Chapitre 1-2

2910 Words
Mes doigts tremblotèrent sur ma cigarette et je marchai dans la rue comme un automate. La vue d’un coyote crochetant à coups de croc le corps d’un soldat me souleva le cœur. Je soufflai par à-coup. Je pivotai sur mes talons et pénétrai dans l’une des demeures bordant l’esplanade. La porte était ouverte sur un vestibule miraculeusement intact. En revanche, le toit de la salle à manger laissait un trou béant sur un ciel de plus en plus sombre. Les vitres de la façade avaient explosé et des tessons de verre recouvraient le tapis. Le feu avait épargné la maison, mais ses habitants étaient morts. Je ne percevais aucune vie à des kilomètres à la ronde. J’entrai dans le salon. Des rideaux jaune pâle battaient contre les croisées de la fenêtre. Une méridienne faisait face à une cheminée éteinte et noircie de cendres, une peinture écaillée trônait au-dessus du foyer. Un couple joliment assorti, vêtu de ses plus beaux atours. Elle, dans une robe de velours rouge, le cou rehaussé d’un collier de perles, le visage tendre, les yeux gris et vifs. Lui, dans une tunique seigneuriale, croisée sur le devant par des fermoirs d’argent, les cheveux noirs, le regard brun et profond, faisant front au peintre et au reste du monde. Je m’approchai de la méridienne et je reconnus tout de suite la femme à la robe rouge. Elle était étendue sur le divan, le visage décoloré par la terreur, les yeux gris livides et caves. Elle ne portait pas de blessures apparentes et je ne distinguais aucune trace de sang sur elle. Mais l’expression de son visage laissait croire à une mort lente et atroce. Il ne restait rien de la beauté ardente de la peinture. Aux pieds de l’ottomane, un autre cadavre gisait sur le tapis, couché sur le flanc, la bouche entrouverte. Plus petit. Je pris la couverture posée sur l’accoudoir et la rabattis sur la dépouille de l’enfant. En dissimulant son visage sous la laine, un éclat attira mon attention. Une épée. Elle reposait sur le sol et luisait comme un diamant. Elle était plutôt petite, presque aussi courte qu’une dague, avec un manche d’un métal que je n’identifiais pas. Ce n’était pas de l’acier ordinaire, pas plus que de l’Astrée. Je m’agenouillai et affleurai la lame du bout des doigts. Un étrange pouvoir se distillait du métal ; il semblait palpiter en dessous comme un cœur. Je m’apprêtai à m’en saisir quand la voix d’Elfinn claqua dans ma tête comme un boulet de canon : « Ne la touche pas ! — Pourquoi ? — Mauvaise. — Ce n’est pas l’arme d’un soldat d’Ol-Hane. C’est celle de nos ennemis. — Oui, mauvaise. Ne la touche pas. — Que je sache, elle ne va pas me couper toute seule. » Je l’entendis s’agacer dehors. Il piétinait la route de ses sabots et poussa un hennissement. Je ne m’en préoccupai pas et saisis le manche de l’épée. Un courant d’énergie me traversa la paume de la main. Un son mat comme des coups de couteau dans un corps vrilla mes tympans et devint de plus en plus lourd et obsédant. Un goût de métal dégoulina dans ma bouche et ma cigarette tomba sur le sol dans un brasillement. Une douleur envahit ma main, mon poignet et tout mon bras se mit à trembler comme si je perdais le contrôle de mes muscles et de mes os. Un grondement parut sortir de la lame comme le vent dans un gouffre. « Lâche l’épée », grogna Elfinn. L’effet de donner moi-même des coups de couteau dans un corps, pris de frénésie, me prit à la gorge. Le goût amer du sang devint plus prégnant sur ma langue, tapissant jusqu’à mon estomac comme si je m’étais gorgé de sang frais, comme si j’avais arraché la peau, la chair et les tendons sous mes dents. J’enfonçai moi-même la lame dans la chair grasse des corps, l’enfonçai et l’enfonçai encore jusqu’à ce que les hurlements cessent, jusqu’à