Parfums d'Automne

Bill Walker scrutait le ciel parsemé de nuages gris, un air ravir sur le visage. Il adorait ce ciel annonciateur de changement de saison. L’été avait été trop chaud cette année mais l’automne commençait déjà à en atténuer les effets. Un rire cristallin lui fit baisser la tête. Une petite fille, de huit ans, aux cheveux rouges, les bras écartés tournoyait sur elle-même en riant aux éclats. Il le savait, c’était le meilleur moment de l’année pour elle. Elle adorait regarder les feuilles rouges et jaunes tombées des arbres, sentir l’odeur familière du sol mouillée par la pluie mais ce qu’elle adorait encore plus était de sauter dans les feuilles mortes qu’il rassemblait en tas. Même si cela lui faisait refaire son travail à plusieurs reprises, il la laissait fait. C’était si bon d’avoir sa petite fille ici au ranch étant donné que ses séjours à Hill Valley étaient des plus rares. - Arrête Autumn ou tu auras le tournis ! lui ordonna-t-il de sa forte voix.             S’arrêtant, la petite fille se tourna vers lui puis esquissa une moue boudeuse qui le fit sourire. Et avant même qu’il ait le temps de s’en rendre compte, elle courut sauter dans l’amas de feuilles sèches qu’il venait tout juste de rassembler.             Mais au lieu de la gronder, il éclata de rire imiter bientôt par la petite-fille. - On s’amuse bien ici, on dirait.             La voix joyeuse de sa fille, Lisa, leur fit tourner la tête. - Maman ! S’écria-t-elle joyeuse. Tu viens sauter avec moi dans les feuilles ? - Non. Pas très envie.             Secouant la tête, Autumn reprit son jeu sans faire plus attentions aux adultes. Scrutant le visage de sa fille, Bill poussa un lourd soupir. Elle était de plus en plus pâle et amaigri. Ses cheveux bruns et l’éclat de ses yeux bleus avaient palis. La maladie la gagnait de plus en plus. C’était dur pour tous mais encore plus pour lui. Après avoir perdu Abby, sa chère femme, voilà qu’il allait perdre son unique fille, son héritière, celle à qui il pensait un jour léguer le ranch familial. Déjà que depuis son mariage, c’était à peine si son époux lui laissait le droit de revenir au ranch familial et il devait seul s’occuper des chevaux rétifs qu’on leur envoyait. La spécialité de Hill Valley, son  ranch, était de remettre sur pieds les chevaux présentant des problèmes et à part lui seule Lisa savait s’y prendre aussi habilement avec ses bêtes. Et, maintenant à cause de ce foutu cancer, il allait la perdre elle aussi. Et puis Robert, son aîné, qui était allé il ne savait où. Depuis son divorce, il était devenu invivable. C’était peut-être mieux ainsi qu’il soit partit. Il se calmerait et lui n’aurait plus à supporter sa mauvaise humeur. Le seul hic, c’était qu’il n’avait plus personne pour l’aider à s’occuper du ranch et des chevaux qui y résidaient en permanence. Même si les fils de Clark Doyle, son voisin, venaient parfois lui donner un coup de main, veillé aux grains tout seul n’était pas chose aisée.             Ce ranch, c’était Phil Walker, son père, qui l’avait crée avec l’aide de sa femme, une amérindienne d’une tribu locale, des dizaines d’années plus tôt. L’un des premiers ranches de la région à s’occuper de guérir et soigner les chevaux grâce en grande partie aux techniques anciennes amérindiennes de sa mère. Techniques qu’il avait apprises et qu’il avait à son tour enseignées à sa fille. Ce n’était peut-être pas le plus grand ranch de Rive Creek mais on s’y occupait toujours parfaitement bien des chevaux. - Il est arrivé, Autumn. Tu veux le voir ?             La faible voix de Lisa le sortit de ses pensées. Se tournant vers elle, il poussa un soupir triste. - Oh oui maman ! s’exclama joyeusement la petite fille en s’extirpant des feuilles. Est-ce que je pourrais t’aider maman comme je le fais avec grand-père ? - Bien sûr, dit-elle souriante en ôtant les feuilles emmêlées dans la chevelure rousse de sa fille.             Lui prenant la main, elles quittèrent la prairie et marchaient le long du chemin menant vers les écuries de Hill Valley, le ranch familial des Walker. Lui, les suivait de loin.             Pauvre Autumn, elle ne savait pas encore qu’elle était en train de profiter des derniers moments avec sa mère. Si seulement cette têtue de Lisa acceptait cette chimio. Il aurait voulu l’y obliger mais elle refusera comme toujours. Elle prétextait ne pas vouloir passer ses derniers jours dans un lit d’hôpital. Il savait qu’il n’y avait rien de plus à espérer mais il voulait encore y croire. Aucun parent n’a envie d’enterrer un de ses enfants de son vivant. Cela ne devrait jamais avoir à se faire.             