Cover-2

2043 Words
Ma mère dépose une main sur mon épaule et l’autre sur mon bras. — Vient ma chérie, on va manger un morceau avant de commencer. Je suis ma mère dans le couloir menant à la cuisine et dépose nos affaires sur le plan de travail. — Elle a été vendue à une famille ? demandé-je, en sortant la nourriture du sac. — Oui, un jeune couple avec deux enfants. Ils souhaitaient s’éloigner de la ville et avoir un jardin. — Super. C’est une maison familiale, ajouté-je, tristement. — Je sais combien tu aimes cette maison, Beth. Je suis désolée que personne ne puisse la garder dans la famille, mais tu peux récupérer tout ce que tu trouveras dans le grenier. Ta grand-mère n’avait pas beaucoup d’affaires, mais elle gardait tout ce qui comptait à ses yeux dans son grenier. Tu y trouveras ton bonheur, me dit-elle, en souriant. Ma mère me regarde avec amour. Je vois en elle les traits de ma grand-mère. Sa perte a été une épreuve pour moi, mais je n’imagine certainement pas la douleur que cela a pu être pour elle. Je hoche de la tête tout en continuant mon déballage, je tends son repas à maman avant de partir m’installer dehors. Nous prenons place sur le porche. Assises à même les escaliers. Je profite une dernière fois de la magnifique vue sur le jardin, que mon grand-père a si ardemment travaillé pendant des années. Il y a encore les arbres fruitiers qu’il avait plantés si durement. Avec mes cousins, nous l’avions aidé à mettre en terre les petites graines qui ont donné d’immenses arbres. Tous les étés, nous profitions des récoltes avec différentes tartes et confitures. J’ai aimé mon enfance dans cet endroit. Je regrette juste que ma future famille ne puisse pas connaître ce même bonheur. Une fois terminés, nous rangeons nos affaires et montons à l’étage pour sortir les cartons de la chambre de mamie. Deux heures plus tard, tout est rangé et les quelques boîtes qui restent sont emballées dans le coffre de la voiture. Nous montons ensuite au grenier afin de voir ce que nous pouvons récupérer. — Je pense que les cartons de vaisselles peuvent rester là, non ? À moins que tu ne veuilles les récupérer ? m’interroge maman, à l’autre bout de la pièce. — Non, tu as raison, laissons-les ici. Ça pourra servir aux nouveaux propriétaires. Je me promène dans l’immense pièce. Venir ici petite, me plaisait tellement. Farfouiller dans la poussière, me cacher derrière les malles, jouer à la princesse parmi les robes de soirée de mamie. Mon cousin et moi nous nous amusions à cache-cache dans la maison. Elle regorge de millions de cachettes. Je suis sûre que les enfants qui vont vivre ici sauront trouver ces petits endroits que nous affectionnions autrefois. Après plus de cinq minutes de recherches, je tombe sur une grosse malle au fond du grenier. Coincée entre plusieurs cartons et des tonnes de poussières. Mes yeux se posent sur un vieux tissu derrière moi, je l’attrape et déplace les cartons qui bloquent l’accès à la malle. Elle est très belle, ancienne comme je les aime. Je n’ai jamais vu ma grand-mère près de cette œuvre d’art et je suis curieuse de savoir ce qu’elle contient. Je dépoussière un peu le dessus et pose mes genoux au sol en soulevant le couvercle. Il est bien lourd d’ailleurs. Ma mère me rejoint au moment où je commence à fouiller à l’intérieur. — Tu as trouvé quelque chose qui te plaît ? me demande-t-elle. — J’ai trouvé ce coffre dans le coin et je suis curieuse de savoir ce qu’il y a dedans. Ma mère prend place à mes côtés et regarde ma chasse au trésor. J’en ressors plusieurs tas de papiers jaunis par le temps. Des coupures de presse, des vieux journaux tout abîmés. Je pose tout sur le sol à côté de moi afin de m’assoir correctement pour feuilleter tout ça. — Tu sais ce que c’est ? demandé-je à ma mère, en lui montrant les journaux. Elle me prend le document des mains, tourne les pages en fronçant les sourcils. — Je dois bien avouer que non. Je n’ai jamais vu ça de ma vie. Et surtout, je n’ai jamais vu ma mère écrire dans un de ces cahiers. Je prends le paquet de feuilles à mes pieds et, défaits la petite corde qui les maintient ensemble. Ce sont des lettres… — Ce n’est pas l’écriture de mamie, dis-je en tournant les lettres. — Non, effectivement, confirme-t-elle. — Ça