Chapitre 3

2801 Words
*** flashback*** Nous étions en mars, le 21 plus précisément. C'était la fête du printemps, que la ville organise chaque année. Il y a des stands de jeux, de boissons, de bonbons, de gaufres et de crêpes, et même quelques manèges pour l'occasion. Il y a aussi le concours de la meilleure tarte pour les mères de famille, et celui de la plus belle robe de printemps pour les jeunes filles. Nous devons la créer nous-même et apporter le carnet de conception pour preuve à l’appui. Cette année, la maman de Benoît m'avait aidé à la création de ma robe. Je voulais vraiment que ce soit la plus belle, à ses yeux à lui du moins. Je lui en faisais la surprise pour notre anniversaire. Cette année, nous fêtions nos deux ans ensemble, et c'était à la fête du printemps que nous nous étions rencontrés deux ans plus tôt. À cette époque, il venait d'avoir 15 ans, moi, je ne les avais pas encore, nous les avons fêtés ensemble au mois de mai suivant. Entre nous, ça a été le coup de foudre immédiat. Je ne saurais comment l'expliquer. On s'est vu, il m'a invité à danser, et le monde s'est évanoui. Après cette soirée, rien n'était plus important à nos yeux que d'être ensemble. Nous n'étions pas dans la même classe, mais dans le même collège, oui. Donc, nous pouvions nous retrouver dès que possible. En septembre de la même année, nous avons eu la joie de découvrir que nous étions dans la même classe. Nous avons été encore plus fusionnels et c'est devenu quasiment impossible de nous séparer si nos parents souhaitaient éviter sa mauvaise humeur et ses coups de gueule de son côté, et mes crises de larmes de mon côté, sans compter le téléphone toujours indisponible vu que l'on compensait notre séparation momentanée en se téléphonant des heures entières. Ça n'a pas duré plus d'un mois et demi, puisque aux vacances suivantes, celles d'Halloween, nos parents se sont rencontrés et se sont mis d'accord pour nous acheter un téléphone portable. Mais surtout, nous avons passé un compromis : la semaine, chacun chez soi et le weekend, une fois sur deux, c'est lui qui venait chez moi et inversement, de même pour les vacances. On ne se coupait pas du monde, on continuait de voir nos amis, de sortir, de faire nos activités extra-scolaires, la seule différence : nous refusions de le faire sans l'autre. Nos amis se plaisaient à dire qu'au lieu de fêter notre baccalauréat, ils seraient à notre mariage. Cela nous arrivait parfois de nous disputer sur quelques sujets, mais nous nous sommes toujours réconciliés et trouvions un point d'entente. C'était la plus belle relation qu'il m'était donné de voir. De vivre aussi, mais ça, c'est parce qu'il n'y en a pas eu d'autre. Contrairement aux jeunes de notre âge, nous voulions attendre d'avoir 18 ans pour avoir des relations sexuelles. Ce n'était pas l'envie qui nous manquait, bien au contraire, nous nous sommes parfois arrêtés de justesse avant d'aller plus loin. Mais nous voulions simplement attendre d'être plus mature, que ce soit un acte réfléchi et qui aurait un vrai sens pour nous. Sauf que le destin ne nous a pas laissé le temps d'arriver jusque-là. Ce 21 mars dernier, nous nous sommes retrouvés sur la place Saint-Vincent, là où la fête du printemps a toujours lieu. Pour ma plus grande joie, il a trouvé ma robe « majestueuse », comme il m'a dit. Elle était rose comme l'aurore, le jupon du dessus était transparent et brillait comme mille étoiles, et le jupon du dessous était orné d'une multitude de petites fleurs d'été, que la maman de Benoît avait confectionnées en tissus de couleurs différentes. C'était une robe que l'on dit de forme sirène. J'en étais vraiment fière. Lui aussi était vraiment magnifique dans le costume qu'il portait, il avait même mis une cravate. Nous avons profité des stands : barbe à papa, gaufres, nous avons même fait un tour sur la grande roue. Puis, le soir venu, il y a eu le bal du