Des coups de feu avaient illuminé la nuit. Il avait pris trois balles, une dans le bras, une dans la cuisse et une qui avait éraflé son flanc droit. Bien que douloureuses, aucune blessure n’avait été mortelle.
Il avait maudit les armes primitives que Cosmos avait tenu à ce qu’il emporte. Elles étaient mal conçues et lui étaient peu familières. Il avait fini par les abandonner. Pourchassant le dernier homme dans la ruelle, il avait tourné à l’angle et découvert qu’il était tombé dans un piège.
Il s’était débattu, tuant la majeure partie de ses assaillants tandis qu’un autre groupe l’encerclait. Ses yeux papillonnèrent alors qu’il se rappelait l’image d’un homme qui était sorti de l’ombre au moment où il s’était effondré. Plus petit que lui, l’homme était néanmoins bien bâti. Il tenait une longue arme qui lançait des fléchettes au lieu des bouts de métal que les autres utilisaient.
Les fléchettes contenaient un agent qui paralysait ses muscles. L’homme, Markham, était le premier qu’il voulait tuer. Son sourire affreux mais satisfait était marqué au fer rouge dans son esprit.
— J’ai entendu qu’un homme étrange a aidé ma cible à s’échapper en Russie, avait commenté Markham en s’agenouillant à côté de lui sur le sol dur. Mon employeur veut savoir qui est capable de tuer d’une telle façon. Visiblement, mademoiselle Bell a d’autres atouts dans sa manche en plus de sa famille et de Cosmos Raines. Je pense que mon employeur sera très intéressé de vous garder en vie… pendant un petit moment, du moins.
Merrick se rappelait avoir tenté de se jeter sur l’homme dans un élan de rage. Le dernier souvenir qu’il conservait de cette nuit était Markham le frappant de la crosse de son arme. Depuis, il l’avait revu trois fois. Le regard triomphant de l’homme avait renforcé sa détermination à le tuer avant de retourner dans son monde, ou à mourir en essayant.
Il pencha la tête en arrière et fixa le plafond, gagné par l’épuisement et l’envie de céder au besoin de dormir. Un autre tremblement secoua son corps tandis que les effets résiduels des décharges électriques s’estompaient. Il avait désespérément besoin de s’échapper.
Ses pensées s’orientèrent vers Baade, son monde natal. Il fut envahi par la tristesse en pensant à la dévastation causée par le déclin du taux de natalité des femelles primes. La plupart des femmes disponibles étaient prises dès qu’elles étaient en âge de s’unir.
Les mâles étaient unis à leurs compagnes au cours d’une cérémonie rituelle organisée deux fois par an et qui rassemblait tous les mâles et femelles non accouplés. Ils étaient présentés par petits groupes et tournaient jusqu’à ce que les marques apparaissent, prouvant qu’ils étaient destinés à être ensemble. Si, dans des cas comme le sien, aucune compagne n’était trouvée, le guerrier se voyait face à deux choix : continuer à assister aux cérémonies dans l’espoir de trouver son âme liée, ou se résigner à une existence solitaire.
Le changement chimique qui survenait dès qu’un mâle prime entrait en contact avec une femelle qui lui était génétiquement idéale ne pouvait être recréé frauduleusement. Il provoquait chez le mâle une réaction physique et émotionnelle, qui le liait à la femelle. Les mâles étaient alors submergés par un sentiment de possessivité, un instinct protecteur et un puissant désir s****l.
En plus de cela, une marque d’union, une série de cercles complexes dénotant le lien indéfectible entre les partenaires, apparaissait sur la paume du mâle et de sa compagne lorsqu’ils entraient en contact. Chaque marque était aussi unique que le couple formé et n’apparaissait qu’une fois que le mâle et la femelle atteignaient l’âge de s’accoupler.
La procréation était impossible sans une telle connexion. Leurs scientifiques avaient découvert que la réaction chimique était une évolution de leur matériel génétique. De ce qu’il en savait, ils n’avaient pas trouvé de solution au problème. S’ils ne découvraient pas bientôt quelque chose, l’espèce des Primes était vouée à l’extinction.
Merrick sourit malgré lui en pensant à la réponse insolite qui était soudain apparue à son espèce sous la forme d’une minuscule femelle humaine. Jasmine « Clochette » Bell avait en effet débarqué de nulle part à bord du vaisseau de guerre de J’kar ‘Tag Krell Manok grâce à un portail qui reliait leurs deux mondes. Le portail, créé par Cosmos Raines, avait redonné espoir à son monde et aux hommes qui y vivaient.
Merrick regarda ses paumes. Rien n’y était gravé et ce ne serait probablement jamais le cas. Peu importe. Il n’était pas venu dans ce monde pour lui-même, mais pour les hommes sous ses ordres. En tant que chef du clan de la montagne de l’est, il était de son devoir de les guider et de faire tout ce qui était en son pouvoir pour assurer leur survie.
Core, son cousin, et lui s’étaient rendus à la capitale prime après avoir capturé un mâle humain qui leur avait servi des mensonges. C’était la première fois que Merrick avait été témoin de la tromperie des Humains. Ses doigts se levèrent pour toucher son oreille alors qu’il pensait à la minuscule compagne de J’kar, et un petit rire lui échappa. C’était la première fois qu’il avait goûté à la férocité dont faisait preuve une femelle humaine pour protéger ceux qu’elle aimait.
Clochette l’avait attaqué quand il s’en était pris à son compagnon. Elle lui avait sauté sur le dos, lui avait couvert les yeux et mordu l’oreille avec ses dents lisses. Sa mère l’avait frappé à l’entrejambe pendant que sa sœur l’assommait avec un pot de fleurs. Il secoua la tête tandis que les souvenirs affluaient.
Non, tous les Humains ne sont pas des traîtres, y compris les mâles, admit-il à contrecœur, songeant à Cosmos et à ceux qui travaillaient avec lui. Il y a ceux à qui l’on peut faire confiance et ceux à qui l’on ne peut pas faire confiance, ici comme dans mon monde.
Ses yeux se relevèrent au moment où la porte s’ouvrit pour laisser entrer Weston et trois autres hommes. Le premier le contempla avec un mélange de consternation et de haine. Merrick lui rendit son regard.
— Maîtrisez-le, ordonna-t-il. Le docteur Rockman veut un autre échantillon.
En entendant le nom de la femme médecin, Merrick bondit sur ses pieds. Le rugissement qu’il poussa en voyant Weston lever la seringue qu’il tenait résonna bruyamment dans la pièce. Il fallut que les trois hommes tirent sur les chaînes pour le rapprocher assez des barreaux et permettre à Weston de lui faire l’injection. Si son dernier combat ne l’avait pas laissé affaibli, ç’aurait été impossible.
Alors que la d****e envahissait son système, Merrick tomba à quatre pattes. Il luttait contre ses effets, ses bras tremblant violemment, mais c’était peine perdue. Lentement, une fois de plus, il s’effondra sur le sol froid. La dose excessive de d****e noya ses veines et pendant un instant, son cœur palpita et s’arrêta.
Ce sera peut-être la dernière fois, pensa-t-il tandis que l’obscurité l’enveloppait.