Chapitre 1

2684 Parole
1 Mon téléphone fait un bruit très irritant. Mais pourquoi l’ai-je posé à côté du lit ? Je lutte à contrecœur pour me réveiller. Le bruit énervant continue alors j’attrape mon téléphone. — Allô ? Ma voix est toute rocailleuse. Combien de temps ai-je dormi ? — Darren, c’est Caleb. Je t’attends en bas de l’immeuble. Descends. L’adrénaline monte d’un coup et je passe dans le Calme. Je suis couché sur le côté gauche du lit, à côté de mon corps figé. Son visage a un regard pitoyable et très inquiet. Mon visage. J’attrape ma montre sur la table de chevet. Il est 6 h 13. Les événements des jours précédents me reviennent en tête avec une clarté surprenante. Le séjour à Atlantic City où j’ai rencontré Mira pour la première fois. Mon ami Bert qui a fait des recherches sur elle. La rencontre avec elle et son frère Eugene dans leur appartement de Brooklyn. Le moment où j’ai appris que j’étais un Lecteur. Mira qui se fait kidnapper par les Russes et notre demande d’aide à la communauté des Lecteurs. Caleb et Julia qui nous aident. Tout me revient, suivi du pire. J’ai Poussé quelqu’un. C’est un acte qu’aucun Lecteur ne devrait pouvoir faire. Quelque chose que seuls les Pousseurs, haïs par les Lecteurs, peuvent faire. J’ai retiré le libre arbitre de quelqu’un. Et maintenant, Caleb est ici à l'aube. Merde. Mon cœur s’emballe. Mira m’a-t-elle vraiment dénoncée ? Peut-être auprès de l’entière communauté des Lecteurs ? Et si c’est le cas, qu’est-ce que cela signifie pour moi ? Que font les Lecteurs aux Pousseurs ? Je me souviens que Mira menaçait de tuer tous les Pousseurs qu’elle rencontrerait. Que se passe-t-il si je suis un de ces Pousseurs ? Si les autres Lecteurs apprenaient que j’ai Poussé ce gars pour qu’il se jette entre Mira et cette balle, que feraient-ils ? Rien de bon, j’en suis sûr. Mais pourquoi révèlerait-elle ce que j’ai fait ? La seule raison pour laquelle elle est encore en vie, c’est parce que j’ai Poussé ce type à prendre la balle à sa place, et elle doit le savoir. Caleb est-il là pour une autre raison ? Aussi étrange que cela puisse paraître, je lui dois encore un voyage dans l’esprit de quelqu’un d’autre. Est-il là pour ça ? Ce serait nettement préférable. Je ne veux pas qu’il sache que je suis un Pousseur. Si c’est effectivement ce que je suis. Hier, j’ai eu l’air de prouver que j’étais un Lecteur. Je l’ai prouvé deux fois, à deux personnes différentes. Ils semblaient convaincus. Cela signifie-t-il que les Lecteurs ne savent pas réellement ce que les Pousseurs peuvent ou ne peuvent pas faire, ou bien est-ce que c'est autre chose ? Je ne suis peut-être ni un Lecteur ni un Pousseur. Existe-t-il une troisième possibilité ? Il existe peut-être d’autres groupes dont nous n’avons même pas entendu parler. Suis-je les deux ? Un hybride. Est-il possible qu’un de mes parents ait été un Lecteur et l’autre un Pousseur ? Si c’est le cas, je suis le résultat d’un mélange des sangs ce qui, d’après Eugene, est un énorme tabou. Mira et lui sont des sang-mêlé, alors il est sans doute plus ouvert d’esprit à ce sujet que les Lecteurs purs et durs. Cela signifie-t-il que mon existence va à l’encontre de quelques règles absurdes ? Cela pourrait expliquer pourquoi mes parents biologiques étaient convaincus que quelqu’un voulait les tuer. Cela pourrait expliquer pourquoi ils ont été assassinés. Je pourrais rester ici dans le Calme à réfléchir pendant des heures, mais toutes les réflexions du monde ne feraient pas partir Caleb. Il faut que je sache ce qu’il fait ici. Je sors du lit et je marche nu vers la porte. Dans le Calme, personne ne peut me voir, je ne m’en soucie donc pas. Je descends jusqu’au rez-de-chaussée en ne portant que mes pantoufles et je sors par la porte d’entrée. Il y a