bc

Pour mourir en février

book_age12+
detail_authorizedAUTHORIZED
0
FOLLOW
1K
READ
like
intro-logo
Blurb

Une lettre dont surgissent des sentiments profonds

"Ce livre a la grandeur, la pureté rusée de la passion. De la première à la dernière ligne sourd un cri toujours prêt à jaillir mais qui a la force et le courage de se mesurer. Ce long chuchotement, ce sanglot qui ne vient pas, cette confession tout intérieure d’une adolescente du siècle ont le pouvoir d’une incantation.

J’ai admiré non seulement la spontanéité tendrement violente, mais aussi la technique d’écriture d’Anne-Lise Grobéty, ce monologue infini, feutré, qui n’ennuie jamais, qui est très conscient malgré le délire, sarcastique même.

Ce roman qui semble tissé d’une phrase unique, sans arrêts visibles, mais ondulante, avec ici et là le blanc de la respiration suspendue, qui reprend, s’obstine, tranquille, inlassable, c’est le mouvement de la vague si difficile à saisir. Je l’entends battre le sable, détruite et renaissante, continuellement. Les scènes qui ne se terminent pas, qui reviennent, recouvertes à leur tour par d’autres, ce rythme ressassant, c’est le rythme même de l’amour. Et toujours jusqu’à la fin, le leitmotiv de la première rencontre, celle qui décida de tout, le souvenir de ces instants tournés et retournés, facette sur facette, par la mémoire fascinée mais gardant la fraîcheur de la source, le bonheur du commencement." - S. Corinna Bille

Un roman poignant qui nous entraine dans les pensées d’une jeune femme qui couche sur le papier ses prises de conscience

EXTRAIT

Aujourd’hui que j’y repense vraiment, que je me force à y penser très fort, je me sens moins désorientée, j’ai pris possession de ces événements, ils m’apparaissent intellectualisés par ma mémoire, le recul d’eux à moi se fait peu à peu, je commence à en distinguer chaque relief, ce sont des faits qui ne me concernent plus physiquement aujourd’hui je suis encore seule, mais je m’habitue à cette solitude, j’en fais un couloir chaud, sec, mou, où je marque chaque forme de ma vie et où j’ajoute les dentelles de mes dents quand j’ai trop envie de crier. Ma vie, je la tricote dans cet écheveau plein de nœuds, je ne prends même plus la peine de les défaire ; dans la laine, ce n’est pas joli.

Ces pages, Gabrielle, tu ne les liras pas comme tu avais pris l’habitude de lire tout ce que j’écrivais. Pour mieux comprendre ce qui me faisait mal, ce qui brûlait dans ma tête. Ton visage penché au-dessus de mes cahiers, et la longue main nervurée posée sur les feuilles.

A PROPOS DE L’AUTEUR

Anne-Lise Grobéty (1949-2010) étudie à la Faculté des lettres de l’Université de Neuchâtel et effectue un stage de journalisme. Elle commence à écrire très tôt, et elle a dix-neuf ans lorsque paraît son premier roman. Après un deuxième roman, elle ralentit son activité littéraire pour s’occuper de ses enfants. Dans le même temps, elle s’engage politiquement et siège pendant neuf ans comme députée socialiste au Grand Conseil neuchâtelois. Son mandat achevé et ses filles devenant plus autonomes, elle renoue avec l’écriture dès 1984.

Anne-Lise Grobéty se fait connaître du grand public dès son premier roman, Pour mourir en février, couronné par le Prix Georges-Nicole. La suite de son œuvre remporte le même succès. Ses narratrices cherchent à affirmer leur identité féminine, à une époque où la présence des femmes en littérature commence à s’affirmer. Anne-Lise Grobéty est donc aussi fortement concernée par la condition de la femme écrivain, par les aspects historiques, formels et politiques de l’écriture féminine, mais elle poursuit surtout une exploration de la langue dans une tonalité bien à elle.

