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2001 Words
Après le déjeuner, mes amis me raccompagnent jusque chez moi. Je suis détendue mais épuisée. Une sieste s’impose si je veux être en forme pour bosser ce soir. J’enfile un pyjama en vitesse avant de me blottir sous ma couette. Là, seule de nouveau, mes pensées me jouent des tours en s’envolant vers l’homme que j’aime. Mais ce coup-ci, mes paupières se ferment avec son visage en face de moi, souriant. Heureux. 2 Davis. J’avance d’un pas tremblant, dans une démarche mal assurée. Un pied devant l’autre. Tel un funambule, je marche sur un fil. Le fil de ma vie, suspendu au-dessus du néant. Ne pas regarder en bas, où l’enfer me tend les bras. Je vois déjà d’ici ses flammes cruelles et tentantes. Elles dansent et me tournent autour. Leur crépitement m’attire comme le chant des sirènes. J’ai si froid que je répondrais bien à leur appel. Je marche droit devant moi, le cœur battant. L’autre rive me semble si proche et si loin à la fois. Je n’y vois que soleil et verdure. Je n’y sens que le bonheur et la joie. Mais à quoi bon ? Cette vie-là n’est pas pour moi. Encore un pas vacillant. La corde bouge, de plus en plus. Mon équilibre est précaire. Je suis soudain aveuglé par une forte lumière blanche. Un visage apparaît au milieu. Un ange. Un ange aux cheveux châtains et aux iris émeraude. Je tends la main pour la toucher. Son sourire magnifique est la cause de tout cet éclat. Je m’avance mais elle recule. Trop loin de moi. Et je me sens de nouveau sur la corde raide. Un bruit strident me ravage le crâne. L’agitation qui semble régner tout autour de moi me donne le vertige. J’entreprends d’ouvrir un œil, mais la lumière blanche et aveuglante qui me foudroie la rétine me dissuade d’ouvrir l’autre. J’essaye de me concentrer pour savoir ce qui se passe mais j’ai énormément de mal. À respirer, tant mes poumons sont en feu, à bouger, à réfléchir. Je perds la notion du temps. Où suis-je ? Que s’est-il passé ? Je n’entends plus rien que le bruit régulier d’un moteur. Quand j’émerge totalement du brouillard, j’observe ces murs devenus trop familiers qui m’entourent. Du blanc et encore du blanc, partout. Encore et toujours. Seul un tableau, face à moi, apporte un peu de gaieté. Il représente une rose d’un bleu intense, survolée par une colombe aux ailes déployées. Je pourrais presque le trouver beau, s’il ne me rappelait pas une personne… — Lucie ! prononcé-je à voix haute sans m’en rendre compte, me redressant subitement. Aïe, mauvaise idée ! Le claquement métallique qui résonne attire mon regard sur mon environnement. Je suis dans un lit, enfermé entre deux barrières, comme un p****n d’animal en cage ! Par réflexe, je me tâte le torse pour savoir si je suis toujours en un seul morceau, ou si la faucheuse a déjà fait son job de me conduire jusqu’en enfer. Un morceau de plastique roule sous mes doigts. Je suis le tube des yeux pour arriver jusqu’à une poche de sang qui goutte tranquillement, reliée directement sur ma chambre implantable. Comme une impression de déjà-vu. Comme une impression que tout recommence. — Rraaahhhh !!!! Un cri de colère enroué, mêlé aux douleurs multiples, surgit du fin fond de ma gorge. Je n’ai absolument aucun souvenir de mon transfert jusqu’ici. p****n, qu’est-ce qu’il s’est passé ? C’est un affreux cauchemar. Encore un peu perdu, je me rallonge avec précaution. Je me sens si faible, chaque mouvement semble demander un effort surhumain. Et c’est quoi ce truc dans mon nez ? — M. Preston, ne touchez pas à vos lunettes à oxygène, vous en avez besoin, gronde une voix féminine sur un ton peu gracieux. Une femme d’une cinquantaine d’années vient de faire son apparition. Habillée en blanc plus jaune que les murs, elle vérifie mes perfusions, pendant qu’une autre m’apporte un plateau repas. Pourquoi portent-elles toutes les deux un masque ainsi que des gants ? Je ne suis pas contagieux à ce que je sache. Je m’installe puis fixe le bol et l’assiette posées devant moi. De la soupe à l’eau avec deux trois morceaux qui flottent, une tranche de jambon, une cuillère de purée. Le tout sous un plastique. Sympa. Ils m’ont refilé la bouffe du chien ou quoi ? Je n’ai déjà pas d’appétit, alors ce n’est pas avec