Chapitre 1

2532 Worte
1 Je marche dans le désert, le soleil rayonnant sur ma peau. J’aperçois un scintillement bleuté au loin. Est-ce un mirage ? Je cours dans sa direction et le scintillement se transforme rapidement en un océan bleu infini. Je suis fou de joie. J’ai toujours voulu voir l’océan. Soudain, une silhouette en bikini et cheveux courts apparaît devant moi et dit : — Je ne savais pas si cela allait fonctionner, mais je voulais tenter le coup. Tu es en train de rêver, mais il faut que tu te réveilles. Une fois que la surprise de son apparition est passée, je me rends compte qu’elle a raison. D’une certaine façon, je savais que je rêvais. Après tout, il n’y a pas de dômes ni de barrières autour de moi et je sais que les océans et les déserts n’existent pas sur Oasis. Cette prise de conscience me réveille en sursaut. Les lumières du dortoir sont tamisées au point d’être à peine perceptibles. Ce n’est donc pas encore le matin. — Je suis désolée de m’être immiscée dans ton rêve, dit Phoe. Je sais qu’il est tôt, mais c’est urgent et nous devons parler. J’essaie de me réveiller pour de bon en me frottant les yeux. Phoe se tient près de mon lit. Son visage habituellement souriant est parcouru de rides inquiètes. Je ne sais pas si elle est restée plantée là toute la nuit. En fait, elle n’est pas vraiment là. Je peux la voir grâce à sa maîtrise de l’interface de réalité augmentée. La véritable Phoe – l’intelligence artificielle du vaisseau – est partout. À mesure que je me réveille, ce que j’ai appris hier me revient à l’esprit : la Quiétude que j’ai subie pour avoir posé trop de questions après l’oubli de Mason, l’évasion de la prison des sorcières avec l’aide de Phoe, ma fermeture du zoo, le jeu IRES qui a suivi, la course à travers la forêt. Je me rappelle avoir volé sur un disque, m’être fait capturer et presque tuer, avoir rejoué au jeu IRES pour la seconde et dernière fois. Et surtout, je me souviens des révélations fracassantes qui ont suivi, et cela m’inonde la tête de questions auxquelles je n’ai pas pensé la veille. Par exemple, si nous nous trouvons sur un vaisseau spatial, vers où volons-nous ? Quand arriverons-nous ? Pourquoi... — Je cherchais justement à répondre à ces questions. Découvrir où nous nous trouvons dans le cosmos est une de mes priorités... après notre survie. Phoe jette un coup d’œil prudent en direction de la porte avant de reporter son attention sur moi. — Malheureusement, je n’ai pas encore les capacités informatiques nécessaires au calcul de notre situation dans l’espace. Cependant, j’ai découvert comment nous pouvons acquérir ces ressources. Sauf que, comme je te l’ai dit, notre survie est primordiale et... il y a quelque chose que tu devrais voir. Son ton génère un pic d’adrénaline qui chasse les dernières traces de sommeil de mon cerveau. Je laisse automatiquement le nettoyage du matin s’occuper de mes dents pendant que je pose mes pieds dans mes chaussures et que je tends la main pour prendre une barre de nourriture. Une petite table de chevet avec un gobelet d’eau se trouve déjà là. Cela doit venir de Phoe. — Ai-je le temps de manger ou boire ? m’enquis-je mentalement. — Oui, dit-elle. Le danger n’est pas immédiat. C’est juste quelque chose que tu dois voir, et le plus tôt sera le mieux. Je fais apparaître un écran pour vérifier l’heure : il est six heures moins le quart. J’aurais pu dormir au moins deux heures de plus. J’enfourne la moitié de la barre de nourriture et je la mâche avidement tout en marmonnant que cette privation de sommeil n’était pas nécessaire. — Nous avons eu de la chance, dit Phoe