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- Océane ! Entendit-elle quelqu'un l'appeler par-dessus la musique assourdissante autour d’elle.
Océane se figea à quelque mètres de l'aile des VIP, en entendant la voix qui venait de l’interpeller - une nouvelle fois - le plateau vide dans une main.
Elle avait envie de grogner, car depuis deux heures, elle devait servit les clients des carrés V.I.P de la plus sélecte des night-clubs de Wellington où elle travaillait depuis deux ans maintenant, tout en supportant leurs remarques et leurs suggestions coulantes et sa robe bustier noires moulantes sertit de ses escarpins vertigineux, qui lui donnait mal aux pieds, n’étaient pas pour réfréner les ardeurs de ses messieurs.
La journée avait été pénible pour elle, mais elle n’avait pas le choix, elle devait tenir encore une heure jusqu’à la fin de son service et elle pourrait rentrer se coucher quelques heures avant de se rendre à son deuxième boulot. Maintenant qu’elle avait obtenu son Master de commerce, elle espérait obtenir un bon travail et pouvoir ne plus avoir à travailler ici. Et sans expérience cela allait, elle le savait, s’avérer difficile.
Mais pas plus que continuer ses études ici, tout en maintenant son identité secrète à ses amis.
En pensant, elle devrait aller rendre les livres qui l’avaient aidé pour sa thèse à la bibliothèque.
Un sourire figé sur les lèvres, elle se tourna vers la personne qui venait de l’interpeller en priant ne pas avoir affaire à un client ou un supérieur quand son sourire se figea et qu’elle sentit son visage se vider de son sang.
Comment n’avait-elle pu reconnaître la pointe d’accent français, la même que la sienne ? La faute à la musique assourdissante.
- Océane Hochart ! Je savais que c’était bien toi, reprit son interlocutrice, qui la scrutant le regard coulant, un sourire vil sur les lèvres.
Dissimulant le plus possible le choc, Océane scruta la jeune femme face à elle.
- Tu te souviens de moi, n’est-ce pas ?
Blonde, yeux bruns et formes généreuses avantageusement mises en valeur dans sa courte robe de lamé argent. Ô, oui elle se souvenait d’elle !
- Oui, dit-elle entre ses dents. Tu es Liliane Pichet.
La jeune femme hocha de la tête et la regarda une nouvelle fois de la tête au pied avec un sourire moqueur au coin des lèvres.
De toutes les personnes ayant fait partir de son ancienne vie et qu’elle espérait ne jamais revoir, il avait fallu que ce fût sur elle qu’elle tombe. La pire de ses ennamies.
Pour la connaître, Océane connaissait très bien Liliane Pichet. Elles avaient fréquenté le même lycée sélect pour jeune fille en Angleterre, avaient évolué dans l’univers riche et feutré de Paris, et avaient même un temps exercer le même métier : celui de mannequin. Lorsqu’elle avait quitté sa famille et la France pour s’exiler le plus loin possible, elle avait dit adieu à sa carrière montante que d’ailleurs elle ne regrettait pas.
Elle avait tout abandonné derrière elle et était venue se réfugier à l’autre bout du monde, en Nouvelle-Zélande, pour être certaine que sa puissante famille ne la retrouve jamais. Car les Hochart était l’une des familles les puissantes et les riches de France qui dirigeait un empire de cosmétique connu dans le monde entier. Elle avait même été dès ses quinze ans une égérie de la marque et avait aidé à vendre et rendre encore plus célèbre les cosmétiques Hochart.
- Tu as changé. Tu travailles donc ici, maintenant ? Dit-elle une pointe de sarcasme dans la voix.
- Non, mentit-elle. Je remplace juste une amie.
De tous, elle ne voulait surtout pas que la jeune femme sache la vérité. Mais surtout si elle était restée la même et elle pensait que c’était le cas, celle-ci une fois de retour à Paris - et avec les réseaux sociaux peut-être n’irait-elle pas à attendre jusqu’à rentrer - irait raconter partout qu’elle l’avait vu ici et sa famille saurait en un rien de temps où elle se cachait. Mais, surtout lui. Marcos de Luca. Et, il fallait par-dessus tout que celui-ci ne la retrouve jamais.
Jamais.
Océane ne put s’empêcher de frissonner au souvenir de l’homme. Elle revoyait encore ses yeux verts émeraudes flamboyants, ses cheveux aussi noirs que le jais et ses traits si parfaits qu’on ne pouvait pas le déclaré beau, mais sublime.
Non, il ne le fallait pas. Bon sang ! Pour éviter cela, elle allait devoir quitter son travail et dire adieu à un apport financier bien conséquent.
