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3275 Mots
I Six ans plus tôt Jusqu’à cette nuit-là, c’était chacun chez soi. Ni l’un ni l’autre n’avait évoqué ni l’envie, ni le besoin que ça change. Ils s’invitaient réciproquement, une fois chez l’un, une fois chez l’autre, pas de problème de partage des corvées, celui qui invitait ravitaillait son frigo et faisait la vaisselle, et c’était bien ainsi. Et puis il y eut ce matin, un matin pas comme les autres, la conclusion d’une nuit où David contempla Adèle jusqu’au lever du jour. Elle s’était endormie dans la tiédeur de ses bras et il n’avait pas osé la réveiller. Il écoutait sa respiration lente et calme, observait son visage serein, étudiait l’arrondi de ses lèvres entrouvertes, s’étonnait de la finesse de ses cils… Ce prolongement infini et délicat de ses paupières closes vibrait au tempo de ses songes, pendant que ses seins ensommeillés se soulevaient délicatement au rythme de ses lentes aspirations. La lune projetait à travers le voilage de la fenêtre un rai de lumière violette. Cette nuit-là, David admirait sans retenue le corps de celle qui s’offrait à lui depuis deux ans et qu’il n’avait pas encore su regarder attentivement. Tout en respirant le parfum de ses cheveux, il étudiait avec précaution chaque méandre, chaque mouvement, chaque étirement. Il épiait le moindre tressaillement. La dilatation d’une narine, un frisson, un murmure, le mouvement délicat de ses doigts effilés sur son torse, chaque détail devenait une découverte. David ne voulait rien rater, il guetta jusqu’au petit matin, comme on attend un lever de soleil sur la mer, pour surprendre le premier regard d’Adèle. Un lever de rideau sur l’azur. Il dégusta chaque seconde : l’ouverture vacillante de ses paupières, le bleu intense de ses yeux révélés à la lumière, l’étonnement d’abord, un léger haussement du sourcil gauche, l’étincelle dans son iris, l’éclairage de son regard et pour finir le sourire gracieux qui s’était dessiné sur sa bouche. Et puis les premiers mots qu’elle avait prononcés. — David, mon amour, tu es là… Ce matin-là, David comprit qu’il passerait la nuit suivante avec Adèle, la nuit suivante et toutes les autres nuits. Ce sentiment s’était imposé à lui comme une évidence. — Ce serait plus simple si nous partagions le même appartement, avait-il suggéré au petit déjeuner. — Tu as des problèmes d’argent ? — Non, bien sûr que non ! Il ne s’agit pas de ça ! répondit David, légèrement vexé. — Je sais, ne t’offusque pas, je plaisantais. — Alors, qu’en penses-tu ? — Je ne sais pas, nous sommes bien comme ça, répondit Adèle tout en se beurrant une biscotte. J’ai peur de tout gâcher, j’ai peur qu’on finisse par se disputer pour savoir qui doit descendre la poubelle. Je suis bien avec toi, mais j’aime aussi me retrouver seule, j’ai besoin d’espace et de temps rien qu’à moi. Je veux pouvoir péter dans mes draps en toute liberté ! — Adèle, tu es immonde ! — Mais quand t’es là, je me retiens ! — De mieux en mieux… — Tu vois, je ne suis pas un cadeau. Je me sens incapable de jouer la femme idéale au quotidien. J’ai un caractère de cochon, je suis affreusement égoïste, narcissique et butée. — Tu oublies drôle, excentrique ! — Vulgaire, mal élevée, paresseuse… — Belle, intelligente, pétillante… tu es tout ce que j’attends d’une femme, tu es tout, et son contraire… c’est justement ça que j’aime en toi. — J’aime traîner en pyjama, boire du jus d’orange en brick directement au bec, grignoter des chips sur mon sofa, accompagnés de cornichons et de Nutella… — Justement, je voudrais bien la connaître, cette Adèle. — Tu ne tiendrais pas huit jours à mes côtés ! dit Adèle en se resservant un bol