chap-preview
Free preview
Pour mourir en février-1
AUJOURD’HUI que j’y repense vraiment, que je me force à y penser très fort, je me sens moins désorientée, j’ai pris possession de ces événements, ils m’apparaissent intellectualisés par ma mémoire, le recul d’eux à moi se fait peu à peu, je commence à en distinguer chaque relief, ce sont des faits qui ne me concernent plus physiquement aujourd’hui je suis encore seule, mais je m’habitue à cette solitude, j’en fais un couloir chaud, sec, mou, où je marque chaque forme de ma vie et où j’ajoute les dentelles de mes dents quand j’ai trop envie de crier. Ma vie, je la tricote dans cet écheveau plein de nœuds, je ne prends même plus la peine de les défaire ; dans la laine, ce n’est pas joli. Ces pages, Gabrielle, tu ne les liras pas comme tu avais pris l’habitude de lire tout ce que j’écrivais. Pour mieux comprendre ce qui me faisait mal, ce qui brûlait dans ma tête. Ton visage penché au-dessus de mes cahiers, et la longue main nervurée posée sur les feuilles. Aujourd’hui, je ne sais pas où tu es, ni ce que tu fais. Tu dois être à Bruxelles. Je crois que c’est mieux comme ça. Si tu me demandais aujourd’hui si j’ai peur, je te répondrais : non ; non, je n’ai pas peur en moi, pas cette peur intérieure, lente, plate comme un vertige qui me dévore ; mais j’ai peur de cette autre peur, de cette peur qu’on voit sur les autres, tout en eux porte cet effroi : leur façon de se vêtir, de fermer la porte, d’attendre que le feu passe au vert et en traversant leur inquiétude à savoir s’il ne deviendra pas rouge avant qu’ils aient atteint le trottoir d’en face ; leur manière de me regarder, de me parler, de me tendre ce morceau de pain, de me sentir, de me flairer, d’épier mes pas, mes ablutions. Cette peur-là suintant des autres, tu savais me la cacher, tu savais la faire descendre d’eux sans qu’elle me blesse, sans qu’elle m’atteigne, quelquefois tu me la montrais, mais calmement pour ne pas m’effrayer, tu la faisais glisser lentement sur moi pour que je m’habitue à elle, tu vois, disais-tu, ce n’est rien : il n’y a rien de caché dans leurs poches, leurs vêtements sont lisses comme leur visage, rien qui blesse, rien qui griffe et, s’ils te regardent, ils ne te voient pas pour autant il y a deux mois encore, je pouvais courir à toi quand cet effroi me prenait, et tu recommençais à m’ouvrir tous ces tiroirs, à me nommer les objets : rien de mystérieux, rien de pernicieux, on regardait ensemble sous les lits, dans les armoires, et je te quittais rassurée j’aurais couru à toi, tu m’aurais parlé, tu aurais été là. Mais rien n’y fait, ma peur ne descendra plus de moi, ni par toi, ni par d’autres. Aujourd’hui je dis : c’est mieux ainsi ; mais je ne sais pas vraiment. Dans ma chambre, je répète tout haut : c’est mieux ainsi, et ces mots tremblent contre les murs, et s’y heurtent, mais je ne sais pas vraiment ; comment pourrais-je préférer le néant à la douceur ? Eux qui ont tant chuchoté, doigts devant la bouche, tant murmuré, tempêté, ne peuvent, ne veulent rien me donner, ils ont les mains au dos, l’air innocent, absent. Vois-tu, dans tout cela, ce qui me contrarie le plus, c’est qu’ils avaient peut-être raison de penser de toi ce qu’ils pensaient. Mais je ne suis pas vivante. Pourtant j’ai mal. Mal, Gabrielle, d’avoir dû renier ces quelques mois de confiance, de joie de ne plus être seule physiquement seule ne plus être seule même loin de toi ; tu m’as tant donné, et tout appris, je ne savais même pas respirer, ni être douce, ni tolérante, ni marcher sans me révolter contre la raideur, ni me donner, ni recevoir, j’ignorais même qu’il y avait une façon d’aborder les êtres, les autres, je vivais arquée, courbée, crispée, muette, et j’avais élevé des barricades contre toutes les formes de sensibilité extérieure, rien ne sortait de moi, rien n’y entrait, ni musique, ni élan, aucun souffle ne débordait de moi, je n’attachais personne, et je jouais ce jeu avec le sérieux des inconscients, tu as tout déchiré, mais doucement, en prenant garde de ne pas meurtrir ma peau, ma peau de blonde, moi, fille de l’onde, comment renier l’amitié, j’étais toute nichée en toi, jamais dans ma vie je n’ai eu si chaud. Je sais combien il est dérisoire et douloureux aujourd’hui de brandir ces mots mais, tu sais, je dis notre amitié par habitude, je m’accroche à ces mots, je m’y suspends de tout mon être comme si, par le pouvoir de mon désespoir, tout