ce que je sois couvert de sang, que des perles rouges glissent sur ma peau à vif, coulent sur mes lèvres, dans ma bouche, dans mes veines. L’épée tomba soudain sur le sol dans un bruit mat et je m’effondrai à genoux aux pieds de Naïs et de la femme qui gisait sur l’ottomane, en sang. J’étais couvert de sang, de la tête aux pieds, jusque sur les paupières et dans mes cheveux. Je reculai sur les fesses, à demi fou, et fixai la mare de sang qui s’étalait sur le tapis, s’incrustant dans ses fils jusqu’à ressembler à un linceul. « Seïs ? Seïs, est-ce que ça va ? » s’inquiéta Naïs en s’agenouillant devant moi. Elle n’osa pas me toucher. Elle me regardait avec angoisse, l’air atterré, et tout son corps était raide et se tenait sur la défensive, comme si je m’apprêtais à lui sauter à la gorge. Je haletai et repris lentement mon souffle. J’avais enfoncé l’épée dans cette femme, et je comprenais qu’elle n’était pas morte quand j’étais entré dans la maison. Elle était là, étendue comme si elle dormait et faisait un affreux cauchemar, les yeux grands ouverts, et pourtant je n’avais pas perçu son âme. Elle n’était pas morte. Pas avec tout le sang qui s’écoulait sur le tapis. Elle était encore vivante quand j’avais planté l’épée dans sa poitrine, soulevant la chair et la graisse sous la lame. Pourquoi ne l’avais-je pas perçu ? « Que s’est-il passé ? » me demanda Naïs. Je secouai la tête, la nausée aux bords des lèvres. « Elfinn s’agitait dans la rue comme un dément, ajouta-t-elle. Pourquoi… pourquoi as-tu fait ça ? Qu’est-ce qui s’est passé ? » Je fixai l’épée sur le sol, belle et menaçante. « Je n’en sais rien. » Naïs posa les yeux sur l’arme et approcha la main. Je lui saisis le poignet et le tins contre moi. « Ne la touche pas. — C’est quand tu l’as prise, n’est-ce pas ? » J’acquiesçai. « Je croyais que je rêvais. Pas que je le faisais vraiment. C’est… » Je n’achevai pas ma phrase. Je songeais à tous ces corps éventrés dans la rue et un début de vérité commença à m’envahir et me tétanisa de peur. Naïs se pencha vers l’épée et la regarda avec insistance. « Tu as vu ? me demanda-t-elle. Il y a des symboles étranges inscrits sur la lame. — Oui, je les ai vus. — Tu les connais ? — Je n’en suis pas sûr. Ça ressemble à des Aliquondë. » Naïs baissa les yeux sur les symboles d’Essaarë qui décorait la bordure de mes bottes. « Ceux-là ne me disent rien. Probablement des marques de la Principauté », hasardai-je. Elle hocha la tête. « Probablement », répéta-t-elle. Son regard se reposa sur moi et je sentis une vague de dégoût l’envahir. « Je crois… je crois que tu devrais te nettoyer. » Je baissai les yeux sur ma tunique rouge écarlate et la nausée glissa dans ma bouche. Je me relevai d’un bond et partis vomir derrière le canapé. Je vomis du sang, de la bile et des cauchemars. Quand j’eus fini, je ne me sentais pas mieux. Je me sentais sale. Je m’essuyai la bouche avec la manche de ma tunique, puis dis : « Le Soleil se couche et je ne perçois pas l’odeur de cadavres à l’étage. On devrait passer la nuit ici et partir demain matin. En attendant, je vais trouver de quoi me laver. » Elle acquiesça, visiblement à contrecœur ; l’idée de passer la nuit ici ne l’enchantait pas. Elle m’emboîta le pas et grimpa l’escalier. On déboucha sur un couloir sobre, décoré de tapisseries aux couleurs vives. J’ouvris la première porte. Elle donnait sur une chambre à peu près intacte si on faisait abstraction des croisées brisées et de la cendre froide qui avait voltigé dans la pièce et recouvert le sol. Le vent battait les rideaux et la mousseline du lit. Des coussins traînaient par terre. Le lit était défait. On avait tiré ses habitants de la maison au petit matin ou bien la nuit. Je m’approchai d’un candélabre