- J’ai entendu une conversation il y a de cela quelques semaines entre la sœur Raissa et la sœur Agathe. Elles disaient qu’elles avaient assisté à la discussion entre la mère supérieure et sœur Lorette. J’étais abasourdi, c'étaient des calomnies, le père Ambroise n’est pas du tout comme ça, c’est un homme bon et que de telles rumeurs puisse courir sur sa personne me laissait sans voix. Apparemment la sœur Lorette était enceinte et quand la mère supérieure l’a interrogé sur l’auteur de sa grossesse, elle a dit que le père Ambroise l’avait v***é.
- Shhh ne dit plus ce mot avec tant de facilité, c’est un acte qui implique plusieurs péchés à la fois.
- En discutant avec Mary, j'ai appris qu’elle aussi le savait, en fait tout le monde le sais, mais personne n’ose le dire à haute voix. Et apparemment, elle n’est pas la seule, il y a déjà eu d’autres rumeurs du même ordre le concernant.
- Ce sont des calomnies Solène. Tu ne devrais pas les écouter et encore moins les divulguer. Le père Ambroise est un homme bon, un homme pieux et par-dessus tout c'est un homme de Die et toutes ses rumeurs pour entacher son image ne changent pas sa personne, je n’y crois pas.
- Si tout le monde le dit, tu ne penses pas qu’il y a une part de vérité dans tout ça ?
- Moi, je ne le dis pas, et c’est tout ce qui compte. Il ne faut pas toujours croire aux ragots. Et divulguer de telles informations sans preuves pourraient te porter préjudice à toi et à la personne impliquée.
- Tu… tu comptes me reporter à la mère supérieure ?
- Non, je ne ferais rien de tel mais toi arrête de divulguer c’est ignoble calomnie.
Le bong de la cloche du réveil retentit comme pour sceller solennellement ma phrase. Et je n’avais pas menti, je n’y croyais pas, pas une seule seconde des rumeurs sans preuves. J’avais confiance au père Ambroise et rien ne pouvait faire changer ça.
Durant toute la messe, j'observais les filles chuchoter entre elles, sûrement la fameuse rumeur avait pris de l’ampleur. Mais bien évidement à part Solène personne ne pouvait m’informer. Après la messe, je ne rejoignis pas les autres me dirigeant vers la sacristie. Je restai devant la porte voyant les enfants de chœur sortir, de la sacristie, ils me saluèrent et je répondis avec un sourire tendre, je n’ai jamais vraiment ressenti le besoin d’avoir des enfants à moi, mais je me dis qu'avec mes vœux, j'aurai beaucoup d’enfants, pas les miens génétiquement parlants, mais j’en aurai. Je compte travailler dans un orphelinat pour changer la règle selon laquelle toutes les personnes qui y travaillent sont sans cœur. S'il y a bien un truc que je sais de sources sûres, c'est que les enfants des orphelinats ont besoin d’amour, de beaucoup d’amour, je le sais de source sûre, car moi aussi, j'en ai besoin, ou plutôt, devrais-je dire, j'en avais besoin... désespérément. Sauf qu'un, j'ai connu le Christ et son grand amour inconditionnel à su me combler et guérir l'enfant blessé que j'étais. Il m’a aimé quand personne sur cette terre ne voulait m’aimer, il voulut de moi quand personne ne le voulait.
-Soeur Kiria, entendis-je et je me retournai pour voir le père Ambroise à côté de son véhicule, il n’était sans doute pas sorti par la sacristie. Je m’avançai vers lui le grand sourire, mettant loin derrière les fameux ragots sur le curé au grand cœur.
- Bonjour mon père,
- Bonjour Soeur Kiria, on y va ?
- Oh, je pensais que vous devriez me confesser
- Si, mais je le ferais dans mon bureau au presbytère. On sera un peu tranquille les autres prêtres sont allés dans les autres paroisses pour les célébrations, il faudrait que je sois rentré pour que notre cuisinière puisse retourner en famille.
-d’accord mon père. Dis-je en prenant place a bord de son pick-up blanc.
Le trajet c’est fait sans grande discussion, il n’a fait que me poser les questions concernant son sermon de la messe et je ne me suis pas lâché, j’ai aimé, tous les textes de cette semaine nous préparent à un des plus grands moments de l’Église catholique, le carême qui commence dans trois jours. Il n’y a pas une période que j’aimais comme celle-là, pouvoir accompagner notre sauveur dans le désert pendant quarante jours est un grand privilège. Et pendant cette période au couvent, on ne fait que prier, jeûner et méditer.
