III-1

2027 Mots
IIIDeux heures plus tard, les victimes de l’accident étaient confortablement installées au château de la Roche-Soreix. Le médecin du village de Champuis, accouru à bicyclette, avait aussitôt examiné les blessés. Il constata chez le domestique une fracture du crâne qui ne laissait pas d’espoir de guérison... Quant à la princesse, son état ne présentait aucune gravité, au point de vue de la blessure. Mais la commotion nerveuse semblait avoir été forte, et il convenait également de se réserver au sujet de lésions internes possibles. Le petit prince refusait de quitter sa mère et demeurait assis près du lit, tenant la main de la jeune femme qui le regardait avec une tendresse inquiète... Mme d’Artillac, en possession d’un diplôme d’infirmière, avait revêtu la blouse blanche et s’occupait d’exécuter les prescriptions du médecin. Elle allait et venait sans bruit, souple et alerte, très adroite, inaltérablement calme et gracieuse... Et les jours suivants, elle continua de donner ses soins à la princesse, de concert avec la première femme de chambre de celle-ci qu’un télégramme avait été avertir à La Bourboule. Le valet de pied avait succombé quarante-huit heures après l’accident. M. de Varouze et son neveu s’occupèrent de faire transporter aussitôt le corps en Italie, où le défunt avait sa famille. La princesse ne fut pas informée de cette mort. Bien que son état ne présentât décidément pas de gravité, elle demeurait très nerveuse à la suite de cette secousse et avait besoin de grands ménagements. Salvatore, assuré que sa mère n’était pas en danger, avait consenti à faire connaissance avec Lionel d’Artillac. Les deux enfants jouaient dans le parc. Lionel se montrait fort souple et fort empressé à l’égard du petit prince, enfant bien élevé, mais de nature assez volontaire, ayant coutume, en outre, de se voir l’objet des adulations de son entourage... Il avait d’ailleurs beaucoup de charme et une très vive intelligence. Déjà ce descendant des Falnerra témoignait de dons artistiques fort remarquables, particulièrement pour la musique. Son caractère était réservé, fier sans morgue. Toujours poli à l’égard de tous, il ne témoignait de sympathie qu’à Gérault de Varouze, le neveu du châtelain. – Vous me plaisez beaucoup, lui disait-il avec cette grâce à la fois enfantine et déjà très « grand seigneur » qui faisait de lui un petit être fort séduisant. Gérault lui rendait cette sympathie spontanée. Il déclarait à son oncle : – Je n’ai jamais vu un enfant plus charmant et plus admirablement doué, à tout point de vue. M. de Varouze et le jeune homme se préoccupaient de connaître l’auteur de l’attentat contre la princesse Falnerra et son fils... Car il ne pouvait exister de doute à ce sujet : quelqu’un avait préparé la chute de la pierre branlante, par un habile travail dont on avait retrouvé les traces... En outre, des pas d’homme se discernaient aux alentours. La police, prévenue, recherchait le coupable... Et, une huitaine de jours après l’accident, un garde forestier se présenta au château, apportant un objet trouvé par lui dans l’herbe, au pied d’un arbre. C’était un étui à cigarettes en argent, d’un travail élégant. Dans un écusson étaient gravées deux initiales : O. M. Le garde avait été introduit dans la bibliothèque, où se trouvaient réunis après le déjeuner M. de Varouze, Gérault, Angelica et les deux petits garçons... Mme d’Artillac, assise près d’une fenêtre, se leva pour venir voir l’objet que tenait le châtelain. Penchée sur l’épaule de celui-ci, elle regarda... Et son visage frémit, ses paupières s’abaissèrent rapidement sur les yeux qu’envahissaient la stupéfaction et l’angoisse... M. de Varouze fit observer : – Ceci n’appartenait pas à un malfaiteur vulgaire. – À moins qu’il soit le produit d’un vol, dit Gérault. – C’est en effet très possible... Mais tant qu’on ne saura rien par rapport au coupable, il sera impossible d’être assuré si l’attentat avait seulement pour but de dévaliser ces riches étrangers, ou bien si quelque autre motif dirigeait le criminel. – La princesse pourra peut-être donner une indication à ce sujet... Au cas où elle se connaîtrait quelque ennemi, il y aurait là une piste à suivre. Salvatore avait abandonné le livre qu’il parcourait et suivait l’entretien avec attention... Se levant tout à coup, il s’approcha de M. de Varouze. – J’ai déjà manqué mourir deux fois par accident, dit-il de sa voix claire et harmonieuse. – Comment cela, prince ?... Voulez-vous nous le raconter ? – Certainement, monsieur... Il y a trois ans, un petit pont sur lequel je passais presque tous les jours avec ma gouvernante s’est écroulé un instant avant que j’arrive et le domestique, qui me précédait par hasard ce jour-là, a été précipité dans la rivière. Heureusement, il a pu se sauver, mais à grand-peine... L’année dernière, chez ma tante de Larçay, comme je me promenais avec mes cousins dans un sentier du parc, quelqu’un a tiré un coup de revolver du haut du mur qui entoure la propriété. La balle est passée tout près de moi et a été se loger dans un tronc d’arbre. Gérault demanda : – Vous ne savez pas, prince, quel peut être celui qui vous en veut ainsi ? L’enfant secoua la tête. – Non, pas du tout... et maman non plus. – Nous arriverons peut-être à le découvrir... En tout cas, vous êtes bien en sûreté ici. Salvatore eut un fier mouvement de tête, en répliquant : – Oh ! je n’ai pas peur ! Il se pencha pour regarder l’étui que M. de Varouze tenait entre ses doigts... Mme d’Artillac, debout derrière le châtelain, continuait d’attacher sur cet objet un regard dont elle contenait la vive préoccupation. – Il faudra remettre ceci à la justice, Gérault, dit le comte en le tendant à son neveu. – N’est-ce pas plutôt Maingal qui devrait faire cette remise, mon oncle ? Mais le garde déclara : – S’il vous plaît, monsieur Gérault, j’aimerais mieux que vous gardiez ça ici. Depuis la mort de ma femme, il arrive souvent qu’il n’y a personne à la maison, et la chose serait plus en sûreté chez vous. – Eh bien ! c’est facile, mon garçon... Range cela, Gérault... tiens, dans cette bibliothèque, derrière les livres. Demain, tu iras le porter à Clermont, puisque tu es convoqué chez le juge d’instruction au sujet de cette même affaire. Dans la soirée de ce jour, taudis que M. de Varouze et son neveu se promenaient en fumant dans le jardin, le comte demanda à brûle-pourpoint, eu s’arrêtant brusquement au milieu d’une allée : – Gérault, pourquoi es-tu si froid à l’égard de Mme d’Artillac ? Le jeune homme devait être préparé à cette question, car il répondit sans hésiter : – Mais parce qu’elle m’est très peu sympathique, mon oncle. – Vraiment, je ne comprends pas cela !... Elle est fort gracieuse, très intelligente, sérieuse, distinguée... – Et fausse autant qu’on peut l’être. M. de Varouze eut un mouvement de surprise indignée. – Gérault !... Comment oses-tu porter un tel jugement ?... Fausse, Angelica !... Mais où as-tu été chercher cela ? Gérault dit avec une irritation contenue : – Elle vous aveugle... elle vous flatte... Oh ! c’est une habile créature ! M. de Varouze mit durement la main sur l’épaule de son neveu. – Je te défends de parler ainsi d’une jeune femme très méritante, digne de tous les respects !... Et moi qui croyais si bien te voir partager mon opinion à son égard !... j’avais même formé un rêve... Il jeta un coup d’œil sur la physionomie froide et durcie de Gérault... Comme celui-ci gardait le silence, M. de Varouze reprit. – Oui, j’avais rêvé de te voir devenir l’époux de cette charmante Angelica. Gérault eut un rire sourd. – Elle aussi, très probablement... Mais voilà, je suis réfractaire à ses mines de chatte aimable... Je le suis d’autant plus que j’ai déjà fait choix de celle qui sera ma femme. – Vraiment ?... Sur qui se portent tes vues ? Le ton était sec et mécontent... Gérault fronça les sourcils, mais répondit avec calme : – Il y a quatorze ans, un honorable commerçant français, M. Paul Janvier, se trouvait à Damas au moment de troubles suscités par un parti d’Arabes fanatiques. Il y recueillit une petite fille de quatre ans, que des misérables s’apprêtaient à égorger... Peu après, il apprit que cette enfant était la fille d’un Arabe de très noble race, Abd el-Saghri, possesseur de grandes richesses. Le malheureux avait été assassiné, en même temps que sa femme et ses deux fils. Son frère – peut-être l’instigateur du crime – s’était emparé de ses biens... Ce fut en vain que, plus tard, M. Janvier s’efforça de faire rendre justice à l’orpheline... Et comme le Français ne cessait d’insister, il obtint enfin cette réponse : « – Nous nous sommes assurés qu’Ali-ben-Mohammed, de par les lois arabes, est bien le légitime héritier de son frère. « M. Janvier comprit alors que toute tentative resterait inutile, le personnage devant être puissamment protégé... D’accord avec sa femme, il résolu de pourvoir à l’éducation de l’orpheline. Celle-ci fut élevée dans un couvent français d’Alep. Aujourd’hui, elle a dix-huit ans. Sa beauté