à cinq branches et l’allumai d’un claquement de doigts. Les chandelles diffusèrent une lumière tamisée sur les murs tapissés de tissus bleu et vert à motifs. Naïs entra dans la pièce en jetant des coups d’œil inquisiteurs, s’assurant sans doute qu’il n’y ait pas de corps dissimulés dans l’ombre. Tandis qu’elle visitait la chambre, j’entassai des bûches dans la cheminée et fis partir le feu. Puis, je partis en quête de la salle de bain. Ce genre de demeure devait en être équipé. Je ne tardais pas à dénicher une poterne qui donnait sur une garde-robe fournie que j’indiquais à Naïs. « Tu crois qu’on peut emprunter des vêtements ? fit-elle, sincèrement embarrassée. — Je ne pense pas que son propriétaire s’en plaigne, rétorquai-je. Prends des vêtements de voyage plutôt qu’une robe. » Je dégotai une chemise propre, une veste à agrafes et un haut-de-chausse noir. À gauche de la penderie, je trouvai la salle de bain. De l’eau remplissait une baignoire en marbre blanc ; elle n’était pas très propre, mais à dire vrai, tout me semblait bon, du moment que je pouvais me débarrasser du sang qui s’encroûtait sur mon visage et mes vêtements. Je me dévêtis rapidement, jetant le tout dans un coin, trouvai un linge à peu près propre, et fis une toilette de chat. Quand je ne sentis plus sur mon corps le sang visqueux qui s’empoicrait sur ma peau, je retrouvai un semblant de calme et de raison. Je m’habillai, la chemise était un peu longue, mais une fois entrée dans le haut-de-chausse, on n’y voyait que du feu. J’accrochai mon sabre à ma hanche, le trouvant rassurant, puis je rejoignis Naïs dans la chambre. Elle était campée devant la fenêtre et regardait dehors d’un air sombre. Elle avait déposé un pantalon et une chemise sur le couvre-lit, mais n’y avait pas touché. « Cette ville m’effraie », murmura-t-elle. La nuit tombait. Des toitures arrachées, s’élevait une brume opaque et assez effrayante en effet, laissant les ombres s’étendre au-dessus de nous comme des tentacules. Je soupirai, m’assis sur un fauteuil près du feu et allumai une cigarette. Le souvenir de la femme me hantait. Je ne pensais pas que j’aurais pu la sauver, quand bien même aurais-je su qu’elle était vivante. Son âme n’était plus dans son corps, mais son corps, pour une raison que j’ignorais, avait survécu encore un moment. Je n’avais pourtant pas perçu les battements de son cœur ou même le ruissellement de son sang dans ses artères. Il n’y avait rien de vivant en elle, et pourtant, elle l’était bel et bien. Comment expliquer tout ce sang sinon ? Je ne m’expliquai pas davantage mon comportement. J’avais eu la sensation d’être prisonnier d’un rêve épouvantable et, physiquement, je ne me souvenais pas d’avoir bougé, brandi l’épée au-dessus d’elle, de l’avoir transpercé. Seul me restait le goût du sang. Les froufroutements de tissus me tirèrent de ma réflexion. L’accoudoir dans le dos, je renversai la tête en arrière et regardai le fond de la chambre, la cigarette aux lèvres. Naïs avait fait tomber le bas de sa robe brune sur le sol, dévoilant ses longues cuisses blanches, et passait sa chemise par-dessus sa tête. Les voiles de gaze du lit ondoyaient sous la brise et me laissaient entrevoir des morceaux de peaux épars. Dans la pénombre, j’avalai goulûment les éclats de chairs nivéens de la courbure de son dos. Elle se tourna de profil pour attraper le pantalon qu’elle enfila rapidement. Je mordis dans ma cigarette en voyant se dresser comme deux étendards les seins ivoirins de Naïs. Le sang afflua grossièrement dans mon pantalon au point que j’aurais pu sentir le magma grandir, se déverser et inonder mon sexe. Elle passa la chemise et je détournai les yeux, me concentrant sur ma cigarette pour oublier que je bandais comme