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J'étais la terreur

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Peut-on croire en l’existence de Dieu après avoir commis l’impensable ? Peut-on devenir un homme meilleur quand on a été le pire des hommes ?

Le 7 janvier 2015, une attaque t********e menée par deux hommes lourdement armés décime la rédaction de Charlie Hebdo. Le surlendemain, une prise d’otages dans une supérette casher prolonge le cauchemar, tandis qu’en fin d’après-midi, les brigades d’intervention lancent un assaut décisif contre les terroristes. Le weekend des 10 et 11 janvier, près de quatre millions de personnes, se mobilisent en une série de manifestations historiques, sous le mot d’ordre JE SUIS CHARLIE. La République paie cher son unité retrouvée, mais le monde donne l’impression d’aller mieux.

Quatre mois plus tard, au petit matin, un homme d’une trentaine d’années, qu’on croyait mort dans l’assaut, s’extirpe d’une fosse creusée dans une forêt picarde, gagne la capitale et entreprend de refaire sa vie. Le frère assassin renaît sous la peau d’un citoyen français ordinaire et bon père de famille. Mais les fantômes de son ancienne vie le hantent et lui rappellent le monstre qu’il a été.

Écrit du point de vue de Chérif Kouachi, J’étais la terreur revient sur l’itinéraire d’un enfant de la République, orphelin à treize ans, que l’énergie, les fréquentations et l’air du temps vont convertir en une arme de guerre au service de la barbarie et du Djihad. Depuis les soirées de la b***e des Buttes-Chaumont jusqu’à un stage déjanté au Yémen, Benjamin Berton propose, de manière tantôt réaliste, humoristique ou grave, une lecture très personnelle de la dérive t********e. Ni document, ni fable philosophique, J’étais la terreur rappelle que le respect de l’autre, victime ou bourreau, est notre seule obligation.

Un roman choc.

EXTRAIT

Je suis un homme tranquille aujourd’hui. Je suis débarrassé du mal. Je ne peux pas faire tout à fait comme si je ne l’avais jamais porté en moi. Je ne peux pas faire non plus comme si ce n’était pas son expression la plus brutale et la plus pure qui avait fait de moi l’homme que je suis maintenant. C’est pour cette raison que je ne dirai probablement pas tout ce que je suis en mesure de dire sur l’Action que mon frère et moi avons menée. Je ne peux pas vous exposer le détail de notre préparation. Je ne veux pas vous décrire avec précision l’horreur de ce que nous avons commis, ni l’immense plaisir que j’y ai pris. Je n’esquiverai pas les sentiments que j’éprouvai ce jour-là et que je sens encore battre en moi. Il y a des survivants pour cela dont la parole est probablement beaucoup plus importante que la mienne et dont le témoignage mérite bien plus que le mien d’être rapporté. Je ne doute pas que des gens écriront notre histoire sans rien en savoir et feront cela très bien. Je ne doute pas que leurs récits se vendront bien. Je souhaite qu’ils en profitent et qu’ils soient heureux avec leurs explications et leurs réponses. Ils écriront sur qui j’étais et ce qui a guidé nos bras vengeurs. Ils sauront mieux que moi, dans les commissions d’enquête et les groupes de réflexion. Ils sauront ce qu’il faut faire pour arrêter les monstres et les dépravés. Pour arrêter la plupart des monstres et des dépravés avant qu’il ne soit trop tard, je leur fais confiance.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

« J'ai lu J'étais la terreur. J'ai trouvé le texte impeccable, limite envoûtant parce que je l'ai trouvé sympa au final ce type. Ce que j'ai aimé aussi c'est l'idée de se mettre à la place du t********e pour comprendre son fonctionnement, en fait c'est là l'idée géniale. » (Nadine Enguehard, Librairie Enguehard, Écommoy)

A PROPOS DE L’AUTEUR

Benjamin Berton est né en 1974 à Valenciennes. Son premier roman Sauvageons (Gallimard, 2000), a reçu un accueil critique enthousiaste et été récompensé par le Prix Goncourt du Premier Roman et celui de la Vocation.