cette vision que je vais avoir l’eau à la bouche, sauf pour vomir. D’ailleurs, même la simple odeur de cette nourriture me file une nausée violente qui me tord l’estomac. Je pousse la table hors de mon champ de vision en essayant de ne pas gerber partout. Allongé sur le dos, les mains sur mon front frais, je prends de longues et profondes inspirations pour tenter de maîtriser les spasmes qui me nouent le ventre. — Comment tu te sens, mec ? Sven vient de rentrer dans ma chambre. Il porte lui aussi un masque, des gants ainsi qu’une blouse bleue et un bonnet sur la tête. C’est quoi ce délire ? C'est le carnaval de l’hôpital ou quoi ? J’ai l’impression d’être dans un mauvais rêve ou de… Et merde ! — J’ai connu des jours meilleurs, réponds-je d'une voix faiblarde. Il prend place dans un vieux fauteuil proche du lit, tout en conservant une certaine distance, puis zieute mon repas resté intact en affichant une mine de dégoût. — Ils comptent te requinquer avec ça ? demande-t-il en désignant mon bol du menton. — Si c’est le cas, je signe mon testament tout de suite. Nous sourions tous les deux, avant qu’une quinte de toux m’arrache les poumons, manquant de me faire suffoquer. — Pourquoi t’es habillé comme un schtroumpf ? Je m’en doute maintenant, mais je refuse pourtant d’y croire. — J’en sais rien. J’ai pas tout pigé le pourquoi du comment, on m’a simplement dit de mettre ça pour ne pas risquer de te contaminer. Putain, ça confirme mes craintes. Me revoilà quelques mois en arrière. Quand j’étais loin de tout, en train de crever à petit feu. Je soupire en me pinçant l’arête du nez. — T’es pas mal non plus dans cette chemise avec vue sur la lune, plaisante Sven, me sortant de mes flashs douloureux. C’est Lucie qui serait... Il laisse sa phrase en suspens. Comme un réflexe, je tourne aussitôt la tête vers la porte, dans l’espoir de la voir arriver. Mauvaise idée. Rien que ce simple mouvement me provoque des vertiges. Bon sang, c’est horrible ! — Davis, à propos... hésite Sven. La porte s’ouvre et mon cœur fait une embardée dans ma poitrine. Mais ce n’est qu’une infirmière quelconque qui arrive avec un truc qui prend la tension. Pas de trace de ma Lucie. Je reste silencieux pendant qu’elle s’exécute. Sven en fait autant. — Dix sur six. Bon, c’est mieux que tout à l’heure. Mais vous devez garder l’oxygène. La saturation est un peu limite. La transfusion est terminée, je vous l’enlève. Le médecin passera vous voir un peu plus tard. Puis elle sort de la chambre. — Elle est mignonne cette infirmière, t’as de la veine. Je lui jette un regard sceptique. — Si tu veux ma place, je te la laisse avec plaisir. — Ok excuse-moi, c’est maladroit. Je suis désolé... — Où est-elle ? le coupé-je. J’ai besoin d’elle. Il soupire puis baisse la tête. Si ma tension était basse, elle va vite monter en flèche. — Sven, Où. Est. Lucie ? Je prends bien soin d’articuler chaque mot pour qu’il comprenne qu’il me faut une réponse très vite. — Je ne sais pas, je n’arrive pas à la joindre. Je suis passé chez elle, elle n'y était pas non plus. — Comment ça ? Elle n’est pas au courant que je suis ici ? Qui m’a emmené là alors ? Soudain, la peur qu’elle ne veuille plus de moi refait surface, venant m’enlever le peu d’oxygène qu’il me reste. Je sens déjà des gouttes de sueurs perler sur mon front. — Tu ne te souviens pas ? Me souvenir de quoi ? C’est insensé. — Vous avez passé la soirée ensemble. Puis tu m’as appelé car tu n’allais pas bien. Quand je suis arrivé, Lucie était décomposée. Tu venais de lui dire que tu ne voulais plus la voir. Ensuite, je l'ai raccompagnée chez elle puis suis revenu te voir. Là, tu as fait un malaise et j'ai dû appeler les secours. Merde, mec, j'ai eu la peur de ma vie ! Mais pourquoi est-ce que j’ai fait ça ? Soudain, tout me revient en mémoire. Et j'ai comme l’impression qu’un gouffre est en train de m’aspirer. Ma respiration s’accélère en réalisant que j’ai, une fois de plus, rejeté la femme que j’aime, au moment où j’en ai le plus besoin. — Et MERDE ! vociféré-je en tapant contre ces barrières qui me font sentir comme un taulard purgeant sa peine. Une peine de plus en plus lourde à porter. — J’ai contacté Stacy et Mélanie. Elles se chargent de la prévenir. Je me passe les mains