Chapitre 2

2053 Mots
2 J’ai conscience d’un mouvement. Je suis dans une voiture et elle avance très vite. C’est tout ce que je ressens. Je n’y vois rien pour une raison ou pour une autre et je ne sais pas trop comment je suis arrivé ici, quel que soit ce ‘ici’. Je suis aussi gelé. Tout me revient lentement. Caleb m’a drogué. C’est sa voiture. Où me conduit-il ? Que se passe-t-il ? Je déborde à présent d’adrénaline et même si je sais que cela ne sert à rien, j’essaie de déphaser dans le Calme. Lorsque cela fonctionne, je suis si surpris que je n’arrive pas à croire que c’est réel. C’est pourtant le cas : je suis assis à l’arrière, la voiture ne bouge plus. Le grondement du moteur a disparu et je n’ai plus froid. Caleb est figé à la place du conducteur. À côté de lui, je vois un sac noir couvrir la tête de mon corps figé. Cela explique pourquoi je n’y voyais rien. Je trouve intéressant que le sac ne m’ait pas rejoint dans le Calme. C’est en général ce que font les vêtements, mais je suppose que ce qui détermine quoi prendre dans le Calme a décidé que le sac ne faisait pas partie de mes vêtements. C’était une bonne idée et une autre petite preuve confirmant la théorie d’Eugene qui pense que tout ceci se produit dans notre esprit. Alors, après tout ce temps que j’ai passé à m’inquiéter à son sujet, je suis de retour dans le Calme. Cependant, je ne peux pas en profiter. Pas sans savoir ce que fabrique Caleb. J’ouvre la portière et je quitte la voiture. Je n’ai plus froid, même si j’aurais aimé porter autre chose qu’un maillot de bain. Je jette un œil à l’arrière de la voiture. À Brooklyn, le Hummer de Caleb avait plein de pistolets et de couteaux à l’arrière. Cette voiture, qui doit être une location, n’a rien de tout cela. Déçu, je regarde autour de moi. Nous nous trouvons au milieu d’une autoroute qui semble traverser une forêt. Un mur d’arbres touffus s’étire sur des kilomètres de chaque côté de la route. Je n’ai aucun moyen de dire où nous nous trouvons. Cela ne ressemble pas du tout à Miami. J’essaie de marcher dans la forêt, mais au bout de quelques échardes et égratignures, je décide que c’est une idée stupide d’errer sans but dans la forêt hostile, surtout si c’est pour comprendre où Caleb me conduit. Longer la route s’avère être tout aussi inutile. Même en marchant plusieurs kilomètres, je ne trouve aucune indication géographique. Je retourne dans la voiture et j’essaie d’explorer l’avant. Je sors mon corps, toujours couvert du sac noir, de son siège et je le laisse tomber sur le sol sans ménagement, afin de regarder à l’intérieur de la boîte à gants. Je finis par trouver quelque chose d’utile. Fidèle à lui-même, Caleb y a laissé un pistolet, en plus des armes qu’il doit porter sur lui. Je prends le pistolet et je m’en sers pour ouvrir la veste de Caleb. Je ne veux pas le toucher : je ne voudrais surtout pas qu’il apparaisse dans le Calme avec moi. J’avais raison, néanmoins. Il porte un pistolet et le gros couteau qu’il aime avoir avec lui est attaché à l’intérieur de sa veste. D’accord. Que faire maintenant ? Je décide de retourner dans le monde réel et de faire semblant d’être sans connaissance. Maintenant que je ne suis plus Inerte, je peux déphaser de temps en temps pour regarder autour de moi. Peut-être qu’au bout de quelques kilomètres, je saurais où nous nous rendons. Je touche mon corps figé et je sors du Calme. Le bruit revient instantanément, tout comme l’air froid de la climatisation. Ce qui est plus gênant, c’est que j’ai de nouveau la nausée, soit à cause de sa façon de conduire, soit à cause de ce qu’il m’a injecté pour m’endormir. Peut-être un mélange des deux. Je ne veux surtout pas vomir, en particulier avec un sac sur la tête, alors j’utilise un truc que je fais depuis l’enfance et