allait revenir, tout allait changer, continuer, que tu ne sois plus bafouée ainsi. J’ai mis longtemps à comprendre, à accepter de me séparer de toi. Je leur ai obéi, tu vois, je ne t’ai pas revue, je ne t’ai plus parlé. Connaissant tes habitudes, tes quartiers, il m’a été aussi facile de t’éviter qu’auparavant de te trouver. Maintenant tu dois encore être à Bruxelles, à cause de cette pièce, Le Soulier de Vair, rien à voir avec Cendrillon, jusqu’à la fin du mois. C’est dur, Gabrielle, si dur, je suis tentée de venir chez toi, je n’ai pas peur, hier j’ai failli ne pas pouvoir m’empêcher de passer devant le magasin c’est dur, Gabrielle, car au fond je me fiche de ce qu’on dit de toi, de ce que tu es, vrai ou pas, cela ne change rien, mais je ne veux pas le croire, et qu’est-ce que ça peut faire, je ne veux pas croire que tu m’as vraiment aimée de cette façon-là, non, ce serait trop bête, chacune de nos rencontres, chaque mot échangé, chaque regard, chaque rire, chaque geste, il faudrait tout voir sous cet éclairage affreux, qui blanchit, blafard, cru, un grand fruit pas mûr, ces masques de farine, étouffement du mime, d’où surgissent comme des cafards deux yeux ternes, ce n’est pas possible, tu m’as parlé si franchement de toi que, même cela, je l’aurais compris, je le comprends, je le comprendrais, pourquoi n’y a-t-il pas un temps verbal pour pardonner, pour exprimer le pardon, c’est impossible, tu n’as pas pu me tromper ainsi, un tel camouflage, ou alors je suis folle ; d’ailleurs si je n’étais pas folle, je le deviendrais. Gabrielle, je suis seule sans toi, mais ce n’est pas ta faute, ni la mienne, c’est la faute de ceux qui ont fait glisser ce doute en moi, l’inquiétude. Avant, jamais, jamais rien, je le jure devant tous ces visages tendus et blêmes, je le jure par mes mains fermées contre mes yeux. Toi, tu le sais bien. Mais eux, eux. C’est leur faute. C’est eux qui ont apporté devant ma porte ce chariot où gisaient ces accusations. C’est quand tu as senti que je me méfiais que tu as commencé à changer. Avant, jamais. Tu as senti que je m’éloignais, très peu, mais assez pour que tu craignes que je parte. Je m’étais éloignée d’une question à peine, mais c’était déjà trop. Avant, jamais. Ils ont lentement coulé en moi le bronze du doute qui s’est peu à peu solidifié. D’un côté, de l’autre, ils me cernaient, ils me battaient à coups de on dit que, ils m’enfonçaient dans la peau ces tout petits clous acérés et fumants, je ne savais plus où me tourner, j’étais emprisonnée au milieu de leur ronde, ils se tenaient par la main autour de moi, pardonne-moi, il fallait que je me délivre, je n’aurais jamais dû t’en parler, pardonne-moi de t’avoir fait si mal, tu as cru que j’étais déjà dressée contre toi, que j’étais déjà repartie de l’autre côté mais ce n’était pas vrai, qu’est-ce que cela pouvait me faire, cela ne changeait rien entre nous, n’est-ce pas, rien ; bien sûr, cela aurait été douloureux un moment, il aurait fallu m’habituer à cette idée-là, que tu n’étais pas tout à fait comme les autres, mais qu’est-ce que cela aurait changé entre nous, si je ne l’avais jamais su j’aurais continué à vivre cette amitié sans autre ; cela n’aurait rien changé, tu serais restée ma mère, mon amie, ma confidente, ma seule manière d’aborder les êtres… Gabrielle, j’aurais continué à t’aimer comme avant, pas plus, pas moins. Bien sûr, j’aurais peut-être eu mal au début, il aurait fallu m’habituer à cette façon de te regarder, mais qu’est-ce que c’est, pourquoi sont-ils si grossiers, si aveugles, pourquoi veulent-ils absolument t’enfermer, te recouvrir de ce mot affreux, gluant, ma Gabrielle, ma douce, pardonne-moi d’avoir frappé si fort, c’est vrai, Gabrielle, c’est vrai ? Qu’est-ce que cela pouvait me faire, d’ailleurs j’ai trop insisté, mais il fallait que je sache, que je cesse de balancer dans cette incertitude, je déteste les médisances, ils me frappaient à chaque coin de rue, dans chaque pièce, en brandissant ces étiquettes, ils l’écrivaient dans mon café, dans ma purée, cette madame C. que tu connais, que tu vois si souvent, on dit que… ils étaient là, tous ensemble, un gros bloc de mastic collant, tous amis, le pacte de l’hypocrisie, ils pique-n*****t ensemble, ensemble ils se promènent, ils s’essuient le menton réciproquement, le vrai pacte de l’hypocrisie, ils étaient tous alignés à nous regarder, à nous toiser, j’ai eu peur, cette madame C., petite, on