Chapitre 2

1712 Words
Depuis que Tom a son permis, c'est lui qui m'emmène au lycée. Avant, on prenait le bus quand nos parents n'avaient pas le temps de nous y déposer. C'est-à-dire, souvent. Mon père est directeur d'une multinationale (c'est presque sa deuxième femme) et n'est pas souvent à la maison, alors je ne vois pas comment il pourrait me connaître et savoir ce que je peux endurer, ni même le comprendre. Je me suis souvent demandée comment le mariage de mes parents arrivait à tenir, puisqu'à mon avis, mon père ne connaît pas les mots : amour, compassion, romantisme, ni même attention. Bref, ma mère, elle, est esthéticienne à notre domicile. Elle a son salon dans le sous-sol de la maison, avec une entrée indépendante, qui malheureusement, ne sert pas beaucoup… Donc sa disponibilité pour ses enfants dépend de son agenda. Cette année, Tom fait sa rentrée non pas en fac, mais en BTS. Donc, nous restons encore une année dans le même lycée. Ça me réconforte un tant soit peu. Il se gare devant l'entrée, on a dû arriver un peu tôt, d'habitude, il n'y a jamais de place si près ! Ah, oui. Il est 8h30 à peine et on commence à 9h. Il faut croire que nous sommes les seuls à être pressés de retourner en cours pour échapper à la demeure familiale. Je décide de sortir mon portable pour jouer à "Jewel" un petit quart d'heure, avant d'affronter les regards éberlués de ceux qui me connaissaient avant aujourd'hui. - Tu étais si belle, Katy… Tu n'aurais pas dû faire ça ! - Toi non plus, Tom, tu n'aurais pas dû… Lui dis-je sur le ton de l'indifférence sans même lever le nez de mon jeu. Le silence retombe dans l'habitacle. J'éteins mon téléphone (enfin, j'éteins le jeu, et je le mets en veille seulement ! Moi, éteindre mon portable ? Jamais !) et le fourre dans ma poche, après avoir gagné ma partie. En relevant le nez, je m'aperçois que le parking se remplit, une file de voiture commence à se former depuis l'entrée, et les plus anciens klaxonnent les nouveaux qui bouchonnent avec leurs parents, qui ne savent pas où mettre leurs fesses, à part au milieu du passage, au lieu de se diriger vers le trottoir le plus proche. Je me demande quand est-ce que le proviseur comprendra qu'il serait plus simple de faire rentrer les internes un jour plus tôt, comme le font les autres lycées. Tom et moi sortons de la voiture et il verrouille les portières, tandis que je me dirige vers l'entrée du bâtiment. - Katy, attends ! Me lance Tom dans mon dos. Je me retourne et l'attends là où je suis. - Pardonne-moi, Katy, je suis désolé. J'ai eu tort. J'aurais dû te faire part de mes inquiétudes en premier, comme je l'ai toujours fait, me dit-il d'un air contrit. - Oui, Tom, c'est vrai, tu aurais dû. Alors pourquoi tu ne l'as pas fait ? Lui demandé-je calmement (dites donc, j'ai un self-control ultra développé aujourd'hui !). - Parce que j'avais peur ! Tu étais d'une normalité plutôt morbide ! J'avais l'impression que tu étais en couple avec le cimetière, ou pire, sa pierre tombale ! Je ne pouvais pas te laisser continuer ainsi six mois supplémentaires ! Je lis la panique dans ses yeux pendant qu'il parle, je ne pensais pas que mon frère souffrait autant à cause de moi, je me rends compte que j'ai été égoïste avec lui, j'ai laissé ma propre douleur m'aveugler. - Je trouvais malsain que tu sois heureuse ainsi, poursuit-il. - Je sais Tom, mais si tu savais… Je sens les larmes envahir mes yeux, pas question de les laisser s'échapper. - On devrait y aller, lui dis-je. On continuera cette conversation plus tard. Je ne lui laisse pas le choix et me tourne vers le lycée. Pour cacher davantage mon visage, je mets ma capuche, bien que le soleil perce et annonce de bonnes grosses chaleurs. Les panneaux d'affichages sont assaillis par les élèves, qui regardent les listes pour connaître la classe et la salle dans laquelle ils doivent aller. Pour Tom, c'est simple, il n'y a qu'une classe de BTS Design (oui, monsieur veut devenir architecte), mais moi, c'est plus compliqué, les terminales sont classés par options : Terminale S-Maths, Terminale S-Physique, Terminale S-Sciences Nat., Terminale L-Littérature, Terminale L-Arts, Terminale ES-Social, Terminale Es-Économie. Rien que ça ! Je suis en Terminale L-Arts, parce que j'avais choisi l'option musique, afin de perfectionner mes cours de piano. Et je suis dans l'amphithéâtre B, donc dans l'aile sud du lycée, habituellement réservée aux BTS. - Aller, Katy, je t'accompagne, on est dans la même aile cette année. Il pose ses mains sur mes épaules, et me pousse à travers le nuage d'élèves agglutinés dans les couloirs communs, jusqu'à l'entrée du couloir de l'aile sud. On n'y est encore jamais allé. Il y a toujours un surveillant qui demande à voir nos cartes d'étudiant, pour éviter que des perturbateurs viennent déranger des élèves assidus. Dans l'aile nord (réservée aux labos de sciences) c'est