en jetant un nouveau coup d’œil vers la porte. Leur rencontre a eu lieu dans la réalité virtuelle, mon domaine. J’avale une gorgée d’eau et lui demande mentalement : — Qui ça ? Et quelle rencontre ? — Il vaut mieux que tu voies cela de tes propres yeux, répond-elle en se mordant la lèvre. Je n’ai pas assez confiance dans le langage pour quelque chose de ce genre. C’est un mode de communication notoirement imprécis. En outre, j’ai besoin de voir si ton analyse est la même que la mienne. J’avale d’un coup le reste de la nourriture et je la fais descendre avec de l’eau en me forçant à ne pas regarder ses lèvres. — Très bien. Je suis prêt. — Ton repaire, dit Phoe brusquement. Le visage sérieux, elle fait le geste des deux majeurs qu’elle a inventé pour me faire entrer dans l’environnement virtuel – comme si je pouvais l’oublier un jour. Je souris intérieurement en pensant à ce que dirait Liam s’il se réveillait et me voyait faire ce geste. Il supposerait certainement que je lui faisais un double doigt d’honneur. — Maintenant, Theo, chuchote Phoe sèchement. Le corps de Phoe ne se tient plus devant moi, alors je fais le geste en ciblant des doigts l’endroit où elle se trouvait avant. Si j’avais encore été un peu endormi, l’expérience du tunnel blanc m’aurait complètement réveillé. J’examine mon repaire en clignant des yeux. J’aperçois un bocal de mort-aux-rats à ma droite, et à ma gauche se trouve une baignoire en plastique remplie d’un liquide à l’odeur atroce. Peut-être de l’acide chlorhydrique. — Es-tu d’accord afin que je t’immerge dans un enregistrement de réalité virtuelle ? demande Phoe. Je regarde dans la direction d’où vient sa voix, prêt à m’abriter les yeux. La dernière fois que j’ai vu Phoe ici, elle brillait d’une sorte de lumière divine. — Oui, pas besoin de t’inquiéter, dit-elle et je vois qu’elle est exactement comme dans le monde réel, sauf que ses yeux bleus sont anxieux. Elle fait descendre ses mains le long de ses courbes. — Je prendrai cette forme quand nous serons ici, en particulier à la lumière de ce que nous sommes sur le point de voir. Je la fixe du regard quand elle passe une main dans ses cheveux, transformant sa coupe courte et soignée en un tas d’épis. — Alors, es-tu d’accord afin que je t’immerge dans cet enregistrement ? insiste-t-elle. Tu y consens ? Je cligne des yeux. — Pourquoi pas ? — Eh bien, j’ai promis de ne rien faire à ton esprit sans ta permission. Pour que tu puisses voir ceci, je vais devoir te connecter à... — Bien sûr, dis-je alors que la curiosité accélère mon pouls. Fais ce que tu as à faire. Phoe fait un geste évoquant un chef d’orchestre. Ma vue et mon ouïe se troublent comme le bruit blanc d’une ancienne télévision déréglée. Quand mes sens se sont débarrassés des parasites, je ne me tiens plus dans ma grotte. J’examine ce qui m’entoure en entendant une magnifique musique envoûtante. L’endroit ressemble à une cathédrale ancienne, sauf que c’est beaucoup plus grand. Même la basilique Saint-Pierre au Vatican, la plus grande structure de ce genre que j’ai pu voir dans les livres, pourrait entrer plusieurs fois dans cette immense salle. La musique vibrant dans l’air augmente le sentiment d’être petit et insignifiant. — C’est de l’orgue, résonne la voix tendue de Phoe dans ma tête. La Toccata et Fugue en Ré mineur de Bach, pour être exacte. — Il s’agit donc d’une réalité virtuelle, comme mon repaire ? J’ajoute mentalement ce morceau à ma liste de musiques préférées et j’espère que ma vie deviendra un jour assez normale pour que je puisse écouter de la musique. — Ce que tu es sur le point de voir s’est