printemps, où nous avons dansé comme la toute première fois. Je n'ai pas gagné le concours de la robe de printemps, mais j'ai eu le deuxième prix et Benoît était tout fou et fier de moi. Après la remise des prix, nous sommes allés dans le parc des amants, comme on l'appelle, parce qu'il est très romantique, avec des statuts de couples amoureux aux quatre coins et celle de Cupidon au milieu de la fontaine. De plus, pour l'occasion, tout comme pour la saint-valentin, le parc est illuminé par des guirlandes lumineuses et fleuri de roses de toutes les couleurs. Nous avons trouvé un coin plus intime, et Benoît s'est agenouillé. Je n'en croyais pas mes yeux, il n'allait pas faire ce que je pensais ? Et bien si. Il m'a demandé de l'épouser, quand on aura dix-huit ans, a-t-il précisé. À ce moment-là, j'étais perdue, j'avais l'impression de rêver. J'ai éclaté de rire avant de fondre en larmes. Larmes de joie, bien sûr. Et je lui ai dit oui. Il m'a offert l'anneau que j'ai accroché à mon pendentif : un petit anneau d'or avec un petit cœur et en son centre un petit diamant. Quand il me l'a passé au doigt, il a fondu en larmes à son tour, trop ému. Nous sommes restés un moment là, à nous embrasser, dans les bras l'un de l'autre, heureux d'envisager un si bel avenir pour nous. Il devait être environ vingt-trois heures, quand nous avons quitté le parc. Nous devions dormir chez lui ce soir-là, exceptionnellement, nous pouvions rester ensemble, pour la fête du printemps, bien que nous soyons en semaine. Nous avons traversé la rue pour rejoindre ses parents sur la place, et c'est là que tout a basculé. Mon étole s'est envolée quand un coup de vent nous a surpris, j'ai tenté de la retenir, mais elle m'a échappée. Benoît m'a demandé de ne pas bouger tandis qu'il allait me la chercher de l'autre côté de la route, où le trottoir l'avait arrêté. Mais tout à coup, sorti de nulle part, un véhicule qui roulait à vive allure l'a percuté de plein fouet sans même tenter de l'éviter. Benoît n'a rien eu le temps de voir venir. La voiture a fait une embardée avant de poursuivre sa route encore plus vite. Puis mes yeux ont voleté vers le corps à terre et mes poumons se sont vidés dans un cri atroce, alors que je m'élançais vers lui. Les gens à proximité qui prenaient conscience de ce qui venait de se produire ont commencé à accourir, tandis que je hurlais que l'on vienne m'aider, que l'on appelle les secours, qu'il avait besoin d'un médecin, parce que je sentais encore son pouls battre sous mes doigts tremblants, instinctivement posés au creux de son poignet pendant que je vérifiais sa respiration, comme on nous l'avait enseigné à l'apprentissage des premiers secours. Je me disais qu'il pouvait encore s'en sortir : - Ça va aller mon ange, lui disais-je, caressant ses joues et l'embrassant sur le front. Tiens le coup, les secours arrivent. Je l’inondais de mes larmes. Il a ouvert les yeux quelques instants. - Je serai dans chaque souffle de vent pour être à tes côtés... Il avait du mal à parler, il avait le souffle court, et je le suppliais de rester avec moi, de tenir bon. - Je t'enverrai quelqu'un pour tenir mes promesses, je te le promets... Ses yeux brillaient de larmes, c'était insoutenable, il savait qu'il allait mourir et il me faisait ses adieux. J'ai alors compris que les secours n'arriveraient pas à temps, nous les avions appelés à peine deux minutes plus tôt, il leur en faudrait environ huit de plus pour arriver, c'était trop long. Le médecin à mes côtés le savait, il ne pouvait rien faire pour l'aider davantage, il a lu dans mes yeux que je savais à quoi m'attendre. Alors, il m'a aidé à prendre Benoît dans mes bras une dernière fois. - Tu verras, avec le temps ça ira mieux... M'a dit Benoît en prenant mes doigts qu'il a serrés contre son cœur. - Ne m'abandonne pas, je t'aime tellement ! Le suppliais-je en le serrant contre moi, comme si je pouvais l'empêcher