en fait un nombre surprenant de personnes dans la rue : des conducteurs, des piétons, même des gens de la rue, tous figés dans le temps. Ils doivent être fous pour être debout si tôt. Je ne mets que quelques instants à localiser la voiture de Caleb. Elle est garée précisément à l’endroit où il m’a déposé hier. Il semble avoir ses petites habitudes. Il tient son téléphone. C’est drôle de savoir que je suis à l’autre bout de ce coup de fil. J’examine soigneusement l’intérieur de la voiture, cherchant des indices pour expliquer ce qu’il fait ici. Je ne trouve rien, si ce n’est deux cafés dans des tasses en carton. Y en a-t-il un pour moi ? Comme c’est gentil. Je trouve bien un pistolet dans la boîte à gants, mais cela ne m’inquiète pas réellement. Caleb est le genre de type à cacher des pistolets partout juste au cas où. Je ne m’approche pas de Caleb lui-même, car si je le touche je le tirerai dans la Dimension de l’esprit — c’est comme cela qu’il appelle le Calme — et il saurait alors que je l’espionne. Sans mentionner les vannes parce que je suis tout nu. Déçu de ne pas pouvoir obtenir plus d’informations, je retourne à l’appartement. Je touche la main de mon corps figé qui serre le téléphone, et je sors du Calme. — C’est à quel sujet, Caleb ? Je viens juste de me réveiller. Ma voix est toujours rauque, alors je tousse en couvrant le téléphone de la main gauche. — Sors et on parlera, répond-il. Je ne suis pas d’humeur à écouter un long débat. Connaissant les capacités de Caleb, s’il était ici pour me faire du mal, je me serais sans doute réveillé avec son pistolet dans la bouche. — Je serai en bas dans vingt minutes, lui dis-je. — Dix, dit-il en raccrochant. Il y a vraiment des gens qui n’ont aucune courtoisie. Je me lève rapidement, je me brosse les dents et je m’habille. Puis je me prépare un smoothie vert : ma solution pour un petit-déjeuner mobile. Trois bananes congelées, une grosse poignée de noix de cajou, une dose d’épinards et une dose de chou frisé finissent dans le mixeur. Quelques secondes bruyantes plus tard, je suis en route avec une tasse géante dans la main. Je prépare souvent un smoothie pour gagner du temps les rares fois où je me rends au bureau. En parlant de travail, Caleb ne comprend-il pas que les gens normaux ont des emplois où ils doivent se rendre le mercredi matin ? Ce n’est pas mon cas, mais ce n’est pas la question. Je suis encore plus irrité maintenant. D’un autre côté, il est tôt, et nous aurons peut-être fini avant que la journée de travail commence. — T’as intérêt à avoir une bonne raison pour me tirer du lit si tôt. J’ouvre la portière de la voiture de Caleb. — Bonjour à toi aussi, Darren. Il ne tient pas compte de mon air renfrogné et il démarre la voiture dès que je monte. — Écoute gamin, moi non plus je ne voulais pas te réveiller si tôt, mais Jacob a pris le vol de nuit et il a demandé à te voir avant ta journée de travail, de façon à ne pas trop te déranger. Alors me voici. Jacob, le chef de la communauté des Lecteurs veut me voir ? Merde. Mira a peut-être parlé de ce que j’ai fait à tout le monde et c’est arrivé jusqu’en haut de la hiérarchie. D’un autre côté, Caleb ne semble pas particulièrement hostile, alors j’ai peut-être tort. Pendant que Caleb se fraye un chemin dans quelques rues, ma nervosité concernant les raisons du rendez-vous avec Jacob est rapidement remplacée par la peur de la façon de conduire de Caleb. Je ne lui en ai pas voulu d’avoir roulé comme un fou quand nous devions sauver Mira, mais il n’a aucune raison de le faire à présent. — Je n’ai pas besoin de rentrer pour travailler, alors ne nous tue pas s’il te plaît, dis-je. Caleb ignore ce que je lui dis, alors je demande : que veut Jacob ? — Ça ne me regarde pas. C’est entre lui et