2 – Des présences rôdent-2

2000 Words
– Vous n’allez tout de même pas me suivre ici aussi ! Ou est-ce ma mère qui vous envoie vérifier que je suis bien arrivée, chuchotai-je, irritée. Je trouvais l’absurdité du moment risible. J’essayais de gérer plusieurs émotions à la fois ce qui m’embrouillait quelque peu l’esprit. – Partez ! J’ai assez à faire ici pour que vous veniez me stresser encore plus. Partez ! La sensation s’amplifia et l’odeur entêtante redoubla d’intensité. Je me sentais défaillir et fermai les yeux, luttant pour que mes jambes ne flanchent pas. – Arrêtez ! Ajoutai-je, le son de ma voix étouffé dans un murmure. – Est-ce que ça va ? J’étais stupéfaite. J’avais des hallucinations ! Voilà que je pouvais entendre les esprits et qu’ils me répondaient ! – Tu te sens bien ? Cette fois j’en restai coite. J’entendis plus distinctement d’où provenait cette voix si douce au timbre velouté. Je me retournai d’un bloc, considérant le jeune homme éblouissant qui se trouvait à mes côtés, l’air préoccupé. Il portait un tee-shirt bleu nuit. Son bras était légèrement tendu vers moi, dans l’attente d’un probable malaise. J’essayais de me détendre, mais sa présence empêchait toute cohérence entre mes actes et ma volonté. – Je peux faire quelque chose ? Persista-t-il. J’adore le bleu nuit… Il arborait une moue irrésistible sur un air candide qui me fit chavirer. Silencieuse, je scrutais les traits de son visage fascinant. – Je vais rester un peu, au cas où… lâcha-t-il, s’adossant contre le mur. Je devais passer pour la plus stupide des étudiantes de la faculté toute entière. Je n’étais pas parvenue à me ressaisir. Je croyais m’être adressée à un esprit, et cet ‘esprit’ s’était avéré être un garçon d’une beauté incroyable à l’allure gracile, grand, les cheveux clairs mi-longs en bataille et surtout, réel. (Qui portait du bleu nuit ! J’ai toujours, toujours aimé cette couleur sur un garçon.) Non, je devais être en pleine hallucination. Ce genre de personne n’était réservé qu’aux inventions littéraires, il ne pouvait sortir que de l’imaginaire. Me fixant de ses yeux vert d’eau, l’intensité de son regard me troubla encore plus. Etait-il un étudiant ou un dieu ? Trop réel pour être une divinité, mais trop beau pour n’être qu’un humain. – Moi c’est Gavriel. Si tu as besoin d’aide, ce dont je suis persuadé vu ton état, n’hésite surtout pas. Gavriel… Il marqua une pause avant de se détourner. Je n’avais toujours pas bronché. Il devait me trouver terriblement impolie, ayant sans doute traduit mon attitude pour de l’indifférence. Je ne pouvais pas ignorer la première personne qui était venue vers moi ! Je ne pouvais pas ignorer ce dieu vivant ! Le voyant s’éloigner, je répondis instinctivement dans l’espoir qu’il s’attarde un peu plus près de moi. – Cé… Célianne. J’avais à peine articulé mon nom, essayant de me persuader que je ne rêvais pas, que ce garçon était fait de chair et d’os. Ma réponse eut l’effet escompté. Il pivota et revint sur ses pas. – Enchanté « Cé… Célianne », dit-il en souriant. Tu parlais toute seule et, sans vouloir t’offenser, tu n’as vraiment pas l’air bien. Si c’est ta rentrée qui te perturbe, tu n’as pas à t’en faire. Ils ne sont pas méchants, dit-il, esquissant un geste en direction du groupe d’étudiants qui me dévisageait. Ils ne mordent pas. Ils sont simplement curieux. Je suis passé par là moi aussi. – Ma rentrée ? Balbutiai-je, confuse. – Si je ne m’abuse, tu es nouvelle, n’est-ce pas ? Devant mon mutisme récalcitrant, il se ravisa, visiblement mal à l’aise. – Il semblerait que je me sois fourvoyé. Je levai un sourcil. Quel étudiant pouvait employer ce genre de mot à notre époque ?! – Oh euh, à l’évidence, cette rentrée n’est pas la cause de… Si je peux faire quelque chose… Tu sembles proche de l’évanouissement, ajouta-t-il, l’air soucieux. Quelle tête je devais faire ! Je notai que son anglais était légèrement différent de celui que j’avais l’habitude d’entendre depuis mon arrivée. Il ne devait pas être originaire de Nouvelle-Zélande. Malgré la vitesse à laquelle il parlait, je le comprenais parfaitement, comme s’il utilisait une langue à part que moi seule pouvais décrypter. J’étais subjuguée par sa beauté. Je n’avais jamais rien vu de tel. Son nez droit et fin était une perfection, son visage était subjuguant et ses gestes souples semblaient flotter au moindre de ses mouvements. Je secouai la tête, tentant vainement de me remettre les idées en place. Etait-ce l’abus de stress qui me mettait dans cet état ? L’excès de caféine ? – Je ralentis ma consommation de Coca, c’est juré. Et je me coucherai plus tôt, pourquoi pas me mettre au