Prologue

902 Words
Prologue Une pluie tout aussi pesante qu'acide s'abat sur la ville de Mornal. Une foule incroyablement dense se presse à l'intérieur de la bâtisse constituée d'une pierre grise et fade. Tous sont habillés en noir, formant une mer obscure à l'intérieur de cet endroit aux airs sacrés. Pourtant, malgré le fait que ces personnes soient à l'abri là-bas, leurs joues ne cessent d'être inondées par une cascade aussi limpide que douloureuse. Les inconfortables bancs en bois, qui occupent la moitié de l'espace de cette immense salle, sont déjà presque tous occupés. Ils accueillent toutes sortes de personnes de classes sociales différentes. Les parapluies, quant à eux, ont l'honneur de rester à la majestueuse porte d'entrée en bois massif. Chacun se fond dans la population accumulée en masse ici, personne ne s'en distingue. Ce n'est pas le moment d'être extravagant, au contraire. Des centaines, non des milliers, de bouquets de fleurs se dressent un peu partout autour de ces êtres humains. Certains sont obligés de rester debout, faute de place. Leurs innombrables pétales, rouges comme blanches, contrastent parfaitement avec tout le reste du décor. Cette sombre scène en est une que tous aimeraient pouvoir oublier. Sur le tout premier banc, celui qui est le plus proche de l'autel, est assise une jeune fille aux cheveux presque dorés. À ses côtés, se trouve un homme aux épaules larges et fières. Il ne cesse de fixer cette immense boîte posée au beau milieu de l'église. Cette boîte que le père a dû choisir pour sa chère fille. Une larme solitaire coule le long de ses joues, avant d'atterrir sur ses mains jointes. Ses cheveux couleur corbeau forment un ensemble harmonieux avec la chemise noire qu'il arbore avec élégance. Mais un jour comme celui-ci, il n'y a pas d'élégance à avoir. Il n'est pas l'heure de se mettre en valeur soi-même. La seule qui a le droit d'être belle et séduisante, une dernière fois pour toutes, est la défunte. Elle était son petit joyau, celle qui comptait le plus pour lui. L'homme baisse la tête, courbant le dos. Il contemple avec ardeur les reflets qui se dessinent sur la surface de ses chaussures laquées. Sa fille n'aurait jamais voulu avoir une telle cérémonie. Une seule messe du dimanche était déjà de trop pour elle. Elle n'y allait jamais, elle ne le supportait pas. Cette jeune fille aurait voulu avoir une cérémonie d'adieux flamboyante avec un comité limité et non pas un spectacle uniforme et maussade comme celui-ci. Elle se battait quotidiennement contre ces hypocrites de tout genre qui la regardent à présent partir. Leurs larmes n’ont rien de réel. Aux côtés de cet homme mûr, une place reste vide. À celle-ci, aurait dû s'asseoir une personne essentielle à celle qui vient tout juste de se retirer du monde. Cette personne aurait dû venir, mais elle n'est pas là et elle ne le sera jamais. Cette femme qui manque à l’appel se fichait de sa famille, de son sang et de leurs sentiments. Elle préférait toujours s’occuper de ceux qu’elle avait choisi, ceux qu’elle appelait sa nouvelle famille. Le père serre les poings, se sentant incompris et abandonné. À l’autre extrémité du banc, une jeune fille aux yeux couleur noisette serre fortement les poings. Elle contient sa rage, luttant contre ses pires démons à cet instant même. Son regard reste fixé sur le lys blanc qui est posé sur le cercueil blanc et rouge. Rouge, la couleur du sang et de l’amour. Rien n’est assez beau pour son amie. Cette boîte en bois est encore et toujours présente sur l'autel. Cela n’aurait pas dû arriver ! Elle se sent mal, rongée par une culpabilité destructrice. Et elle sait bien pourquoi. De lourdes gouttes, remplies de regrets, coulent sur les joues de cette fille très proche de la disparue, avant de s'écraser au sol. Elle aurait dû empêcher ce drame. Elle l’aurait pu. Une nouvelle crise de sanglots secoue son frêle corps qui a été détruit par cette déchirante nouvelle. Tête baissée, elle se remémore des souvenirs avec sa meilleure amie, comme tant d’autres le font ici. Mais loin de tous les regards indiscrets, tout au fond de l'église en pleine cérémonie, se tient la personne à laquelle la belle et jeune victime tenait tant. Ce jeune homme, posé contre un des glacials murs en pierre de l'édifice, contemple cette scène entière avec une tristesse sans limite au plus profond du regard. Des milliers de gouttes cristallines dévalent de ses yeux, courant lentement à leur perte. Entre ses mains, il tient la fleur préférée de son aimée : un lys blanc. Personne ne le connaît ici. Pourtant, lui, il connaît tous les visages et noms de ceux qui se plaignent dans le vide de cet endroit sacré. Il reste là, immobile, les yeux rivés sur le cercueil de celle qu'il aime tant. Il a tout fait pour la sauver, mais rien n'a suffi à la ramener à la vie. Tout à coup, il lève la tête vers la voûte qui surplombe l'intégralité de cette foule attristée. Celle-ci lui communique le son des chants lyriques qui ne cessent de résonner dans le bâtiment entier. Le jeune homme ferme enfin les yeux, tentant de toutes ses forces de se rappeler de chacun des douloureux traits du visage de celle qu'il vient de perdre. Il ne verra plus jamais les expressions qu'accueillait le visage de sa bien-aimée. Plus jamais. Le rire cristallin de cette fille a disparu tel un feu de camp qu’on éteint. C’est la lueur de son cœur que cette nouvelle avait brisée. Il ne lui reste plus rien, si ce ne sont les souvenirs vécus avec elle. Ces bouts de mémoire qu’il aimerait revivre encore et encore. Pourtant, cela lui est impossible. Ça, c'est ce qu'il croyait en tout cas.
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