Chapitre 2

951 Palavras
2 — Haim, c’est tellement bien que tu sois là, nous dit Orit en anglais. Nous buvons une gorgée du thé qu’elle a préparé pour nous en essayant de ne pas nous brûler la langue et nous pensons que le temps passé avec notre sœur est le temps fort de notre année. — Maintenant, c’est ton tour, disons-nous. Tu dois venir nous rendre visite en Israël, à grand-mère et moi. Orit hésite avant de hocher la tête. Malgré son accord, nous savons qu’il est peu probable qu’elle vienne. Cela ne nous déçoit pas réellement : en général, nous sommes trop en danger pour que la petite Orit reste avec nous. D’un autre côté, nous pensons qu’elle devrait vraiment visiter Israël. Elle y trouverait peut-être un mari, ou elle apprendrait enfin quelques mots en hébreu. Moi, Darren, je me dissocie de la mémoire immédiate de Haim. Je suis encore une fois stupéfait par l’absence de barrières de la langue dans la Lecture. La langue natale de Haim semble être l’hébreu, pourtant je comprends ses pensées, comme celles des Russes de l’autre jour. Cela semble prouver que la pensée ne dépend pas du langage, sauf si ce phénomène s’explique autrement. Je songe aussi au fait que les sentiments de quelqu’un d’autre deviennent les miens pendant une Lecture. Par exemple, la femme à la peau d’olive assise à cette table me semblait très banale tout à l’heure, mais dans la tête de Haim, tout est très différent. Ses yeux noirs et ses cheveux bruns sont exactement comme ceux de notre mère et cette similitude est augmentée par sa nature attentionnée... Je suis distrait de mes pensées quand je ressens quelque chose de nouveau. Ce quelque chose est difficile à expliquer. Avez-vous déjà eu le tournis en vous levant trop vite ou en buvant trop ? Multipliez cela par mille et vous pourriez avoir une idée de ce que je ressens. Mon instinct me dicte de libérer ma tête de cette impression. D’obtenir de la stabilité, de revenir sur terre. Cela signifie que je dois faire le contraire, en tout cas si je suis les instructions de Caleb. J’essaie donc de garder la tête qui tourne. C’est difficile, mais ma récompense, si l’on peut dire, est un renforcement de cette impression étrange. Maintenant, c’est moins une impression de tête qui tourne et plus comme si j’étais en chute libre. C’est une sensation que j’ai récemment appris à connaître en Lisant l’expérience de parachutisme de mon amie Amy. Quelque chose de complètement différent commence alors. Je suis pris par une sensation d’une intensité inimaginable, une combinaison d’admiration démesurée et d’émerveillement. Ceci est accompagné par une étrange béatitude, suivie par la sensation de devenir plus que moi-même, de devenir un être nouveau. C’est à la fois effrayant et très beau. Cette sensation me prend par vagues : à certains moments, je ressens une profonde compréhension de tout ce qu’il y a dans le monde, dans l’univers, même — voire dans le multivers — comme si, tout à coup, mon intelligence était décuplée. Cette brève sensation d’omniscience s’efface l’instant suivant et ce que je ressens alors peut être décrit par le fait de chérir quelque chose de sacré, comme lorsqu’on vénère un monument pour les soldats morts à la guerre. Au milieu de tout cela je prends conscience de ne pas être seul. Je fais partie de quelque chose de plus élémentaire que moi-même. Et puis je comprends. Je ne suis plus simplement Darren. Je suis Caleb. Et je suis Darren. Les deux à la fois. Mais ce n’est pas comme dans la Lecture qui me permet d’être d’autres personnes. Ici, la connexion est beaucoup plus profonde. Pendant la Lecture, je vois simplement le monde à travers les yeux d’un autre. Cette expérience de Lecture jointe est beaucoup plus que cela. Je vois le monde à travers les yeux de Caleb, mais il voit également le monde à travers mes yeux. J’hallucine quand je me rends compte que je peux même voir à travers ses yeux comment est le monde à travers les miens, filtré par sa propre perception et ses partis pris. Je vois qu’il essaie de ne pas aller trop loin dans mon esprit et j’essaie de lui rendre la pareille en me concentrant. Pendant que ceci se produit, les sentiments positifs que je ressentais jusque là commencent à s’assombrir. Je ressens quelque chose d’effrayant dans l’esprit de Caleb. Et l’univers entier semble crier une seule idée dans nos esprits joints : nous ne nous immisçons pas dans l’esprit de l’autre. Non, nous ne nous immisçons pas dans l’esprit de l’autre. Mais avant que nous puissions suivre ce mantra raisonnable, une foule de souvenirs est soudain déclenchée. Je sais, tout en ne sachant pas comment Caleb voit mes souvenirs les plus gênants et les plus vifs. Je ne sais pas pourquoi cela se produit : peut-être parce qu’ils sont très visibles dans mon esprit, ou parce qu’il est curieux au sujet de ces choses-là. Quelle que soit la réponse, il revit le moment où mes mères m’ont parlé de la m**********n. S’il était possible de rougir, j’aurais l’air d’une tomate en pensant partager ce souvenir en particulier. Il revit également d’autres choses, comme la première fois que j’ai déphasé dans le Calme après mon accident de vélo. La première fois que j’ai fait l’amour. Le jour où j’ai vu Mira dans le Calme et que j’ai compris que je n’étais pas seul. D’une certaine façon, je revis tous ces souvenirs en même temps. Tous à la fois, comme dans un rêve. Puis je me rends compte qu’autre chose se prépare. Je vois avec inquiétude un tsunami mental arriver vers moi. Il s’agit des souvenirs de Caleb.
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