Chapitre 5

2570 Mots
Serena Lorsque je me réveille ce matin Gabriel m’a faussé compagnie, je trouve le lit cruellement vide de sa présence et je suis immédiatement saisie d’un froid glaçant après cette nuit pleine de cauchemars. Après être rentrés hier soir, nous nous sommes seulement déshabillés et couchés sagement comme nous faisons tous les soirs depuis que je suis revenue d’Italie en lambeaux. Il ne me touche plus. Il se contente de me prendre dans ses bras et d’être une source de réconfort. J’ai l’impression que ce qu’il a entendu dans la voiture avec Benayoum a suffi à étouffer totalement le peu de désir qu’il avait pour moi. Parce que c’est la seule conclusion que je parviens à tirer. Il m’aime mais ne me désire pas. Du moins ne me désire plus. Il n’a pas essayé une seule fois de tenter une approche qui puisse éveiller du désir. Il s’est montré choyant comme un ami, je commence même à me demander s’il ne m’a pas suivie ici à cause d’Adena. Parce que je n’ignore absolument pas qu’il la désire elle. Je me lève et me rends dans la salle de bain pour prendre une douche. J’ai l’intention de monter au bureau de Devon et travailler un peu. J’ai en effet repris énormément de contrats et donc recommencé les négociations. J’ai débuté par le plus simple, ce que j’avais sous les yeux. Le ranch. Mike s’était montré particulièrement coopératif dans la transmission des informations et j’avais eu toutes les marges de manœuvres pour négocier avec les fournisseurs. Compte tenu du développement de l’élevage de Mike, il était urgent de renégocier les tarifs à la baisse pour rester rentables. Il a effectué un travail remarquable dans la gestion et il ne lui manquait que la solution pour faire des économies, ce que je n’ai eu aucun mal à lui apporter. Je m’habille de noir comme toujours et sors de la chambre pour me rendre au grand salon. - Salut Tim, comment vas-tu ? demandais-je en croisant le soldat aux cheveux châtains dans la cuisine. - Bien et toi poupée ? - Plutôt bien, répondis-je en placardant mon sourire faux sur mon visage. Il me sert une tasse de café que je prends avec gratitude. - Est-ce que tu as vu Gabriel ? - Il court avec Dev’. - Ah, d’accord. Je replonge dans le silence et vais m’assoir dans le canapé gigantesque pour ouvrir mes esprits à cette nouvelle matinée qui commence. - ça va toi ? Tu avais l’air perturbée hier soir… - Ouais, j’ai encore quelques douleurs « fantômes », dis-je en ajoutant des guillemets de mes doigts. - Ah… Je comprends, j’ai pris une balle dans le bras il y trois ans, par moment j’ai l’impression qu’on me l’arrache. - Ouais, c’est à peu près ce que je ressens de temps en temps. Mais ça va j’ai l’habitude. Je frotte mes tempes doucement, je suis contrariée par l’absence de Gabriel à mon réveil et ma mauvaise humeur se montre croissante. - Où est Scott ? demandais-je alors. - Probablement à l’entrainement. - Et toi non ? - Je suis en retard. - Pourquoi ça ? - Parce que j’ai eu une nuit agitée, dit-il avec un clin d’œil. Je ne relève pas sa confidence car j’entends les portes coulissantes s’ouvrir de l’autre côté du hangar et des pas s’avancer en direction du salon. Gabriel apparaît alors le haut du corps nu et transpirant dans une vision totalement déroutante. - Bonjour mon étoile, salut Tim. - Bonjour, répondis-je alors, tu étais où ? - Je courrais avec Devon, répond-t-il légèrement surpris par le ton sec que j’emploie. - Dans cette tenue ? - On n’est pas dans une congrégation de bonnes sœurs bébé. Je me renfrogne quand même, il est beaucoup trop beau pour sortir comme ça et je suis vraiment contrariée. - Bon, je vais prendre une douche, dit-il alors en tâtonnant. Il me tourne le dos me laissant admirer le gigantesque phœnix luisant qui le recouvre complètement. - Ferme la bouche Serena, me taquine Tim. Je lui lance un regard noir avant de prendre la direction de la sortie sentant ma mauvaise humeur se transformer en véritable fureur. Je remonte le chemin aussi vite que me le permet ma démarche saccadée par les douleurs percutantes dans mon bassin, Mike descend d’un cheval qu’il ramène à l’écurie, des hommes s’affairent tout autour à promener des chevaux, pousser des brouettes de fumiers, faire les choses qu’ils sont censés faire tout en lançant des regards furtifs sur mon passage ce qui ne fait qu’assombrir davantage ma morosité. Je monte rapidement au bureau d’où je claque la porte avant de m’assoir nerveusement dans le fauteuil de maître du monde de mon patron. J’allume les ordinateurs, je branche les écrans, les caméras, les radars et tout l’attirail de domination suprême du domaine et presque du Texas tout entier. J’ai passé les derniers jours à m’occuper de l’organisation du ranch, tout en