un pendu. « Qu’en penses-tu ? » m’interrogea-t-elle en se postant devant mon fauteuil. Les vêtements d’homme étaient un peu grands pour elle, et ses cuisses flottaient dans le tissu, mais ils seraient plus adéquats pour monter à cheval. « Ça fera l’affaire. » Naïs hocha la tête, puis se dirigea vers le mur du fond avant de se laisser glisser jusqu’au sol. Elle s’empara de sa sacoche qui contenait notre dîner, en extirpa une miche de pain, du fromage, du jambon et des biscuits secs. « Tu as faim ? me demanda-t-elle. — Pas vraiment. — Comme tu veux. » Elle avala son casse-croûte comme si c’était le dernier repas de sa vie. Les coudes posés sur les genoux, elle mâchouillait des morceaux de pain, les entrecoupant de grandes bouchées de fromage. Des miettes tombaient sur sa chemise. Elle les chassait du revers de la main. Je songeais en la regardant que Naïs ne possédait aucune des manières artificielles de Daphnis, ni la somptuosité de ses toilettes, ni ses montagnes de maquillage surfait, ni ses coiffures alambiquées. Elle était belle à sa façon, naturelle et sauvage, et les artifices de son immortalité ne faisaient qu’avantager des qualités qu’elle possédait déjà. Ma cigarette était éteinte, le silence était pesant et je bandais toujours. Agacé, je finis par lui demander : « Maintenant qu’on a un peu de temps, si tu me racontais pour quelles raisons tu m’obliges à courir par monts et par vaux à travers tout le pays ? » Elle finit d’avaler son pain, soupira, puis déclara : « Lestan de Lesseps. — L’Assen ? m’étonnai-je. Et alors ? — Kal-Hem a reçu l’ordre de ramener Lestan à Noterre. Je suppose que maintenant, il se trouve en Principauté, sans doute au palais du Renégat, à Deslire. — Et tu comptes t’y rendre comme ça, sans doute ? » lançai-je d’un ton irrité. Elle haussa les épaules. « Je ne prétends pas que ça sera facile. — Non, tu fais bien. Une fois que tu seras à Deslire, tu comptes faire quoi ? Payer une rançon à Noterre pour qu’il libère ton Assen ou brandir Loteth contre lui ? — Ni l’un, ni l’autre. Je pensais que nous pourrions pénétrer Deslire secrètement. Quant au palais, je présume qu’il y a tellement de monde que notre présence passera inaperçue, surtout en temps de guerre. Qu’en penses-tu ? — Que tes parents ont oublié de te greffer un semblant de bon sens quand ils t’ont conçue ! » Je l’entendis grogner, puis soupirer. « Lestan a essayé de me sauver la vie, murmura-t-elle. Il s’est battu contre Kal-Hem pour nous offrir une chance de nous enfuir. » Je ricanai. « Son plan a foiré, notai-je. — Ce n’est pas drôle, Seïs. — Non, ça ne l’est pas. Pas plus que tes idées saugrenues. — Lestan est un homme bien… — Une seule soirée t’a suffi pour en juger. Eh ben ! Je me demande ce qu’il a bien pu faire pour que tu risques ta vie pour la sienne. — Ne recommence pas. Lestan n’est pas le genre d’Assen que tu imagines. » Je jetai mon mégot dans le feu de cheminée. « Tu ne sais pas ce que j’imagine. » Elle haussa les épaules et enfourna un morceau de fromage. « Je lui dois la pareille, me dit-elle, la bouche pleine. Si l’un des Tenshins avait des ennuis, tu le laisserais se débrouiller seul ou tu lui viendrais en aide ? » Je songeai à Lampsaque et son souvenir me laissa un goût amer. Je me secouai et me redressai sur le fauteuil. « Je n’ai pas l’intention de le laisser tomber », ajouta-t-elle. Je fixai une vieille tapisserie, plutôt moche pour ce que je pouvais en juger dans la lueur des chandelles. C’était une imagerie de la cour d’un roi, avec des dames hautaines et emperruquées. « À quoi penses-tu ? me demanda Naïs. — Ton foutu caractère mis à part, je me demandais quel intérêt avait Noterre d’enlever un Assen. — Je me suis posé la question, je n’ai pas trouvé de réponse. Je