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La Corde de mi

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Le pouvoir de la musique pour un peu plus d’humanité

"Marc-Gaston Favrod a un don : il donne une âme aux violons qu’il fabrique. Par contre, il n’a aucun talent pour les relations humaines. Sa femme Isabelle et sa fille Luce en font les frais. Les années passent et Luce va tenter de comprendre ce père absent et taciturne.

Dans La Corde de mi, Anne-Lise Grobéty écrit, en parallèle, l’histoire de ce père et de cette fille qui ne se retrouvent pas. Avec une plume créative, elle décortique les relations humaines, sans juger. Elle avance dans son récit, le développe, le tient du début à la fin, comme elle maîtrise le verbe et le sens de la formule. Elle donne écho aux thèmes du rejet, de l’abandon, du vide et de l’absence. Un roman envoûtant." - Contessa Piñon, La Côte

Un roman captivant et lyrique qui nous plonge dans un univers musical qui ne laisse pas de marbre

EXTRAIT

Et dire que j’ai cru gagner du temps !

En passant par la vallée du bas, ç’aurait dû être plus court, sûrement, mais sans ces nasses de brouillard, sans le ciel descendu à mi-côte des sapins, sans tous ces trous dans le paysage… C’est déjà si peu de mémoire ce qui me reste du coin, normal que dans ces conditions je me sois flanquée dans un sacré bourbier, j’ai dû rater l’embranchement, avec l’effondrement des repères, forêt, évasement de la vallée, tout dans le même sac… Le comble, je me retrouve au bord d’une muraille de briques noires, le pare-brise ravagé par les bourrasques…

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

"Anne-Lise Grobéty donne ici son meilleur livre – et lorsque l’on sait la qualité des précédents, on réalise ce que cela signifie. Plus que romancière, elle se fait musicienne, virtuose en violoniste des mots, chef d’orchestre à l’oreille plus fine et au sens romanesque plus développé que jamais." - Bruno Pellegrino, Le Passe-Muraille

"Le roman d’Anne-Lise Grobéty est beau, émouvant et remarquablement construit." - Estelle Pralong, A tire d'elles

"Une superbe histoire de filiation servie par un style unique, vaste comme un oratorio entre tragédie familiale et distance salvatrice." - Isabelle Falconnier, L'Hebdo

A PROPOS DE L’AUTEUR

Anne-Lise Grobéty (1949-2010) étudie à la Faculté des lettres de l’Université de Neuchâtel et effectue un stage de journalisme. Elle commence à écrire très tôt, et elle a dix-neuf ans lorsque paraît son premier roman. Après un deuxième roman, elle ralentit son activité littéraire pour s’occuper de ses enfants. Dans le même temps, elle s’engage politiquement et siège pendant neuf ans comme députée socialiste au Grand Conseil neuchâtelois. Son mandat achevé et ses filles devenant plus autonomes, elle renoue avec l’écriture dès 1984.

Anne-Lise Grobéty se fait connaître du grand public dès son premier roman, Pour mourir en février, couronné par le Prix Georges-Nicole. La suite de son œuvre remporte le même succès. Ses narratrices cherchent à affirmer leur identité féminine, à une époque où la présence des femmes en littérature commence à s’affirmer. Anne-Lise Grobéty est donc aussi fortement concernée par la condition de la femme écrivain, par les aspects historiques, formels et politiques de l’écriture féminine, mais elle poursuit surtout une exploration de la langue dans une tonalité bien à elle.