toi. Caleb klaxonne contre un type qui s’est arrêté à un feu rouge, comme s’il s’agissait d’une erreur. — J’essaie de rattraper le temps qu’on a perdu pendant que tu te préparais. On a un truc à faire avant que je te conduise chez Jacob. Le feu change de couleur et nous bondissons en avant. — Quel truc ? Pendant que je sirote ma boisson, je me rends compte qu’il ne s’en est pas moqué. La plupart des gens me posent au moins des questions. D’après mon expérience, pour l’américain moyen, les boissons matinales vertes font l’objet de méfiance ou de ridicule. — On va aller s’amuser, dit-il en essayant apparemment de me remonter le moral. Notre première cible est un type à Brooklyn. — Notre cible ? De quoi parles-tu ? — De notre arrangement. J’ai pensé à quelqu’un. J’aimerais vraiment qu’il regarde la route. Notre arrangement. Merde. J’avais espéré qu’il oublie ma promesse de l’aider à Lire plus loin dans les souvenirs d’un combattant, ce que les autres Lecteurs refusent de faire pour lui. J’espérais en apprendre davantage sur les raisons de ce refus, même s’il est trop tard maintenant : j’ai déjà accepté de le faire en échange de son aide pour sauver Mira. Tout à coup, sa façon de conduire n’est plus mon principal souci. — Tu peux me renseigner sur ce que nous sommes sur le point de faire ? — Pour être honnête, je ne sais pas grand-chose, dit-il d’un air songeur en regardant la route devant nous. Quand je l’ai fait pour la première fois, c’était avec quelqu’un qui était à peine plus puissant que moi. La femme avec qui je l’ai fait ne pouvait passer qu’une seule journée dans la Dimension de l’esprit. Je crois que le temps que les deux personnes peuvent dépenser ensemble dans la Dimension de l’esprit détermine à quel point leurs esprits se joignent. — Tu crois ? Super. La confiance que j’avais dans la compréhension de Caleb part en fumée. Je me demande même s’il en sait plus que moi. — C’est difficile à décrire, Darren. Tout ce que je peux te dire, c’est qu’il faut se mettre d’accord pour ne pas entrer dans la tête de l’autre. C’est là que je réalise la chose : il aura accès à mon esprit. Il pourra accéder à mes pensées d’une façon que je ne comprends pas encore tout à fait. Si cela ressemble à la Lecture, il pourrait en théorie découvrir ce qu’il s’est passé hier. Il pourrait voir que j’ai Poussé quelqu’un, s’il ne le sait pas encore. J’ai l’impression que je pourrais avoir de gros problèmes si cela arrive. Par-dessus tout, j’ai envie de lui demander ce qu’il pense des Pousseurs, mais cela pourrait l’inciter à y penser, ce qui augmenterait les chances pour qu’il fouille dans mon esprit. — Plus j’en apprends, moins j’ai envie de le faire, Caleb. — Ouais, moi aussi j’hésite un peu, dit-il, et je commence à avoir de l’espoir. Puis mes espoirs sont anéantis quand il ajoute : mais ce n’est pas comme si l'on m’offrait une occasion pareille tous les jours. Et puis, un deal c’est un deal. — Comment ça, tu pourrais ne plus jamais avoir une occasion pareille ? Je le ferais bien une autre fois, mais là tu m’as pris de court. Je ne t’attendais pas aujourd’hui. Je ne suis pas prêt, psychologiquement. J’aimerais y réfléchir un peu plus avant de plonger. Cela me semble raisonnable, mais Caleb n’est pas convaincu. — Oh, je n’ai pas peur que tu ne t’affranchisses pas de ta dette. Je ne sais pas s’il plaisante ou s’il me menace. — Non, poursuit-il, l’occasion dont je parle concerne notre cible. — Ah bon ? Et qui est-ce ? Pourquoi est-ce une occasion si rare ? Ma curiosité commence très légèrement à dépasser mes craintes. — Il s’appelle Haim. J’ai découvert qu’il était en ville lorsque j’ai contacté mes connaissances pour qu’ils me donnent des noms de personnes qui pourraient m’apprendre quelque chose. Étant donné la nature