vient d’un homme, affirmé-je, en tournant les lettres. — Ça date de quand ? — Apparemment de l’été 1944. — Pendant la guerre ? s’interroge ma mère. — Il faut croire. De qui peuvent bien être ces lettres ? — Voyons voir un peu ça. Nous nous installons confortablement sur un petit divan de l’autre côté de la pièce et commençons notre remontée dans le passé. CHAPITRE 3 — Dis maman, mamie et papi se sont bien rencontrés après la guerre, non ? — Hum, non juste un peu avant la fin, il me semble. Pourquoi ? dit-elle, en fouillant dans la malle. — Eh bien parce que toutes ces lettres datent de 1944, et ne sont pas signées du prénom de papi, réponds-je, perplexe. — Quoi ? s’exclame-t-elle, en me prenant les lettres des mains. Toutes lettres viennent en grande partis des Etats-Unis et d’Angleterre, pendant le mois de juin 1944, peu avant le débarquement en France. Elles sont signées par un certain James Smith. — Tu le connais ? la questionné-je, en lisant une lettre. — Non, pas que je me souvienne, en tout cas. Du moins ma mère ne m’en a jamais parlé. Donne-moi ça ! Je tends une lettre à ma mère, tandis qu’elle en commence la lecture. « Ma douce Mary, J’espère te trouver en bonne santé, et que la chaleur ne t’étouffe pas trop dans notre belle Louisiane... Ici, le temps est mauvais. Nous nous entraînons beaucoup. La préparation bat son plein. Je ne peux rien te dire de plus, mais sache que je pense beaucoup à toi. Ne t’en fais pas pour moi... Je te reviendrai bientôt, mon amour... Garde-moi une place auprès de toi, sous notre arbre... Tendrement et avec tout mon amour, James. » Oh ! Une lettre d’amour… Toutes les autres sont dans le même ton. Des déclarations d’amour. Elles sont datées de juin 1944 et proviennent toutes d’un coin perdu en Angleterre. Elles racontent l’horreur de la Seconde Guerre mondiale. — Tu étais au courant qu’elle avait eu quelqu’un avant Papi ? Ma mère ne répond pas. Regardant, retournant et feuilletant chaque lettre qu’elle trouve dans la malle. Elle les étale par terre et observe sans dire un mot. — Maman ? insisté-je. — Oui, pardon, ma puce. Je suis juste surprise. Je pense qu’on a besoin de découvrir ce qu’est tout ça. Nous n’avons plus ta grand-mère. Alors on va embarquer tout le contenu de la malle et on jettera un œil à la maison. Le tas de lettres est embarqué aussi rapidement, quelques autres trucs dans le fond rejoignent le petit amas. Nous redescendons dans la cuisine afin de tout fermer. Je range le paquet de lettres dans mon sac et nous finissons les quelques cartons qui traînent. Après avoir terminé d’emballer les affaires restantes. Je refais le tour de la maison, une dernière fois, afin de vérifier que nous n’avons rien oublié. Je termine par le grenier où je range les quelques trucs que nous ne prenons pas. J’essuie une larme en passant par la chambre de ma grand-mère. Un souvenir me revient en mémoire. Je cours de partout dans la maison, étant à la recherche de Mamie. Elle commence à vieillir et a du mal à se déplacer dans sa grande maison. J’arrive en courant devant la porte de sa chambre grande ouverte. Mamie est assise dans son fauteuil devant sa fenêtre. Quand elle m’entend arriver, elle ferme un carnet noir et le range dans sa commode, près de son lit. Elle s’approche de moi et caresse mes cheveux en me souriant. — Ça va, ma puce ? me demande-t-elle. — Oui. Tu faisais quoi, mamie ? — Oh, rien, dit-elle, en jetant un œil dans sa chambre. — D’accord. Mamie est tellement belle. Elle pose un b****r sur le haut de ma tête, me propose de boire une limonade et de faire des cookies. En grande gourmande que je suis, j’acquiesce immédiatement et la suis dans la cuisine. Ce petit moment me fait sourire. Il m’est arrivé, souvent de la voir les yeux dans le vide, sans jamais savoir ce à quoi elle pouvait bien penser. C’est maintenant que ce souvenir me revient, et oui, elle était bien en train d’écrire dans un carnet noir. Par simple curiosité, je me dirige vers la commode et ouvre le tiroir. Je suis surprise de trouver plusieurs photos des membres de la famille. Ma mère, mon oncle, moi et mes cousins, bien sûr. Plusieurs photos d’elle et mon grand-père, notamment le jour de leur mariage. Ils sont tellement