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À la pointe-1
À LA POINTE Et dire que j’ai cru gagner du temps ! En passant par la vallée du bas, ç’aurait dû être plus court, sûrement, mais sans ces nasses de brouillard, sans le ciel descendu à mi-côte des sapins, sans tous ces trous dans le paysage… C’est déjà si peu de mémoire ce qui me reste du coin, normal que dans ces conditions je me sois flanquée dans un sacré bourbier, j’ai dû rater l’embranchement, avec l’effondrement des repères, forêt, évasement de la vallée, tout dans le même sac… Le comble, je me retrouve au bord d’une muraille de briques noires, le pare-brise ravagé par les bourrasques… Essayer de décortiquer chaque élément à l’arraché : le désastre, j’ai réussi le tour de force de m’engager dans le chemin des tourbières, nez à nez avec un tas de morceaux de tourbe en train de sécher sous le déluge ! Arrêtée à quelques mètres seulement de l’effondrement du terrain, devant une immense fosse creusée… Tout dégorge, il a déjà neigé ici, c’est sûr, ça fond jusqu’au fond des ornières, embourbement garanti… Quelle p*****e je fais, et tout ça à cause de qui ? Seulement parce qu’il a insisté et que je ne voulais pas commencer par le contrarier, de toute façon inutile colère contre une bête affaiblie couchée à ses pieds… Est-ce que je n’ai pas déjà assez enragé trop de fois contre lui et sans résultat ?… Le pire, cette histoire de fausse route, le nez qui pique droit dans la tourbe /Markus/ mais c’est pas le moment de s’apitoyer sur l’ironie du sort, si je reste la tête sur le volant /l’homme retrouvé dans la vase danoise frais comme une souche de bouleau on a même pu analyser le contenu de son estomac pour connaître son dernier repas/ je vais mourir enfoncée d’une pièce, sandwich au poulet avec mayonnaise. Gémir, ouvrir la portière, chaque geste économisé au plus près, sortir prudemment un pied, pas question de faire la chochotte, au premier pas les bottines sombrent dans un brouet épais, au troisième l’eau glacée traverse mon béret, le bruit d’un siphon sous la semelle, tanguer sur un bon kilomètre ou deux, avec mon sens des mesures ça peut tout aussi bien être le double, une barbotée lamentable, glaciale, jusqu’à ce que, enfin, le fantôme d’une ferme ! Avec sa faille chaude : une porte d’écurie et un paysan qui pourrait m’envoyer paître ailleurs, mais on est fait d’un autre bois ici, il m’écoute, un peu goguenard puis dégoûté, ça se voit : va falloir au moins sortir le tracteur aux grandes roues pour aller dans les marais par une telle détrempée. « Vous avez de la chance, j’ai juste le temps avant de traire. » Dans l’habitacle, tressautant sans ménagement à ses côtés, j’essaie de me dédouaner en lui expliquant que je ne suis pas de la région, je venais de temps en temps ici, enfant, je débarque à peine de Rome, le contraste est… Le mot m’échappe tellement j’ai froid. Et lui il le trouve pour moi : « Radical, hein ? » Oui, c’est sûrement ça – radical ; quelque chose qui tient de la racine, pourquoi pas. — C’est quand même pas une raison pour vous mettre dans un merdier pareil, qu’il dit en jaugeant mon véhicule crotté jusqu’au front par mes tentatives de fuite. Mais vous vouliez aller où ? Je prononce ce nom de petites misères d’enfance, Combe-Verrat, chez le luthier Favrod. Il a le bon goût de rigoler : « C’est franchement pas la bonne direction ! Et le luthier, vous savez, il y a des années qu’il habite plus là, et les deux vieux Pelet, ça fait longtemps qu’ils sont morts. Si c’est pour un violon à réparer, c’est pas la peine. » — Je sais. Mais le luthier m’a demandé d’aller chercher quelque chose chez lui. Et après plusieurs secondes de lutte serrée, j’ajoute : « Je suis sa fille. » Il me dévisage comme s’il ne m’avait pas vue jusque-là. — Oui, je me souviens qu’il avait eu une fille, mais elle a pas grandi là. Une année après, sa mère et elle (sa main lancée vers le ciel)… évaporées ! Du mal à s’en sortir, il commence à perdre patience, on sent qu’il fait attention à son vocabulaire tout en n’en pensant pas moins, le tracteur se cabre au bout de quelques mètres, la voiture goge de plus belle dans son jus quand enfin une secousse la ramène sur le chemin, à la laisse comme un gros chien jusqu’à la route goudronnée. Pour le dépannage, il ne veut rien. Il