Quand on arriva au presbytère, je me dirigeai vers son bureau alors qu’il partit retrouver la cuisinière. Au bout d’un moment, il revint me trouver et fit le rituel avant de prendre place sur sa chaise de bureau m’invitant à me mettre à côté de lui en position les genoux contre le sol. Quand il m’en béni, je me lança
- Mon Père, pardonnez-moi, car j’ai péché. Il y a quelques semaines depuis ma dernière confession.
- Que le Seigneur vous accueille avec amour, ma sœur. Confiez-lui ce qui pèse sur votre cœur. Dit-il d’un ton apaisant
-Mon Père, alors que nous nous approchons du Carême, je ressens le besoin de purifier mon âme. J’ai essayé de rester fidèle à ma vocation, mais je me rends compte que j’ai laissé l’orgueil et l’impatience s’infiltrer en moi.
-Pouvez-vous me donner un exemple, ma sœur ?
-Oui… Il m’est arrivé d’être agacée envers certaines sœurs, surtout lorsque nous avons des tâches en commun. Parfois, je ressens une certaine irritation lorsque l’une d’elles me reprend ou me donne un conseil. Je sais que cela vient de mon orgueil, et pourtant, je lutte à l’accepter avec humilité.
- L’humilité est une vertu qui se travaille chaque jour, ma sœur. Nous sommes tous confrontés à l’orgueil sous différentes formes. Le reconnaître est déjà un premier pas vers la conversion.
-J’ai aussi du mal à être pleinement présente dans la prière. Mon esprit vagabonde souvent, et parfois, je ressens même un certain vide, comme si mes prières n’avaient pas de sens…
-Le désert spirituel fait partie du chemin de foi. Même les saints ont connu des périodes de sécheresse dans la prière. Ce qui compte, c’est de persévérer, même lorsque vous ne ressentez rien. Avez-vous déjà envisagé d’offrir ces moments d’aridité au Seigneur, comme un acte d’abandon ?
-Non, je n’y avais pas pensé ainsi… Mais cela me donne une autre perspective. Dis-je le cœur léger
-Pendant le Carême, je vous encourage à méditer sur l’humilité du Christ et son abandon au Père. Peut-être pourriez-vous choisir un petit sacrifice, non pour vous punir, mais pour apprendre à offrir ces luttes intérieures à Dieu.
- Oui, mon Père. J’aimerais aussi mieux écouter mes sœurs et être plus patiente.
- C’est une belle intention. Le Carême est un temps de purification et de renouveau. Continuez à avancer avec confiance.
- Il y a longtemps que je porte un poids dans mon cœur… une blessure que je n’arrive pas à guérir, malgré mes prières et mes efforts. Dis-je confessant une fois de plus cette rancœur dont je n’arrive pas à m’en défaire malgré mes multiples tentatives
- Parlez sans crainte, ma sœur.
- C’est au sujet de mon frère. Après la mort de nos parents, il n’a pas voulu me prendre avec lui. Il était adulte, il aurait pu s’occuper de moi, mais au lieu de cela, il m’a laissée à l’orphelinat. J’étais seule, abandonnée… Et même si aujourd’hui, j'ai trouvé ma place dans la vie consacrée, je n’arrive pas à lui pardonner. Cette rancune me ronge, et pourtant, je sais que je ne devrais pas la nourrir…
- Ce que vous avez vécu est une grande douleur, ma sœur. Il est normal que vous ressentiez encore cette blessure. Avez-vous déjà essayé de parler à votre frère de ce que vous ressentez ?
- Non… Nous n’avons plus de contact depuis ce jour-là, j’avais à peine cinq ans et lui 20. Il n’est jamais revenu me voir. Au fond, je crois que j’ai peur. Peur qu’il ne ressente aucun remords, peur qu’il ne comprenne pas ma souffrance ou pire qu'il m'ait oublié et a continué avec sa vie normalement comme si je n’avais jamais existé. Alors que moi, je garde cette rancœur, et elle m’empêche d’avancer pleinement avec le Seigneur.
- Le pardon est un chemin difficile, surtout lorsque la blessure est profonde. Mais il ne signifie pas forcément excuser ou oublier. Il s’agit avant tout de se libérer du poids de la haine et du ressentiment.
- Mais comment puis-je pardonner alors qu’il ne m’a jamais demandé pardon ?
- Le pardon ne dépend pas toujours de l’autre. Il est d’abord un acte de votre propre cœur. Le Christ, sur la croix, a pardonné à ceux qui l’ont crucifié sans attendre qu’ils le reconnaissent coupable. Vous aussi, vous pouvez choisir de lâcher prise, non pour lui, mais pour vous.
-J’aimerais… mais je ne sais pas comment faire. Et je ne sais même pas si j'en ai envie, mais ça ne me garda bien de le lui dire