Chapitre 1

2601 Words
Chapitre 1 L’homme prénommé Karl m'accompagne à travers la forêt qui avoisine l'académie. Il est entièrement habillé d'un uniforme noir dont le tissu scintille de mille feux sous les rayons du soleil, lui donnant un air dangereux. Mon regard s'évade entre les arbres qui nous entourent, y cherchant une quelconque distraction. Malheureusement, tout reste plus silencieux que jamais auparavant, mis à part le régulier bruit de nos pas. Les feuillages verdoyants sont bercés par la douce brise printanière qui les traverse. Pourtant, aucun bruit ne naît de cette belle rencontre. La terre sous mes pieds commence à devenir de plus en plus sèche, créant des brèches ici et là. Je fais bien attention à ne pas me prendre les pieds dans ces dernières, tout en observant les branches en espérant y trouver un oiseau ou un écureuil. Toute vie semble avoir été ôtée de cet endroit coupé du monde, ce qui ne me rassure absolument pas.J'avale difficilement ma salive, tandis que les rayons du soleil transpercent les cimes des chênes, donnant une ambiance mystique à l'ensemble. On se dirige tout droit vers l'institut qui accueille ceux que je dois protéger avec ma vie, ceux auxquels j'appartiens à partir d'aujourd'hui. Ils ont été pris en charge ici, cachés loin de tous, pour être protégés contre les criminels envoyés par les actuels Alphas. Ces derniers sont les dirigeants de mon monde d’origine et ont peur que les jeunes issus d'une famille humaine, possédant le gène de l'Alpha, ne prennent leur place. La plupart des personnes quece gène habite ne le découvriront sûrement jamais, ce qui les rend inoffensifs. Cependant, ce minuscule danger en est déjà un de trop. Aucun loup-garou n'est prêt à prendre le risque de perdre ses terres respectives ! Quant à moi, je viens d’un monde complètement différent: celui des loups. Dans notre univers, les êtres les plus puissants sont les Alphas. Ils représentent les dirigeants des différents territoires comme les rois et présidents le sont sur Terre. Le rang juste en dessous est celui des Bêtas qui sont les conseillers de leurs supérieurs, un peu comme des ministres. Les Deltas sont les loups les plus aisés et les Gammas les plus pauvres. Tout ceci constitue une société quasiment identique à celle des humains. Dans une meute normale, les deux derniers rangs sont regroupés sous le nom d’Omégas. Malheureusement, tout a changé au fil du temps. Nous ne vivons plus dans les forêts comme auparavant, mais dans des villes et presque plus aucun loup ne fait partie des meutes. Ces dernières se sont peu à peu retirées face à l’inflation de la population de notre monde. Cependant, chaque meute qui a survécu possède une marque bien distinguée. La couleur et la forme de ces traits lumineux varient d’une zone géographique à une autre. Très peu de loups ont encore le courage d’être des membres de ces communautés ancestrales qui les obligent à rester toute leur vie au même endroit. Aujourd’hui, les jeunes souhaitent voyager, explorer et avoir leurs propres propriétés sans devoir obéir à de quelconques règles. En réalité, nous avons tout d'un être humain, bien que nous possédons un petit plus qui sommeille au fond de nous. Malgré notre différence, les cours d’histoire nous ont toujours enseigné le passé des humains en plus du nôtre, nous permettant d’apercevoir les similarités qui se tissent entre les deux. Après tout, notre société s'inspire des actes humains pour éviter que nous ne commettions les mêmes erreurs. Mon esprit revient à la réalité, me rappelant que je ne reverrais pas mon monde de sitôt. Dans cet univers, je serais logée dans le refuge pour les gardiens car, en plus de protéger les jeunes d'ici, on a pour mission d'en protéger un ou une en particulier. On doit s'intégrer et se fondre dans la masse pour ne pas s'attirer d'ennuis supplémentaires, chose en laquelle je suis assez douée. Personne ne doit découvrir notre réelle nature. Cela déréglerait le système entier qui a été instauré il y a bien longtemps. Cette machination ancestrale a pour but de tous nous protéger, de maintenir l'équilibre au sein de ce territoire coupé du monde