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Une confession émouvante, criante de vérité, écrite avec délicatesse

"L’itinéraire autobiographique d’une adolescente puis d’une jeune femme traquée par l’angoisse et la dépression. Elle essaie d’en sortir par la danse. Les plus belles pages du livre sont celles sur les cours et les auditions, cet univers de la danse classique, univers clos, asphyxiant, fascinant. (…) Le travail à la barre, le « dédale aveuglant du miroir » sont admirablement évoqués. (…) Elle a finalement abandonné la danse pour se consacrer à l’écriture et au tissage. Désir d’échapper à cette emprise, de se définir et de se « soigner » autrement ? En tout cas, un itinéraire et un texte attachants." - Claude Pujade-Renaud, Heures Claires

Un roman dont le récit joue avec les mots, leur sens, leur importance et nous pousse à une lecture active

EXTRAIT

La première chose — je ne m’y attendais pas ! — cette question : comment savoir où, très exactement, faire commencer l’histoire ? à quelle section du fil sur la bobine qui se dévide ?

Un jour plus tôt — pourquoi pas ?

Car l’enchaînement des gestes et des paroles, l’enchaînement des jours et des heures ne peuvent aisément se briser comme on rompt un pain en morceaux…

Pourtant, il faut bien décider d’une première bouchée. Mais alors, quel mot vaut-il plus qu’un autre dans cette histoire pour qu’on lui donne la priorité sur tous les autres ?

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

"Un récit puissant dans lequel elle dit à la fois soi et profondément nous." - Monique Balmer, Fémina

A PROPOS DE L’AUTEUR

Anne-Lise Grobéty (1949-2010) étudie à la Faculté des lettres de l’Université de Neuchâtel et effectue un stage de journalisme. Elle commence à écrire très tôt, et elle a dix-neuf ans lorsque paraît son premier roman. Après un deuxième roman, elle ralentit son activité littéraire pour s’occuper de ses enfants. Dans le même temps, elle s’engage politiquement et siège pendant neuf ans comme députée socialiste au Grand Conseil neuchâtelois. Son mandat achevé et ses filles devenant plus autonomes, elle renoue avec l’écriture dès 1984.

Anne-Lise Grobéty se fait connaître du grand public dès son premier roman, Pour mourir en février, couronné par le Prix Georges-Nicole. La suite de son œuvre remporte le même succès. Ses narratrices cherchent à affirmer leur identité féminine, à une époque où la présence des femmes en littérature commence à s’affirmer. Anne-Lise Grobéty est donc aussi fortement concernée par la condition de la femme écrivain, par les aspects historiques, formels et politiques de l’écriture féminine, mais elle poursuit surtout une exploration de la langue dans une tonalité bien à elle.

