Cover-3

2086 Words
Son sourire est communicatif, ce qui me détend. C’est vrai qu’il a l’air sympathique. Je me rends compte que j’ai peut-être été un peu dure avec lui. — J’aime ce joli sourire, il a plus sa place que les larmes de tout à l’heure. Je baisse les yeux, intimidée par son compliment et l’intensité du bleu de ses iris. — Alors, ce verre, on se le boit ? me demande-t-il. La fatigue et les émotions cumulées ont eu raison de moi. Je rêve de retrouver mon lit. Je décline gentiment sa proposition, avec une légère pointe de culpabilité. — Si tu refuses de boire un verre avec moi ce soir, alors tu es quitte pour un resto demain soir, annonce-t-il sans se départir de ce petit sourire en coin que je commence à trouver craquant. Je fais mine de réfléchir quelques instants. C’est un homme qui me paraît bien, avenant, plutôt pas mal je l’avoue. Qu’est-ce que je risque après tout ? Et puis, peut-être que ça me fera du bien de voir de nouvelles têtes après avoir hiberné quelques semaines, enfermée dans ma douleur. J’accepte sa proposition avec plaisir et je lis sur son visage comme un air de soulagement, qui me fait sourire. Le rendez-vous est pris pour le lendemain, vingt heures, devant un petit resto italien que je ne connais pas. Il est trois heures du matin quand je rentre chez moi, troublée par les émotions de cette soirée, toutes plus contradictoires les unes que les autres. Je suis sortie pour m’aérer l’esprit, ne plus penser à ce chagrin qui me déchire le cœur depuis le départ de Davis. Mais voilà que tout me le rappelle sans arrêt. Le lieu, la chanson de Sven, les paroles maladroites de Mélanie et du serveur. Comment sortir de cette souffrance intense quand elle vous revient comme un boomerang en pleine face, à chaque instant ? Qu’elle vous tiraille sans arrêt, vous déchire le cœur et l’esprit. Tant de larmes versées pour un amour à sens unique, un amour qui aurait pu être plus fort. Je dois avancer malgré tout, vaincre cette torture qui m'enchaîne. Je dois, oui, mais je ne suis pas certaine d’en avoir la force. 2 Par chance, je trouve une place proche du lieu de rendez-vous. Le temps est orageux en cette fin septembre. Je supporte aisément ma petite veste prune, assortie à ma robe dans le même ton. J’ai un moment d’hésitation quand je vois Vincent qui vient d’arriver et qui m’attend juste devant l’entrée. Ce n’est pas le moment de reculer, Lucie. J’ai tergiversé toute la journée. J’ai eu souvent envie d’annuler mais je n’ai pas son numéro et je ne suis pas du genre à poser un lapin. Je jette un dernier coup d’œil à mon look dans le rétro puis me décide enfin à sortir de la voiture pour le rejoindre. Le magnifique sourire qu’il arbore en me voyant fait tomber toute l’appréhension que j’avais jusque-là. Je m’avance vers lui timidement, emmitouflée dans ma veste pour me protéger du vent qui se lève. Arrivée à sa hauteur, il se penche instantanément sur moi en posant ses mains sur mes épaules pour me faire la bise. J’ai eu peur l’espace d’un instant qu’il m’embrasse. Il faut que je me calme ! Il me fait entrer rapidement à l’intérieur du restaurant avant que le ciel ne nous tombe dessus. Une jeune femme blonde vient nous accueillir et s’adresse à Vincent. — Comme d’habitude ? — Oui. Je le regarde, lui faisant les gros yeux. Alors comme ça, il emmène toutes ses conquêtes ici ? Cette idée ne me plaît guère et ne m’aide pas à me mettre à l’aise. Vincent a dû sentir ma réticence, car il se tourne vers moi pour me souffler dans l’oreille : — Je viens régulièrement ici, c’est un endroit que j’aime beaucoup. Mais habituellement, je suis seul. Je souffle de soulagement. En fait, je ne me suis pas rendu compte que j’étais autant crispée. Et alors, qu'est-ce que ça peut te faire ? La serveuse nous indique notre table. Je suis surprise quand je sens Vincent m’attraper la main pour m’y conduire. Sa poigne est ferme et douce à la fois, le contraste est saisissant. Ma main est toute fraîche dans la sienne. Nous nous installons, puis j’en profite pour faire connaissance avec les lieux. L’endroit est plutôt charmant, aux couleurs de l’Italie. Des images de Venise et Rome parsèment les murs tandis qu’une musique à consonance italienne résonne en fond. Sur chaque table ronde est disposée une bougie ainsi qu’une rose, complétant un décor romantique. C'est vrai que l’ambiance ici est chaleureuse. — Tu es