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1 Ils voyaient devant eux une route sans fin Ils prévoyaient déjà des douleurs sans remède Dans la vallée déserte où même l’archange paon N’est rien, quel autre oiseau du monde pourrait bien Supporter un instant les supplices du chemin ?1 Je me suis redressé ; mon corps était couvert de mousse. De petits insectes nichaient dans mes cheveux et au creux de mes oreilles. Je n’y entendais presque plus. J’avais les yeux fermés par la crasse et des fougères qui me poussaient dans les narines. Mes vêtements avaient pourri, déchirés à même mon corps par la terre et la ronce. Dans ma fosse, j’avais perdu plus de vingt kilos. Je me suis redressé et ce que j’ai fait en premier, c’est regarder le soleil naissant pour le remercier de m’avoir gardé en vie. J’ai frotté mes paupières. Il y avait des scolopendres accrochées à mes sourcils, des fourmis sur mes lèvres. Je les ai fait tomber en me grattant et en ai récupéré dans la bouche que j’ai gouleyés par habitude. Il était tôt et le soleil n’était pas encore brûlant. On pouvait encore le fixer sans trop de difficulté, ce que j’ai fait pendant plusieurs secondes pour me gorger de son pouvoir. J’ai étendu les bras, effectué plusieurs flexions comme chaque soir lorsque je m’aventurais à quelques mètres autour du refuge pour cueillir des baies et trouver un peu d’eau. Mon corps était maigre et sale, mais en parfait état de marche. Je L’ai remercié pour ça. On ne voyait aucun oiseau dans le ciel à ce stade du chemin. Après tout ce temps, j’étais certain de n’avoir plus grand-chose à craindre. Cela faisait un bail que je n’avais entendu personne courir dans les environs, si ce n’est un daim ou je ne sais quel autre animal. J’aurais pu me relever avant quatre mois. Plus personne ne me recherchait ici depuis bien longtemps. Les hélicoptères ont cessé de survoler la forêt après huit jours. Je les entendais bourdonner de jour comme de nuit, puis ils sont partis. Les gendarmes ont marché pendant deux semaines et inspecté chaque centimètre carré de terrain, mais ils ne m’ont pas trouvé. Les chiens n’y pouvaient rien. Ils sont passés et repassés juste au-dessus de moi. J’ai senti leur truffe moite, leurs crocs sourds derrière les pas haineux de leurs maîtres. J’avais fait ce qu’il faut pour que personne ne me détecte et cette partie de mon plan a, comme les autres, fonctionné à merveille. Ils n’ont pas soupçonné. Ils n’ont pas détecté. Ils n’ont pas imaginé que je me terrais là et ils sont repartis. Ce qui importe c’est la persévérance et l’imagination. Le piège n’est rien sans l’imagination et c’est à Lui que je dois l’imagination. Je n’en ai jamais manqué. La persévérance, je l’ai cultivée et c’est ma grande qualité d’homme. Je suis la persévérance et je ne connais rien. Je suis la répétition et je suis le laborieux. Ce n’était pas mon fort, mais il en faut pour accomplir de grandes choses. On ne peut rien faire si on ne s’en donne pas les moyens. Pour dire ce qui est, l’idée de la fosse n’est pas vraiment de moi. J’ai eu le mérite de la récupérer et de l’exploiter à mon avantage. Il y avait ce type dont on parlait pas mal à ce moment-là, l’homme des bois qui est à l’origine de ça. Jean-Pierre Treiber était accusé du meurtre crapuleux de deux femmes dont l’une était la fille d’un acteur célèbre que je ne connaissais pas. Cela avait duré un moment. Comme nous, le gars avait toutes les polices du pays aux trousses. Un peu moins sûrement, mais c’était tout comme. Il s’est enfui et il est parti en forêt pour se planquer, sans que personne puisse l’attraper. Cela a duré deux jours, et puis trois, et des jours et des jours. Le type vivait en forêt et ils avaient beau aligner les chiens, les hélicos et l’ensemble des moyens sophistiqués à leur disposition, ils n’arrivaient pas à le débusquer. La presse raconta qu’il connaissait la forêt comme sa poche. C’était un chasseur. Il devait savoir