j’inspire profondément. J’inspire. J’expire. J’inspire. J’expire. La nausée disparaît lentement. La voiture s’arrête soudain en crissant des pneus, réduisant tous mes efforts à néant. Je vomis presque. En un éclair, le sac est enlevé de ma tête. Je garde les yeux fermés et je fais semblant de ne pas avoir repris connaissance. J’aimerais que Caleb coupe le moteur maintenant que nous nous sommes arrêtés : le froid de la climatisation me fait frissonner, ce qui trahit le fait que je suis réveillé. Le monde devient alors étrangement silencieux. Caleb m’a attiré dans le Calme. Je garde les yeux fermés. — Arrête tes conneries, gamin. Je sais que tu fais semblant, dit Caleb. Je t’ai attiré là, ce qui signifie que même si tu étais sans connaissance, tu ne l’es plus à présent. Cela prouve également que tu n’es plus Inerte. Et si nous discutions un peu ? Merde. Il a raison. Le fait d’attirer quelqu’un dans le Calme le réveille : c’est ce qui était arrivé à Mira quand je l’avais sortie de son sommeil et qu’elle m’avait remercié en pointant un pistolet sur ma tête. Je n’ai pas le temps de m’attarder sur ce souvenir agréable, car des mains puissantes m’attrapent par les cheveux et par le maillot. En un mouvement rapide, je vole hors de la voiture, je m’égratigne les coudes et j’atterris dans une explosion de douleur. — p****n, Caleb. Qu’est-ce que tu fous ? Je tousse en essayant de me mettre à genoux. — Ah, tu es donc bien réveillé, dit-il avant de me donner un coup de pied dans les côtes. L’air s’échappe d’un coup de mes poumons et je lutte pour reprendre ma respiration. Il me frappe encore. Et encore. Je suffoque et je vomis presque de douleur quand il s’écarte enfin. Je me demande s’il va chercher un pistolet pour finir ce qu’il a commencé. Au moins, cette fois-ci je sais que je survivrai à la mort dans le Calme, même si j’étais encore une fois Inerte pendant Dieu sait combien de temps. Avec toutes les forces qui me restent, je commence à ramper pour m’éloigner, malgré les protestations de mes côtes fracassées. Je suis soudain de retour dans la voiture dans le monde réel, couvert par le bruit du moteur et l’air froid de la climatisation. Je ne ressens aucune douleur, mais tout redevient alors silencieux. Je regarde Caleb, qui est à présent assis à l’arrière avec moi. Qu’est-ce qu’il fabrique ? Il m’a sorti du Calme avant de m’y attirer de nouveau. — Sors. Tout. De. Suite, dit-il en serrant les dents. J’ai l’horrible sentiment que je n’ai encore jamais vu Caleb vraiment énervé. Pas jusqu’à maintenant, si c’est bien ce qu’il est. Le cœur battant, je me faufile tant bien que mal hors de la voiture. Il descend également et il enlève sa veste avec les armes, la laissant tomber sur le sol. Il a l’air de vouloir se battre. Je ne tiens pas compte de ma situation désespérée, je me concentre et je me prépare. Ma main droite se déplace pour bloquer son premier coup sans que mon cerveau le lui dise. La gauche essaie de le frapper à la mâchoire. Il parvient à bloquer mon crochet et l’instant d’après, je vois des étoiles. Mon nez est l’épicentre d’une douleur innommable. Je sens quelque chose de chaud couler le long de mon menton et quand j’essaie d’inhaler, quelque chose empêche l’air d’entrer. Mon nez doit être cassé. Lorsque je comprends cela, je bloque un coup destiné à mon plexus. Caleb fait alors ce que je ne peux que qualifier de tacle de foot américain. Il se précipite sur moi et comme je ne m’y attendais pas, je perds l’équilibre et je tombe à terre. Caleb me donne un coup de pied dans la tête. Le craquement qui accompagne son coup donne l’impression que l’univers vient de s’ouvrir. Je pense vaguement qu’il doit s’agir d’une fracture du crâne quand une lumière blanche douloureuse emplit mes yeux. Caleb semble s’arrêter et je perds