ravissante, me dit Vincent, charmeur. Je murmure un timide merci. Je ne sais pourquoi, je n’ose pas affronter son regard océan. Quelque chose me trouble. Mais je ne vais quand même pas passer la soirée à regarder mon assiette. Non seulement c’est insensé, mais en plus il va me prendre pour une folle ! La serveuse arrive pour nous amener les menus. — Tu es toujours aussi timide ? me demande Vincent, rompant le silence qu’il y avait entre nous. — Oui, c’est mon plus grand défaut, lui avoué-je avec une petite grimace. Il se penche vers moi au-dessus de la table, comme pour me dire un secret. Je peux quasiment sentir son souffle sur mon visage. — Entre nous, je trouve ça trop mignon. Et puis, j’ai le même défaut. Je le regarde, interloquée. Lui, timide ? Je n’y crois pas une seule seconde. — Ne te fie pas aux apparences, Lucie. Derrière cette facette de mec sûr de lui et farceur se cache une grande timidité. C’est pour ça que j’ai été aussi maladroit avec toi hier. Il affiche un petit sourire que je trouve hyper craquant. Ses yeux sont d’un bleu parfait, avec un magnétisme envoûtant. C’est vraiment un bel homme, qui dégage un je ne sais quoi de perturbant. Tout au long du repas, je me détends peu à peu. Vincent arrive même à me faire rire. Par contre, j’éprouve toujours des difficultés à le regarder en face plus de quelques secondes. Je sais que c’est ridicule, je n'arrive pas à définir la cause de ce trouble. Nous parlons de tout et de rien en dégustant des spaghettis à la bolognaise, la spécialité de la maison. Elles sont vraiment délicieuses. Je commence à apprécier la compagnie de Vincent et j’ai subitement envie d’en savoir plus sur lui. Il m’apprend d’ailleurs qu’il a vingt-sept ans, qu’il travaille depuis deux semaines à l’Opium en attendant de trouver une place dans un palace, pour devenir maître d'hôtel. Par contre, il reste assez évasif sur son passé. À mon tour, il me pose des questions sur ma vie, mon métier, mes passions. Je lui réponds avec plaisir. Tant qu’on n’aborde pas de sujet douloureux. — Et… commence-t-il avec une certaine réserve. Pas de petit ami ? Ma fourchette reste en suspens entre l'assiette et ma bouche puis mon sourire disparaît. Qu'est-ce que je viens de dire ? Je ne voulais pas qu’on parle de ça, tout se passait bien jusqu’ici. Mon cœur se serre, tandis que les mots restent bloqués dans ma gorge. Je fixe mon assiette, comme si celle-ci allait m'apporter une réponse. Comment lui expliquer ma relation avec l'homme que j'ai aimé, mais qui a préféré partir loin de moi, tout abandonner ? Qu'il a emporté mon cœur et mon amour avec lui ? Je ne me sens pas capable d'aborder le sujet. Je ne veux pas revivre ce souvenir que j’essaye d’enfouir au plus profond de moi pour continuer de supporter la douleur de son absence. Alors je lui réponds simplement, le regard baissé : — Non, murmuré-je. Mais je préfère ne pas en parler. Je m'empresse d'enfourner ma dernière bouchée, pour couper court à cette conversation, avant qu'il ne me pose d'autres questions. Dans un geste inattendu, il attrape ma main posée sur la table, qu’il caresse de son pouce dans un mouvement circulaire et apaisant. — J’ai touché un point sensible, n’est-ce pas ? Bon sang, on ne peut pas changer de sujet ? J’acquiesce d'un mouvement de tête avant de porter mon regard sur notre contact. J’ai envie de retirer ma main mais je ne bouge pas, me laissant bercer par la tendresse de ce geste. Vincent fronce les sourcils en regardant sa main sur la mienne pendant que sa mâchoire dessine un visage plus dur, presque fermé. Il semble contrarié, et reste un moment silencieux avant de rajouter : — Celui qui t’a brisé le cœur n’est pas un homme. Je lui lance un regard noir tandis qu’il réplique, tout en continuant sa caresse sur ma main. — Le cœur d’une femme est fragile, précieux. Il faut savoir en prendre soin. Ces paroles sont belles et touchantes. C’est étonnant, mais j’ai presque l’impression qu’il lit dans mes pensées. La serveuse arrive et nous coupe dans cet échange devenu oppressant. Elle nous apporte l’addition, que Vincent s’empresse de régler, en gentleman qu'il est. Lorsque je me lève, il se précipite pour m’aider à remettre ma veste. Ça me fait sourire. Combien d'hommes font ça de nos jours ? Ma peau frissonne quand ses doigts frôlent volontairement mes bras et mes épaules. Je peux jurer l’avoir entendu respirer