- Excuse-moi, mais je dois retourner au travail, dit-elle pour mettre un terme à cette rencontre plus que malvenue.
- Bien sûr, répondit Liliane avec son sourire de pub qui commençait à l’agacer. Cela a été un plaisir de te revoir, Océane, dit-elle d’une voix roucoulante. Et, j’espère te revoir très bientôt.
Se retournant, Océane retourna au bar et après avoir demandé une pause, alla se réfugier dans les vestiaires pour essayer de retrouver son calme et un peu de contenance, mais elle était soudainement assaillie par les souvenirs de son passé.
Quatre ans. Cela faisait un peu plus de quatre ans qu’elle n’avait pas revu sa famille. Plus depuis qu’elle s’était ainsi dite enfuie. Une fuite qui l’avait non seulement éloigné d’eux, mais de lui. Mais, à l’époque, même si elle avait cru un instant pouvoir le faire, elle n’avait pas fait ce qu’on attendait d’elle.
La réalité, la peur, la pression exercée par son père, Lucien Hochart qui était un homme aussi froid qu’implacable, l’ont poussé à la fuite. Elle a tout quitté sans un regard en arrière. Avec assez de liquide sur elle pour tenir quelques mois et quelques bijoux hérités de sa grand-mère, elle avait quitté Paris en train et de nuit pour tromper les pistes. Elle était allée jusqu’à utiliser un faux passeport qu’elle utilisait d’ailleurs toujours.
Même si elle s’y était préparée, se retrouver loin de son environnement avait été rude. Heureusement pour elle qu’était bilingue, ce qui lui avait valu de ne pas se sentir trop dépayser à Wellington.
Elle avait dû tout recommencer, ce qui était à dix-neuf ans dans une ville inconnue avec des repères et des dangers inconnus, périlleux. Trouvé un logement, le plus urgent, car elle ne comptait pas s’éterniser dans le petit hôtel où elle était descendue à son arrivée, trouvé un travail et reprendre ses études. Elle trouva assez vite un logement en colocation avec trois autres étrangers, des européens comme elle. Pour le travail, ce fut plus difficile. Elle a trimé avec plusieurs petits boulots et pas des plus loquace et encore les mieux payés.
Devoir plancher après avoir été habitué au luxe et à être servi par une ribambelle de domestiques n’avait pas été aisé, mais elle avait tenu bon. De toutes les manières, elle avait toujours été très indépendante et ne maquait pas de courage.
Oui, ses quatre dernières années n’avaient été pas de tout repos. Elle avait assez de crottes d’ampoules sur ses mains pour en témoigner. Elle avait tout fait pour passer inaperçu. Dans un premier temps, elle avait coloré sa brillante chevelure brune en rouge, mais avait finie par reprendre sa coloration naturelle quelques semaines plus tôt.
Peut-être que sans cela, Liliane aurait moins eu de chance de la reconnaître. Elle qui avait dû se contenir de s’informer sur la vie de sa famille si longtemps, voilà que cette rencontre lui donnait presque l’envie de savoir comment, il allait. Ses parents lui avait-il pardonnés ? Son frère aîné Matthieu s’était-il finalement marié avec cette héritière italienne et ses deux autres sœurs, Anne et Rita ? Au souvenir de sa sœur Anne, elle eut une moue de dégoût. Celle-là, elle ne regrettait pas de ne plus la voir.
Poussant un soupir, elle leva la tête et scruta la petite pièce où les employés se changeaient. Elle ne payait pas de mine.
C’était sa colocataire Victoria, avec qui elle vivait depuis un peu plus de deux ans, qui l’avait aidé à obtenir ce travail ici à High Five car elle-même y travaillait depuis un an avant elle. Une jeune belle femme de vingt-quatre ans à la peau caramel à la chevelure pratiquement noire et dense, qui se revendiquait être une descendante des premiers habitants de l’île même si elle reconnaissait avoir un peu de sang de colon britannique. Elle remerciait encore le ciel de sa rencontre avec la jeune femme qui l’avait beaucoup aidé dans son intégration et pas seulement en lui trouvant ce travail. Pas si facile d’ailleurs.
Il y avait une grande différence être client et être serveuse. Tout un monde de séparation qu’il lui avait fallu comprendre et assimiler, mais elle s’y était faite. Il lui fallait de l’argent pour se nourrir, se loger et payer ses cours et même si ce travail n’était pas facile avec toutes ses avances qu’elle subissait, elle avait tenu sans faillir.
Jusqu’à ce soir.