des humains dans lequel il se trouve. L’étendue qui m’entoure appartient à leur univers, mais aucun être ordinaire n’en connaît l’existence. Les parents déposent leurs enfants ici, avant de les oublier pendant quelques années. Un champ magnétique qui entoure cette zone terrestre est à l’origine de cet étrange phénomène. Notre univers est séparé de celui-ci par un portail magique, permettant à tous ceux qui en connaissent l’existence de voyager entre les différentes dimensions. Ma ville natale était autrefois un petit village, mais les gratte-ciels ont fini par en envahir le paysage. Après tout, l’évolution de notre existence est très similaire à celle des habitants de la Terre. Nous avons juste quelques facultés surnaturelles en plus. Si, par malheur, un habitant de l’académie viendrait à découvrir tout ceci, alors le gardien à l’origine de la catastrophe sera sévèrement puni et l'étudiant subira une modification de mémoire. S'introduire dans les souvenirs des élèves est la tâche première des hommes comme Karl. Il vérifie de temps en temps ce que les humains pensent ou veulent. Cette idée me fait frissonner. Heureusement que cela ne peut pas être fait avec moi. Je suis une louve, et donc immunisée contre toute emprise extérieure. Mon cœur tambourine contre mes tempes, faisant crier mon crâne entier au secours. La tension se répand dans l'intégralité de mon organisme. Après tout, je vais également rencontrer mon protégé qui est censé me rendre ma liberté et me renvoyer chez moi, Dennis Krevers. Ils ne lui restent plus que quatre mois d'études ici, avant de devoir se débrouiller tout seul dans la société des humains. Quatre mois pendant lesquels je vais devoir le protéger au mieux. Espérons qu'il ne découvre pas son gène, car sinon je vais devoir prendre soin de lui encore bien plus longtemps. Tous genres de visages se pressent à l'intérieur de mon cerveau, laissant libre cours à mon imagination. En réalité, je me fiche pas mal à quoi il ressemble, mais cette rencontre improvisée fait partie du protocole que je suis obligée de suivre si je veux tenter d'alléger ma sentence au plus vite. J'ai toujours joué dans les règles, pourquoi ne le ferais-je donc pas cette fois-ci ? Ce qui me fait réellement peur, c'est la rencontre avec la fille dont je vais partager la chambre au refuge. Elle est venue ici volontairement et cela me rassure un minimum. Au moins, je ne me retrouverai pas avec une vraie criminelle qui pourrait me manipuler ou m'entraîner dans ses délires. “criminelle”. Me chuchote ma conscience. Ici, je ne suis pas plus qu'une délinquante qui a tout sacrifié pour sauver son frère. Et je recommencerai s'il le faut ! Le vent joue avec mes cheveux noirs comme l'ébène qui flottent élégamment autour de mon visage. D'immenses cernes, qui ne me sont absolument pas familières, se manifestent sous mes yeux d'un vert foncé. Mon teint pâle m'a toujours valu le surnom de "blanche neige" et attiré la convoitise et la jalousie de la plupart des filles depuis mon enfance. Au lycée, je faisais bien attention de ne commettre aucun faux-pas, histoire de maintenir ma réputation de louve parfaite. Pourtant, je me suis toujours sentie exclue, différente. Aucun jour ne passe sans que je n'envie les autres filles de mon lycée. Pourtant, tout était tellement différent lorsque j'étais petite et que mes gènes surnaturels ne s'étaient pas encore manifestés. *** Une petite voix m'appelle au loin, tandis qu'une paire de minuscules mains tente désespérément de me réveiller. Je me retourne en marmonnant quelques mots dont la signification m'échappe complètement. Je n'ai aucunement envie de me réveiller maintenant ! Je frappe lentement celui qui me secoue avec ténacité, ce qui fait trembler mon corps entier. Ma robe rose est complètement froissée à cause de mon profond sommeil, me donnant un air négligé. Finalement, je décide de me lever, impuissante face à la ténacité du garçon qui veut me réveiller au milieu de la nuit. Je sais pertinemment que c'est Kyle, mon frère, qui insiste pour que je l'accompagne dehors. Il veut regarder les étoiles comme il le faisait chaque samedi soir. Je