incluant les dizaines de nouveautés qui s’ajoutent dans les dépenses. Les travaux engagés pour la construction de la mezzanine sont conséquents, ils reprendront dès demain d’ailleurs, l’ensemble du sol et l’escalier ont été posé, il ne reste qu’à cloisonner et monter la cuisine, faire la salle de bain et mon bureau. J’ai hâte d’avoir mon propre espace. Je commence vraiment à avoir besoin d’autarcie, je réalise que vivre en communauté est plus difficile pour moi que je ne le croyais, puisque mes longues périodes de solitude me permettaient de prendre le temps de trier mes nombreuses introspections. Ce qui n’est plus vraiment le cas à présent. Je tourne à plein régime en permanence, plus de place pour les absences. Je repense furtivement à la discussion que j’ai eu avec Adena hier soir dehors, ce qu’elle a dit, ce qu’elle ressent… moi aussi je suis perdue, mais je n’ai clairement pas envie de m’attarder sur le sujet pour le moment. - Bonjour Nathan, saluais-je le directeur de Security Impact qui me répond à la première tonalité. - Comment allez-vous ? - Bien merci, est-ce que vous pourriez m’envoyer les bilans de novembre, est-ce que je peux savoir où en est la clôture pour cette année ? - Les experts comptables sont dessus, il reste encore cinq jours. - Il faudrait que ça aille plus vite, j’ai déjà commencé les prévisions pour l’année à venir et j’attends ces bilans pour pouvoir confirmer. - Vous les aurez rapidement, quand est-ce que vous venez à Dallas ?  - Je ne sais pas, j’ai encore toute la gestion d’IMEXP à éplucher. - D’accord, en janvier donc ? - Probablement, il faudrait que je discute des marges avec les commerciaux. - Notre directeur commercial se tient à votre disposition si vous avez la moindre question. - Il sait déjà qui je suis, je l’ai bombardé de messages parce que j’ai sauté au plafond quand j’ai vu ses chiffres. - Comment ça ? - Où en est l’accréditation avec le FBI ? renchéris-je en ignorant sa question. - ça avance doucement, le DTCO n’a toujours pas validé le dossier. - Pourquoi ? - Je ne sais pas. - Renseignez-vous, mais si vous voulez vraiment entrer dans la cour du gouvernement, il va falloir augmenter les tarifs sinon vous ne serez pas pris au sérieux. - D’accord, je pense en effet qu’il est urgent que nous discutions de cela ensemble je vais presser les comptables de vous rendre les rapports et dès que vous en saurez plus sur votre emploi du temps nous conviendrons d’une réunion avec l’ensemble des équipes qu’en pensez-vous ? - C’est parfait, merci Nathan, bonne journée. Je raccroche et rempile directement sur les mails qui défilent et auxquels je réponds quand je suis attiré par un mot de Jimmy. C’est une proposition de contrat extrait du Dark net et le nom attire immédiatement mon attention. J’ouvre le dossier sécurisé et consulte la proposition du client pour ce contrat. - Comment tu as trouvé ça ? demandais-je à Jimmy que j’appelle au téléphone. - ça a été posté en fichier crypté, accessible uniquement pour ceux qui connaissent le métier, ça vient de tomber. Sa voix est ensommeillée et j’ai envie de le secouer comme un prunier. - Est-ce que tu sais d’où ça provient ? - Je n’en sais rien... Je n’ai rien trouvé. - Creuse-moi tout ça, je dois en savoir le plus possible et surveille qui répond à l’appel d’offre. Il faut que j’en parle à Devon. - Ok ! Je raccroche encore et m’étire dans le fauteuil, je me lève, fais quelques pas pour détendre mon corps ankylosé et je suis en train de me rassoir quand on frappe à la porte. - Quoi ?! répondis-je avec mauvaise humeur. Gabriel entre et je suis encore plus contrariée qu’il vienne me déranger. - ça va bébé ? - Très bien ! Merci de t’en soucier ! - Tu es contrariée par le travail ? - Non ! Il semble totalement pris au dépourvu par ma mauvaise humeur. - Qu’est-ce qu’il se passe ? Je recommence à pianoter sur le clavier tout en l’ignorant superbement alors qu’il vient s’assoir face à moi. Il sort alors son nécessaire et commence à rouler un joint. - Tim t’a ravitaillé à ce que je vois…grinçais-je. - Oui, je pense que ça va te faire du bien je te trouve particulièrement nerveuse mon étoile. - Tu ne t’en souciais pas tant que ça ce matin quand tu es parti sans prévenir et que je me suis réveillée toute seule. Il se met à rire ce qui décuple ma colère. - Désolé mon ange, j’ai dû aller porter secours à un homme en détresse… répond-t-il très mystérieux. - Quelqu’un est blessé ? - Dans son égo ? Oui… ajoute-t-il hilare. - Est-ce que tu peux être plus clair ? m’agaçais-je. - Ta copine a joué un mauvais tour à son mari ce matin, et j’ai dû aller l’aider. - Oh ! Quel genre de mauvais tour ? Il me lance un regard très insistant qui ne laisse pas place au doute. Je comprends