Un silence pesant s’abattit. Fenris écarquilla les yeux, tandis que Shir resta bouche bée. Leur stupeur me fit sourire intérieurement. Oui, qu’ils s’habituent à cette idée : elle m’était liée, au moins pour un temps.
Kylie reprit d’un ton plus ferme : « Ce qui se dit entre ces murs ne doit pas franchir cette pièce. Je veux que ce soit clair pour vous deux. »
Shir échangea un regard hésitant avec Fenris avant de répondre, malicieux :
« Bien sûr, Luna. Mais il faut reconnaître que la situation est… fascinante. »
« Exactement ! » renchérit Fenris en croisant les bras avec un sourire goguenard. « Une union entre deux Alphas, c’est plutôt inédit. On devrait presque célébrer ça. »
Kylie éclata de rire, un rire cristallin, léger, qui fit vibrer quelque chose en moi. Ce son résonna comme une cloche d’argent dans la pièce, apaisant les tensions et adoucissant mes traits malgré moi. Je ne pouvais détacher mes yeux d’elle.
« Tu vois, même tes hommes ont de l’humour », murmurai-je, incapable de cacher la tendresse mêlée à ma fierté.
Soudain, une voix retentit depuis la porte :
« Par les dieux, qu’est-ce que je viens de voir là ?! »
C’était Katy. Ma sœur entra en trombe, ses yeux grands ouverts d’incrédulité. Elle balaya la pièce du regard jusqu’à ce que ses yeux se posent sur Kylie, toujours entre mes bras.
Je soupirai, exaspéré par son sens du drame. Kylie, amusée, rit doucement. « Ce n’est pas ce que tu crois, Katy », dit-elle en essayant de calmer les choses.
« Pas ce que je crois ?! » s’exclama-t-elle en la tirant doucement hors de mon étreinte. « On dirait exactement ce que je crois ! »
Je retins un grognement, serrant la mâchoire. Je l’aimais, mais parfois, elle avait un don pour m’irriter.
À cet instant, mon Beta, Ace, entra à son tour. Il s’inclina respectueusement devant moi, avant de croiser le regard de Katy. Une tension imperceptible passa entre eux. « Alpha, » dit-il, « nous venons de recevoir un appel de la meute nordique. Alpha Jared demande à vous parler immédiatement. »
Je fronçai les sourcils. Jared, mon cousin, à la tête de la meute des Fourrures Brunes… Cela ne présageait rien de bon. « Dis-lui que je le rappellerai dans une heure, » répondis-je d’un ton tranchant. Je n’étais pas prêt à quitter cette pièce, ni à m’éloigner de Kylie.
« Très bien, » acquiesça Ace, mais il demeura dans l’encadrement de la porte, guettant la scène.
Katy, elle, avait déjà pris Kylie par la main, pétillante d’enthousiasme. « Allez, raconte-moi tout, maintenant ! » gazouilla-t-elle.
Kylie rougit jusqu’aux oreilles, sa peau prenant une teinte rosée qui fit naître en moi un sourire possessif. Si ces gens n’avaient pas été présents, je l’aurais déjà emmenée ailleurs pour lui rappeler à quel point elle m’appartenait.
Finalement, elle expliqua la situation à Katy, sa voix douce mais assurée. Lorsqu’elle eut terminé, ma sœur écarquilla les yeux avant de s’écrier :
« Je le savais ! Je le savais depuis le début ! »
Je clignai des yeux, stupéfait. Toute ma vie, j’avais pensé que Katy me sauterait à la gorge si je m’approchais de Kylie. Et voilà qu’elle sautait de joie.
« Par la déesse ! » s’exclama-t-elle, riant comme une enfant. « Enfin, mon frère se décide à poser les pieds sur terre ! Et toi, Kylie, tu es parfaite pour lui ! »
Elle l’attrapa dans ses bras et la serra fort, riant et pleurant à la fois. Les voir ainsi, ces deux femmes que j’aimais le plus au monde, me serra le cœur. Pour la première fois depuis longtemps, j’eus la sensation d’un foyer.
Leur complicité illumina la pièce, et pendant près d’une demi-heure, ils discutèrent joyeusement, jurant tous de garder le secret du contrat.
Puis le téléphone de Katy vibra. Elle consulta l’écran, pâlit légèrement, puis sortit en trombe, suivie d’Ace. Shir et Fenris prirent congé à leur tour, se dirigeant vers les chambres d’amis. Fenris, espiègle, lança un clin d’œil à Kylie avant de disparaître dans le couloir, arrachant à Shir un petit rire étouffé.
Enfin seuls.
Kylie se tourna vers moi, son regard redevenu sérieux. « Alpha Logan, » dit-elle d’une voix douce, « quelle était la vraie raison de ta venue ? Je sais que tu devrais être à ton bureau, en ce moment. »
Je m’approchai d’elle lentement, la fixant sans un mot. Puis, d’un ton grave :
« Kylie, il y a une question que je garde pour moi depuis longtemps. J’attendais juste le moment propice. »
Elle se raidit, déglutissant avec nervosité. « Je t’écoute. »
Je plongeai mon regard dans le sien, mes pupilles brillantes d’une intensité lupine.
« Pourquoi mon loup ne ressent-il pas le tien ? »
Ses yeux s’écarquillèrent, son souffle se coupa. L’espace d’une seconde, tout sembla s’arrêter autour de nous.
Un frisson d’appréhension me parcourut alors que je me demandais comment il avait pu comprendre que mon loup n’était plus là. J’utilisais pourtant des potions spéciales, savamment dosées pour reproduire l’odeur de mon loup et dissimuler son absence. Comment Alpha Logan avait-il pu le percevoir malgré tout ? Il appartenait à une catégorie rare de loups : puissants, intuitifs, craints autant que respectés. On murmurait son nom avec un mélange d’admiration et de peur. Même les autres Alphas gardaient leurs distances, conscients qu’il n’était pas sage de s’attirer son mécontentement.
Je soutins son regard, ces yeux noisette où brûlait une intensité presque surnaturelle. Il s’était adossé nonchalamment à son bureau, les bras croisés, mais sa posture trahissait une vigilance animale. J’avais envisagé de lui cacher la vérité, de prétendre encore un peu. Mais face à ce regard, à cette attente silencieuse empreinte d’autorité et de sincérité, j’en fus incapable. Mon cœur battait douloureusement, oppressé par la peur et l’honnêteté mêlées.
Je pris une grande inspiration avant de murmurer :
— Mon loup… s’est endormi.
Son visage se crispa, son regard s’assombrit.
— Pourquoi ? demanda-t-il d’une voix grave, chaque mot chargé d’une tension contenue.
Je me mordis la lèvre.
— Parce que mon mari et compagnon a préféré poursuivre son amour d’enfance. Il m’a laissée seule, dévastée. Voilà pourquoi. Elle a toujours été là, dans l’ombre… et après son retour, tout s’est effondré.
Ma gorge se serra à ce souvenir. Je n’étais même pas certaine que Coral — ma louve — s’était simplement retirée. Peut-être avait-elle choisi de guérir en silence. Peut-être s’était-elle brisée pour de bon. Elle n’était revenue que la veille au soir, à peine perceptible, murmurant quelques mots qui s’étaient effacés avant même que je puisse les comprendre.
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