Chapitre 3

1489 Mots
Chapitre 3 Sa promotion n’avait pas propulsé Mary vers des locaux plus spacieux. Elle se retrouva donc avec Fortin dans leur bureau habituel sans en concevoir la moindre acrimonie. Finalement, elle aimait bien cette petite pièce dans laquelle chacun avait trouvé sa place. Fortin, à son habitude, étudiait consciencieusement le dernier numéro de L’Équipe, son journal favori. — Bien dormi, Capitaine ? s’enquit-elle en entrant. Fortin replia son journal et confirma qu’il avait passé une excellente nuit, ce qui déclencha chez lui un interminable bâillement. — Ben dis donc, fit-elle en s’asseyant, quel accueil ! Tu n’as pas assez roupillé ? — Je n’ai jamais assez roupillé ! précisa Fortin en se frottant les yeux. Il bâilla encore derrière sa large main. Mary jeta, sarcastique : — C’est ça, comme tu n’as jamais assez mangé… Elle faisait allusion à l’appétit d’ogre que manifestait son équipier en toutes circonstances. Pour toute réponse, Fortin leva ses larges épaules et bâilla derechef. — Figure-toi, dit-il enfin, que j’ai été réveillé aux aurores par un coup de téléphone… Elle attendit la suite. Fortin, après un temps de silence, ajouta : — Tu ne me demandes pas qui c’était ? — Pourquoi veux-tu que je te le demande puisque tu vas me le dire ? Agacé, il haussa de nouveau les épaules : — Ce que tu es chiante ! Elle répondit aussi sec : — Et toi, ce que tu es mal embouché ! C’était un petit jeu rituel entre eux : Mary ne pouvait s’empêcher de titiller son équipier, tout comme elle ne pouvait s’empêcher d’agacer son patron, et, faut-il le dire, tous les hommes en général. Et tous ces benêts marchaient au quart de tour ! Fortin posa sur elle un regard lourd de reproches et Mary sentit qu’il était temps de cesser son jeu. Par certains côtés, ce colosse était un hypersensible et les piques de son équipière l’affectaient parfois cruellement. — Allez, dis-moi tout, gros nigaud ! Il renifla et jeta : — Pellego ! Elle fronça les sourcils et répéta : — Pellego ? Il s’inquiéta : — Ça ne te dit rien ? — Si, ça me dit quelque chose… Attends, je cherche ! Son front, plissé par l’intensité de la réflexion, s’éclaircit soudain : — Ah, Pellego, ton pote de la crim’ ? — Ouais, celui qui nous a donné de sérieux coups de paluche, notamment en filochant Milie Verluth.4 — Ça y est ! s’exclama-t-elle. Je m’attendais si peu… Et que te voulait-il, l’ami Pellego ? — Un retour d’ascenseur… — J’y suis pas… Un retour d’ascenseur à quel sujet ? Fortin baissa la voix et regarda la porte comme s’il redoutait qu’une oreille curieuse fût collée à l’huis : — C’est à propos du vol de came qui a eu lieu dans les locaux mêmes de la brigade des stups’, Quai des Orfèvres. Tu as lu ça dans les journaux ? — Évidemment, comme tout le monde ! — Et qu’est-ce que tu en penses ? — Je pense qu’une histoire pareille ne va pas redorer le blason des flics du 36. Elle regarda Fortin d’un air soupçonneux : — Mais qu’est-ce qu’il a à voir là-dedans, ton pote Pellego ? Il n’est pas aux stups’, que je sache… — Non, confirma Fortin. — D’ailleurs, à ce que j’ai lu, poursuivit-elle, il y a en détention provisoire un type qui semble présenter toutes les qualités pour faire un parfait coupable. La mine de Fortin s’assombrit : — C’est un pote à Pellego ! — Ah… tu m’en diras tant ! Et que voulait-il que tu fasses, Pellego ? Fortin regarda Mary par en dessous, comme s’il redoutait de répondre à la question. — Il voulait que je t’en touche deux mots… — Et après ? Fortin parut embarrassé : — Ben, c’est-à-dire qu’il aurait aimé te rencontrer pour te parler de cette affaire. — Je peux toujours le rencontrer, dit-elle, je lui dois bien ça ! Quant à savoir à quoi ça va nous mener… — Il te le dira lui-même, fit Fortin, soulagé de n’avoir pas essuyé un refus catégorique. — J’espère qu’il se déplacera, dit Mary, car je n’ai aucune envie de me rendre à Paris. Quand veut-il qu’on se voie ? — Le plus tôt possible. — Mais encore ? — On peut déjeuner ensemble à midi, si tu veux. La voix de Fortin était pleine d’espoir. Mary le regarda, surprise : — À midi ? — Ben oui, le plus tôt sera le mieux. — Il est donc là ? — Ouais, dit Fortin. À vrai dire, il ne m’a pas téléphoné mais il a secoué ma sonnette à six heures ce matin. — Il est venu en voiture ? — Ouais. — Sans prévenir ? — Sans prévenir. Il ajouta : — Il a roulé toute la nuit. Mary resta un instant silencieuse, puis elle avança : — C’est singulier. Et si j’avais refusé de le recevoir ? — Impossible ! assura Fortin. — Pourquoi ? — Parce que lui n’a pas hésité un instant à se mouiller pour nous dans l’affaire Verluth. — C’est une bonne raison, admit-elle. Où nous retrouverons-nous ? — Humm… fit Fortin embarrassé, pour des raisons de confidentialité, Pelleg’ préférerait qu’on fasse ça discrètement. Mary fronça les sourcils. Qu’est-ce que c’était que cette salade ? Quand Fortin roulait des yeux de chien malheureux, c’est qu’il y avait anguille sous roche. — Tu veux qu’on aille chez toi ? Le grand paraissait assis sur des braises : — C’est-à-dire qu’il y a Madeleine… — Ouais… Alors ? — Euh… Ça avait du mal à sortir. Elle