de café. — On peut essayer… Ils essayèrent. Des mots doux aux insultes, du rire aux larmes, au fil des mois, ils s’étaient rapprochés, leur complicité s’était accentuée, leurs liens s’étaient resserrés. De vacherie en fou rire, de fou rire en pardon, de pardon en saoulerie, de saoulerie en étreinte, accros l’un à l’autre, ils finirent par emménager dans un appartement plus spacieux. Et cela dura quatre ans. Quatre années de bonheur, que la routine n’affecta jamais. Adèle et David ne s’imposaient rien, ne s’interdisaient rien. Pour eux, chaque jour nouveau était à réinventer, l’imprévu mettait de la couleur, l’inattendu donnait du relief, seules la platitude et la fadeur étaient bannies de leur existence commune. Ils ne s’étaient rien promis, « n’avaient rien gravé dans le marbre », ils étaient dans l’instant, dans le temps qui se réinvente jour après jour au gré de leurs consentements mutuels. Ne rien se promettre, c’était pour eux, une façon de ne jamais rien risquer, de se garder disponibles à tous les possibles. Un saut dans le vide chaque fois qu’ils se quittaient. Dans ces circonstances, l’absence de David n’avait pas immédiatement inquiété Adèle, ni le premier soir, ni le second. Adèle s’estimait libre d’aller et de venir comme bon lui semblait, de rentrer à l’heure qu’elle voulait, de rencontrer les gens qu’elle appréciait sans avoir à rendre de compte à qui que ce soit. Il n’était pas question d’empiéter sur son espace personnel, et ce qui était valable pour elle, l’était pour lui. Telles étaient les règles qu’elle avait fixées dès le premier jour. Le troisième jour sans nouvelles l’énerva un peu. Tout de même, il pouvait lui téléphoner, c’était la moindre des choses ! Que pouvait-il y avoir de si important qui l’empêchât de se manifester et de prévenir de son absence ? Avec qui pouvait-il être en ce moment ? Elle se sentit idiote à l’idée de lui faire un sermon qu’il pourrait interpréter comme une scène de jalousie. Elle avait toujours repoussé cette conception invasive du couple où chacun sous prétexte d’aimer, s’approprie l’existence de l’autre. Et pourtant, son esprit bouillonnait à l’idée qu’il pût se payer du bon temps sans elle. Ne pas se soucier d’elle, ce serait l’aimer bien peu. Et de l’amour, elle en avait besoin, plus qu’un besoin, une nécessité absolue. Derrière cette carapace, derrière cette armure qu’elle s’était forgée pour ne jamais fléchir, il y avait un cœur gonflé, prêt à éclater. Le cœur d’une femme qui, indubitablement, mourrait de ne plus se sentir aimée. L’amour de ceux qu’elle aimait lui était vital. C’était son addiction. Amoureuse indépendante envers et contre tous, mais dépendante malgré elle de l’amour qu’on lui portait. Trois jours sans nouvelles, ce n’était pas habituel. Pourquoi ne téléphonait-il pas ? David pourrait lui retourner la question… Elle non plus ne l’avait pas appelé. Mais après tout, c’était lui qui n’était pas rentré à la maison… « Rentré à la maison ! » Cette basse pensée matrimoniale lui fit horreur. N’empêche que, c’était bien à lui d’appeler. Adèle était intransigeante, elle ne faillirait pas, elle ne lui ferait pas ce plaisir. Cela pouvait paraître puéril, mais c’était une question de principe ! Lui en voulait-il pour une quelconque raison ? Adèle se remémora les derniers jours pour y trouver un indice, un début d’explication. Une querelle ? Pas qu’elle se souvienne. Une mauvaise blague qu’il aurait pu mal prendre ? Pas davantage. Et puis David n’était pas du genre boudeur. Elle ne se souvenait d’aucune allusion à un déplacement professionnel. Le questionnement d’Adèle n’était pas tant dans la longueur de son absence que dans le fait qu’il ne l’ait pas