yoga… marmonnai-je. – Pardon ? Le jeune homme (ou le demi-dieu) me fixait, ne comprenant pas un traître mot de ce que je venais de prononcer. Le front plissé, on aurait dit qu’il essayait de lire mes pensées à travers mon regard. Les rides qui s’y étaient formées détonnèrent sur son visage angélique ; pardon, divin. Je balayai mes paroles absurdes d’un geste brouillon. Il me décocha un sourire des plus craquants. Ses yeux rayonnaient d’une intensité fabuleuse. Je réussis alors à me décrisper imperceptiblement après quelques secondes, le temps d’encaisser le choc de cette apparition inattendue. – On dirait bien que c’est en train de passer. Tu reprends des couleurs. Bien moins effrayant, se risqua-t-il à plaisanter. Je n’eus d’autre réponse qu’un « merci » vaseux que je regrettai à peine prononcé. Pourquoi fallait-il que je me sente encore et toujours aussi ridicule ? La porte de la salle s’ouvrit à la volée, libérant des étudiants engourdis. Je ne sais pas si c’était dû à l’ennui du cours, ou bien la chaleur qui semblait plus intense que celle qui régnait dans le couloir, vu les émanations qui s’échappaient de l’entrée béante. L’effet de masse comprimée dans cet endroit restreint devait produire une chaleur étouffante et l’idée de pénétrer dans cette étuve aggrava ma sensation nauséeuse. – Prête pour la fournaise ? Tu ne voudrais pas prendre l’air avant ? Je déglutis avec peine et mentis le plus admirablement possible. – Non, je crois que ça ira. C’est passé, je me sens mieux, merci. Je ne voulais pas que ce dieu, euh, ce garçon, pardon, ne voit en moi qu’une pauvre fille paumée et malade de surcroit. (Ce que j’étais réellement.) Il me fallait remédier à cette situation. Je ne voulais pas vivre une seconde rentrée cauchemardesque. – En tous cas, merci Gabriel je trouve que… – Gavriel. – Euh… oui… Gabriel…, hésitai-je à présent. Il secoua la tête, l’air embarrassé. J’aurais voulu que le temps s’arrête ou qu’il revienne en arrière. Etais-je sourde ? Stupide ? Qu’est-ce qui clochait chez moi ? Quel était mon problème ? Etait-ce si difficile de passer pour quelqu’un de censé au premier abord ? Visiblement il m’était impossible d’agir normalement. Plus j’essayais de m’en sortir sans trop de dégâts, plus j’aggravais mon cas. Devinant apparemment mes conflits intérieurs, le jeune homme reprit d’une voix encore plus douce et rassurante qu’auparavant : – Gavriel, prononça-t-il en insistant sur le v. Tu n’es pas la première ne t’en fais pas. J’inspirai une longue bouffée d’air et coupai ma respiration tout à coup, repensant à l’effluve qui nous avait envahis quelques secondes plus tôt. Je n’osai plus parler. J’avais épuisé mon stock d’absurdités pour la journée. Ma mère avait eu raison, une fois de plus. Les étudiants commencèrent à s’engouffrer dans la salle. Gavriel hissa son sac sur son épaule, loin au-dessus de ma tête, et s’y dirigea. Remarquant que je ne le suivais pas, il haussa les sourcils. – Tu ne viens pas ? – Je… je crois que je vais finalement prendre l’air. Je m’y prends un peu tard je sais. Navrée que tu aies assisté à l’une de mes facettes les plus déconcertantes. Je n’osais imaginer ce qu’il pouvait penser de moi. Avec un peu de chance, il serait indulgent et ne focaliserait pas sur mon attitude, conscient de mon triste état. Ou bien, (et ce serait l’idéal), il souffrirait d’amnésie partielle et oublierait tout dès le lendemain. Un si beau dieu, garçon, (désolée), qui s’intéressait un tant soit peu à moi ou plutôt, qui veillait à ce que je ne m’écroule pas, me ridiculisant à jamais, se devait d’avoir une bonne opinion de moi. Je lui adressai un sourire timide et baissai les yeux, honteuse du déroulement de cette rencontre qui aurait pu se passer différemment, plus à mon avantage. Déstabilisée devant son regard avenant, je me précipitai vers la sortie. Il me fallait sortir d’ici. Une fois dehors, je m’arc boutai, prenant appui sur mes genoux, le cœur au bord des lèvres, essayant de reprendre une respiration régulière. Je ne comprenais pas ce qui m’était arrivé. Je n’avais jamais ressenti pareille sensation, pareils maux. C’était comme si mon corps n’avait pu contenir autant d’émotions étranges et nouvelles. J’allais aux toilettes me mouiller le visage et en profitai pour m’acheter une bouteille d’eau au distributeur. Remontant les marches quatre à quatre, j’espérais arriver avant que la porte ne se referme. Une fois close, n’importe qui pouvait continuer à entrer. Pas moi. Pas depuis cette fameuse rentrée. Je trottinais et me heurtai à un étudiant certainement aussi pressé que moi au bout du couloir. Je l’éclaboussai partiellement et n’eus pas