salue, doigts à la casquette, moi dans un sens, lui dans l’autre. Et dire que j’ai failli manquer encore une fois l’embranchement, j’étais déjà presque en train de redescendre la côte de l’autre côté quand j’ai aperçu dans un léger effrangement du brouillard, en contrebas, le groupe des trois maisons. Elle a dû me voir arriver, accourt sous son parapluie pour m’abriter : « J’ai cru que vous ne viendriez plus, vous aviez dit le début de l’après-midi. » Pieds trempés, cheveux en berne, le ciel noir qui absorbe le peu de lumière qui reste, je tremble et pleure de trop de contrariétés. D’un coup d’œil, elle comprend. « Je vais vous faire un bon thé chaud, il faut d’abord vous sécher. » Elle m’entraîne dans sa cuisine, ça sent le beurre cuit, le lait, un peu la litière de lapin, j’ai l’impression d’entendre crépiter mon humidité sur la peau, je lui raconte mon équipée dans les tourbières, pathétique ; elle ne rit pas, compatit plutôt, ouvre la boîte de biscuits. « Par un temps pareil, on a vite fait de se perdre quand on connaît pas. Vous étiez toute gamine la dernière fois que vous êtes venue. Vous vous souvenez de nous ?… » Non, pas vraiment, mais une fois encore elle trouve ça normal. Elle finit par me demander comment il va sur un ton qui fait penser qu’elle n’a pas forcément beaucoup de sympathie pour lui. Et je m’entends dire : pas trop bien. « Vous le saluerez de ma part. J’espère qu’il pourra bientôt revenir un peu par ici. Cette maison vide depuis tellement de temps, c’est triste. J’ouvre les fenêtres en été, tant que je peux, mais quand même une maison qui n’est pas habitée, elle s’abîme. Il faut dire qu’on était habitués à la compagnie, avant, du temps des frères Pelet il en venait du monde… Mais faudrait y aller avant que la nuit tombe, parce que l’électricité est coupée, vous savez. Je vais vous prêter une lampe de poche, sinon vous n’y verrez déjà plus rien si vous devez chercher quelque chose. Vous allez vous en sortir, là-dedans ? » Je crâne, je dis : bien sûr. Mais la bourrasque de pluie glacée qui me vole dans les plumes entre les deux maisons me fait perdre le peu d’assurance retrouvée ; à peine la porte ouverte, le couloir noir flagelle mes jambes, à ma gauche la cuisine, un coup de faisceau de lampe naine par-dessus la table, je continue à petits pas de Japonaise empêtrée dans son kimono tellement j’ai peur d’avancer, où poser le pied avec ma carte de l’horreur dans la tête /souris crevée araignée rat cancrelats pomme pourrie/, elle a dit « droit devant puis sur votre droite », le seuil de l’atelier, j’y reste vissée, jamais je ne pourrai entrer dans la pièce aux yeux collés, la pluie qui s’assomme contre les vitres, froid de canard et rien que l’odeur, humidité, vieilles boiseries, poussière, m********e, je me contente de tendre le cou le plus possible… Mais entrer, non. Je ne m’en vanterai pas, bien sûr, c’est pas la version que je lui donnerai, je dirai… Tendre le cou pour renifler, si ça me rappelle quelque chose, le sofa, peut-être, je n’aimais pas m’asseoir, ça puait le vieux et il y avait toujours un ressort qui se plantait au mauvais endroit de la fesse. Depuis qu’il est parti en ville avec sa lutherie, rien n’a dû être changé. Mais aller jusqu’à l’armoire, au-dessus de mes forces, il faudrait déjà forcer la soie brune de la toile d’araignée, prendre le risque insensé d’un fil qui se colle au front, ou son frissonnement sur le menton, et ensuite il faudrait, jusqu’à l’autre bout de la pièce, traverser ce filet aigrelet de lumière, d’ailleurs c’est trop tard pour trouver quoi que ce soit, j’aurais mieux fait de ne pas venir, pour l’électricité je ne pouvais pas savoir, quelque chose remue à côté du sofa, double salto arrière du cœur, ma lampe ose à peine se baisser, mieux vaut quand même en avoir le cœur net, s’il faut affronter at revenant/ autant le voir dans les yeux, le rai de lumière surprend deux brins dorés aussi effrayés que moi, la bête houffe deux fois, s’écrase au plus bas sur le sol pour s’échapper au fond de la pièce et feule derrière un meuble, il ne manque plus que ça, enfermer un chat et qu’il crève dans l’atelier à petits piaulements de détresse, quelle horreur… Évidemment, j’ai laissé la porte ouverte, il m’a suivie, s’il est sauvage, s’il griffe, j’avance un peu, taper des