déroulé dans la réalité virtuelle, dit Phoe. Mais la différence avec ton repaire, c’est que ce n’est pas ‘en direct’. En gros, tu vois un enregistrement secret de la réunion. Nous avons de la chance qu’ils se soient rencontrés ici, car j’ai ainsi pu intercepter leurs paroles. Je cherche la source de la musique dans la pièce. Ils avaient des orgues autrefois dans les églises, mais je ne trouve pas d’instruments ni de décor manifestement religieux. Malgré tout, la musique et les plafonds très hauts me donnent l’impression d’être dans un étrange lieu de culte. — Il y a ça, et puis le fait que Jeremiah soit agenouillé. La voix de Phoe me parvient à quelques mètres de l’endroit où je me trouve. Je jette un coup d’œil dans cette direction, mais elle n’est pas là. À la place, je vois ce dont elle parle : une silhouette aux vêtements et aux cheveux blancs qui se confond presque avec le sol pâle et brillant. Assise près d’une grande dalle en marbre ressemblant à une scène de théâtre, la silhouette adopte une position de prière qui ressemble à la posture de l’enfant que nous avons apprise au yoga. Même si je ne peux pas voir son visage, je reconnais immédiatement Jeremiah et je ressens un fort désir de violence envers lui. Pour ma défense, ce type m’a torturé hier. — Soit attentif, dit Phoe d’un ton sec. Voici la partie que tu ne veux pas rater. Au moment où elle me parle, le centre de la plate-forme est illuminé par une silhouette de pure lumière. La silhouette est si lumineuse et intense que je suis obligé d’abriter mes yeux avec mes mains. C’est comme de regarder le soleil, si le soleil avait une forme humanoïde. Je ferme les yeux et je retire les mains. Je peux toujours voir la lumière à travers mes paupières. — Tu peux te lever, dit la silhouette dont la voix semble être formée par la musique d’orgue. La lumière a baissé, alors j’ose entrouvrir mes yeux. La silhouette est moins lumineuse et je peux ainsi voir quelques détails, comme le fait qu’elle est vêtue de quelque chose qui ressemble à un pagne et qu’il est plus approprié de dire que la chose est masculine, du moins si j’en juge par les épaules et le torse musclés. Bien sûr, ce raisonnement basé sur l’anatomie humaine s’effondre si je tiens compte des ailes géantes de la créature, dont chacune rayonne de milliers de watts. — Émissaire, dit Jeremiah une fois qu’il est debout. — Gardien, répond l’être – l’Émissaire – de la même voix d’orgue. — Votre présence me fait honneur, dit Jeremiah, mais son ton est solennel plutôt que respectueux. — Toujours aussi formel, dit l’Émissaire en faisant un sourire angélique trop beau pour un mâle. Jeremiah s’incline au lieu de répondre. — Nous souhaiterions un rapport sur les événements récents, dit l’Émissaire, ses yeux anciens et inhumains scintillants comme des diamants bleus. — Que souhaitez-vous savoir, Émissaire ? demande Jeremiah d’un ton calme. Il ne s’est pas passé grand-chose... rien de remarquable, en tout cas. — Ah bon ? Le sourire béat de l’Émissaire a disparu. — Eh bien... Pour la première fois, Jeremiah semble légèrement sur ses gardes. — Nous sommes entièrement prêts pour le jour des naissances qui arrive. Les bébés dans les incubateurs vont naître en temps et en heure, et les préparations de fête sont en cours. La nouvelle génération d’Aïeuls a reçu des instructions et ils savent à quoi s’attendre. Ils ont été briefés au sujet du Test... Pendant qu’il parle, les traits de l’Émissaire ainsi que l’espace autour de lui s’assombrissent, comme s’il avait absorbé toute la lumière qu’il émettait plus tôt. Le froncement de sourcils est comme un étrange