beaux ! En farfouillant dans le fond du tiroir, j’en extirpe le fameux carnet de mes souvenirs. Je l’ouvre et y découvre des pages noircies par ma grand-mère. C’est un journal intime. Je m’installe sur le lit et lis la première page. « La douleur est toujours immense… Déjà quelques années que tu ne fais plus partie de ce monde. J’ai souvent imaginé ce qu’aurait pu être notre vie si tu étais revenu de cette f****e guerre. J’ai avancé. Je t’avais promis de tout faire pour ne pas me laisser abattre s’il t’arrivait quelque chose. Je n’ai que ces carnets pour te parler. Te raconter ma vie et te dire que tout va bien. Luke prend soin de moi. Nous sommes heureux et un petit garçon est venu agrandir la famille. J’ai honte de penser à nous, à nos enfants… La vie que nous aurions pu mener ici. Tu aurais dû revenir. Tu m’avais promis de revenir. » Ce passage date de la fin des années quarante. J’essuie une larme en finissant de lire ce passage douloureux. Ce sont tous des messages adressés à cet homme. Toutes des lettres non envoyées à un homme disparu. Je décide donc de prendre le carnet avec moi et embarque également toutes les photos présentes dans le tiroir. Inutile qu’elles jaunissent et prennent la poussière. Je regarde la pièce une dernière fois et referme la porte derrière moi. Je rejoins ma mère dans le hall d’entrée, qui tient dans ses bras, un dernier carton. — Tout va bien, ma puce ? — Oui, j’ai découvert un journal intime dans sa chambre. — Ah bon ? s’étonne-t-elle. — Elle parle à cet homme. Ce James. Je suis curieuse de savoir ce qu’il s’est passé entre eux. — Il y avait d’autres carnets dans la malle, j’ai tout pris et ai tout mis dans ce carton. Tu peux le prendre chez toi et tu me diras ce qu’il en est. Je remercie ma mère d’un signe de tête. Elle sort et se dirige vers la voiture. Ma main s’abat sur les interrupteurs de l’entrée, toute la maison replonge dans le noir. Mes yeux jettent un dernier coup à ce hall d’entrée, cette bâtisse vide de toute vie. Je respire une dernière fois l’odeur qui s’en échappe et ferme la porte. Un sourire naît sur mon visage, quand je repense à ma grand-mère. Elle a toujours été une forte nature, un caractère de cochon. Trait de caractère dont j’ai hérité, d’ailleurs. Ce qui la caractérisait surtout, c’était son âme généreuse et son cœur immense. J’ai toujours senti une pointe de tristesse quand elle ne parlait pas. Souvent la tête dans les nuages ou un voile impassible sur son visage. Je la surprenais quelquefois avec une tristesse indescriptible. Je comprends maintenant que son cœur était tourmenté. Je prends place dans la voiture, aux côtés de ma mère et regarde une dernière fois l’immense bâtisse sous nos yeux. — Tu es prête, ma puce ? me questionne ma mère. — Oui, réponds-je, à contrecœur. Je ne quitte pas le porche des yeux, pendant que la voiture démarre. — Je sais combien c’est dur pour toi, Beth. — Je n’ai jamais pensé qu’on puisse, un jour, vendre cette maison, avoué-je, le cœur au bord des yeux. Serrant le carnet noir contre moi, je me promets de découvrir ce qu’il contient et, par-dessus tout, comprendre ce qu’il s’est passé pendant cette guerre ! Pourquoi ma grand-mère n’a-t-elle pas fait sa vie avec cet homme, qui apparemment, était très important pour elle ? Pourquoi a-t-elle fini avec papi, s’il n’était pas l’amour de sa vie ? CHAPITRE 4 Entourée de tous les carnets, je feuillette toutes ces pages noircies par le temps. L’impression d’avoir loupé un truc dans la vie de ma grand-mère me dépasse. Je relis toujours les mêmes lettres, ne comprenant pas comment nous n’avons pas vu tout ça avant. Ayant passé des années à courir à travers les couloirs de cette maison, rien ne m’a jamais percuté. De toute manière, comment aurais-je bien pu m’apercevoir de quoi que ce soit ? Ma relation avec mamie était fusionnelle, autant qu’elle peut être compliquée avec ma mère. Encore empêtrée dans mes souvenirs, c’est la sonnette de la porte qui me ramène à la réalité. Je me lève difficilement, ne prenant même pas le temps de ranger quoi que ce soit. Ce doit être Leo qui a dû perdre encore une fois ses clés. J’ouvre rapidement et reste dans l’entrée pour l’accueillir.
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