comment faire. Tout le monde se moquait des flics sur internet. Il y avait des tas de photomontages amusants sur le sujet : Treiber est dans ta cuisine, Treiber est dans ta voiture, Treiber est dans ton slip. Et moi, je m’étais rapidement mis à sa place, même si, à cette époque-là, je vivais dans le béton et n’avais aucune espèce d’idée de ce que pouvait recouvrir la survie dans une forêt humide. J’étais heureux pour ce type, parce qu’il narguait les autorités, l’anguille. Jean-Pierre Treiber devait savoir où trouver de l’eau et de la nourriture. Il connaissait les fruits comestibles et il connaissait les bêtes. Jean-Pierre Treiber posait des collets à lapins blancs et avait repéré les bons endroits à champignons. Pour salir sa mémoire, la télé a raconté ensuite qu’il attendait bien tranquille dans l’appartement d’une maîtresse en regardant la télévision et en mangeant du chocolat belge. Je suis sûr que ce n’était pas vrai et qu’ils l’ont pris tandis qu’il bouffait encore des vers de terre par les anneaux. Il faut toujours qu’ils présentent les choses comme elles ne sont pas. J’y ai repensé une autre fois en regardant Koh-Lanta. Est-ce que je serais capable de survivre avec presque rien ? Je viens de la ville et je ne savais pas avant d’apprendre. Le problème principal, dans le djihad, ce n’est pas l’Action mais la façon de s’en tirer vivant. La suite est toujours ce qui annonce la fin. Je n’ai jamais eu l’intention de mourir. Ce n’est pas quelque chose qui m’attire. Je ne veux pas forcément savoir ce qu’il y a après. Le Maître disait qu’il y aurait des récompenses et des vierges par-delà ce qu’on peut désirer, mais cela ne me faisait ni chaud ni froid. Désolé, je ne suis pas là pour ça, je lui disais. Comment est-ce qu’on peut dénoncer la vénalité du monde et prendre pour motivation le fait d’accéder à tout ce qu’on a jamais détesté. Ce n’est pas parce que c’est Lui qui nous les donne que c’est forcément une bonne chose, non ? Je ne suis pas un être de convoitise. Je ne veux pas de filles porno, sauf si elles ont de petits nichons serrés comme ceux de ma femme et peut-être des shorts en jean. Mais les vierges dont on nous parlait avaient d’énormes seins américains et des tronches de catalogue opérées. Ce que je préfère, c’est les chips, et je peux m’en acheter autant que je veux en travaillant, parce que les chips ne coûtent rien. Je n’ai pas besoin d’une voiture ronflante et d’une villa au soleil. J’ai abandonné ces rêves-là à la naissance. La femme que j’aime aujourd’hui sait bien mieux s’y prendre que des vierges nymphomanes. Je ne vois pas comment on peut faire l’amour à plus d’une ou deux femmes à la fois. C’est quelque chose qui me dépasse et que j’associe à tout ce que je déteste. Je veux faire comme Jean-Pierre Treiber, j’ai dit à mon frère. Je survivrai en m’enterrant vivant dans l’humus et me nourrirai de la forêt pendant quatre mois. C’est le temps qu’il faut pour se faire oublier. Aucun pouvoir ne peut maintenir un système de haute vigilance au-delà de quelques semaines. Entretenir une armée de chiens et de gendarmes coûte une fortune et ils sont à sec. Ils n’ont plus d’argent pour ça. Ils devront zapper, relâcher l’étreinte, aller voir ailleurs, suivre d’autres pistes. Je filerai plus vite que tout le monde en ne bougeant pas. C’est une question de bon sens. La patience et le temps ont été mes meilleurs alliés. Mon frère a dit, cela ne marche pas comme ça, mais je lui ai dit que, pour une fois, j’étais sûr de ce qu’il fallait faire et qu’il avait intérêt à me suivre s’il voulait avoir une chance de survivre. Je ne voulais pas d’une vie de cavale. Je ne voulais pas la mort. Je ne crois pas au martyre, je ne crois pas au sacrifice. Se faire tuer est une erreur et je ne crois pas qu’Il puisse vouloir que Ses serviteurs soient rayés de la surface de la terre après un aussi glorieux fait d’armes. Alors, j’ai fait ce qu’il fallait. J’ai rassemblé une sorte