de partir. - Je t'aime, mon ange... M'a-t-il dit avec un regard qui a transpercé mon âme. J'ai senti ses doigts qui se desserraient, je l'ai embrassé, il m'a rendu mon b****r et ses yeux se sont fermés à tout jamais. Il n'avait que dix-sept ans. J'ai hurlé de douleur et j'ai pleuré sans m'arrêter, même quand les parents de Benoît tentaient de me l'enlever, eux-mêmes brisés dans le plus profond de leur cœur, parce qu'il était leur fils unique qu'ils adoraient. Les urgentistes ont mis de longues minutes avant de réussir à m'en détacher, mais je ne voulais pas l'abandonner, alors ils ont accepté que je les accompagne, après avoir essayé sans succès de le réanimer. Mes parents n'ont pu m'arracher à la morgue de l’hôpital qu'au petit matin. Et seulement parce que Tom était là, malgré ses larmes, sa voix était si sûre, il restait fort pour moi, mais lui aussi avait perdu quelqu'un qu'il aimait. Benoît était comme un frère pour lui. Nous ne sommes pas allés au lycée ce jour-là, ni le reste de la semaine. En sortant de l’hôpital, Tom m'a fait remarquer que j'avais du sang partout, que je devrais au moins me rincer les mains et le visage avant de rentrer. J'en avais déjà bien assez sur ma robe . Mais je ne voulais pas, je ne savais pas comment je trouverais la force de me doucher, en sachant qu'il ne me toucherait plus jamais. Je sais, c'en est carrément morbide, mais on ne peut pas comprendre, tant qu'on n'a pas traversé cette épreuve épouvantable. Alors que je traversais le parking avec Tom, parce que je ne voulais pas rentrer avec mes parents, j'ai senti la brise matinale glisser sur ma nuque et caresser mon visage, me faisant frissonner, et puis ce murmure : « Je suis là… ». Mon cœur a fait un bon, mes larmes ont afflué de plus belles. Je savais que c'était lui. *** Comme à chaque fois que je revis ces moments-là dans ma tête, les larmes coulent sans que je sache les retenir. Alors, je m'enfonce dans mon siège et rabat ma capuche, d'autant plus que les BTS arrivent, il est inutile que je me fasse remarquer. J’aperçois Tom, qui me repère immédiatement. Pas étonnant, je dois être la seule à ressembler à la faucheuse ! Pour ce qui est de ne pas se faire remarquer, j'aurais dû y penser avant… Tom me fait signe et vient s'installer vers moi. Quelques-uns de ses copains le suivent : - C'est ta meuf, mec ? Lui chuchote un gars que je n'avais jamais vu avant, en passant devant moi. - T'es c*n, c'est ma sœur ! Lui répond Tom avec un coup-de-poing dans l'épaule du gars. - Je croyais que ta sœur était blonde ? S'exclame Lucien, qui visiblement ne m'a pas reconnu et s'est assis à la droite de Tom, provocant l'hilarité des autres. Je me penche au-dessus de mon pupitre pour observer, ou plutôt gifler du regard Lucien. - Salut Lucien, dis-je froidement, sourcils froncés. - Oh ! Pardon. Salut Katnyss, dit-il mal à l'aise, les yeux tout ronds de stupeur. Les autres n'ont plus soufflé mot, s'installant dans le silence, à la grande surprise des profs. Visiblement, ils étaient les éléments les plus bruyants de la classe de BTS Design, vu que ceux qui se sont installés sur la rangée derrière nous étaient restés plutôt silencieux. Les profs classent des papiers, qu'ils vont probablement nous distribuer durant une plombe vu la quantité qu'il y a et le nombre d'élèves que nous sommes, ils doivent se les partager. Les BTS Musique viennent d'arriver. L’amphi n'est pas tout à fait plein, mais presque. Et c'est parti pour la distribution des cartes d'étudiant, les emplois du temps, les fiches de renseignement à remplir pour les profs, celles pour l'administration, celles pour l'infirmerie, celles qui concernent notre option et celles pour le sport et les sorties. Rien que ça ! Heureusement, on a eu le droit à une pause à 11h, mais j'ai déjà faim et on ne mange qu'à 13h... Ah oui, j'allais oublier, il y a l'inévitable règlement intérieur de quatre pages que l'on