te met en garde, on dit que… les lèvres humides du paternalisme, la tape amicale sur l’épaule pour me rallier à eux, je m’éloigne du feu, je vais avoir froid, Gabrielle, j’ai eu peur, nous n’étions que les deux, les deux toutes seules en face de tous ; toi, tu es forte, tu as l’habitude, mais moi je suis si petite, si faible, j’ai eu peur, pardonne-moi, surtout quand leurs propos se sont précisés, le danger qui me guettait, le ghetto, cette femme, cette dévoyée, ce serpent coupable, vipère lubrique, l’hypocrisie guettant les innocentes jeunes filles, c’en était trop, il fallait que je sache, tu me comprends, je ne pouvais pas continuer comme ça, mais j’aimais ton rire hystérique, troublant, tes yeux par lesquels je pouvais tout voir, et ta voix coulant comme un sable chaud entre mes doigts, et ta chevelure de Styx, peut-être que je suis déjà damnée d’avoir regardé ta peau et de l’avoir trouvée belle, rassurante, et d’avoir aimé tes mains pour leurs nervures, d’avoir aimé tes mains dans mes cheveux, et la courbe tendre de ta nuque, et la légèreté de tes doigts contre ma joue. Oui, damnée, peut-être, ce serait trop beau, ça les embêterait, ils en feraient une tête peut-être est-ce trop tard, je ne sais pas, peut-être damnée de t’avoir reconnue comme ma force et ma sécurité, d’avoir envié ta sensibilité chaude et ce savoir qui coulait de toi avec ce naturel, presque un miel qui me nourrissait entièrement, c’est bête ces métaphores, ces images par lesquelles j’essaie à nouveau de t’approcher ; j’aurai donc tout appris de toi, même les pleurs ? Aujourd’hui je dis : tu es la mère que j’aurais tellement voulu avoir. Tiens, ma mère : il ne lui est jamais venu à l’idée que nous aurions pu être proches l’une de l’autre, elle et moi ; il y a mes petits frères, le ménage, la machine à écrire où se forment les sales romans de mon père, le marché, les thés avec les merveilleuses amies snobs et prolixes, les oiselles, mais c’est la seule distraction, ces mémères, parce qu’une femme doit se consacrer entièrement à sa famille, dussent la coquetterie et la féminité en souffrir je sais, je suis là pour grandir à côté d’elle, elle m’a faite pour cela, pour que je grandisse à côté d’elle, pour qu’elle puisse dire : ma fille, en me montrant, qu’elle puisse choisir mes petits vêtements, m’obliger à finir ses assiettes de soupe jusqu’à la dernière goutte, pour que je dise d’elle : ma mère, avec respect et vénération non aujourd’hui c’est trop tard. Le venin qu’ils m’ont injecté a certes paralysé mes membres, m’empêchant de les tendre vers toi, mais du même coup impossible de marcher vers eux. Aujourd’hui il est trop tard pour réfléchir à ça, je suis là, dans ma chambre, et j’écris, je t’écris un peu, c’est un peu pour toi que j’écris tout ça, c’est ma façon de pleurer ; pardonne-moi de t’avoir tourmentée, Gabrielle. Tout est leur faute : avec leurs sous-entendus, c’est entré en moi comme une obsession qui a déteint sur toi, cela ne serait jamais arrivé s’ils ne m’avaient poussée à bout, jamais auparavant tu n’as eu un geste, une parole… Une seule fois j’ai eu peur quand tu m’as regardée, nous étions au bord du lac à observer ces mouettes qui s’élançaient et retombaient en gerbes, ta main était posée sur mon épaule, et tout à coup j’ai ri, j’ai ri dans notre silence, alors ta main s’est crispée sur mon épaule, je n’ai plus ri, tu ne voyais pas le lac et les mouettes, tu me regardais étrangement, Gabrielle, ton regard m’a fait peur, mais cela n’a pas duré trois secondes, tu t’es mise très vite à parler de ce Marsac qui se permettait de désavouer les théories de Sartre sur Baudelaire… Je ne fais rien pour être vivante, je me rends bien compte que tout le mal vient de cette vérité que j’ai exigée de toi, je n’avais pas le droit. Si j’écris tout ça, ce n’est pas pour te faire affront, ni à moi ; c’est pour avoir plus de recul, pour ne pas être acculée irrémédiablement à ces événements, pour que la distance se fasse physique, sans rien déchirer ; et tout ce qu’elle déchire !

editor-pick
Dreame-Editor's pick

bc

Parce que tu es ma dame

read
2.3K
bc

Le fils du patron

read
156.5K
bc

La saga d'Aila - Tomes V à VIII

read
1K
bc

Le prix de ma cupidité

read
10.4K
bc

La mariée de substitution [Complété]

read
5.7K
bc

Âme sœur

read
3.2K
bc

Mon garde du corps ( Un peu trop sexy)

read
15.2K

Scan code to download app

download_iosApp Store
google icon
Google Play
Facebook