est ravissante. Elle est douce, timide, d’une grande distinction de manières... je l’ai vue chez M. Janvier, pendant un séjour que j’ai fait à Alep il a quelques mois. Très vite, je l’ai aimée. Toutefois, je voulais réfléchir avant de prendre une décision. Celle-ci étant maintenant bien établie, je n’attends plus que votre consentement, mon oncle, pour retourner à Alep et demander à M. Janvier la main de sa pupille. M. de Varouze avait écouté son neveu avec stupéfaction, mais sans l’interrompre... Aux derniers mots, il dit avec un accent de colère contenue : – Ainsi donc, voilà trois mois que tu es ici, et tu ne m’as encore rien dit de tes projets ?... de tes projets insensés !... – Mon oncle ! – Oui, insensés, je le répète !... Comment, toi, un Varouze, de bonne race française et catholique, tu songerais à épouser une Orientale, une fille de musulmans ? – Medjine a été élevée dans la religion catholique, et elle est très française d’éducation, d’habitudes, de sentiments. Sous le rapport de la famille, de la race dont elle est issue, j’ai pris tous les renseignements désirables et je me suis convaincu qu’elle était en tout point fort digne de porter le nom de Varouze. – Il n’en reste pas moins que son atavisme oriental risque de ne pas s’accorder avec le nôtre... En outre, elle doit être sans fortune aucune, d’après ce que tu me dis ? – M. Janvier lui donnera une dot de vingt mille francs. C’est tout ce qu’il peut faire, car il a des neveux dans une position très médiocre, auxquels il lui faut également accorder une aide pécuniaire... Mais cette question est secondaire pour moi. J’ai une centaine de milliers de francs de l’héritage de ma mère ; nous vivrons très bien avec cela, en y joignant le produit de mes ouvrages, peu considérable encore, mais que j’espère voir augmenter. M. de Varouze leva les épaules, en jetant sur son neveu un regard d’où la vive contrariété se mélangeait d’affection. – Tu sais bien que tu es mon héritier, mauvaise tête ! Mais j’avoue que ce mariage-là ne me conviendrait pas du tout ! Je voudrais autre chose pour toi... En admettant que Mme d’Artillac ne te plaise pas, il ne manque pas de charmantes jeunes personnes, dans notre pays... Gérault l’interrompit, d’un ton respectueux, mais très ferme : – C’est Medjine que j’aime, mon oncle... Et je vous affirme que vous ne regretterez jamais de l’avoir pour nièce. – À savoir !... Enfin, tu m’as bien étonné, mon cher, et j’ai besoin de réfléchir, moi aussi, avant de te donner mon consentement... Il est vrai que celui-ci n’est pas nécessaire, en principe ; mais comme je t’ai tenu lieu du père que tu as perdu, je me crois quelque droit à ta déférence. Gérault prit la main de son oncle et la serra fortement, en disant d’une voix dont l’émotion changeait un peu les vibrations impérieuses : – J’ai toujours essayé d’être pour vous un bon fils, cher oncle. Mon caractère indépendant vous a peut-être froissé parfois ; mais je crois ne vous avoir jamais donné occasion de douter de mon affection. – Non, jamais, mon cher enfant. De ton côté, tu sais que tu peux compter sur la mienne. Ainsi, nous arriverons facilement à nous entendre sur le sujet qui nous occupe. Là-dessus, les deux hommes échangèrent une vigoureuse poignée de main et revinrent dans la direction du château. Mme d’Artillac et les enfants se tenaient, comme tous les soirs, sur la vieille terrasse de pierre qui longeait la façade, du côté ouest... Tandis que M. de Varouze s’arrêtait près d’eux, Gérault se dirigea vers la bibliothèque, en disant : – Je vais prendre l’étui d’argent, car je partirai demain matin de très bonne heure, et je crains de l’oublier. Mais ce fut en vain qu’il le chercha sur le rayon de livres où M. de Varouze le lui avait fait déposer cet après-midi... Ce fut en vain qu’après lui le comte et Angelica bouleversèrent la bibliothèque. L’objet, qui eût été peut-être une pièce à conviction, demeura introuvable. Si invraisemblable qu’elle parût, l’hypothèse d’un vol était seule plausible, car M. de Varouze, Angelica et Gérault affirmaient également que l’étui avait été déposé derrière un gros dictionnaire grec, relié de peau brune, et qu’aucun d’eux n’y avait touché depuis lors. Mais ce vol, qui pouvait en être coupable ? – Je réponds de tous mes domestiques, déclara M. de Varouze. Leur honnêteté est éprouvée, depuis des années qu’ils me servent. En outre, comment auraient-ils pu soupçonner que ce petit objet se trouvait caché là ?
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