de documentation sur les cavales et les fuites, ce qui m’a permis de me rendre à l’évidence : personne ne s’en sort d’ordinaire. On finit toujours par commettre une erreur et emprunter le mauvais chemin. Cela se termine toujours de la même façon. Les gendarmes remontent la piste. On traîne à droite à gauche. Il y a des indices qui clignotent tout du long, des gens qui parlent. Et les gendarmes remontent, ils remontent comme s’ils avaient collé un mouchard sur votre dos et ils se rapprochent jusqu’à lire en vous comme sur un GPS. Je ne veux pas terminer dans un hangar avec des innocents au bout de la gâchette et trois cents mecs en noir prêts à m’abattre. C’est moi qui ai eu l’idée de laisser la carte d’identité dans la voiture que nous avons abandonnée. Je ne voulais pas qu’ils aillent ennuyer tout le voisinage pour savoir qui j’étais et défoncer les portes de tas de gens innocents. Je leur ai donné notre tête sur un plateau. Ce n’était évidemment pas une erreur. Ceux qui ont pensé cela me prennent véritablement pour un imbécile. J’avais gagné d’avance. Je ne vais pas vous refaire tout de suite ce qui s’est passé. Il y a le temps pour ça. Tout est dans la presse. Vous avez vu les images. Trois semaines avant l’opération, j’avais préparé ce que d’aucuns auraient qualifié de coup de génie s’ils en avaient seulement eu l’idée. Je suis allé dans la forêt que j’avais choisie. C’est un endroit où l’une de nos éphémères familles adoptives nous emmenait régulièrement le week-end. Ils aimaient faire de la randonnée et ils nous forçaient, mon frère et moi, à les suivre pour de longues balades. C’était l’horreur à l’époque, car nous n’étions pas capables de comprendre pourquoi ils nous infligeaient ça. Nos yeux ne voyaient pas la beauté sacrée du monde et nous entretenions un rapport méfiant à la nature. Je n’y étais pas retourné depuis, mais les lieux avaient assez peu changé. Nous n’étions pas restés plus de quelques mois chez ces gens. Mieux valait le foyer. Il y avait toujours des arbres à perte de vue. Les arbres avaient grandi, les contours avaient changé et la forêt s’était épaissie. C’était la planque idéale. J’y suis retourné discrètement la nuit venue et j’ai creusé la fosse, deux mètres et quelques sur un mètre soixante, un mètre soixante-dix de profondeur. J’ai fabriqué une petite échelle de corde pour descendre au fond et surtout un couvercle assez solide pour soutenir le poids de trois hommes avec des branches sur lesquelles j’ai fixé des couches et des couches de feuilles et de fougères, de la terre aussi. Mon couvercle était si bien fait qu’il ne tremblait pas lorsqu’on marchait dessus. On ne se rendait compte de rien. On n’y voyait que du feu. De l’extérieur, et même si on examinait de près, c’était juste du sol, de l’humus, comme un parquet dans la forêt. Même au détecteur infrarouge (j’avais pensé à ça aussi), on ne pourrait pas détecter la présence d’une source de chaleur sous le tapis de feuilles. Personne ne pouvait soupçonner quelque chose dessous. J’ai parfumé la couche supérieure avec du sanglier, des poils de sanglier, du sang d’animal, histoire de tromper les chiens, une odeur si forte que j’en sentais encore la puanteur entre les narines quatre mois plus tard. Dans un flacon, j’en avais apporté pour m’enduire le corps et me rendre indétectable. Cela m’a coûté bien sûr, mais j’étais à peu près certain que les chiens se détourneraient de l’endroit et ne prendraient aucun plaisir à y revenir lorsqu’ils organiseraient le balayage du périmètre. Les événements se sont enchaînés mais, si j’arrivais à rejoindre l’abri, j’avais partie gagnée. C’est ce qui s’est produit. Si vous en avez gardé le souvenir, vous n’aurez pas de mal à recoller les morceaux. Après l’Action, nous avons filé vers l’est. Nous avons fait étape chez une connaissance de mon frère qui habite près de Reims et nous sommes repartis, avec le même véhicule, à peine le soleil levé. Cela