pieds, le plancher sous le choc fait résonner des vibrations métalliques, grogne comme un ours dérangé quand je fais un pas de plus, aller chercher la voisine, elle saura comment le faire sortir, mais la bombe de fourrure s’enfle en éclair contre ma jambe et gicle dans le couloir, d’un bond vers la porte d’entrée. Je reflue presque aussi vite que lui, tire le battant, tourne la clé. Dehors, à lentes gorgées, j’avale un peu d’air froid pour obliger mes palpitations à se calmer, l’humidité, l’émotion mordent mes lèvres, la pluie patine déjà sur mon visage, bouillonnements de trop de choses à la fois… Peut-être qu’on me laissera encore entrer dans ta chambre. Quelques minutes seulement, parce que je viens de loin. J’espère te dérider un peu en te racontant l’enlisement dans la tourbière pour que tu passes l’éponge sur l’échec de ma mission. Et si, comme on peut s’y attendre, une vieille lie de courroux marne au fond de ton œil (quelle empotée je fais, hein ?) quand tu verras que je viens sans l’étui de violon, je prendrai les devants, je dirai que je reviendrai la semaine prochaine, je retournerai le chercher avant de venir te voir. À contrecœur, moi l’empotée, l’évaporée, je te promettrai de remonter dans le pays de mouilles et de gouilles, de soue et de verrat mal entourbé où tu es né. AVOIR UNE ÂME BIEN NÉE N’EST PAS CHOSE AISÉE… Le temps et les nouvelles étaient si abominables ce matin-là que le BonVieux s’est cru obligé de faire le déplacement en personne. Et, ma foi, il descend plus bas que prévu parce que le ciel a la panse gorgée d’eau, traînant jusqu’au sol. Il a plu à glèbe fendre sans répit depuis la Saint-Frusquin, l’été n’en finit pas de ne pas commencer ; que le ciel casse donc sa cruche d’un coup et qu’on n’en parle plus ! Les gens en deviennent chaque jour plus rosses, et combien plus désespérés ceux qui épuisent leur vie dans les tranchées, main à la cartouchière. Le BonVieux, dans son élan, descend plus bas que de raison. La femme est sur son lit, une autre lui tient les cuisses écartées de force et ne cesse de la houspiller : « Est-ce que vous avez fait tant d’histoires quand vous l’avez fait ? Alors pourquoi gémir à cette heure ? » C’est que le petit vient tout de traviole, queue pardessus tête ; même s’il est aussi minçolet qu’un fil de pêche, il ne quitte toujours pas l’étroit caniveau où il sera tantôt fait comme un rat s’il ne se décide pas à montrer à la lumière autre échantillon que le bout de son derrière. Celle qui ne souffre que de perdre son temps menace maintenant de tout laisser tomber, mère en sueur et débris d’enfant… Pluie perdure interminablement à vitre fendiller, pleurant des temps meilleurs – qui toque, toque, toque à mon carreau scande le temps dans la chambre ? Quand une rafale plus brutale ébranle le chambranle du toit, et boum, faisant sursauter le ventre ! — Enfin le veau se décide à montrer la patte. Si vous ne faites plus tant de manières on va pouvoir faire enfin avancer l’affaire. Et à force de tournicoter la gambette aussi fine que baguette d’osier, celle qui ne souffre que de perdre son temps finit par tirer la petite bête de sa soute d’obscurité – qui toque toque trop longtemps à mon vantail voit ses secondes s’indurer en éternité, soupire le temps gêné… — Aïe, vous y avez mis trop d’heures, je vous avais avertie : il est né mort. Arrivé les quatre fers en l’air sur son faîte de toit, le BonVieux ne comprend pas grand-chose à ce qu’il voit ; pour l’exécution de ce genre de détails, il a toujours fait confiance à ses saints bénis. Lui, il constate seulement que ce n’est pas de cette portion d’univers que lui provient ce surplus d’âmes usagées à recycler dont on le gratifie par barils entiers depuis plusieurs années. « Plus à droite, plus à l’est, plus à l’ouest, passez le fil de la frontière, cinglez loin de cette maison au pied des crêtes. En élargissant votre cercle d’aigle géant, vous verrez que là-bas il pleut à fendre les murs et les corps, à fêler les têtes et les cœurs, il pleut des pluies bien plus ravageuses que celles de vos nuées, des pluies dont chaque goutte apporte un peu plus de grains dans le bec de la mort », pourraient dire au BonVieux les deux femmes dans la chambre s’il avait eu la bonté de se montrer.

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