avertie. Pourquoi n’avait-il pas appelé ? Un coup de fil, même bref, aurait suffi, un message, un sms, même un e-mail… Un e-mail ? Depuis combien de temps ne s’était-elle pas connectée ? Elle déplia son ordinateur portable et l’alluma. « 175 messages ! Waoww ! » Parmi la multitude de messages publicitaires, il y avait bien des « Coucou ma belle ! Comment va ? Donne-nous des news ! », un message professionnel, une invitation à rejoindre un groupe d’amis sur f*******:, mais aucune nouvelle de David. Adèle tapa des deux poings sur le coussin du sofa, furieuse de s’être une fois de plus laissée empoisonner par l’amour. Elle détestait se retrouver dans ce genre de situation. Elle se leva, ouvrit la fenêtre et inspira à pleins poumons. Son téléphone vibra dans sa poche. « Pas trop tôt, se dit-elle, tu as intérêt à avoir une bonne excuse mon David ! » Ce n’était pas David. — Bonjour Adèle, c’est Robert, ça fait trois jours qu’on n’a pas vu David, et qu’il n’a pas donné signe de vie… il va bien ? — Bonjour Robert. Trois jours ? Euh… je ne sais pas. Moi non plus, je n’ai pas de nouvelles. — Son portable ne répond pas, c’est la raison pour laquelle je me suis permis de vous appeler. — Trois jours qu’il ne va pas à son travail ? Vous dites qu’il ne répond pas au téléphone, ce n’est pas normal, je ne sais que vous dire, vous m’inquiétez vraiment. — Je suis désolé Adèle, je ne voulais pas vous inquiéter, je n’aurais peut-être pas dû vous appeler. — Non, ne soyez pas désolé, vous avez bien fait. Le premier qui a des nouvelles prévient l’autre ? — Bien entendu. En raccrochant, Adèle se mit à penser au pire. Son premier réflexe fut de téléphoner à la police. Elle fit le numéro sans trop réfléchir à ce qu’elle allait devoir expliquer. Elle bafouilla. — Bonjour, c’est pour, enfin je, mon ami, je m’appelle Adèle Béranger, je voudrais déclarer une disparition. Le fonctionnaire qui lui répondit ne semblait pas la prendre au sérieux et le ton blasé qu’il employait l’irrita un peu. — Vous ne comprenez pas ? Je vous dis que je n’ai plus de nouvelles de lui depuis trois jours ! — Si vous saviez ce que j’entends et vois tous les jours, mademoiselle… — Il ne s’est pas présenté à son travail non plus, peut-être a-t-il eu un accident ? — Dans ce cas, rapprochez-vous plutôt des hôpitaux, mademoiselle. — Les hôpitaux ? Mais vous savez combien il y a d’hôpitaux à Paris ? Je ne sais pas moi, lorsqu’il y a un accident grave et que la victime est inconsciente, vous n’êtes pas informés, vous la police ? Qui prévient-on dans ce cas ? Vous ne pouvez pas vérifier quelque part, si on vous a signalé une victime qui correspondrait à son signalement ? — Calmez-vous mademoiselle. Je vais regarder le registre. Une minute je vous prie. Rappelez-moi son nom, son âge… Adèle s’apaisa. Elle répondit calmement aux questions du policier et attendit sagement le résultat de ses recherches. — Nous n’avons aucune victime de s**e masculin déclarée à la suite d’un accident de la circulation, aucun décès non plus, si ça peut vous rassurer, aucune agression signalée, rien en tout cas dans le secteur que vous m’avez indiqué, ni dans les quartiers avoisinants… Désolé mademoiselle, je ne peux pas vous aider davantage. Il s’agit peut-être d’une disparition volontaire. — Une disparition volontaire ? — Une fugue d’adulte si vous préférez. — J’avais compris, merci, mais c’est impossible. — Lorsqu’il s’agit d’un accident, la famille est immédiatement prévenue… Même si la victime est inconsciente ou dans l’incapacité de parler, la première réaction est de vérifier ses papiers mademoiselle. [Il m’énerve avec ses ‘mademoiselle’ à tout bout de champ !] — Mais s’il s’agissait d’une