pensais que tu aurais peut-être une idée. » Je haussai les épaules. « On sait que des Immortels œuvrent en sous-main pour Noterre, pourquoi s’encombrer d’un Assen qui manifestement n’est pas l’un de ses partisans ? Ce n’est pas logique. — C’est l’un des mystères auquel nous pourrons répondre lorsque nous aurons retrouvé Lestan. » Je marmonnai dans ma barbe, essayant de me convaincre que je n’étais pas jaloux, puis je songeai que si je passais la frontière, Taranis me taillerait les oreilles en pointe. J’entendis Naïs boire au goulot dans la gourde de vin, j’en sentais l’odeur. Je relevai la tête et l’observai en catimini. Elle reposa l’outre contre son flanc et se mit à fixer le sol avec opiniâtreté, perdue dans ses pensées. Au bout d’un moment, elle me lança d’une voix moqueuse : « Tu veux bien arrêter ça ! » Je m’apprêtais à protester quand je me rendis compte que je la contemplais depuis de longues minutes. Je détournai la tête sans répondre. Je l’entendis rire. La lune se traînait languissamment dans un ciel sombre. Naïs se releva, s’étira, puis se dirigea jusqu’au lit. Sans ôter ses chaussettes, elle se jeta sur les draps de satin et rabattis les couvertures sur elle. Je ne bougeai pas du fauteuil. Une fois la tête enfouie dans un oreiller, elle marmonna : « Nous pouvons partager. Le lit est assez grand pour nous deux, et ce n’est pas comme si c’était la première fois qu’on dormait ensemble. » J’observai le gris de la lune par la fenêtre, jetai un autre mégot dans la cheminée et me relevai en grognant. Je m’étirai à mon tour et fis craquer mes articulations au niveau des omoplates. Je m’approchai de l’immense lit à baldaquin, écartai la gaze blanche de la main et songeai que j’aurais mieux fait de rester dans le fauteuil. Naïs était recroquevillée en chien de fusil, la courtepointe sur les jambes. Ses yeux m’épièrent, tandis que je m’asseyais sur la couverture et me calais contre le cadre du lit, les jambes croisées. Elle rit. « Tu comptes dormir dans cette position ? se moqua-t-elle. — Je ne compte pas dormir, rectifiai-je. — Il n’y a plus personne de vivant ici, à part les coyotes. — Possible, mais ces gens ne sont pas morts de rien. — Ceux qui les ont tués ne sont plus ici. Tu devrais en profiter pour te reposer. En Principauté, nous aurons beaucoup moins d’occasions pour ça. — Tu commences presque à parler comme quelqu’un de sensé », ricanai-je. Elle grommela dans les couvertures. Je m’étendis sur le dos et j’entrepris d’étudier le plafond et d’éviter de songer à quoi que ce soit. J’espérais me vider la tête. À force de penser aux cadavres, à cette épée maléfique, à la guerre, à Taranis, à la Principauté et à Naïs, j’avais l’impression que mon crâne allait exploser. Naïs se retourna, se lova contre mon flanc et glissa une jambe par-dessus la mienne. J’ouvris les yeux en grand et me mordis la lèvre. Sa main se posa sur mes doigts. J’espérais qu’ils ne tremblaient pas. Sa peau était chaude et, même si je n’y décelais plus ce parfum tant chéri, je la trouvais douce et rassurante comme un cocon. « Ça fait longtemps, murmura-t-elle près de mon oreille. — Quoi donc ? — Ben, tous les deux. Comme ça. Dans la même chambre. — Sûr », répondis-je, aussi succinct que possible. Son visage vint effleurer mon bras qui se couvrit de chair de poule. Elle se tortilla contre ma hanche afin de trouver une position adéquate, puis elle se figea telle une statue ayant enfin trouvé sa place dans son alcôve. « Bonne nuit », chuchota-t-elle. Je regardai les moulures du plafond. « Bonne nuit », répondis-je avec retard. Mais elle dormait déjà profondément.
Free reading for new users
Scan code to download app
Facebookexpand_more
  • author-avatar
    Writer
  • chap_listContents
  • likeADD