau de guerre de la Confédération amarré à la baie de réparation à côté d’eux. Sa coque présentait à présent une longue… — Forget grimaça alors qu’il suivait la marque des yeux —, une très, très longue éraflure rose. Il devrait s’en occuper avant que la femelle ne décide de le faire. Le souvenir du terrible avertissement de Bulldog au cas où il arriverait quoi que ce soit à sa précieuse fille si têtue, le fit frissonner.
— Protège-la, ne laisse aucun homme l’approcher, et pour l’amour des déesses, ne la laisse pas aller dans l’espace. Cette fille n’a pas une once d’instinct de survie. Elle croque la vie à pleines dents. Je l’aime comme elle est. Assure-toi qu’elle ne change pas, Froget, sinon…
— Comment est-ce que tu… ? se souvenait avoir commencé à demander Froget avant que les yeux de Bulldog ne s’embrasent de rouge. Croque… la vie… pas d’homme, pas d’espace, protéger à tout prix… compris.
— Bien, avait répondu Bulldog avec un sourire qui avait dévoilé de nombreuses rangées de dents pointues. Le dernier garde du corps que j’ai envoyé n’a pas respecté mes consignes.
Froget avait regardé le cylindre clair empli de liquide derrière Bulldog et avait pris une teinte verte très pâle à la vue du corps sans vie qui y flottait. Avec un bref signe de tête, Froget s’était hâté de quitter le bureau en hauteur de Bulldog. Pour une fois, il regrettait de ne pas avoir choisi un autre métier que garde du corps. Il avait le pressentiment que son nouveau poste ne lui garantissait pas une longue espérance de vie.