agression ? Et si après l’avoir laissé pour mort, l’agresseur lui avait volé tout ce qu’il avait sur lui ? — Mademoiselle, encore une fois, calmez-vous ! Si une telle agression avait eu lieu, non seulement nous serions au courant, mais vous en auriez entendu parler dans la presse, à la radio et à la télévision. Un avis de recherche aurait été lancé… — Vous avez raison, je ne sais plus quoi penser à vrai dire, dit-elle en enroulant nerveusement le fil du téléphone autour de son index. — Sans vouloir vous offenser, je pense sincèrement à une disparition volontaire. — Je ne peux pas y croire… c’est impossible, tout va bien entre nous… David n’a aucune raison de « fuguer »… Nous sommes un couple libéré, s’il voulait me quitter, il suffisait de me le dire… — Il ne s’agit peut-être pas seulement de vous ?… Quoi qu’il en soit, si vous voulez signaler sa disparition, ça devra se faire au poste. Munissez-vous de plusieurs photographies récentes, ça pourrait servir. Adèle ne concevait pas l’idée d’une disparition volontaire… David n’avait aucun souci majeur : réussite professionnelle, amis, argent, famille, santé… rien dans sa vie ne permettait de supposer une fuite. Santé ? David lui aurait-il caché de graves ennuis de santé ? Pourquoi ? Elle ne pouvait pas rester là, à tourner en rond dans son appartement. Son esprit s’embrouillait, elle avait besoin de parler à quelqu’un. Il n’y avait qu’auprès de son amie Victoire qu’elle pourrait trouver le réconfort, elle seule pouvait l’accompagner, la guider, la conseiller dans cette situation. Même dans les cas les plus désespérés, Victoire trouvait toujours la solution miracle, elle connaîtrait forcément la bonne porte où frapper pour avoir une vraie réponse. Victoire travaillait aux urgences de l’Hôpital Saint Louis. Adèle décida de la rejoindre à l’heure du déjeuner. À l’accueil, elle demanda que l’on prévienne son amie. Elle patienta dans le hall, parmi les civières et les malades qui guettaient leur tour, assis sur des banquettes fatiguées, en simili cuir luisant. Un homme à l’air goguenard, légèrement éméché, avait l’arcade sourcilière ouverte.« Sûrement le résultat d’une bagarre de comptoir », pensa Adèle. Le narquois insultait les infirmières à chacun de leurs passages. Un peu en retrait, un jeune homme semblait endurer un atroce supplice en se tenant la tête entre les mains, un vieillard délirait sur son brancard, une femme suppliait que l’on s’occupe d’elle. Adèle se sentait étrangère à toute cette misère humaine. Elle pensa à son amie, pour qui le quotidien ne devait pas être une partie de plaisir. Victoire apparut au bout du couloir, poussant avec difficulté une civière dont les roues refusaient tout mouvement parallèle. — Adèle ? Que se passe-t-il ? Tu es souffrante ? — Non, rassure-toi, je voulais juste déjeuner avec toi. — Quelque chose ne va pas ? Tu as l’air bizarre. — On sort ? — Attends, je dépose celui-là, dit-elle en désignant le brancard récalcitrant, et je te rejoins. Victoire installa le lit dans un box et remit le dossier du patient à une collègue. — Je passe récupérer mon manteau au vestiaire et je suis à toi ! dit-elle en enlevant sa blouse. Après quelques minutes, Victoire rejoignit son amie. Sans son uniforme elle était différente, plus légère et plus souriante, comme si elle avait laissé au vestiaire, sur les épaules de sa blouse, le poids de ses responsabilités. — Tu peux partir comme ça ? demanda Adèle. — Heureusement ! J’ai trois quarts d’heure de retard sur ma pause et je meurs de faim ! répondit Victoire en poussant la porte du hall. — Et tous ces gens qui attendent ? — Tu sais, les urgences ne désemplissent jamais. Vingtquatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept ! Tu crois qu’on devrait rester ? — Non, bien sûr, vu de l’extérieur on ne se rend pas compte. — C’est une bonne chose que tu sois venue, une fois encore je me laissais déborder. Une bonne infirmière est avant tout une infirmière avec le ventre plein ! Dis-moi ce qui t’amène. Je suppose que tu n’es pas venue aux urgences pour le plaisir des yeux. — Tu as raison. Mais bon sang, comment tu fais ? — Je suis infirmière, pour toi ça veut peut-être dire soigner les gros bobos, mais crois-moi, une bonne infirmière doit aussi être capable de voir au-delà des plaies physiques. Et il faudrait être aveugle pour ne pas voir que chez toi, quelque chose ne tourne pas rond. Adèle hésita un moment, elle se sentit bête et coupable tout à coup. Mais elle était là, face à son amie, et elle avait vraiment besoin de son avis. — David a disparu, lâcha Adèle. — Aïe ! s’écria Victoire en se mordant la lèvre. Suismoi, il y a un petit resto au coin de la rue, il ne paye pas de mine mais le patron est sympa et la carte… divine ! — Non mais, Vic, ce n’est pas ce que tu crois… je ne serais pas venue t’embêter au travail pour une querelle d’amoureux. David n’a pas seulement disparu de ma vie… IL A DISPARU. Malgré l’heure tardive, la petite brasserie était encore bondée et quelques clients attendaient au bar qu’une place se libère. Visiblement, Victoire y avait ses habitudes car, à leur entrée, la barmaid leur fit un large sourire et s’empressa de sortir du bar pour aller débarrasser une table fraîchement désertée. De la main, elle leur fit signe d’avancer. Adèle voulut s’assurer que ce fût bien à elles qu’elle s’adressait, mais lorsqu’elle vit Victoire s’avancer sans aucune hésitation, elle lui emboîta le pas. — Une réservation pour deux à la 8, je m’en occupe ! s’écria la serveuse en écartant leurs chaises. Une fois ses deux clientes installées, elle proposa le menu du jour en faisant un clin d’œil à Victoire. — Deux plats du jour, ça sera très bien, merci Martine, répondit Victoire en lui retournant son œillade. — Tu avais réservé ? chuchota Adèle. Comment as-tu deviné que j’allais venir ce midi ? — Mais non, gourde ! Je viens déjeuner ici presque tous les midis et parfois même le soir… le patron m’a à la bonne. Ici, ils connaissent tous mon boulot et savent que je n’ai pas l’éternité devant moi. Tiens, le voilà justement. — Qui ? — Le patron ! Oh, tu planes toi aujourd’hui ! Avec discrétion, Adèle fit mine de ramasser son sac à main posé au pied de sa chaise, et se retourna en maintenant la tête baissée. Elle vit d’abord ses chaussures, impeccablement cirées, son regard remonta doucement : un jean délavé, un ceinturon discret, une chemise à carreaux rouges, manches relevées aux coudes, col ouvert, et sur la tête, une toque de rôtisseur. L’homme devait avoir la trentaine, et son sourire ne manquait pas de charme. — Bonjour mademoiselle Victoire, vous avez regardé la proposition du jour ? demanda-t-il en tendant une ancienne ardoise d’écolier sur laquelle était inscrite ladite proposition. — Ce n’est pas la peine, je vous fais confiance Achille. Adèle mit une main sur sa bouche, elle se pinça le nez, retint sa respiration pour contenir un éclat de rire qui pouvait exploser d’une seconde à l’autre. Son teint commençait à virer au violet quand Victoire la soulagea. — C’est bon, il est loin maintenant, tu peux te lâcher. Adèle pouffa et devant la mine consternée de son amie, elle renchérit dans un fou rire. Il lui fallut quelques minutes pour retrouver son calme. Avec parfois quelques petites rechutes. — Achille ? Achiiille ! « Je vous fais confiance Achiiille » c’était irrésistible, excuse-moi. Mais qui s’appelle