de son travail, il pourrait partir à n’importe quel moment. C’est pour cela que je veux aller le voir maintenant. J’intègre cette information quand nous sortons de l’autoroute dans ce que je pense être les hauteurs de Brooklyn, un quartier connu pour ses bâtiments en grès brun et pour ses vues sur les silhouettes des immeubles de Manhattan. Par coïncidence, nous nous garons en double file à côté d’une de ces maisons : une maison en briques de deux étages. Elle a un charme désuet pour ceux qui aiment l’architecture ancienne, ce qui n’est pas mon cas. J’imagine très bien à quel point cela doit sentir le moisi à l’intérieur. La rue, en revanche, paraît beaucoup plus propre que dans le quartier de Mira. Cela ressemble presque à Manhattan. Je comprends pourquoi certains de mes collègues ont choisi de vivre ici. — Fais-nous passer dans la Dimension de l’esprit, demande Caleb sans couper le contact. J’obéis et je déphase. La frousse que j’ai eue pendant le trajet facilite les choses : la peur m’aide toujours à déphaser. Les bruits du moteur disparaissent instantanément et je me trouve assis sur le siège arrière. J’attire Caleb dans le Calme avec moi et nous nous dirigeons vers la maison en silence. Quand nous atteignons la porte verrouillée, Caleb la fracasse de quelques coups de pied puissants. Ses jambes doivent être incroyablement fortes. Puis il entre comme si l’endroit lui appartenait, et je le suis. Je suis surpris de voir que l’intérieur est agréable, très agréable. Le décor a quelque chose d’exotique que je n’arrive pas à reconnaître. Au rez-de-chaussée se trouve une cuisine où nous trouvons un homme et une femme assis à table, en train de manger leur petit-déjeuner. Ils ont tous les deux une peau d’olive et les cheveux bruns. Le type est plutôt bien bâti, ce qui ne m’étonne pas, étant donné que Caleb a dit que c’était une sorte de combattant. — Lui, dit Caleb en le pointant du doigt. — Comment sommes-nous censés faire ? — Tu fais comme si tu allais le Lire. Une fois que tu es sûr d’être à l’intérieur de sa tête, j’essaierai de le Lire en même temps. C’est la meilleure façon de l’expliquer. Tu ressentiras une sensation étrange : ton instinct sera de rejeter ce qui se produit. Tu devras combattre ce réflexe. Il faudra que tu m’autorises à partager ta Lecture. Si tu ne le fais pas, nous finirons tous les deux par le Lire séparément, comme si l’autre n’était pas présent. — Et puis ? Qu’est-ce que ça fera si cela fonctionne ? — Cette partie-là est difficile à décrire. Il est plus facile de l’essayer. Le mieux que je peux te dire, c’est ‘psychédélique’. Il fait un petit sourire suffisant. Ce n’est pas rassurant. Je suppose que je me contenterai de psychédélique. Certains paient pour avoir ce genre d’expérience. Cela n’a jamais été mon cas, mais bon. — OK, j’ai compris. Et on ne se balade pas dans les souvenirs de l’autre, dis-je en essayant de paraître nonchalant. — Ouais, autant que possible, mais c’est la roulette russe. Tu verras ce que je veux dire dans une seconde. Bonne chance. — Attends, jusqu’où dois-je reculer dans ses souvenirs ? J’essaie ainsi de retarder l’inévitable. — Ne va pas trop loin. Ton temps sera divisé par trois au moins. J’ai promis de ne pas assécher ta Profondeur et je veux tenir parole. Essaie simplement d’atteindre le premier souvenir v*****t que tu pourras. Cela ne devrait pas être difficile à trouver chez Haim. Cette dernière remarque semble amuser Caleb. — OK, très bien. Allons-y, dis-je en posant une main sur le poignet d’Haim. Je commence à atteindre l’état de Cohérence qui est nécessaire pour la Lecture. J’y parviens presque instantanément, malgré le stress supplémentaire. Et puis je suis dans l’esprit d’Haim.
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