souffle péniblement, avant de me frotter les yeux avec mes minuscules mains de la petite fille de onze ans que je suis. Mon regard, rempli de maturité malgré mon jeune âge, scrute le visage du garçon de dix ans avec lequel j'ai grandi. Ses petits yeux d'un brun intense contrastent parfaitement avec les miens qui sont d'un vert glacial et strident, et nos cheveux n'ont rien en commun non plus. Ses cheveux blonds, courts et bouclés sont le parfait contraire de ma longue chevelure noire qui me parvient jusqu'au milieu du dos. Je jette mes mèches en arrière, dégageant bien mon visage blanc qui était auparavant caché. Kyle a l'air tellement plus frêle et petit que moi qu'il n'en devient que plus mignon. Pourtant, il fait bien une demi-tête de plus que moi. C'est sûrement sa fine silhouette qui lui donne un air plus vulnérable. Je saute souplement de mon lit pour le rejoindre. Il se réjouit aussitôt de ma décision, m'attrapant la main avant de m’entraîner dehors, traversant la spacieuse cuisine d'un pas décidé et puissant. Il se retient de courir ou de sauter de joie à chaque nouveau pas qu'il fait, ce qui a le don de me donner un immense sourire. Kyle parvient toujours à me faire oublier mes soucis liés à l'école. Le monde des loups-garous est dur et il n'y a pas de place pour les faibles comme nous. La plupart de mes amies ont déjà vécu le réveil leurs louves, elles se sont manifestées lors de leur dixième anniversaire. Pourtant, rien n'est jamais remonté à la surface à l'intérieur de moi. Cela fait plus d’un an que je n'attends que ça, vivant dans l'ombre de ceux qui sont tellement plus puissants que moi. On s'arrête sous le ciel d'un bleu profond, parsemé de quelques délicates taches lumineuses qui m'ont toujours fait rêver. La lune lance son superbe éclat sur les feuillages des arbres qui entourent notre maison, m'émerveillant encore plus. Soudainement, Kyle commence à courir en direction de la forêt dans laquelle il ne tarde pasà disparaître. Je m'avance lentement vers celle-ci en rigolant face à son geste que je crois faire partie un jeu. Je l'appelle plusieurs fois, tout en le cherchant du regard. Face à son silence, je décide de m'engager dans la forêt à mon tour. Pourtant, je vois mon petit frère nulle part. Une immense panique s'empare aussitôt de moi, tandis que je commence à courir à mon tour, tout en l'appelant de multiples fois. Mes jambes toutes fines continuent de leur mieux ma course. Je m'arrête brièvement, hors d'haleine et au bord des larmes, tout en continuant à répéter inlassablement le nom de mon frère dans un élan de désespoir. Mes membres tremblent horriblement face à mes regrets. Ma mère m'a toujours dit de ne jamais laisser Kyle sortir tout seul, c'est bien trop dangereux maintenant qu'il a dix ans ! Son loup pourrait faire surface à chaque instant, mettant en danger tous ceux qui l'entourent. J'avance pendant encore quelques interminables minutes quand, tout à coup, une petite forme entre dans mon champ de vision, éclairée par les magiques rayons de la lune qui donnent un air mystique à l'ensemble. Je m'élance vers Kyle qui semble être paralysé face à un spectacle que je ne parviens pas à voir. Je ralentis lentement ma cadence en apercevant enfin l'immense bâtisse abandonnée qui accapare toute l'attention de mon petit frère. C'est un bâtiment composé de quelques compartiments tous différents, protégés autrefois par le grand portail rouillé qui a été forcé. Cela crée une minuscule ouverture à travers laquelle seul des enfants comme nous pourraient passer. Quelques-unes des fenêtres ont été brisées et condamnées, donnant un air effrayant à l'ensemble. Kyle attrape mon bras avec sa main toute faible et douce, serrant ses doigts autour de mon poignet, tout en pointant les pierres avec son index. — Alicia ! Je veux y aller! Me dit-il avec une grande conviction. Il me regarde avec son regard de chien battu. Pourtant, cette fois-ci, je ne cède pas, envahie par une peur bien trop importante pour pouvoir avancer. — Il se fait tard, on devrait rentrer. Mais on reviendra. Kyle me fixe pendant quelques secondes, avant de m'adresser son sourire le plus