jeta, mi-agacée, mi-amusée : — Tu voudrais que ça se passe chez moi ? — Ah ouais, ça serait bien ! Tu comprends… — Okay, okay, fit-elle, mais je te préviens, je suis nulle en cuisine. — J’apporterai ce qu’il faut, assura Fortin, soudain soulagé. — Dans ce cas, pas de problème. * Pellego était lui aussi devenu commandant. Il salua chaleureusement Mary : — Merci de me recevoir, Commandant. Elle protesta : — Oh, Pellego, pas de cérémonie entre nous ! Ici, entre collègues, il est d’usage de se tutoyer. — Chez nous aussi, reconnut Pellego. — à la bonne heure ! dit Mary. Alors, ne changeons rien à nos habitudes. Elle ne se perdit pas en préliminaires : — Tu as des soucis, à ce que m’a laissé entendre Fortin ? Pellego fit la grimace : — Pas moi ! — Non, mais un de tes copains ? Pellego hocha la tête, le front soucieux. Le commandant de la crim’ était de la génération de Mary et Fortin auprès duquel il paraissait petit, même s’il devait faire son mètre quatre-vingts et était d’une minceur athlétique. Sportif dans l’âme, il pratiquait avec bonheur les disciplines les plus diverses : excellent triathlète, tennisman classé, il jouait également au foot dans la réserve pro du PSG qui figurait régulièrement dans le groupe de tête du championnat national. Le gaillard pourtant ne suivait pas la tendance qui avait cours chez les cadors du ballon rond. Pas de barbe de trois jours ni de chevelure hirsute. Rasé de près, soigneusement peigné avec une raie sur le côté, il n’était pas non plus tatoué du bras comme il est de rigueur désormais sur les stades. Il arborait une mine de conspirateur en regardant Fortin, qui s’était chargé du ravitaillement, déballer les victuailles qu’il avait achetées en passant aux halles : des huîtres, du pain de campagne, un poulet froid, du fromage et une tarte aux pommes. — à la guerre comme à la guerre, dit Mary, ce sera à la fortune du pot. — M… dit Fortin, j’ai oublié le beurre. — Je m’en charge, dit Mary en allant chercher le beurrier au frigo. Par la même occasion, elle avait également sorti une bouteille de muscadet que Fortin s’empressa de déboucher. Puis, ayant rempli trois verres et porté un toast, il s’employa à écailler les huîtres avec une dextérité de professionnel. Mary considéra Pellego d’un air curieux : — Alors, qu’y a-t-il de cassé, Pelleg’ ? Pellego regarda le grand qui s’affairait d’un air concentré. — Jean-Pierre ne t’a rien dit ? — Il m’a parlé de cette sombre histoire de drogue disparue du 36… — C’est ça, reconnut Pellego. — Et le type qui est mis en cause est l’un de tes copains. Il hocha la tête affirmativement. Mary poursuivit : — Alors tu es venu me dire qu’il est parfaitement innocent, c’est ça ? Pellego eut un sourire désabusé : — Tu n’y crois pas ? — À quoi ? — à son innocence… — Pour avoir une conviction dans un sens ou dans un autre, la moindre des choses serait que je connaisse le dossier. — C’est vrai, reconnut Pellego. Moi non plus je n’y ai pas eu accès, mais, si je n’en connais pas les détails, je connais mon pote. Il est incapable de faire ça ! — Je ne demande qu’à te croire, dit Mary, mais selon ce que je sais pour l’avoir lu dans la presse, il s’y est pris comme un manche ! Pellego acquiesça en hochant la tête. — Tout à fait d’accord avec toi. D’ailleurs, un journal a même titré : « un délit d’imbécile ». — On peut difficilement le qualifier autrement. — Justement, mon pote n’est pas un imbécile. Jamais il ne se serait lancé dans une telle entreprise. — Je veux bien te croire, mais, pour en venir au but de ton voyage express, qu’est-ce que tu attends de moi ? Tu sais bien qu’il m’est impossible d’aller enquêter à Paris. Pellego baissa la tête : — Je le sais bien… — Alors ? — Jean-Pierre m’a dit que tu étais ferrée en droit et que tu l’avais assisté efficacement dans une ou deux affaires délicates. — Certes, mais je suppose que ton ami a un avocat ? — Oui, mais il a aussi le droit d’être assisté par un collègue. — Ah, c’est donc ça ? — Tu accepterais ? demanda Pellego plein d’espoir. — Hum… fit-elle, il faudrait d’abord que j’en parle au patron. Mais, je ne vois pas ce que ça changerait. Quand je suis venue au secours de Jipi, je connaissais particulièrement bien les tenants et les aboutissants de l’affaire qui lui valait ses ennuis, et j’avais les cartouches pour le dédouaner. Elle pinça ses lèvres et ajouta : — Mais les stups’… Et dans la région parisienne en plus… C’est un milieu très particulier qui m’est totalement étranger, mon pauvre vieux ! Et, comme Pellego la regardait de la déception plein les yeux, elle ajouta : — Cependant, je ne demande qu’à apprendre et tu vas éclairer ma lanterne ! Elle lui montra le plat d’huîtres : — Tiens, pendant qu’on déguste nos huîtres, dis-moi ce que tu sais sur cette affaire. Pellego reprit des couleurs et sa déception fit place à l’espoir, un espoir que le commandant Lester n’aurait pas voulu doucher, bien qu’elle se demandât dans quelle combine on était encore en train de l’entraîner. 4. Voir La régate du Saint-Philibert, même auteur, même collection.
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