le temps de me confondre en excuses car il se mit à rire nerveusement. Je constatai que je n’étais pas la seule à avoir mal commencé la journée. – Ce n’est rien. Au contraire, c’est tout à fait normal. Je me demandais d’ailleurs pourquoi ça ne m’était pas encore arrivé. Non, ne t’excuse surtout pas. Je t’ai vu tout à l’heure, ton cas n’est pas mieux que le mien. Je restai muette devant mon double masculin, ne trouvant rien à dire de conventionnel. Je me retournai et suivis des yeux ma bouteille d’eau qui finissait sa course en bas des marches. Je courus la récupérer et m’aperçus que le garçon avait disparu. Arrivée devant la porte miraculeusement encore ouverte, j’inspirai profondément et pénétrai dans l’arène. L’agitation qui y régnait me permit de passer inaperçue. Choisissant la rangée la plus proche de moi et de la sortie, je tournai la tête à droite et vis une fille qui paraissait tellement hostile que je ne pus m’empêcher d’écarquiller les yeux de surprise. J’optai alors pour le côté opposé et croisai le regard du garçon que j’avais aspergé d’eau une minute plus tôt. Il me souriait amicalement, désignant la place libre à ses côtés. J’étais ravie de me trouver en sa compagnie. Il m’avait semblé vraiment sympathique ; paumé aussi. Un peu comme moi. Je posai mes affaires sur ma tablette, et distinguai Gavriel en contrebas, entouré d’une foule d’admirateurs, majoritairement féminines. Il avait l’air mal à l’aise, mais l’atmosphère qui semblait régner autour de lui me procura un semblant de sérénité. Je m’excusai pour l’arrosage auprès de mon voisin, un garçon charmant au visage accueillant. Ses cheveux courts et bruns étaient coiffés en de fines boucles indisciplinées. Il avait vraiment l’air gentil, et j’en eus confirmation après de brefs échanges. – Alors, tu es nouvelle ici ? J’étais avec le groupe que tu tentais de fuir, ajouta-t-il devant mon regard interrogateur. Tu te sens mieux au fait ? On pensait vraiment que tu allais t’évanouir jusqu’à ce que Gavriel intervienne. J’opinai, penaude. – Tu viens d’où, Auckland ? Wellington ? Amérique ? Australie ? – De France. Je viens… de France. Beaucoup, beaucoup plus loin. – Tu plaisantes ? S’exclama-t-il en français. – Ne me dis pas que… – Si ! Je m’appelle Finnigan Pritchard. Finn. J’ai vécu en France quelques temps moi aussi. – Tu es français ? Demandai-je, incapable de cacher mon enthousiasme. – Du côté de ma mère. Mon père est Néo-Zélandais. J’ai vécu six ans à Grenoble avant de venir m’installer ici. C’est fou ce que le monde est petit, dit-il après un instant. – Incroyable ! La seule personne que je rencontre aussi maladroite que moi s’avère être à moitié Française. Bonjour la réputation. C’est sans doute étrange, mais je ressentis du soulagement en le voyant. Il me donnait l’impression que je n’étais pas unique en mon genre. Et le fait de pouvoir parler ma langue maternelle avec quelqu’un d’ici me procurait un sentiment de bien-être. Je me sentais moins seule. – Eh bien, enchantée, Finn. Moi c’est Célianne, Célianne Delacroix. – Enchanté, Célianne. Nous échangeâmes quelques anecdotes et je levai le menton vers le professeur, installé derrière son bureau sur une estrade en bas de la salle. Je m’aperçus qu’il lisait un passage du livre ouvert, posé face à lui et réalisai alors que nous avions dû parler pendant de longues minutes, trop occupés par notre rencontre pour prêter attention au début du cours. – Le livre ? – Oui, attends, dit Finnigan en se penchant pour sortir un livre de son sac à dos. C’est celui-là. – Je n’ai pas pris la liste des manuels, il faudra que je passe au secrétariat. – Pas de soucis, ils sont cools ici. Je t’y accompagnerais si tu veux. Je sentais que ce garçon était le genre de « fou » qui pouvait m’approcher, comme disait mon frère. Nous allions être amis, c’était certain. Je souris, soulagée de voir que ma journée s’améliorait peu à peu. – Tu as pris quoi comme cours ? Ce serait bien d’en avoir d’autres en commun. – Seulement anglais, psychologie et civilisation maorie, répondis-je. Je suis un programme adapté. – Bah on sera déjà ensemble dans deux cours. Je suis en civi maorie aussi, me dit-il, l’air assez content. Pour le reste, j’ai choisi les sciences environnementales, la microbiologie et d’autres matières assez ‘space’. – Hé bien si elles sont aussi compliquées que leurs noms… – Oui et non. Mon père est pêcheur ; il ne comprendrait pas si je prenais philosophie ou lettres modernes. Tu vois ce que je veux dire, il est un peu… old school. – Je vois, dis-je, accompagnant mes paroles d’un geste franc du menton.
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