n’a pas été une bonne nuit. Avec l’adrénaline, il nous a été impossible de fermer l’œil et nous avons passé notre temps devant la télé. L’épouse de notre ami avait préparé un curry de poulet, c’était un délice. Je ne suis pas sûr de retrouver l’équivalent de l’autre côté. Nous avons conduit quelques heures en sachant qu’ils nous repéreraient probablement. Il fallait jouer serré. Au bout d’un moment, nous nous sommes arrêtés dans une station-service pour mettre de l’essence en prenant soin de rester suffisamment longtemps afin que le gardien nous reconnaisse. Le gars était tellement bigleux qu’il n’arrivait pas à faire le rapprochement. On s’est présentés devant lui côte à côte avec nos gilets pare-balles et nos tenues militaires. Le pauvre ne voyait pas. Je pense, avec le recul, qu’il savait dès le départ, mais qu’il avait peur et préférait attendre que nous soyons partis pour prévenir les autorités. Pour assurer le coup, nous avons sorti nos armes et, en le menaçant ostensiblement, nous avons fait une razzia sur les céréales. Le type n’a pas bronché. Son dressage était parfait. Il a eu raison même si, à cet instant, nous n’avions pas l’intention de tuer qui que ce soit. Le boulot était fait de la veille. Il s’est pissé dessus malgré tout et je me souviens que nous avons ri aux éclats en remontant dans la voiture. Mon frère se marrait comme une baleine. Un peu de sérieux, je lui ai dit, en souriant. Cela ne fait que commencer. Nous avions pris des cannettes de Coca et nous avons fait un grand concours international de rots pour décompresser. Mon frère a toujours été un formidable roteur et il s’est montré ce jour-là à la hauteur de sa réputation. Je ne veux pas trop en dire. Cela n’a pas une grande importance et risquerait d’être mal interprété. Nous suivions la radio bien sûr, mais nous avons aussi écouté un peu de musique. Mon frère et moi avions fait pas mal de voiture ensemble par le passé et nous avions nos habitudes. Chacun de ces trajets nous avait rendus joyeux et celui-ci n’a pas été différent. Nous écoutions la musique assez fort. Son épouse lui avait fait une compilation impeccable sur un CD et nous nous sommes bien éclatés. La playlist doit figurer dans les archives de la police. Nous avons chanté et roté comme des princes. Nous avons fait semblant de foncer vers Paris, avant de contourner la capitale par l’autoroute de l’Est. Entre la station et la forêt, il fallait rouler une heure et quarante minutes. C’était la partie la plus risquée du plan, la seule pendant laquelle il pouvait vraiment nous arriver quelque chose. J’avais vu juste en imaginant qu’il leur faudrait au moins une heure ou deux pour redéployer leur dispositif. Ce n’est pas comme si on parlait de quelques unités mobiles. Ces types-là sont imbattables, mais ils aiment savoir ce qu’ils font. La hiérarchie est longue, les ordres circulent vite mais les décisions sont lentes. Les enjeux étaient tels que nous n’avons eu aucun mal à atteindre les bois. Pour une raison que j’ignore, ils se sont mis à fouiller un petit village maison par maison avant d’encercler la forêt. Cela a pris des heures et nous avons eu le temps de nous enfoncer dans les bois et de gagner la cache. Nous sommes descendus tous les deux au fond après avoir abandonné la voiture à deux kilomètres de là. Nous avons embarqué quelques armes et puis la nuit est tombée. Depuis la fosse, nous entendions le bruit des hélicoptères et des dizaines de véhicules qui grondaient et se positionnaient autour de nous. C’était impressionnant comme débarquement. J’avais pas raison ? j’ai murmuré à mon frère. Il faisait noir bien sûr et nous sommes restés plusieurs heures en silence, terrés au fond du trou. Il y avait des couvertures et j’avais tapissé le fond avec des feuilles pour empêcher le froid de remonter. Nous avions de quoi manger, mais très peu d’espace pour nous. Trois heures après notre installation, nous avons entendu des hommes