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UNDans la serre de l’instant, le corps, doucement, à éclore… Inavoués vertiges, vrilles intestines ! La première chose — je ne m’y attendais pas ! — cette question : comment savoir où, très exactement, faire commencer l’histoire ? à quelle section du fil sur la bobine qui se dévide ? Un jour plus tôt — pourquoi pas ? Car l’enchaînement des gestes et des paroles, l’enchaînement des jours et des heures ne peuvent aisément se briser comme on rompt un pain en morceaux… Pourtant, il faut bien décider d’une première bouchée. Mais alors, quel mot vaut-il plus qu’un autre dans cette histoire pour qu’on lui donne la priorité sur tous les autres ? Quels mots, quel instant, poussés en avant les premiers ? Et, en fin de compte, s’agit-il bien d’une histoire — ou seulement d’un peu d’espace dérobé au temps, détourné du flux intestin de la mémoire au profit du présent ? D’ailleurs, pourquoi faudrait-il toujours qu’il y ait une histoire et un commencement ? On devrait pouvoir s’en tirer autrement puisque chaque instant est lui-même le début d’une autre histoire, segmentée différemment… Et encore : pour celle-ci — si c’en est une — faut-il décider également, dès maintenant, de sa distance ? Même avec si peu d’expérience, je sens bien à quel point c’est déjà l’orienter que de choisir l’instant où elle commence ! Et combien, selon sa durée présumée, combien elle pourra être différente… Différente. Le plus simple, cela se fait parfois, serait de faire commencer l’histoire à ma naissance. Mais, à l’évidence, ce n’est pas là qu’elle commence ! Et s’il faut vraiment en arriver à cette extrémité, comment être certaine, alors, que cette histoire n’a pas déjà précommencé avant que je sois née, insérée dans la petite mécanique de ceux qui m’ont mise au monde ?… Mise au monde ! J’étais sûre qu’il n’y aurait pas long à attendre avant le premier accroc : mise au monde ! Si peu mise au monde, justement… Seulement déposée précautionneusement (chaque syllabe comme autant de gestes décomposés en mouvements pour éviter les à-coups, les secousses) dans la corbeille d’osier de leur petit monde à eux, protégée par ces épaisses tentures à fleurs déployées tout autour de moi pour cacher les vilenies du vaste monde sur lesquelles, deux précautions valent mieux qu’une, on ne cesse de coudre ces housses cossues tout exprès pour moi, on ne sait jamais ce qui pourrait avoir la perfidie de dépasser de toute la laideur de son ourlet, ah si j’avais à blesser mon jeune regard aux vilaines choses du monde, ah si j’avais à déchirer ma chair de guimauve aux gravillons trop durs de la réalité ! — et tous ces coussins cossus poussés à mes genoux, et cette vigilance de tous les instants pour que je ne voie jamais l’autre versant sombre de la vie, et cette vigilance, car leur petite fée, notre petite Iona chérie, si on n’y prend garde, ne risque-t-elle pas de se transformer, comme les autres enfants, en un petit être diabolique ? Déjà, je m’égare. Mais, quelle ivresse de goûter sans délai au luxe de se tenir en équilibre sur le mince câble d’acier qui retient ensemble réel et imaginaire, en équilibre sur le fil d’une histoire, plume en main comme un balancier, en équilibre ! Moi qui ai dû, aux alentours de ce qui pourrait tenir lieu de fin à cette histoire, me lancer sur ce même câble les mains vides et les pieds gelés, oscillant tantôt d’un côté, vacillant dangereusement de l’autre, et la chute finale sous le regard incrédule, puis rempli de souffrance, de mon public clairsemé… Et ce luxe, désormais : décider en toute impunité de ce qu’on retient, en toute lucidité de ce qu’on écarte ; décider de cette réalité injectée, en quelque sorte, de cette vérité de contact, « de cette vérité superficielle et d’accident »… Décider aussi du précieux, pour moi, de tout ce qui n’y apparaîtra peut-être pas. Mais y lira-t-on le poids de l’absence et du manque, et tout ce qu’ils ont pesé sur moi pour que naisse cette histoire ? Y lira-t-on ce qu’il faut de silence autour de soi pour ronger l’os de la mémoire ? De toute façon, les faits sont les faits et on ne peut les modifier sans pincement de cœur. On peut, certes, les escamoter, on peut les amener par la tangente, les poser de travers… Mais peu importe, puisque le plus souvent les faits ne sont pas l’essentiel : ils ne sont que le support de l’essentiel qui, lui, se tient à distance, hors du champ visible. En sous-traitance, ce sont les mouvements intérieurs, les glissements du terrain des pensées les unes vers les