Chapitre 2

1790 Words
Les jours suivants, je me concentre sur les éléments potentiels de l’affaire, j’effectue les visites chez des clients, je soulage quelques esprits, mais je ne me sens pas très utile… Il n’est pas très fréquent que je revois deux fois la même personne, parce que généralement, lorsque je les quitte, ils sont apaisés et prêts à avancer dans leur processus de deuil. Toutefois, je pense qu’il y a une règle tacite des instances supérieures concernant les extra-lucides… À savoir que leur don ne peut pas servir leur propre dessein. Je n’ai jamais reçu de visite concrète de mes proches, mes grands-mères, grands-pères ou autres ascendants. J’ai ressenti leur départ vers l’au-delà, parfois leur aura plane agréablement autour de moi pour m’apporter bien-être et réconfort, mais je n’ai jamais réellement su communiquer avec eux… Tout devient flou et incertain quand je suis impliquée émotionnellement. L’inspecteur me recontacte pour me parler du petit garçon, mais je ne lui suis pas d’une grande aide, ce que je vois ne correspond pas. Il y a un énorme sentiment de confusion qui entoure cette affaire, et j’ai la sensation que quelque chose de capital échappe à tout le monde. Mais peut-être que je ne suis pas faite pour ce genre d’enquête. J’aime imprégner les gens de douceur, de paix, et être nourrie de ces sentiments étranges d’angoisse et de tension n’est pas fait pour moi. Même si certains voyageurs qui me parlent en ont été victimes parfois. Les enquêtes en cours, les cold cases, demandent d’avoir le cœur bien accroché. Moi, je suis pleine de légèreté et je souhaite le rester. Toutefois, ce soir, je suis pelotonnée dans mon canapé, la lecture de cet après-midi m’a lessivée, mais je ne suis pas seule en rentrant. Je suis assaillie d’informations, de détails… Deux personnes très liées, comme en symbiose, planent dans mon atmosphère et font connaissance avec moi. Parfois, ils sont prudents dans leur intrusion, timides, délicats comme le battement des ailes d’un ange. Cependant, après un long moment, c’est une inquiétude et un sentiment croissant d’angoisse qui me conforte dans l’idée que quelque chose ne va pas. J’essaye d’appeler Ambrose, c’est mon jumeau, et le lien qui m’unit à lui est plus puissant que n’importe quelle chaîne d’acier inoxydable. Il ne répond pas et je sens qu’il y a un problème. Comme je sais qu’il allait au Refectory Bar ce soir, j’attrape les clefs de ma voiture, j’enfile mon ciré et je descends en trombe la cage d’escaliers pour rejoindre ma voiture et foncer jusqu’au bar. - Trevor !! M’exclamé-je en me précipitant vers son meilleur ami que je reconnais au comptoir quinze minutes plus tard. - Cam ! Qu’est-ce que tu fais ici ?! Demande-t-il étonné. - Où est Ambrose ?! J’ignore totalement certains de nos autres amis, je n’ai qu’une idée fixe en tête, suivre ce sentiment infernal qui me pousse à chercher mon frère maintenant. - Il est sorti fumer une clope il y a un petit quart d’heure… Dit-il en constatant mon état fébrile, tout va bien ? - Non ! Bougez-vous ! Venez m’aider ! M’écrié-je en ressortant du bar comme une folle furieuse. Je prends la première ruelle qui fait l’angle du bâtiment blanc et bleu et j’appelle mon frère, je focalise tous mes sens sur lui, je sens que je suis guidée par cet esprit qui m’a accompagné tout l’après-midi, donc je sais qu’il n’est pas loin, il fait nuit noire, mais j’avance jusqu’au bout puis je tourne à l’angle. - Ambrose ! M’alarmé-je en distinguant alors un corps couché au sol dans l’obscurité totale. C’est lui, je prends son visage entre mes mains, il est inconscient, il respire, mais il saigne. Mon cœur bat si vite que j’ai la sensation qu’il va sortir de ma poitrine. - Aidez-moi ! M’écrié-je alors, Ambrose réveille-toi ! J’essaye de le stimuler et il finit par ouvrir les yeux à mon grand soulagement. - ça va ?! - Qu’est-ce qu’il se passe ? Demande-t-il l’air confus. - J’en sais rien… Ses amis finissent par accourir et nous entourer. - Il faut le conduire à l’hôpital ! Aidez-moi à l’amener à ma voiture ! Je suis soulagée de l’avoir retrouvé, mais inquiète de son état, il saigne abondamment au-dessus de l’œil comme si on l’avait violemment frappé. - C’est fini Ambre, je suis là… Je t’ai trouvé… Je sais que c’est plus moi que lui qui ai besoin d’être rassurée. Je ne prends le temps pour aucune gentillesse avec nos amis, j’aurai tout le temps de voir ça plus tard, et dès qu’ils l’ont aidé à monter dans mon véhicule, j’enclenche le contact et me dépêche de rallier l’hôpital. Je peine à le soutenir jusqu’à la salle des urgences, mais il est rapidement pris en charge par les médecins, et après une énorme surcharge d’adrénaline, je me retrouve soudain dans le silence d’une salle d’attente à remplir des papiers… J’ai les mains tremblantes, j’ai vécu toutes ces sensations avec une telle intensité, que j’en suis drainée de mon énergie, les deux esprits ne m’ont pas quitté et ont participé aux retrouvailles de mon frère, j’en suis certaine… - Je viens chercher la crise cardiaque de tout à l’heure, entends-je alors une voix familière tandis que je somnole sur mon fauteuil et attends depuis