qu’il y a une question de sexe dans l’histoire mais j’ai bien du mal à imaginer en quoi Devon pourrait bien avoir eu besoin d’assistance ce matin et surtout en la matière, je sais parfaitement quel genre d’homme est mon patron… - Est-ce que tu es en train de me dire que vous vous êtes livrés à une sorte de jeu sexuel tous les trois ?! Je suis complètement ahurie, choquée…et d’autant plus énervée. - Pas du tout bébé. - Alors quoi ?! m’exaspérais-je en me levant. - Tu es ouverte à la discussion sur le sujet maintenant ? Je suis surprise par sa question et je n’ai pas le temps de répondre qu’on frappe encore à cette f****e porte. - Quoi ?! p****n ! m’enrageais-je alors. Maria ouvre la porte avec un plateau et me lance un regard désolé. - Maria ! Excusez-moi ! Je suis confuse, vraiment… - Ne vous inquiétez pas Serena, c’est ce fauteuil qui fait cet effet-là, Devon est de la même humeur massacrante que vous lorsqu’il est assis ici. - Merci Maria, vous êtes un ange, lui dit Gabriel alors qu’elle dépose le plateau chargé de cafés sur le bureau. - De rien mes chéris, travaillez-bien, c’est un bonheur de vous avoir ici. Cette femme est d’une telle gentillesse… - Donc ? demande Gabriel en allumant nonchalamment son joint. - Quoi ? - On peut en discuter ? - De quoi ? - Du sexe, mon étoile filante. - Parce que ça t’intéresse toujours ? Je pensais que tu avais tout reporter dans tes regards pour Adena. Je sais que je suis un peu dure et tranchante mais j’ai du mal à me débarrasser du sentiment d’abandon croissant qu’il m’inspire. Je suis complètement sous tension, j’ai le cœur qui bat à tout rompre dans ma poitrine et la bonne humeur et l’ambiance d’hier soir me paraissent bien loin. Je ne suis plus qu’habitée du volcan proche de l’éruption. - Ce que tu dis est blessant et injuste, j’en suis toujours au même point dans mes sentiments pour toi. - On ne dirait pas. - Ah, donc tu aurais préféré que je te saute dessus directement quand Devon t’a ramenée ? Ou pendant les nuits où tu fais constamment des cauchemars ? Dis-moi… J’ai les larmes qui me montent aux yeux… Je ne sais pas quoi dire, j’ai bien conscience d’être légèrement injuste, d’être irrationnelle et d’être totalement dans l’incapacité de lui apporter ce qu’il mérite. Toutefois ce qui me bouleverse vraiment, c’est qu’il n’essaye plus. - Bébé, reprend-t-il d’une voix douce en me tendant le joint par-dessus le bureau, tu n’as pas voulu aborder une seule seconde le sujet de cette voiture, alors je t’ai laissé gérer les choses comme tu l’entendais, mais je n’ai aucune idée de ton état d’esprit sur le sujet et à vrai dire je ne savais pas moi-même comment y venir. - Je sais, dis-je en m’adossant dans le fauteuil, j’aborderai ce sujet quand j’aurai Benayoum ici, c’est avec lui que je veux parler. - Pourquoi ? Pourquoi vouloir t’infliger cette douleur supplémentaire ? - Ce que j’ai prévu de lui faire me fera beaucoup de bien, décrétais-je en tirant de longues bouffées. - D’accord, et concernant le sujet qui nous intéresse ? - Physiquement, je me sens presque bien, moralement c’est le foutoir… - Je m’en doute, mais tu sais tu as tout le temps qu’il te faut, je ne suis pas plus pressé que je ne l’étais en France, je t’aime mon étoile… c’est tout. Le reste je m’en fous. - Tu sais très bien que moi non, surtout quand je te vois lorgner Adena. - Ne joues pas à ça avec moi s’il te plaît parce que je sais parfaitement ce qu’il se passe entre toi et ton patron. - Alors quoi la situation est inversée pour vous deux ? - C’est à peu près ça, nous avons convenus avec Adena de conserver certaines distances nécessaires. - Tout comme Devon et moi, donc il n’y a aucune inquiétude à avoir de ce côté ? - Je ne suis pas exclusif bébé, tu le sais, Jeff s’en est suffisamment vanté, ton corps c’est ton corps… - Et donc ça veut dire que je ne suis pas en droit d’exiger de fidélité venant de toi ? - Bien sûr que si, on ne parle pas de moi… Je ne sais pas pourquoi mais je suis de plus en plus en colère. Je n’arrive pas à me calmer et je ne sais pas si c’est seulement la contrariété qu’il ait filé ce matin, sa trop grande douceur et sa gentillesse, où encore tout autre chose. - Bon, je vais te laisser à tes affaires, ce soir on passe la soirée tous les deux, pas d’excuse pas de travail de dernière minute où de dîner avec je ne sais qui, toi et moi. Sans attendre de réponse, il se lève et se dirige tout droit vers la porte qu’il claque sur son passage. Je suis muette tout à coup, cela faisait bien longtemps que Gabriel n’avait pas osé lever le ton avec moi et je dois bien admettre que voir autre chose que ses paisibles émotions toutes lisses me rassure un peu.
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