autres, l’implosion qui précède l’émergence du sentiment menant au geste, la pulsion esquissant l’attitude qui va s’inscrire dans l’espace, la progression intestine des muscles, l’ébauche des sensations, tout ce travail invisible à l’œil et au souffle, ce tracé comme celui dans le ciel du trajet des étoiles, les vrilles du dedans, le vertige des grands fonds d’avant les mots, la certitude du manque, l’angoisse au bout de sa branche morte — tout ce qui finalement forme l’essentiel sur quoi s’agrippe cette histoire, comment le retrouver après toutes ces années ? Car il a fallu attendre longtemps que les turbulences de l’air se soient calmées, que gestes et paroles dispersés loin à la ronde soient refondus ensemble… Mais retrouver ce qui, au milieu des gestes et des mots de tous les jours, s’était mis à manquer ? Il y avait toujours quelque chose de franchement absent qui rôdait dans le plein des journées — et c’était mon histoire qui commençait, mais où exactement ? Si je me pose ces questions, c’est que je ne me les suis jamais posées jusqu’ici ; et qu’il faut bien commencer par là si l’on veut aller de l’avant, comme j’en ai l’intention. Alors, où commence cette histoire ? à laquelle des bobines arrêtées sur leur axe ? On pourrait peut-être dire : le jour de mon arrivée là-haut, au lendemain de Pâques, tant pendant très longtemps il y a eu, au fond de moi, la certitude que c’étaient bien eux — cette ville, ce lieu — qui avaient tout déclenché en sous-sol, dès l’instant où j’avais posé le pied sur le trottoir, ce soir-là, vers dix-huit heures je crois, — alors que la ville, dans sa sournoiserie qui ne cesserait de se confirmer de mois en mois, s’était déjà jeté sur les épaules une cape de grosse laine rêche et noire, détrempée par une longue course tout le jour sous la pluie… Ah, cette présence de bête mouillée et souillée, ces soies puantes, à épier mes premiers pas, ceux d’une proie facile, s’est-elle sûrement dit, je sens encore son souffle épais, son poil de nœuds durcis qui se soulève dans l’ombre, le poids de son regard caché au fond de son grand capuchon de forêt noire, cette odeur de branches détrempées, de vieille neige négligée qui ne fait plus le ménage ni sa toilette : une gifle aux narines encore orgueilleusement tapissées des fragrances d’un printemps clinquant de frais, noué en fleurs et en bouquets… Bien qu’il paraisse plus logique, quand on y songe, de faire prendre son envol à cette histoire avant, au moment de la décision — ta lubie, disaient-ils, surpris et contrariés par ce qui n’était pas dans l’ordre des choses pour eux — de prendre ce poste in extremis pour une année scolaire et d’aller m’installer dans cette ville étrangère, à mille mètres d’altitude, tandis que Maurizio terminerait ses derniers examens avant notre mariage. Ta lubie : oui, c’est vrai que cette envie de partir a percuté ma cervelle comme une balle élastique ! Bong ! La secousse immense, une fraction de temps ridicule et tout ce que ce choc allait, plus tard, entraîner… J’entendais Marcelle parler de ce poste lâché brutalement par l’une de ses amies tombée malade, j’entendais le nom de la ville impossible à retenir la première fois, je l’entendais me demander : et toi ? le poste ne t’intéresse pas pour un an ?… Bong, ma lubie ! Mais, pour faire mouche du premier coup, il faut bien que cette idée se soit déjà exercée sur moi, il faut bien qu’il y ait eu, tout au fond, au moins une cellule vivante déjà, une infime levure de cette idée-là sur laquelle allait pousser cette histoire ; pourtant, dans l’herbier de ma mémoire, rien : aucune trace nulle part… Et c’est peut-être ce qui m’effraye le plus avec le recul, de n’avoir pas eu la moindre intuition, aussi fine qu’un filament, de ce qui me poussait à cette grossière séparation provisoire d’avec eux, ma mère, Maurizio, mes oncles, mes tantes, mes amis, grossière quand on la ramassait par pleines poignées dans leurs regards, grossière, indécente même — ces choses qui ne se font pas ! — cette décision de m’installer loin d’eux — ailleurs… Dans les quelques semaines qui ont suivi, toute ma concentration a porté sur la réalisation du projet, en occultant les causes, sûre d’être dans le juste en me disant qu’apprendre à vivre seule avant de vivre à deux est une bonne expérience, que se séparer un peu n’est pas une mauvaise chose et que se plonger dans un univers scolaire différent ne peut être que stimulant… D’autant plus que tout semblait s’imbriquer sans que j’aie à faire un quelconque effort : en me cédant son poste, l’amie de Marcelle me laissait un petit appartement meublé dans le nord de la ville et le directeur de l’école, du Gymnase comme on disait là-haut, tout heureux de trouver quelqu’un au pied levé, avait cru sur parole à mes qualités ! Mais commencer l’histoire ici — alors que je ne soupçonnais même pas l’existence de cette flaque de liquide trouble tout au fond duquel s’agitait à peine, informe encore, une unique cellule en attente ? alors que je n’entendais ni petit grincement discordant ni roulis de roue dentée et que, pire, je n’aurais même pas eu l’idée ou l’envie d’écouter au plus profond s’il pouvait s’y passer quelque chose de troublant ?