radieux et de se détourner de la bâtisse pour rentrer à la maison. Je le suis, jetant un dernier regard à l'endroit tellement mystérieux. Une terrible sensation de déjà-vu refait surface au plus profond de mon être. Comment se fait-il que personne n’ait jamais découvert cet endroit ? *** La nuit suivante, mes pouvoirs lupins se sont manifestés, transformant mon existence à tout jamais. J'ignorais si cela avait un rapport avec notre découverte ou non, mais je ne suis jamais retournée là-bas. Kyle était tellement excité que le souvenir même de cet instant me donne le sourire. Je secoue la tête, revenant à ma réalité. Après tout, je ne suis pas ici pour revenir vers le passé, mais pour avancer en direction du futur. Karl n'a pas prononcé un seul mot durant le trajet qui me semble durer une éternité. Les branches craquent sous mes bottes noires et abîmées que je n'affectionne pas particulièrement. Mes vêtements sont baignés de sueur et mes pieds font mal. Quelle entrée fracassante ! Tout aurait été tellement plus facile et pratique si on avait fait le trajet sous nos formes animales ! J'expire bruyamment face à mon interlocuteur qui reste muet. Son indifférence permanente a le don de m'agacer au plus haut point. J'ai abandonné tout espoir de conversation il y a bien longtemps de cela. Je voulais juste en apprendre un peu plus sur mon nouveau mode de vie ! Est-ce trop demandé ? Mes mains s'agrippent au tissu de mes vêtements, tandis que je tente d'oublier ma frustration. Mes yeux verts font de nouveau le tour du paysage qui s'étend en face de moi, pourtant tout reste flou. La vie semble avoir été retirée de cette grande forêt qui a l'air aussi mystérieuse que dangereuse. Je me demande bien comment on va pouvoir entraîner nos formes animales au beau milieu d'une académie d'humains, tout en les surveillant en permanence ! Je cogite profondément à propos de cette question lorsque, tout à coup, Karl s'arrête et me tend une tenue qui ressemble à un uniforme de lycéenne. C'est alors que j'entends sa voix grave et envoûtante pour la toute première fois. — Mets ça pour entrer dans l'enceinte de l'académie. Je le fixe pendant un petit moment, avant de tourner la tête en direction de l'académie qui se dresse devant nous, sans que je ne l’aie remarqué. J'étais trop perdue dans mes pensées pour pouvoir la voir. La brique rouge des immenses murs protecteurs de l’académie se présente à moi, ressemblant à une marée de sang. Cette idée me fait frissonner, tandis que mon regard suit les courbes du métal du portail d’entrée. Le bâtiment semble s’étendre à l’infini, me faisant légèrement stresser. — Va te changer. Me dit Karl sans le moindre tact. Je m'avance timidement vers la petite cabane en bois qui me servira à cela. Je vérifie que personne ne se trouve à l'intérieur, même si l'espace est assez étroit. On ne sait jamais. J’enfile rapidement la tenue bleu marine constituée d'une chemise blanche classique, une cravate et une jupe du même bleu, associée à des collants opaques et une paire de ballerines noires. Je ne nie pas que cela mette bien en valeur mes courbes féminines, sans pour autant en faire trop. Je ne voudrais pas me jeter trop de fleurs. Finalement, après m’être assurée que tout est bien en place, je sors de nouveau de la cabine. Mes sous-vêtements sentent la sueur, mais je vais devoir faire avec pour le moment. Karl laisse furtivement passer un regard intéressé sur mon corps avant de se reprendre. Cela me remplit de dégoût et me fait grimacer. Je crois bien que je le préfère muet et indifférent. Il m'escorte jusqu'à l'impressionnante entrée de la bâtisse, gardée par deux hommes armés. Ils ne m'adressent même pas un seul regard, concentrés sur quelque chose d'invisible. Le stress refait aussitôt surface, tandis que je franchis la porte de ma nouvelle maison dont je ne risque pas de sortir avant un petit moment. Qui a dit que cet endroit ne serait pas pire que la prison? Personne ne le sait. Dans tous les cas, tout ceci a le don de me donner une impression de déjà-vu. Si seulement ma vie n’était pas aussi compliquée…
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