pareil (mais sûrement plus pour des raisons de sécurité). D'ailleurs, il y en a un aujourd'hui, il nous demande nos noms et notre salle. - Katnyss Rivière, amphi B. - Tom Rivière, B-200 Il coche nos noms sur la liste de la classe correspondante. - Amphi B, premier étage. B-200, deuxième étage, nous dit-il simplement en nous ouvrant la porte du couloir. Cette aile est bien différente du reste du lycée que je connais. Elle paraît plus ancienne et peut-être même d'origine. Ni Tom, ni moi ne parlons. Le souffle coupé par la beauté du bâtiment, presque antique à en croire le carrelage si finement décoré. En fait, ce n'est même pas du carrelage, ce sont des tommettes en terre cuite. Les fenêtres sont hautes, en bois, avec des carreaux d'environ vingt centimètres de côtés, comme on n'en voit plus guère. Il n'y a pas de porte dans ce couloir, juste le grand escalier de pierres avec ses rampes en bois, finement sculptées et bien vernies qu'à ses débuts, j'imagine. Il y a des reproductions des tableaux les plus célèbres aux murs, qui se fondent parfaitement dans le décor. Au premier étage, il y a deux amphis. Le B dans le couloir de gauche et le D dans celui de droite. Ils sont indiqués par des feuilles imprimées en grosses lettres noires, sur un panneau de liège qui a été déposé en haut de l'escalier par l'administration. Il indique également qu'il y a quatre salles de cours au deuxième étage : B-200 et 201, salle de musique et salle de dessins. Avant de se séparer, Tom rabat ma capuche sur mes épaules et m'embrasse sur le front. Je m'enfonce dans le couloir de gauche pendant qu'il rejoint ses copains qui l'appellent du haut de l'escalier. Les doubles portes de l'amphi sont grandes ouvertes et les élèves qui sont déjà là font un brouhaha du tonnerre. Je ne cherche pas à reconnaître qui que ce soit, je monte simplement quelques marches, pour m'installer à la cinquième rangée, histoire de ne pas lécher les bottes du prof au premier rang. - Katnyss ? Je me retourne et aperçois à quelques chaises sur ma droite, sur la rangée de derrière, mon amie Leïa. - Salut Leïa, lui dis-je en la saluant de la main. - Non ! Katnyss ! Mais qu'est-ce que t'as fait à tes cheveux ? Elle se lève et vient me rejoindre. Elle s'assoit à côté de moi. Je ne lui réponds pas pour autant. - Katnyss Rivière, vas-tu me répondre ? C'est quoi cette allure ? Elle me dévisage de la tête aux pieds, les yeux grands comme des soucoupes volantes. - Et je croyais que t'aimais pas ces foutues rangers ? Mais, c'est le sweat de Benoît ! Depuis quand tu te maquilles comme ça ? Comment Tom a pu te laisser faire une chose pareille ? Elle est en état de choc, mais aussi en colère. Je n'ai pas la force de lui répondre, c'est trop dur. - Salut les filles ! Nous relevons la tête en même temps, c'est Eddy, le petit copain de Leïa. - Waouh ! Katnyss, quel… Changement. J'apprécie son tact. Malgré son étonnement, il ne me fait aucune remarque. - Salut Ed, lui lançai-je avec un petit sourire forcé. - Salut Chou ! S'exclame Leïa en l'attirant à elle. C'est le moment de tourner la tête et d'admirer la salle quelques instants. L'amphi, qui est immensément grand, est loin d'être plein. La première sonnerie retentit, nous sommes vingt-huit élèves. Il peut en contenir au moins trois fois plus. La prof arrive avec vingt minutes de retard, c'est Mme Bernard, elle est prof de français. - Votre attention s'il vous plaît ! Un peu de silence ! Hurle-t-elle. On dirait qu'elle a un peu de mal à se faire entendre. Un prof, que je n'avais pas vu dans un coin de la salle près du tableau, se lève et lui allume le micro qui est posé sur le bureau. Apparemment, Mme Bernard n'a pas non plus l'habitude des amphis. - Votre attention s'il vous plaît, merci, reprend-elle. Cette fois, le silence tombe dans l'amphi. Il est près de 9h30. - Veuillez m'excuser pour le retard. Pour ceux qui ne me connaissent pas encore, je suis Mme Bernard, votre professeur principal pour cette année, ainsi que votre professeur de français. L'administration nous a ouvert les portes de l'aile sud cette année, afin de privilégier vos options. Donc cela signifie : une nouvelle salle de dessins et une nouvelle salle de musique. Les élèves montrent leur enthousiasme à cœur joie. - C'est un immense privilège que de profiter de ces magnifiques salles, que nous allons partager avec les BTS Design et BTS Musique qui nous rejoindront dans quelques minutes. Je perds le fil de son discours assommant. En tant normal, j'en aurais ri à voix basse avec Benoît, nous aurions déjà planifié quels morceaux étudier au premier trimestre, puis imaginé ce que M. Beaufort, le prof d'histoire-géo, porterait pour la photo de classe cette année, et ce que le cuistot nous aura concocté pour midi, mais la place à mes côtés est vide. Benoît ne l'occupera plus jamais.
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