marcher à l’extérieur de la fosse. Ils devaient être assez nombreux, car malgré leur souci de discrétion, nous les entendions clairement. Ils se donnaient des indications, s’échangeaient des ordres. Il y avait des chiens avec eux et je suppose qu’ils utilisaient des lunettes infrarouges, ce qui leur aurait procuré un avantage indéniable s’ils s’étaient retrouvés face à nous. Mon frère et moi étions allongés au fond du trou, les jambes légèrement repliées avec les chaussures qui se touchent. J’ai le souvenir qu’il tremblait des orteils. Je le sentais sous ses semelles. Nous retenions notre respiration. Tu aurais pu prévoir plus grand, il s’était plaint quand nous étions descendus. Je ne peux même pas déplier mes jambes complètement. On voit que tu n’es jamais allé au mitard, j’ai rigolé. En prison, quand vous déconnez, ils vous enferment vraiment comme dans les films dans un réduit en béton qui ne doit pas faire plus d’un mètre vingt de côté, mais vous avez le droit d’emporter des oreillers. Vous avez de l’électricité, à manger et on vous laisse aller pisser quand vous avez envie. La fosse était légèrement plus grande que le mitard, mais beaucoup moins confortable. Et puis, bien sûr, je n’avais rien prévu pour nos besoins. C’est une chose à laquelle j’aurais dû penser, mais que j’avais tout simplement omise au moment de la création du refuge. Au bout d’une heure, mon frère avait envie de lâcher sa crotte. Il s’est accroupi de son côté et a relâché tout ce que ses boyaux contenaient depuis au moins deux ou trois jours. La fosse a commencé à empester. Il a recouvert le tout avec de la terre, mais je crois bien que cela sentait toujours la mort. Les vierges et les senteurs de rose, voilà de quoi tu m’as privé en m’amenant ici, il s’est marré. Au lieu de ça, je me retrouve avec un t********e et des odeurs de merde. Nous avons parlé un peu de ce que nous allions faire après. Je ne l’ai pas senti très convaincu par ma proposition de refaire notre vie. J’ai déjà une vie contrairement à toi, tu sais. Un travail, une femme. Tu peux les oublier, j’ai répondu. Et tu ne peux pas dire que je n’ai pas de vie à moi. Pas après ce que nous avons fait. Est-ce que tu as déjà éprouvé ces sensations avant ? Est-ce que tu as déjà ressenti quelque chose d’une telle intensité ? Après le passage des troupes d’assaut, la nuit a été calme et silencieuse. Avec les couvertures et le matelas de feuilles, les conditions étaient tout à fait acceptables. Là encore, je ne veux pas que cela soit mal interprété, mais je baignais dans une sérénité que j’avais rarement connue. Chaque fois que j’avais déconné jusqu’ici, je m’étais toujours fait prendre assez rapidement. J’ai volé tout ce qui peut se voler dans mon quartier. Je suis entré par effraction dans des appartements, j’ai piqué des mobylettes et fracturé des véhicules. Chaque fois, je me suis fait prendre. Chaque fois, j’ai eu, immédiatement après l’acte, la sensation, et la certitude que j’allais me faire serrer, ce qui, jusqu’à présent, s’était toujours produit. Mais pas là. Je ne suis pas capable de l’expliquer, mais je crois bien qu’à cet instant, alors que j’étais caché avec mon frère, j’ai su, comme par magie, que j’allais m’en tirer et que personne ne viendrait me demander de comptes. Qu’Il en soit remercié. Au bout d’un autre long moment pendant lequel nous n’entendions que le souffle de nos respirations, je me suis endormi. Le souffle a beau être utilisé dans le Livre pour figurer l’esprit et la vie, celui de mon frère gronde comme le tonnerre et doit être suffisant pour enterrer les nuits de celle qui partage sa couche. Malgré les ronflements, et parce que j’avais du sommeil à rattraper, j’ai rêvé comme un nuage de printemps. ----- 1. Toutes les citations sont tirées du Cantique des Oiseaux de Farid ud-Din’ Attar, traduction de Leili Anvar, Édition Diane de Selliers (février 2014).

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