Dans le grand enclos près de l’écurie, un cheval très agité tournait en rond. Lâchant la main de sa mère, Autumn courut vers la clôture de l’enclos et observa l’animal. Elle se mit alors à chatonner un air qu’il lui avait appris censé calmé les chevaux. - Tu n’aurais pas dû lui apprendre ce chant papa, lui dit Lisa sur un ton de remontrance. - Ne dis pas de bêtise, Lisa. À son âge aussi déjà je le chantais. - Je sais ce que tu veux faire avec elle. Tu penses vraiment qu’elle a hérité de notre don ? - Incontestablement oui.             Il ne lui avait pas parlé de comment il avait vu la petite Autumn réussit à se rapprocher d’un poney rétif qu’on lui avait emmené l’année précédente et dont elle avait réussi à se faire obéir. Connaissant sa fille, elle se serait fait un mauvais sang. Depuis qu’elle s’était mariée avec son riche d’avocat de mari et était partie vivre avec lui à New York, Bill s’était sentit si triste et seul. Mais aucun père n’a envie de refuser quoi que ce soit à ses enfants et encore moins aller à l’encontre de leur bonheur. Pour avoir été heureuse, Lisa l’a été. David s’est toujours bien occupé d’elle et de leur fille et ça se voyait qu’il était fou d’elles.             Bill ne pouvait s’empêcher de se demander comment allait réagit ce dernier après la mort de sa femme. Élevé seul un enfant surtout pour un homme ce n’était chose facile. Lui-même après la mort de sa femme, et même si ses enfants étaient déjà adulte, avait eu du mal à leur faire face. Et, il avait toujours du mal avec Robert alors qu’avec Lisa, c’était si facile. Ils s’étaient toujours si bien entendu.             Aucun parent ne devrait avoir à enterrer son enfant, se dit-il à nouveau. Jamais. - Maman regarde, il a une grande cicatrice sur le flanc. Tu sais pourquoi ?             Lisa poussa un soupir et s’approcha de sa fille. - Il a eu un grave accident. - Oh ! dit-elle d’un ton triste. C’est pourquoi il est dans cet état ? - Oui. - Il m’a l’air farouche celui-là, intervint Bill en les rejoignant. C’est un Mustang, n’est-ce pas ? - Un pur. - Tu es sûre de vouloir t’occuper de lui. Je peux le faire tu sais. - Tu parles sans doute à cause de David. - Il n’est pas content que tu sois là au lieu d’aller… - Me faire soigner, le coupa-t-elle. Cela ne sert plus à rien papa et tu le sais bien. Ils seraient temps que vous l’acceptiez lui et toi comme je l’ai fait. Avant de partir, je veux une dernière fois faire ce que j’ai toujours aimé faire. Guérir les chevaux, est-ce mal papa ? - Non, répondit-il d’une voix las et triste.             Lisa caressa les cheveux roux de sa fille et sourit. - Petit récapitulatif Autumn. Quel est la première étape à faire lorsqu’il faut s’occuper d’un cheval ? Lui demanda son grand-père. - Lui parler ? - Oui. Mais pas que ça.             Esquissant une moue avec sa bouche, Autumn scruta l’animal évoluant toujours dans son enclos. - Le jeu de l'amitié - Bravo. Et quel est l’objectif de ce jeu ? - Il faut que le cheval ait confiant en son maître. - Encore Bravo. Et qu’est-ce qu’on doit faire pour cela ? Se caressant le menton, Autumn essaya de se rappeler tout ce que lui avait appris son grand-père et sa mère. Soudain, tout lui revint aussi limpide que l’eau de source. - Il faut que le cheval accepte qu’on le touche des oreilles jusqu'à la queue. - C’est bien ça. Il faut que le dresseur puisse s’agiter autant que possible sans que ses mouvements ne perturbent le cheval. - C’est compliqué tout ça, grand-père, dit-elle avec une moue.  - Tu comprendras quand tu seras plus grande, ajouta Bill avec un grand sourire. - Mais je comprends, dit-elle avec une mine des plus sérieuses. Bill et Lisa éclatèrent de rire. - On sait que tu comprends, reprit le vieil homme. Un jour ce sera à toi de relever les défis que comptera le ranch. - Compris, dit-elle en hochant la tête. - Il est temps que je me mette au boulot, lança Lisa.             Bill prit sa petite fille par la main et ils observèrent Lisa entrée dans l’enclos et évoluée auprès de l’animal. Bill était très inquiet. Certes, sa fille savait ce qu’elle faisait mais avec un animal si en farouche on ne pouvait jamais savoir à quoi s’attendre. Il ferait mieux de lui apporter un coup de main même s’il savait qu’elle n’aimerait pas.  - Un jour moi aussi je serai aussi forte et douée que maman, dit-elle en se tournant son petit visage pleins de tâche de rousseurs vers son grand-père.             La gorgée serrée, il acquiesça.             Pauvre petite ! Lisa ne serait bientôt plus là mais Autumn elle était là et serait parmi eux pendant encore longtemps. Et si comme il le pressentait, elle était aussi douée qu’eux… Oui, ce sera à elle de continuer le travail de la famille Walker. Un jour Hill Valley sera à elle. - Non, tu seras bien plus forte, lui répondit-il avec un tendre sourire.