Chapitre 1

1559 Words
Un matin de plus, où je passe un temps précieux à noyer, avec délicatesse, mes yeux dans le noir profond de mon maquillage. Un épais trait de crayon sous les yeux, un épais trait d'eyeliner sur mes paupières, un fard pour celles-ci tout aussi sombre pour les recouvrir jusqu'en haut, et le tout garni de mascara sur mes cils. Je n'ai pas besoin d'en faire plus, c'est largement suffisant pour exprimer la tristesse de mon cœur. Le bleu de mes yeux habituellement si doux, en devient tout à coup plus dur. Mes lèvres restent naturelles, juste un peu de baume hydratant quand cela me paraît nécessaire. Mes ongles sont toujours soigneusement manucurés d'une simple French, et je n'y touche pas non plus. Non, je ne suis pas gothique, comme vous auriez pu le croire dans mes premières lignes, je suis juste une jeune fille de dix-sept ans, qui va faire sa rentrée en terminale aujourd'hui, et qui a le cœur brisé de façon irréparable, il faut croire. Il avait pourtant promis que ça n'irait que mieux, qu'avec le temps, je m'habituerais à son absence, et qu'il m'enverrait quelqu'un qui tiendrait ses promesses pour lui. Mais ça fait six mois maintenant qu'il n'est plus là, et toujours rien. C'est même pire. J'entends des pas derrière la porte, qui usent le plancher d'impatience, mais on ne me dit rien. Je rassemble mon immense masse de cheveux blonds en queue-de-cheval, veillant à ce qu'aucune mèche ne puisse s'en échapper. Puis je remonte le tout sur le sommet de mon crâne, et le coince dans un filet. J'ai tout à fait conscience de ce que je suis en train de faire, je sais que c'est méchant et enfantin de ma part d'agir ainsi, mais je n'ai pas d'autre choix, ils doivent comprendre à quel point ils m'ont fait mal. Ils m'ont trahi, et ce que je fais n'arrive pas au dixième de la souffrance qu'ils m'imposent. C'est pourquoi, je n'ai aucun remords à mettre cette perruque noire, lisse et courte. Enfin, pas si courte non plus, vu qu'elle me tombe sur le haut du dos, mais comparée à ma vraie chevelure qui me tombe sur les fesses, ça fait la différence. Je dois bien l'admettre, je suis affreuse. Vêtue de noir des pieds à la tête : un slim, un t-shirt, un bracelet de cuir noir. Même mes chaussettes sont noires. La bague qu'il m'a offerte est accrochée à mon pendentif, qui me vient aussi de lui. Je les cache sous mon t-shirt, pour qu'ils reposent contre mon cœur. Mon heure de salle de bain est légèrement dépassée, je suis prête, alors je sors. - Mon Dieu, Katy ! Mais qu'est-ce que tu as fait à tes cheveux ? Et… C'est quoi ce look ? Tom est horrifié, c'est l'effet que j'avais escompté, mais je ne lui réponds pas et je me dirige vers ma chambre. - Ne me dis pas que tu me fais encore la tête ! C'est la rentrée, Katy ! Un nouveau départ ! - Un nouveau départ pour qui, Tom ? Dis-je froidement en faisant volte face pour le fusiller du regard. - Je t'en prie, ne fais pas ça… Me dit-il attristé par mon regard froid. - Ne pas faire quoi ? Hurlé-je. - Te renfermer comme ça, devenir si sombre ! - Tu aurais peut-être dû y penser avant de me trahir, Tom. Tu savais à quel point ça comptait pour moi. Ça m'aidait à avancer, à garder le peu de joie que j'avais dans le cœur. Mais ça n'était pas à votre convenance, alors vous m'en avez privé ! Et je dois faire comment ? Explique-moi, Tom. Je suis tout ouïe. Aller chez le psy ? Je le fais déjà. Et deux fois par semaine, en plus. Avoir des amis ? J'en ai déjà. Mais ils ne pourront jamais combler ce manque, ils sont tant désemparés face à mon désarroi et se sentent tellement inutiles, qu'ils préfèrent me fuir ! Les larmes coulent à flots sur mes joues, heureusement que j'ai mis du maquillage waterproof. - Il n'est plus là, Tom. La moitié de moi est partie avec lui, que vous le vouliez ou non. Alors, je ne serai plus jamais la même, la Katnyss Rivière que tu as connu n'existe plus. Sur ce, je lui ai tourné le dos pour rejoindre ma chambre. J'ai essuyé mes yeux et mes joues avant de vérifier que mon sac était prêt, puis j'ai enfilé mes rangers, que je n'avais jamais mises jusque-là. Une de mes tantes, la sœur de mon père, est colonel dans l'armée de l'air. Je ne la vois presque jamais, mais pour mon dix-septième anniversaire, maman avait invité toute la famille, croyant que son absence à lui serait moins difficile