doit lire avec attention avant de le signer. Bien qu'il ne change pas d'une année sur l'autre et que la moitié de celui-ci ne sera jamais respectée. C'est décidé, les fiches à faire signer ce soir aux parents attendront ce soir pour être remplies, ça m'occupera. Aucune envie de le faire maintenant. En plus, il faudra à tout prix que je boycotte la discussion avec mon père, qui j'en suis sûre, ne lui échappera pas, bien que Tom et moi lui ayons dit de laisser tomber. Je ne comprends pas pourquoi les profs nous font faire de la paperasse, alors qu'habituellement, ils ont horreur de perdre du temps. Surtout que nous, les terminales, on a tout de même un examen à passer en fin d'année, et qu'ils vont nous le rabâcher toutes les semaines ! - Prenez une pause de dix minutes, et évitez de faire trop de bruit dans les couloirs, s'il vous plaît ! Merci, nous dit le prof des BTS Design. Je ne sais même pas qui c'est, les deux profs de BTS n'ont pas encore pris la peine de se présenter. - Viens, me dit Tom. À défaut d'un latte macchiato, je te paye un cappuccino. Il me prend la main, comme on le fait souvent, et on se dépêche de descendre les escaliers avant que ses copains le rattrapent. On sort de l'aile sud, pour rejoindre le centre, intersection des quatre ailes et donc des couloirs principaux, là où se trouvent les casiers et les machines à boissons. - T'as encore pleuré, toi, me dit-il en me dévisageant. Je lui fais un signe de tête en guise de réponse. - Tu veux bien m'expliquer pourquoi, ça ? Me demande-t-il en montrant ma tenue de la tête aux pieds. - Il faut bien que j'exprime ma peine d'une manière ou d'une autre… Dis-je simplement en prenant le café qu'il me tend. La chemise de nuit, ça allait cet été, mais au lycée, c'est moyen, tu ne crois pas ? Il met une pièce dans la machine pour faire couler son café, très sucré, comme il l'aime. - Katy… Ça fait six mois… - C'est comme si c'était hier, Tom. - Mais tu n'avais pas besoin de faire tout ça avant cet été, où tu as commencé à te maquiller en noir, et aujourd'hui, tu as carrément sacrifié tes cheveux ! Alors que… Enfin, tu sais bien qu'il n'aurait pas voulu que tu fasses ça… Je vois son cœur se briser dans ses prunelles, comme si je lui échappais. Je ne peux pas retrouver l'amour de ma vie, il est parti pour toujours, mais je peux retrouver mon frère, nos confidences, notre complicité qui nous a échappée depuis ces deux derniers mois. - Il m'avait demandé en mariage… Lâché-je à peine audible. - Quoi ? - Quelques heures avant sa mort, il m'a fait sa demande, on s'était promis de se marier quand on aurait 18 ans, lui dis-je en sortant de sous mon t-shirt mon pendentif avec ma bague de fiançailles. Mes larmes inondent mes joues sans crier gare. - Je n'ai pas eu le courage de le dire à nos familles… Tom me prend dans ses bras, il est sous le choc. Je ne lui avais jamais rien caché de si important avant, je crois qu'il comprend, ou du moins, il commence à prendre conscience de l’ampleur des dégâts que mon cœur a subis. - Quand j'allais au cimetière, je pouvais lui parler, me sentir proche de lui. Je sentais ses caresses dans le vent qui souffle, je l'entendais me soutenir à travers l'épreuve de son absence… Je remontais la pente, lentement, mais sûrement. Il me l'avait promis, qu'avec le temps ça irait mieux… Mais tu m'as privé de tout ça, Tom ! Ils m'ont privé de tout ça ! - Mais pourquoi tu ne me l'as pas dit plus tôt ? - Parce que c'était intime ! M'exclamé-je avec la voix brisée. - Oh ! Katy… Je suis terriblement désolé, soupire-t-il. Il regarde sa montre, puis prend des serviettes en papier dans le distributeur posé sur une des hautes tables rondes, et me les tend. - Tiens, sèche tes larmes, il faut qu'on remonte, me dit-il en passant son bras autour de mes épaules. Nous arrivons à temps, les derniers élèves entrent dans l'amphi.
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