Achille de nos jours ? — Je suis contente de voir que tu n’as pas perdu ton espièglerie, ça fait plaisir ! — Ça ne t’a pas fait rire, toi ? — Tu sais ma chérie, j’ai quitté le collège depuis longtemps. — Oh la ! Il n’y a pas si longtemps, on pouvait encore rire de tout, toi et moi… Oh ! Attends, ne me dis pas que tu sors avec lui ? Victoire ne répondit pas. — Ah, d’accord ! fit Adèle interloquée. — Si tu me parlais de David, répondit Victoire pour couper court. C’est un peu pour ça que tu es venue me voir, non ? Au cours du repas Adèle lui révéla son désarroi, elle expliqua qu’elle ne s’était pas inquiétée avant l’appel de son collègue de travail, mais que depuis, elle avait elle aussi cherché à le joindre, mais sans résultat. Chaque fois elle tombait sur sa messagerie. Elle relata sa conversation téléphonique avec la police, qui selon elle, ne bougerait pas le petit doigt. — Tu es allée à son club de billard ? demanda Victoire. — Non. — Tu connais ses habitudes, as-tu fait le tour de ses connaissances, je veux dire en dehors du boulot, clubs de sport, cafés, restos ? — J’avoue que non, répondit Adèle. J’aurais peut-être dû commencer par là en effet, comment n’y ai-je pas pensé plus tôt ? Je me sens idiote. — C’est toujours plus facile vu de l’extérieur. Et sa mère, ou sa sœur ? Tu n’as pas appelé chez elles non plus ? — Je crois que je ne voulais pas leur donner l’impression que je pistais David ou que je le harcelais au téléphone. Adèle sortit son téléphone portable et consulta son répertoire téléphonique dans le but d’appeler tous les contacts qu’ils avaient en commun. — Pas maintenant, ordonna Victoire en ôtant l’appareil des mains d’Adèle. D’abord, on mange. — Je n’ai pas très faim. — Fais-moi plaisir, ce pot-au-feu est délicieux, mange, ensuite tu appelleras la terre entière si tu veux. Adèle fit une moue, une simagrée de petite fille. Elle sépara les morceaux de viande des légumes, piqua sa fourchette dans une pomme de terre et la porta à sa bouche sans grande conviction. — Je termine à 18h00, reprit Victoire la bouche pleine, après mon travail je t’accompagnerai, nous ferons ensemble le tour des établissements qu’il fréquente. — Tu es gentille. — Je suis ton amie. — À deux, ce sera plus facile. Je n’aurai pas l’air de celle qui fouille dans la vie de son compagnon… — Tu en es toujours là, à ce que je vois. Tu sais, il n’y a pas de honte à être amoureuse. — On peut aimer quelqu’un et respecter sa liberté. Pour moi, s’aimer c’est vivre ensemble mais chacun doit pouvoir rester libre. Deux bulles de savon peuvent voler longtemps côte à côte, mais dès qu’elles se touchent, elles éclatent toutes les deux. — C’est très joli cette image, mais c’est triste ces deux bulles qui ne se rejoindront jamais. Parfois les bulles s’unissent, elles aussi… — Oui, et des fois elles ne font plus qu’une seule grosse bulle, mais c’est parce qu’il y en a une qui a absorbé l’air de l’autre… Je ne veux pas être asphyxiée, je ne veux pas être celle qui aime le plus. — « Être celle qui aime le plus ? » Tu m’expliques ? — Dans un couple, il y en a toujours un sur les deux qui aime plus que l’autre, et qui par conséquent est appelé à souffrir. Je ne veux pas être celle qui souffrira le plus, c’est tout. Victoire ne répondit pas. Elle pensa que le moment était bien mal choisi pour polémiquer à ce sujet. Il lui aurait été facile, vu les circonstances, d’enfoncer le clou. Elle se contenta d’être pragmatique. — D’ici ce soir, tu as le temps de préparer la liste des endroits à « fouiller ». Si après ça, nous n’en savons pas davantage, il sera envisageable d’aller le signaler à la police.
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