Sueur et sucre

1015 Mots
Le lendemain matin , le soleil se levait à peine sur le domaine de l’Alpha suprême . L’aile Est dormait encore , mais dans la cour intérieure , le bruit sec d’une corde frappant la terre rompait le silence . Herman tenait un chrono dans une main , les bras croisés , son regard d’acier rivé sur Eléna , essoufflée , les cheveux collés au front, sautant à la corde avec une détermination féroce . — Trente secondes de pause . Ensuite, on passe aux pompes . — T’es sérieux… ? souffla-t-elle, les jambes tremblantes . — Pas une question , gamine . Elle s’effondra sur les genoux , haletante , mais sans se plaindre . Ce n’était que la première demi-heure . Le terrain d’entraînement n’était pas très grand , mais suffisant . Un coin du jardin avait été réaménagé à la demande d’Herman . Pas de gadgets , pas de simulateur . Juste de la terre battue , des poids , une barre de traction artisanale , et un punching-ball suspendu à une branche solide . — Tu veux pas être la gamine qu’on sauve tout le temps , hein ? dit Herman en s’approchant . Elle secoua la tête . — Alors bouge . Pompes , maintenant ! Elle se mit en position , grognant un peu , puis commença à descendre lentement . Ses bras tremblaient , mais elle ne s’arrêtait pas . Herman comptait à voix basse . — Un , deux , trois… — Tu comptes lentement exprès , hein!? avoua-t-elle entre deux respirations . Il eut un léger rictus. — C’est pas à moi de m’adapter à ta faiblesse . C’est à toi de t’élever à mon niveau . Elle grinça des dents , mais termina les vingt pompes . Puis il enchaîna . Abdos , sprint court . Montées de genoux. Corde à sauter . Squats . Tout y passait . Elle tomba dans l’herbe à la fin de la session , le souffle coupé , trempée de sueur . — Tu m’aimes pas , en fait ! Souffla-t-elle . Il s’agenouilla à côté d’elle , une gourde à la main . — Je t’entraîne comme j’aurais entraîné ma propre fille . Elle tourna les yeux vers lui , surprise . Il tendit la gourde . Elle but à grandes gorgées puis il s’assit à côté d’elle , croisa les bras . — T’as pas abandonné . T’as pas pleurniché et t’as pas essayé de tricher . Tu crois que t’es faible , mais tu viens de me prouver l’inverse . — T’as vu les autres filles de mon âge ? souffla-t-elle. Elles sont fines, belles, gracieuses… — Toi, t’es solide . Résistante . Et t’as du feu dans les veines . Je préfère ça à toutes les princesses du monde . Elle se redressa , le regard brillant malgré la fatigue . — Tu crois que je peux devenir aussi forte que toi ? Il la fixa un moment. — Tu peux devenir encore plus forte que moi . Parce que toi , t’as survécu à la peur à dix ans . Moi, il m’en a fallu vingt . Un silence doux s’installa . Puis il ajouta : — Demain matin , six heures . On recommence. — Tu veux me tuer ou quoi ? — Si t’étais morte , tu pourrais pas râler . Elle rit . Un vrai rire , cette fois . Puis elle se leva péniblement . — Je vais me doucher. Et après… j’ai une surprise pour toi . — Je déteste les surprises . Dit-il en roulant des yeux . — Tant mieux , dit-elle avec un sourire espiègle . Ça veut dire que tu peux rien anticiper . ⸻ L’après-midi, Herman était dans sa chambre , en train d’aiguiser un vieux poignard quand on frappa à la porte . Il ouvrit . Eléna était là , cheveux séchés , habillée proprement . Derrière son dos, elle cachait quelque chose . — T’as deux minutes ? — Une minute trente . — Parfait . Elle entra , les yeux brillants . Puis tendit devant elle une boîte faite à la main , emballée grossièrement dans un paquet cadeau noué . — C’est pour toi . — Pourquoi ? — Parce que t’es resté . Parce que t’es venu me chercher . Et parce que tu m’as pas laissée tomber même quand j’étais au fond du trou . Herman défit le tissu lentement . À l’intérieur , une boîte en bois verni . Simple. Mais gravée à la main . Sur le couvercle , on distinguait un loup . Et une petite silhouette à ses côtés . Gravés maladroitement , mais avec soin . En-dessous, en lettres irrégulières : “Ma meute, c’est toi.” Il ne parla pas . Elle se dandina sur place , nerveuse . — Je sais que t’es pas du genre à aimer ce genre de trucs , mais… je voulais juste que t’aies quelque chose à toi . Pas une arme . Pas un souvenir douloureux . Juste un truc qui dit que t’es important pour quelqu’un . Il referma la boîte . La garda dans ses mains un instant . Puis la posa délicatement sur sa table de chevet . — Tu veux que je dise merci ? demanda-t-il. — Non , juste que tu la jettes pas à la poubelle . — Trop tard . Elle est déjà la chose la plus précieuse que j’ai . Elle sourit , émue . — Sérieux ? Il hocha la tête. — Sérieux . Puis, d’une voix plus douce, presque fragile : — Merci, Eléna . Elle hocha la tête, heureuse, puis s’éclipsa . Quand la porte se referma, Herman resta seul dans la pièce. Il s’assit lentement, les yeux sur la boîte . Et pour la première fois depuis des années , il sentit que quelque chose en lui se réparait . Doucement . Sans combat , sans rage . Juste grâce à une gamine qui lui avait offert un bout de son cœur .
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