des heures qu’on me donne des nouvelles. Je lève la tête pour identifier l’homme qui parle à l’infirmière du service des urgences et je reconnais le légiste que j’ai rencontré à la réunion quelques jours plus tôt. Il porte une tenue intégrale de médecin traditionnelle y compris la blouse blanche et des sur-chaussures, ça lui va tout aussi bien même si cela change totalement son allure. Ça lui donne un air encore plus strict. Il remarque ma présence et plisse les yeux comme s’il fouillait sa mémoire pour se souvenir où il m’avait déjà vue puis s’avance dans la salle d’attente. - Bah ça alors, deux fois dans le même mois alors que je n’avais jamais croisé ton ombre avant… Qu’est-ce que tu fais là Bégonia ? - Camélia. - Peu importe. Je suis sidérée par son aplomb et son comportement clairement dédaigneux et nonchalant. Il n’a pas une once d’estime ou de respect pour moi et c’est plutôt clair à l’absence des conventions d’usages comme la politesse ou la courtoisie. Mais ça m’est bien égal pour l’instant. - Mon frère… Je… Je suis décontenancée parce que j’ai le sentiment d’étouffer… J’ai du mal à respirer… Je suis en train de puiser mes ressources et j’ai besoin de repos. - Il est aux urgences ? M’interroge-t-il en fronçant les sourcils. - Oui, il a eu… Un accident je crois… - Je vais aller jeter un œil… J’ai un corps à récupérer là-bas. - Euh… D’accord, merci. Je n’ai pas la force de me lever pour lui faire face et je me contente de rester assise et prostrée sur ma chaise, à attendre. Lorsqu’il revient un quart d’heure plus tard, il traîne un brancard où gît un corps avec lui, qu’il colle contre le mur du couloir sans cérémonie et sur lequel il accroche un bloc-notes, avant de venir dans ma direction. - Il a été agressé apparemment, mais il va bien, il est conscient, alerte, les examens sont satisfaisants, ils ont recousu son arcade sourcilière, et il devrait s’en tirer avec quelques bleus et une grosse frayeur. - Quand est-ce que je pourrai le voir ? - Tu devrais rentrer dormir. - Je ne peux pas. Je dois vraiment voir mon frère… - Bon, dans ce cas… Ils en ont encore pour un moment, ils vont le garder pour la nuit. Tu veux visiter la morgue en attendant ? Je vois bien qu’il me défie dans son ton, son accent allemand évident lui confère une dimension sévère et intimidante, sans compter son regard marron clair particulièrement pénétrant, mais je n’ai pas du tout envie de faire ça pour l’instant. - Je pense que j’ai eu mon lot d’expériences pour aujourd’hui. - Bah quoi, tu as peur d’y voir des fantômes ? Ricane-t-il, ah là là… p****n… Pour une voyante, tu n’es pas bien vaillante. Je ne réponds pas et il finit par disparaître avec le corps qu’il pousse devant lui. À la seconde où il quitte définitivement mon champ de vision, je suis à nouveau assaillie d’angoisses et d’oppressions. J’attends des nouvelles, et elles finissent par arriver alors que la nuit est bien avancée. - Tu m’as fait une de ces peurs, soupiré-je en prenant la main d’Ambre quand on me laisse enfin le voir. - Je suis désolée Cam, on m’a volé mon fric et mon téléphone… - Mais c’est dingue, tu… Enfin, je veux dire… Tu n’es pas le genre de mec qu’on a envie d’emmerder normalement… - Ils me sont tombés dessus à trois, et franchement, c'est allé très vite… - Tu vas avoir une cicatrice, soupiré-je en soulevant une mèche sur son front. - ça va me donner un air de bad-boy, on adore… - Tu vas déposer plainte ? - Oui, la police passera demain matin… Tu devrais rentrer à la maison. - Tu es sûr, tu ne préfères pas que je reste ici… - Je sais comment ça se passe quand tu te retrouves dans un hôpital sœurette, rentre, on se voit demain matin. - Bon, d’accord. Je suis moins mal lorsque je quitte enfin l’hôpital, Ambrose a raison, je rentre à la maison légèrement soulagée par le tournant heureux de cette soirée. Les jours suivants, je suis totalement concentrée aux bons soins de mon frère, j’assure quelques rendez-vous, mais encore une fois mon agenda est curieusement désert comme si j’avais programmé par avance qu’il nécessiterait mon attention. Les médecins lui ont délivré quelques jours d’arrêt de travail, il avait fait enregistrer une plainte auprès du commissariat et moi, je bouillonnais de frustrations d’être totalement inutile à la situation. - C’est injuste que je décrypte autant de choses pour les autres, sans jamais pouvoir nous aider nous ! Tempêté-je frustrée après avoir tenté une lecture sur mon frère. - Tu as su que j’étais gai avant tout le monde, tu l’as presque su avant moi ! C’est rien… T’inquiète pas… - C’est ce que tu dis, mais une agression ! Ce n’est pas rien ! Tu aurais pu être gravement blessé… - Ouais, ouais… Sa désinvolture face à cette situation perdure de nombreux jours, il reprend sa vie comme si rien n’était arrivé, et ça m’inquiète. Je connais mon frère par cœur et depuis toujours. J’ai l’impression que quelque chose ne tourne pas rond. Il reprend rapidement son travail à l’aquarium et m’encourage à faire de même, puis finalement, avec les semaines qui défilent, je finis par laisser cet épisode angoissant derrière nous.
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