dans les cheveux et tire dessus, comme si un geste aussi con pouvait faire des miracles. Mais qu’est-ce que… ? p****n ! Je regarde la fine touffe noire dans le creux de ma paume. Des cheveux. MES cheveux. Bordel ! — Service 212, chambre 1. OK, pas de soucis. À tout de suite… Tu vas être content, les filles arrivent… Merde, c’est quoi ça ? demande Sven en me voyant bloquer sur le contenu de ma main. Je le regarde, sans un mot. Il se rend vite compte de la situation et en reste bouche bée. Les effets de la chimiothérapie se font sentir. Les médecins m’avaient prévenu. Je passe mes mains dans ma tignasse encore et encore, dans l’espoir que tout ceci ne soit qu’un p****n de cauchemar ! Le résultat est le même à chaque fois. Mon drap est couvert de fil noir provenant de mon crâne. Mon cœur se met à palpiter de plus en plus vite. J’ai l’impression de me décomposer. Tout fout le camp. Mais ce n’est rien quand je m’aperçois qu’elle est là, dans l’embrasure de la porte. Non, non ! Je ne veux pas qu’elle me voie comme ça. Je refuse ! Pour me couper de sa vue, j’attrape le coussin derrière moi, le fourre sur ma tête et ferme fort les yeux, en souhaitant disparaître. Je t’en prie Lucie, ne me regarde pas… 3 Lucie. Figée dans l'embrasure de la porte, je prends conscience de l'environnement dans lequel se trouve Davis. Tout est si… morne et stérile, dénué de vie pour quelqu’un qui se bat pour garder la sienne. J’observe mon beau brun, sans oser un pas vers lui. Un nœud se forme dans ma gorge quand je le vois se mettre un coussin sur la tête pour se cacher. Pourquoi fait-il ça ? Stacy vient de finir de s'habiller pour entrer dans la chambre voir son demi-frère. Moi, j'hésite encore. Je suis habituée à ce genre de situation, c'est mon milieu. Mais de voir l'homme que j'aime aussi affaibli dans ce lit, dans cette chambre de ce service, c'est... difficile. Quand Mélanie a tambouriné à ma porte pour m'annoncer que Davis a été emmené ici d'urgence, un sentiment de culpabilité et d'angoisse a pris place dans mes chairs. D'être partie, de ne pas avoir répondu à Sven. Alors, je suis aussitôt allée récupérer Stacy qui était morte d'inquiétude, pour l'emmener avec moi. Mélanie s'est proposée de se joindre à nous mais j'ai refusé. J'ai aussi dû appeler des collègues qui pourraient me remplacer pour travailler ce week-end à ma place. Par chance, je n'ai pas eu trop de difficultés à trouver. Je vais donc avoir du temps pour rester auprès de Davis. Qu'il veuille de moi ou non. Cette fois, je ne flancherai pas ! Sven vient rapidement à ma rencontre, m’attrape le bras et me force à sortir de ce sas. Je le suis comme une poupée de chiffon jusque dans le couloir. — p****n, mais pourquoi tu ne répondais pas ? J'étais mort d'inquiétude. Entre Davis et toi, vous allez me rendre fou tous les deux ! Il est énervé et rouspète aussi fort que le couloir d'un hôpital puisse le permettre. — Je suis désolée, je... j'avais éteint mon portable. — Davis a besoin de toi, il dit n'importe quoi quand il n'est pas bien. Tu devrais le savoir pourtant ! Non, mais je rêve ! Il me réprimande ! — Je le sais, oui ! Sauf que j'avais besoin d'un peu de recul ! Et puis... Je soupire en m'adossant contre le mur. — ...Vincent n'arrête pas de m'envoyer des textos et ce qui ressemble à des menaces, je n’en peux plus... — Quoi ? Quelles menaces ? se radoucit-il. Bras croisés sur ma poitrine, je fixe mes pieds. La colère de Sven semble être retombée comme un soufflet. — Ryan n'arrive pas à faire bloquer son numéro. Il me harcèle et... Je ravale un sanglot, déglutis avec difficulté. Ce n'est pas le moment, Lucie ! — Écoute Lucie, je suis désolé de m'être emporté. J'ai eu si peur pour mon pote. Excuse-moi, ma belle. Quant à ce fumier de Vincent, je te promets qu’on va trouver une solution. Il me serre dans ses bras tout en me frottant le dos dans un signe de réconfort amical. Je me laisse volontiers bercer pendant que je tente de reprendre mes esprits avant de rejoindre Davis. Sven me dépose un b****r dans les cheveux puis s'écarte de moi. — Prête à affronter monsieur ronchon ? — Oui, prête, réponds-je déterminée et impatiente de retrouver l’homme que j’aime. Comment va-t-il ?
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