masque sur son visage éthéré. Jeremiah fait un pas en arrière. — Tu ne veux parler de rien d’autre ? La voix de l’Émissaire prend ces tonalités sombres que seuls les tuyaux d’orgue peuvent produire. — Rien qui est en rapport avec le Conseil ? — Je ne comprends pas, répond Jeremiah en déglutissant de manière audible. Qu’y a-t-il avec le Conseil ? — La réunion du Conseil. La mélodie de la voix de l’Émissaire devient de plus en plus effrayante. — Quelle réunion du Conseil ? La voix de Jeremiah se brise, mais il poursuit : — J’ai déjà fait un rapport sur la dernière... Les mains pleines de grâce de l’Émissaire forment des poings. À ce moment-là, les yeux de l’être ont quelque chose du dieu de la foudre, ce qui me fait me demander s’il n’est pas sur le point de frapper Jeremiah avec un éclair de tonnerre. Le regard qu’il lance au vieil homme est comme ces regards légendaires décrits par les anciens dans les livres : mortel. Je suis surpris que Jeremiah ne se soit pas transformé en un petit tas de cendres sur le sol. — J’aimerais utiliser le filtre de vérité pour poser ma question suivante. La voix musicale de l’Émissaire est encore plus grave qu’auparavant. — Te souviens-tu ce que cela implique ? — Vous pensez que je... Jeremiah pâlit, devenant blanc comme les sols de marbre. Puis, comme s’il changeait d’avis, il dit précipitamment : — Oui, bien sûr. Jeremiah pose solennellement une main sur sa poitrine. — Je consens au filtre de vérité et je jure de dire toute la vérité et rien que la vérité. Au moment où Jeremiah prononce le dernier mot, sa main tombe mollement à ses côtés et ses yeux deviennent vitreux. — Te souviens-tu de la rencontre du Conseil qui a eu lieu il y a à peine quelques heures ? demande l’Émissaire. — Non, dit Jeremiah d’un ton de zombie. L’Émissaire desserre les poings, l’air confus. — S’est-il passé quelque chose qui sort de l’ordinaire depuis ton dernier rapport ? — Non, dit Jeremiah. L’incident avec Mason était le dernier événement remarquable. Il a pris fin et j’ai déjà fait un rapport à ce sujet. — As-tu déjà envisagé de trahir ton devoir en tant que Gardien de l’information ? L’Émissaire plie ses ailes autour de son corps comme on le ferait avec une cape. — As-tu déjà envisagé de te servir de l’oubli sur toi-même, alors que tu ne le dois pas ? — Non... et non. L’absence complète d’émotions dans la voix de Jeremiah est troublante. — Je n’ai rien oublié depuis que je suis Gardien. — Sauf que si c’était le cas, tu ne mentirais pas, dit l’Émissaire dont la voix mélodieuse semble déçue. Un mensonge n’est pas un mensonge si tu ne sais pas que tu mens. Jeremiah regarde l’être. Je suppose que sous l’influence du ‘filtre de vérité’, Jeremiah attend une question pour parler. — Sais-tu que nous sommes automatiquement informés de toute rencontre formelle du Conseil ? demande l’Émissaire. Lui aussi semble s’être rendu compte qu’il fallait poser une question. — Oui. Le visage de Jeremiah est complètement vide d’émotions. — Alors, sans véritable réunion du Conseil, peux-tu imaginer une autre raison pour laquelle nous pourrions recevoir un tel rapport automatique ? — Non. L’Émissaire fait un geste précipité et tressautant en direction de Jeremiah, et les yeux du vieil homme redeviennent normaux. Je ne pensais pas qu’il pouvait pâlir davantage, mais il y parvient. Sa peau est presque transparente et des veines pulsent sur ses tempes. — Vois-tu ? demande gravement l’Émissaire. Vois-tu l’énormité de la chose ? — En effet, dit Jeremiah, les lèvres tremblantes. Quelqu’un m’a fait oublier.
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