à supporter s'il y avait du monde. Et ma tante, qui arrivait tout droit d'Irak, n'avait pas eu le temps de me choisir un cadeau. Elle s'était dite qu'à mon âge, ça me plairait sûrement. Raté. Je les avais remisées au fond du placard jusqu'à aujourd'hui. Je ne les aime toujours pas, mais ça ira bien avec l'apparence que je me donne. Avant de descendre au rez-de-chaussée pour avaler quelque chose en guise de petit-déjeuner, je passe le sweat-shirt beaucoup trop grand, mais plus réconfortant que tout au monde, de Benoît. Noir, lui aussi. Parfois, j'ai l'impression que son parfum y est toujours imprégné, bien que j'aie bien été forcée de le faire laver depuis tout ce temps. Mon sac sur l'épaule, je croise Tom dans le couloir, je crois qu'il a pleuré, ses yeux sont rougis. J'ai fait mon effet en entrant dans la cuisine, maman a lâché son verre de jus de fruit qui s'est écrasé en mille morceaux sur le carrelage blanc, et papa a mis cinq bonnes minutes à s'en remettre après s'être étranglé. Maman me regardait bouche bée, tandis que je m'installais à table, comme s'il n'y avait rien de particulier, et que Tom qui venait de nous rejoindre faisait de même. L'un de mes charmants parents avaient eu la gentillesse de nous préparer un vrai petit-déjeuner, pour une fois. Sans aucun doute, demain les vieilles habitudes reviendront au galop, avec un petit-déjeuner "lance-pierre". Mais pour ce matin, je suis bien décidée à prendre tranquillement ce repas, d'une : pour en profiter parce que c'est rare, de deux : pour que mes parents prennent bien conscience de ce qu'est devenue leur fille chérie. Je prends des pancakes que j'arrose miel (je n'aime pas le sirop d'érable), me serre un verre de lait, ainsi qu'une coupelle de salade de fraises au sucre. Le choc passé, maman nettoie les dégâts qu'elle a causés (ou que j'ai causés) et papa me regarde manger, ou plutôt, nous regarde manger, comme s'il s'attendait à ce que nous disions quelque chose. Mais ni Tom, ni moi ne décrochons un mot. Un seul regard l'un envers l'autre a suffi pour se comprendre. Tom est mon aîné, de treize mois seulement. On a été élevé quasiment comme des jumeaux. On s'est toujours compris, du moins jusqu'à il y a deux mois. Je ne comprends pas ce qui l'a poussé à me trahir ainsi. Mais c'est mon frère et je l'aime quand même. Malgré tout, je peux compter sur lui pour pas mal de choses. Comme le fait de ne pas me juger davantage qu'il ne l'a fait ce matin un peu plus tôt. Le message est passé, je crois qu'il s'en veut. Mon père regarde sa montre, en effet, il est 7h45, il est temps pour lui de partir. - Tom, emmène ta sœur au lycée, tu veux. Katnyss, nous parlerons de ce déguisement ce soir, là, je n'ai plus le temps, dit-il en enfilant sa veste et en me toisant sévèrement. - Inutile, lui dis-je calmement en terminant ma coupe de fraises. C'est comme ça, à présent. - Laisse tomber papa, ajoute Tom. Rien ne l'oblige à porter une robe à fleurs pour aller au lycée. Son ton était ferme, mon père sait que si Tom me soutient, il n'aura pas de renfort auprès de maman. Je pense qu'elle doit toujours se dire qu'il sait mieux que personne ce qu'il me faut, parce qu'avant que Benoît entre dans ma vie, ma deuxième moitié, c'était mon frère. Et c'est sûrement à cause de ça, qu'ils ont décidé de m'interdire l'accès du cimetière au début de l'été. Parce que Tom était inquiet que j'aille y passer tout mon temps libre, et dès lors que les vacances approchaient, j'y aurais passé mes journées. Ça, c'est sûr. Mais Tom aurait dû comprendre, c'est à moi qu'il aurait dû parler. C'est à moi qu'il aurait dû confier ses inquiétudes, j'aurais peut-être compris, on aurait peut-être pu négocier ou trouver une solution ensemble, comme on l'a toujours fait ! Papa est parti de mauvaise humeur, mais sans en rajouter. Maman non plus d'ailleurs, elle est trop occupée à faire couler ses larmes en silence. Nous débarrassons nos couverts, pour les déposer dans l'évier, avant de partir. Tom prend maman dans ses bras pour l'embrasser et la consoler, pas moi. Dans un sens, ça me fait de la peine d'en rajouter à ses larmes, mais tant qu'elle n'aura pas compris, ce sera comme ça. Après tout, elle ne m'a pas demandé, à moi, ce que ça me ferait d'agir comme elle l'a fait…
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