Chapitre 1

787 Words
Chapitre 1 Une jeune enfant, âgée tout au plus de cinq ans, avançait péniblement dans la lande, les bras chargés de menus bois. Elle était vêtue d’une simple robe de toile et ses souliers, usés, laissaient apparaître ses orteils nus. Son visage, mince et pâle, faisait ressortir deux magnifiques yeux noirs. Ses cheveux, d’un brun chaud, qui n’étaient plus coiffés depuis bien longtemps, étaient maintenus en place par deux longues tresses séparées, de part inégale, par un semblant de raie. Elle était Eleanor, l’enfant trouvée sur les flots par deux marins aventureux alors que le navire, qui devait l’emmener loin vers l’Amérique avec ses parents, avait sombré en se fracassant sur les côtes de cette contrée où ne survivaient que les plus forts. De ce naufrage, elle n’avait aucun souvenir puisqu’elle n’était encore qu’un bébé. À cette évocation, la fillette eut un vif frémissement et les larmes coulèrent sur ses joues noircies par la crasse. Elle n’avait rien pour se rattacher à son passé, à sa famille. Elle était devenue l’enfant trouvée, l’enfant sans nom et de ce fait, elle était l’enfant dont personne n’avait que faire. Et pour subsister dans cette triste vie qu’était la sienne, Eleanor s’était fabriqué une force morale, malgré son jeune âge, par le biais de sa fertile imagination. Elle vivait chez Martha Caloon, la femme la plus âgée du village. Et du haut de ses cinq ans, elle trimait du matin au soir dans des tâches pénibles, porter des seaux d’eau, s’occuper des bêtes, chercher du bois…, que lui confiait la mégère qui lui servait de mère. Trop fatiguée le soir, elle s’écroulait sur sa paillasse tout en rêvant à une vie meilleure, l’estomac, la plupart du temps, vide de toute nourriture. Perdue dans sa rêverie, elle ne remarqua pas tout de suite que la brume avait déposé son grand manteau sur le paysage aux alentours et que bientôt le chemin du retour disparaîtrait dans cette masse cotonneuse. La température doucement descendait et bientôt un vent glacial se lèverait. Au loin, un corbeau croassa si fort, qu’Eleanor se réveilla de cette torpeur qu’elle aimait tant. Elle accéléra le pas. Elle n’avait que trop entendu d’histoires relatant la disparition de voyageurs surpris par le brouillard. Elle se rendit compte que la nuit serait bientôt là et qu’elle n’avait que trop tardé. Martha Caloon ne serait sûrement pas de bonne humeur et les coups pleuvraient. Point besoin d’excuses valables, seul le plaisir de frapper et de déverser un mal-être sur l’enfant trouvée habitait cette femme acariâtre. Voilà, c’était tout l’amour qu’elle avait reçu de celle qu’on lui avait donnée pour nourrice alors qu’elle venait d’être sauvée des flots. Dans cette brume qui enveloppait maintenant complètement la lande, la petite fille réprima ses larmes. Elle savait qu’elles ne serviraient à rien sauf à la rendre encore plus malheureuse. À cet instant, elle rêva encore plus fort à un ailleurs, un ailleurs où les gens seraient gentils et aimants. Un ailleurs où les enfants âgées de cinq ans n’avaient pas à travailler pour survivre. Soudain, elle lâcha les morceaux de bois qu’elle portait et écouta le vent. Une voix merveilleuse semblait l’appeler. Une voix chargée d’embruns et dont les paroles répétaient sans relâche : viennnns, viennnnnnns…. Et l’enfant de courir jusqu’à ces paroles envoûtantes et apaisantes à la fois. Sa soif d’amour était telle que dans sa rêverie, elle n’entendit pas le pas du cheval qui arrivait tout droit sur elle. Le choc fut inévitable et elle roula sous les sabots de la bête. La douleur fut intense et elle sentit son petit corps être projeté comme un fétu de paille. Tandis qu’elle gisait sur le sol, son regard fut voilé par l’écoulement d’un liquide rouge et chaud. Au loin, la voix l’appelait toujours, mais à cet instant, Eleanor sut que cet appel resterait vain. Son destin venait irrémédiablement d’être changé. Un ange allait venir et l’emporter vers un ailleurs où elle aurait peut-être la chance d’y retrouver ses parents. Alors qu’elle sentait ses forces quitter son corps, elle se sentit, soudain, soulevée par deux bras énergiques. Elle ressentit une grande peur l’envahir et tandis qu’elle sentait son corps être enveloppé dans une cape chaude et rassurante, elle se laissa aller à un immense soupir puis se laissa glisser doucement dans un vaste puits de ténèbres. Le cavalier sentit aussitôt qu’il ne tenait plus, qu’entre ses mains, qu’une poupée de chiffons. Il prit peur et se dépêcha de découvrir le visage de l’enfant. Il ôta le gant de sa main droite à l’aide de ses dents et apposa son index et son majeur, en deux doigts liés, sur la veine jugulaire de l’enfant. Un battement se faisait entendre, faible, mais un battement tout de même. Il ressentit, à cet instant, un profond soulagement. L’enfant était vivante. Avec précaution, il remonta à cheval et installa la petite devant lui, sa tête posée au creux de son bras. Puis d’un petit claquement de langue, il donna ordre à son cheval d’avancer. La brume enveloppait maintenant complètement le paysage, mais la bête avançait d’un pas sûr à travers la lande en direction de l’écurie qui était la sienne.
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