le parfum de mes cheveux. Et le regard qu’il me lance quand je me tourne vers lui est puissant, presque enivrant. Vincent m’accompagne jusqu’à ma voiture, me tenant délicatement par le bras. Dehors, le temps s’est dégagé et radouci malgré une petite bise toujours présente. Ni l'un ni l'autre n'échangeons un seul mot durant ce court trajet. J'ouvre ma voiture lorsque je sens dans mon dos que Vincent est tout près de moi. — Tiens, voici mon numéro. J’ai passé une belle soirée en ta compagnie. J’aimerais beaucoup te revoir, si toutefois tu en as envie aussi. Sa voix est devenue plus sérieuse, voire trop sérieuse, ce qui a le don de m’effrayer autant que de m’attirer. Je prends le morceau de papier jaune qu’il me tend. Quand je relève la tête, je tombe sur deux prunelles d’un bleu intense, juste au-dessus de moi, qui semblent sonder mon regard puis mes lèvres. Envoûtant, je me laisse porter par le charme que cet homme dégage. Sa main vient replacer une mèche de cheveux derrière mon oreille puis la laisse glisser le long de ma joue dans une tendre caresse. Je peux sentir son souffle chaud, proche, très proche de mon visage. Dans la seconde qui suit, il dépose ses lèvres sur les miennes. Un b****r d’une douceur inconnue, qui me fait frissonner de la tête aux pieds. Je ferme les yeux, profitant du moment présent. À cet instant, j’oublie tout. — Appelle-moi, me glisse-t-il dans l’oreille avant de s’en aller. Je mets quelques secondes à réaliser ce qui vient de se produire puis je monte en voiture et démarre, encore troublée par l'effet qu'il a sur moi. J’aime la douceur et la galanterie de cet homme, plus que je ne le devrais. En rentrant chez moi, une sensation étrange m’envahit. J’enfile ma chemise de nuit puis me pose dans mon lit, songeuse, faisant défiler dans ma tête le cours de la soirée. Je souris toute seule dans la pénombre. Malgré la gêne du début, j’ai passé un très bon moment. C’est pile ce qu’il me fallait. Je décide d’envoyer un petit texto à Vincent : « Merci pour cette soirée, j’en avais besoin. Bonne nuit. Lucie. » La réponse ne se fait pas attendre. « Tout le plaisir a été pour moi, ma belle. J’ai hâte de te revoir. » Mon cœur réagit dans un léger sursaut face à ce gentil message. C’est vrai, j’ai passé une excellente soirée, empreinte de douceur et de joie. J’ai réussi l’espace de quelques instants à retrouver ma bonne humeur et une impression de légèreté. Son b****r était tout à la fois sensuel et chaste, mais avec un appel à recommencer. C’est très perturbant. Cependant, je ne sais pas si je suis prête à partir dans une autre relation. N'est-ce pas un peu tôt ? « Il faut soigner le mal par le mal. » disait Mélanie. Si je l’écoutais, il faudrait que je me tape tous les mecs de la ville pour oublier Davis. Elle est déjantée. Ce n’est absolument pas mon genre et ce n’est tout simplement pas possible. J’ai besoin de vibrer, de ressentir pour me donner à un homme. Et le b****r de ce soir m’a fait frissonner, plus que je ne l’aurais voulu. Je sais que Vincent l’a ressenti lui aussi. Un b****r aussi doux qu’une caresse, aussi léger qu’une plume. Il ne m’a clairement pas laissée indifférente. Ses magnifiques yeux bleus m’ont charmée ainsi que son humour, sa galanterie ont fait le reste. Oui, peut-être devrais-je lui donner une chance, qui sait ? Je me love dans mes draps et mon sourire disparaît en une fraction de seconde lorsque j’aperçois la photo de Davis. Je l’avais posée sur ma table de chevet pour pouvoir m’endormir en rêvant de lui, comme on dresse un autel pour prier. J’en ai passé des heures à pleurer, à genoux au sol, priant en silence pour que la vie le ramène à moi. Je sais maintenant que c’est impossible, pourtant, un sentiment de culpabilité prend possession de mon esprit, une sensation de l’avoir trahi me noue la gorge. En tremblant, je prends le cadre dans mes mains puis je trace les contours de son visage sur papier glacé. Je le revois, debout, son corps emprisonnant le mien, brûlant de désir. Je donnerais cher pour pouvoir le sentir vivant sous mes doigts, caresser cette petite barbe de trois jours, qui lui donnait un air séducteur. Je me damnerais pour l’entendre me crier ce qu’il ressent pour moi. Ces trois petits mots que j’ai cru lire dans son regard, dans chacun de ses gestes, mais que je n’entendrais jamais…
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