7. Les démons ont frappé

446 Words
7. Les démons ont frappé Chaque soir, il revivait les événements qui avaient bouleversé sa vie comme si c’était hier, comme si tout ça s’était incrusté dans son cerveau à jamais, comme une marque indélébile dont les images passant sous ses yeux revenaient en boucle. De la sueur perlait sur son front. Il se retournait dans son lit, essayant vainement de chasser son passé. Sur les routes entre Gitarama et Butare – 1994 Modeste se trouvait sur le chemin de l’exil en compagnie d’un grand nombre d’autres réfugiés. Ils étaient partis pour Butare et la frontière avec le Burundi. Malgré le soleil, la peur les faisait tous avancer d’un pas décidé ; les soldats du FPR ne valaient peut-être pas mieux que les Interahamwe{3}, mais il n’était plus sûr de rien après les événements tragiques qu’il venait de vivre. La violence ne s’arrêterait-elle donc jamais ? Ce pays était maudit. Ni la soif ni la faim n’entraient en considération, seul l’instinct de survie comptait. La Route nationale 1, asphaltée, large, serpentait entre les champs et les petites forêts, composées en grande majorité par les flèches élancées des eucalyptus. Tout à coup, peu avant le village de Rusatira, des tirs éclatèrent autour d’eux. Une fusillade s’engagea entre les quelques soldats présents et les mystérieux agresseurs. Le temps de comprendre, Modeste se retrouva à terre. La scène se passa alors au ralenti dans sa tête avant de reprendre à vitesse réelle. Il apercevait Kintiya agenouillée, du sang sur les mains, les yeux exorbités de terreur, les deux bébés sur les genoux. Elle avait pris l’un d’eux avec elle. Les tirs se calmèrent alors que la radio des soldats crépitait. Des renforts étaient en route, mais c’était trop tard pour une dizaine de malheureux qui gisaient à même le sol. Passé le moment de stupeur, Modeste fit asseoir Kintiya au milieu des cris, des pleurs et du tumulte qui régnait sur la route. Son bébé, assis, avait marché à quatre pattes vers lui. Kintiya continuait de serrer très fort le sien. Il s’était rapproché pour voir ce qu’avait ce dernier, mais personne n’aurait pu à ce moment-là arracher l’enfant à sa mère. L’enfant était mort, touché par une balle. Les larmes de Kintiya avaient coulé sans discontinuer et elle était restée prostrée pendant des heures. Quelques rescapés les avaient aidés, notamment un couple qui possédait une charrette. On y avait mis la femme et l’enfant mort, qu’elle ne voulait pas lâcher. Modeste porta lui-même le sien. Ils arrivèrent de nuit à l’hôpital. Au milieu du chaos, Kintiya et son enfant furent transportés dans un coin. Un médecin passa et, aidé par deux autres personnes, réussit à faire une piqûre à la femme, qui finit par s’endormir. Modeste aperçut l’espace d’un instant les yeux restés ouverts de l’enfant mort, que l’on recouvrit d’un linceul. L’incompréhension, le désespoir, mais aussi la colère et la haine envahirent tout son être.
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