Incandescentes Résurrections

Isis Je ne sais pas grand-chose de la vie… A vrai dire, je crois que je ne sais même rien. La seule chose que j’ai apprise, c’est qu’il y a deux genres d’êtres humains… Ceux qui sont prêts à tout pour survivre, et les autres… Ceux qui meurent. Ici, ils m’appellent Isis, et d’après mon expérience, je peux affirmer que la deuxième catégorie n’a pas l’espérance de vie la plus longue. Nous étions une vingtaine au début… Parquées dans ce petit espace sombre et clos… Puis au fil du temps, notre nombre a diminué. Pour survivre, il faut respecter leurs règles, ne pas crier, ne pas pleurer, ne pas parler, ne pas être. Nous ne sommes plus que trois. Trois corps dans le noir poussiéreux et étouffant. Trois corps abandonnés dans le néant silencieux de cette cave sèche depuis trop longtemps. Tout est terriblement calme depuis des jours, des bribes de conversations se font encore entendre rarement, mais plus personne n’est venu nous voir. Hakim ne m’a plus rendu visite depuis plus longtemps encore, je le sais parce que la dernière fois où j’ai eu faim à ce point était aussi la dernière fois où j’ai résisté, et j’ai cessé tout cela depuis un temps que je ne peux pas mesurer. Ils ont déserté les lieux, laissé quelques hommes et nous ont abandonnées. Je cherche la main de la fille qui est la plus proche de moi. Quand nous sommes arrivées ici, nous tentions de communiquer les unes avec les autres, mais ils nous l’ont très vite interdit. Lorsque les ordres n’étaient pas respectés, ils nous tiraient dessus et laissaient les corps se décomposer dans la pièce. D’autres ont été lapidées, ils nous alignaient nues face à la condamnée et la criblaient de jet de pierres jusqu’à ce qu’elle s’écroule ensanglantée, terriblement mutilée, après avoir hurlé et supplié pendant une durée insoutenable. Personne ne m’a jamais parlé dans ma langue ici… Je ne sais plus ce que cela fait de l’entendre… Tout est toujours dans ma tête. Des souvenirs tellement lointains qu’ils me semblent n’avoir été que rêves éphémères. Tous ces efforts pour rester en vie, chaque minute jusqu’à l’interminable… Toujours lutter sans savoir pourquoi… Tout cela pour me conduire ici, où tout va s’arrêter alors que malgré tout ce que mon âme s’est accrochée à mon corps, la destinée et l’inévitable me rattrape. Ma gorge est cendrée de poussière, mes lèvres si sèches qu’elles restent collées si j’essaye de les humecter… Je trouve la main que je cherchais sur le sol de terre battue et tente de la presser alors qu’elle est toute molle mais encore chaude. Ce simple contact me rassure dans l’accueil glacial de la mort, je ne suis pas toute seule… Mais je ne suis pas prête… Elle remue légèrement un doigt pour me dire qu’elle est toujours là… La faim, la soif, l’épuisement ont raison de moi et je m’endors. J’ai l’impression que c’est le moment, la fin arrive jusqu’à moi alors que des voix graves se font entendre dans la langue que je reconnais dans ma tête. Les anges viennent me chercher… Une source de lumière vive m'éblouit lorsque la porte de bois délabrée est dégondée dans une explosion étouffante de poussière. L’instant d’après, la pièce se remplit de grands corps en mouvements dont je ne distingue que les silhouettes noires balayées de rayons lumineux aveuglants qui se braquent partout dans la pièce aux murs terreux. Des pas lourds résonnent près de mon corps, ils sont trop nombreux pour qu’on puisse tous les servir, je n’ai même pas la force de me tourner sur le dos. Je sens le contact chaud de doigts contre ma gorge et une voix forte et grave. - Elle est vivante. - Elle aussi. - Pas celle-là, James, Marlon, remontez-les, Adena… Oui, on les a, on procède à l’extraction. Je sens quelque chose être jeté sur moi et mon corps se décolle du sol sans délicatesse alors que ma main quitte celle de la seule personne à qui je pouvais me raccrocher ces derniers temps. On me transporte à travers les souterrains de terre et on prend des escaliers. L’homme qui me tient contre lui semble très fort, ses habits font un bruit étrange qui ne correspond pas à ce que j’ai eu l’habitude d’entendre dans les froissements de tissus des vêtements que ceux qui nous visitaient portaient. Il fait aussi noir à l’extérieur que dans le cachot, et l’atmosphère est tout aussi lourde, j’ai du mal à respirer… Ma poitrine est horriblement douloureuse et râle péniblement à chaque fois que j’essaye d’inspirer. On finit par me déposer par terre sous de puissantes lumières blanches, j’entends des moteurs qui grondent. Je suis enveloppée d’un tissu et j’ai très chaud, mais je manque tellement d’eau que je ne transpire pas. Je tousse, je n’arrive plus à respirer… - Laisse tomber, elle va tout vomir si tu lui donnes ça… - C’est que de l’eau… - J’ai l’habitude, perf, tension, pouls… Je sens qu’il se passe des choses autour de moi, on s’agite, on m'enroule quelque chose qui gonfle autour de mon bras, quelque chose qui pince mon doigt, j’entends des bips rapides, étranges, puis une pression m’envoie une décharge douloureuse dans le bras. - Elle c’est bon, je l’endors on la met dans le camion, James, pose-là ici. J’écoute les voix des anges s’éloigner, ils partent et m’abandonnent, je suis toute seule dans le noir et je m’efface malgré ma lutte.