… Je fis les préparatifs du départ dans une inconscience totale, à peine portée par un sentiment étrange que j’attribuais à l’investissement minimal qu’exigeait la situation. Et, de toute façon, le bruit de leurs voix, le bruit de leurs paroles, qui en faisaient encore plus que d’habitude pour se rassurer, aurait couvert n’importe quel fracas intérieur ! Bien sûr, leur inquiétude suffirait peut-être à justifier qu’on place le début de l’histoire ici ; car inquiets, ils l’étaient… Et avec le recul, j’en suis à me demander si eux n’avaient pas eu à ma place l’intuition de la fissure que j’ouvrais en même temps que mes valises. Si j’avais tenté d’écrire ces lignes peu après ou pendant ces événements, j’aurais probablement choisi de commencer mon récit au moment de la rentrée scolaire, à mi-côte d’avril, un de ces matins qui promet tant qu’on entend déjà, là-haut, quelques fillettes miauler pour que leurs mères les laissent troquer leurs collants contre une paire de longues chaussettes… Mais, franchement, quelle importance peuvent bien avoir ces premières journées d’école dans cette histoire ? Quelle importance que cette nouvelle fournée d’élèves dont je ne me souviens guère : d’eux tous, de leur agitation gentille, de leurs pitreries douces, que me reste-t-il sinon eux deux ? Eux deux… Être à nouveau si près de leurs noms et ne pas oser, pas encore, les tâter du bec de la plume, ne pas encore oser glisser sur les boucles des lettres de leurs noms, hésiter aussi à écrire leurs vrais noms, hésiter à leur en broder un autre… Ces hésitations qui s’égrènent et dont la grappe est à peine entamée… Tout vient à son heure me surprendre. La griserie m’entaille tout de même un peu face à ces libertés nouvelles avec lesquelles négocier à chaque phrase et qui flottent devant mes yeux comme les milliers de floconnets des peupliers noirs, qui s’accrochent en duvets de nains dans l’air d’été ; mais le vertige aussi : jusqu’où s’élancer derrière eux ? jusqu’où s’élever à leur poursuite, eux qui se déversent dans l’air trop bleu au-dessus du lac — alors qu’ils ne sont qu’ébauches de formes ? Le doute, pourtant, me saisit : ne serait-il pas mieux de ne pas chercher sur la bobine emmêlée où se tient debout le début et de s’arrêter là ? de ne pas parler d’eux, repousser cette histoire en sous-sol où elle sait reposer silencieuse depuis si longtemps, et continuer à marcher par-dessus sans s’en soucier ? Mais, pour renoncer maintenant, il n’aurait pas fallu remonter dans la ville ni arpenter de nouveau ses trottoirs après toutes ces années, car trop de choses sont venues par les pieds et trop de choses, déjà, y sont remontées ! Déjà, la voûte plantaire sent au milieu de quelles tensions ces couches profondes continuent de se chercher sous la croûte ; certes, ce n’est plus guère la menace de jadis, celle d’être broyée dans les frottements d’écorce et engloutie dans le bouillonnement d’entrailles, mais ne s’en obstinent pas moins quelques secousses bien senties parfois qui rappellent le souvenir des vieux séismes… Alors, l’histoire pourrait-elle avoir commencé quand ils ont surgi devant moi pour la première fois, d’une pâleur argentée dans la poudre de lune de ce soir tiède, sous la soie noire des marronniers, la fête aux tempes ? Naturellement, à ce stade je pourrais encore renoncer à frictionner mon corps avec l’onguent brûlant de cette histoire et laisser ma peau sans l’odeur de ces événements ; ce serait accepter d’être, comme tant d’autres, quelqu’un qui n’a rien à raconter, rien, et me taire ; mais cette histoire pourrait tout aussi bien commencer quand mon corps traçait derrière eux, dans l’axe éblouissant du désir, que rien ne pouvait me retenir de surprendre leur étreinte entre les fentes du bois, avec le soleil déjà moite de cette fin d’après-midi d’octobre huilant mes épaules,

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