connaissance. Je me trouve de nouveau dans la voiture froide. La douleur est partie, mais ma confusion est multipliée par cent. Qu’est-ce qui...? Puis je suis de nouveau attiré dans le Calme. — Tu veux continuer à jouer, ou bien es-tu prêt à parler ? demande Caleb lorsque je suis sorti de la voiture en chancelant. C’est donc cela ? Une espèce de torture créative qu’il a inventée ? Me casser la gueule dans le Calme, effacer mes blessures en sortant du Calme, puis m’y attirer de nouveau, me frapper, me retaper et répéter ? — Qu’est-ce que tu veux, p****n ? dis-je avec plus de courage que je n’en ai vraiment. — Tu peux commencer par expliquer comment Jacob s’est fait tuer par le pistolet que je t’ai donné. Je sais alors que je suis profondément dans la merde. — Jacob a été tué ? Je fais de mon mieux pour sembler surpris, ce qui est facile parce que je le suis : je suis surpris que Caleb ait su pour le pistolet. Thomas — mon nouvel ami et le seul autre Guide adopté que je connais — était si convaincu que nous étions lavés de tout soupçon. Mais j’ai oublié que le pistolet que j’ai utilisé était celui que Caleb m’avait personnellement donné. Il a dû obtenir l’accès au rapport balistique de l’affaire du meurtre de Jacob et il s’est rendu compte que c’était son revolver qui l’avait tué. — Tu sais qu’il a été tué. Caleb croise les bras avant de poursuivre. — Tu veux vraiment reprendre mon jeu ? Je réfléchis vite en sachant très bien qu’un délai dans ma réponse sera interprété comme un signe de mensonge. Si je lui dis tout, y compris le fait que je suis un hybride, il me tuera probablement tout de suite, comme dans le souvenir dont j’ai fait l’expérience où il a tué un poseur de bombes Pousseur. Si je lui donne une semi-vérité — oui, j’ai tué Jacob, mais c’est lui qui était responsable de la mort des parents de Mira et Eugene —, il pourrait croire en la culpabilité de Jacob ou bien me tuer pour avoir tué son patron. Il ne me reste plus que la réponse la plus faible de toutes, mais je m’y aventure néanmoins, en ayant l’impression d’avoir autant de choix qu’une personne qui se fait Pousser. — Attends, dis-je. Je ne sais vraiment rien au sujet de la mort de Jacob... Caleb fait un pas menaçant vers moi. Je me mets à parler plus vite. — Écoute. Je me suis fait tirer dessus quand tu m’as déposé à la maison de Mira. Tu peux vérifier les dossiers à l’hôpital. Quand j’y étais, quelqu’un a pris le pistolet. C’est à peu près plausible, et étant donné les circonstances, ce n’est pas la pire chose que j’aurais pu inventer. Malheureusement, Caleb ne récompense même pas ma réflexion rapide par une critique. Au lieu de cela, il s’avance vers moi et il m’envoie le premier coup, que je parviens à bloquer de la main gauche. Au même moment, mon coude droit touche sa mâchoire. Il lève un sourcil de surprise et il réplique. Je ne sais pas exactement comment, car les mouvements sont flous et il s’ensuivit par une explosion de douleur dans ma poitrine. Comme avant, je tombe à terre et il me donne des coups de pied répétés. La raclée est affreusement douloureuse. Et comme avant, quand je suis encore tout juste en vie, il nous sort du Calme. J’ai froid et cette fois ce n’est pas seulement à cause de la clim. L’adrénaline me pousse à réagir en combattant ou en fuyant. Je crains une autre raclée. Je ne pense pas pouvoir le supporter. Mais il ne m’attire pas dans le Calme. À la place, il repose le fichu sac sur ma tête. — De toute façon, ils découvriront exactement ce qu’il s’est passé, me dit Caleb. Avant de pouvoir demander ce qu’il veut dire ou qui sont ces ‘ils’, je sens une piqûre de ce que je pense être une seringue et le vide familier s’étend dans mon esprit quand je perds connaissance.
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