Chapitre 1
Une hackeuse brillante revient à Saint-Pétersbourg pour venger la mort de sa mère, assassinée huit ans plus tôt par un ministre corrompu et découvre que la vérité est plus dangereuse qu’elle ne l’imaginait.
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Aliona était là, assise dans le vieux fauteuil en cuir du salon, ses mains serrant un mug tiède qui avait depuis longtemps perdu sa chaleur. À vingt-six ans, elle portait sur ses épaules le poids de ces huit années passées loin de chez elle, et son regard, profond et vif, trahissait une intelligence aiguë mêlée à une fatigue contenue. Ses cheveux châtains, souvent négligés, tombaient en mèches désordonnées autour de son visage fin, marqué par les longues veilles passées devant un écran.
Elle avait ce mélange rare d'assurance tranquille et de vigilance constante, comme si chaque geste, chaque silence, était calculé. Fille unique d'une mère journaliste assassinée, élevée par sa grand-mère dans une ville étrangère, Aliona avait appris tôt à se débrouiller seule, à cacher ses failles derrière une carapace d'autonomie. Son style vestimentaire, simple et fonctionnel, reflétait son pragmatisme : un pull ample, un jean usé, l'essentiel pour rester efficace, sans fioritures.
La lumière froide du téléviseur baignait la pièce d'une lueur bleutée, oscillant doucement au rythme du son, tandis qu'Aliona restait immobile.
À l'écran, un homme au visage marqué par les années parlait d'une voix mesurée, presque monocorde, d'une affaire qu'elle avait appris à connaître trop tôt, trop douloureusement :
« Cela fait aujourd'hui huit ans que la journaliste Elena Rakitina a été retrouvée morte dans son appartement de Saint-Pétersbourg. Les autorités ont conclu à une surdose accidentelle, un drame qui a endeuillé le monde du journalisme russe... »
Aliona sentit un nœud se former dans sa gorge. Ces mots sonnaient faux, creux, comme une sentence jetée à la va-vite sur une vérité trop lourde à porter. Sa mère n'avait jamais touché à ces médicaments. Jamais.
Son regard glissa sur la table basse, où reposait le médaillon ancien, ce bijou qu'Elena lui avait laissé en partant, bien avant que la mort ne vienne tout emporter. Un médaillon qui renfermait plus que des souvenirs : un secret dangereux, un poids qu'Aliona avait porté seule.
Elle ferma les yeux un instant, revivant le dernier regard de sa mère, ce mélange d'amour et de peur, de défiance envers un monde qui voulait les faire taire.
Ce soir, le silence ne serait plus. Ce soir, Aliona déciderait d'affronter l'ombre qui avait assassiné sa mère, quitte à plonger dans un abîme où vérité et mensonge se confondraient.
Aliona posa doucement son mug vide sur la table basse, les doigts tremblants malgré elle. Le silence retomba dans la pièce, lourd, presque palpable. Le murmure du vieux parquet sous ses pieds semblait être le seul bruit à témoigner de sa présence.
Elle se leva, s'approcha de la fenêtre embuée, et regarda les lumières distantes de Saint-Pétersbourg s'étendre comme un océan immobile dans la nuit glaciale. Chaque flocon de neige qui tombait semblait suspendre le temps, mais pour elle, le passé ne cessait de s'imposer, brutal et vif, comme une plaie ouverte.
Elle ferma les yeux, et les souvenirs s'infiltrèrent en elle comme des ombres froides, imprégnant chaque parcelle de son esprit. Elle n'avait jamais revu le visage de sa mère. Juste ce sac noir, lourd et silencieux, glissé à la morgue, où son corps avait été réduit à une enveloppe vide, une absence définitive. Le rapport officiel, épais de plusieurs pages, reposait sur la table de la cuisine, expurgé de toute vérité. Chaque mot semblait poli pour masquer la réalité, chaque phrase était un voile jeté sur un secret trop lourd à dévoiler.
Après la mort d'Elena, Aliona avait été arrachée à sa vie, emmenée loin de Saint-Pétersbourg, dans une ville grise et calme, où le temps semblait s'écouler avec une lenteur oppressante. Là, chez ses grands-parents, elle trouva un refuge dans les bras de sa mamie, la mère d'Elena, une femme aux mains usées par le travail et au regard tendre mais marqué par la douleur.
Les jours s'égrenaient, mêlant souvenirs doux-amers et silences pesants. Aliona grandissait doucement, se forgeant une carapace faite d'écrans d'ordinateur et de lignes de code. Les petits boulots en informatique lui offraient un semblant de liberté, un territoire où elle pouvait reprendre un peu le contrôle sur sa vie.
Puis, la maladie emporta sa mamie, effaçant cette dernière ancre qui la retenait loin de la ville de son enfance. Dans ces moments de solitude retrouvée, le retour à Saint-Pétersbourg s'imposa comme une évidence. Huit ans s'étaient écoulés depuis la mort de sa mère.
Elle était de retour. Plus question de fuir, de se cacher derrière des excuses ou des peurs. Cette fois, la violence qu'on avait faite à sa famille, elle y répondrait avec des armes nouvelles, invisibles mais puissantes : les lignes de code, la vérité cachée derrière les pixels, la justice numérique.
Ainsi, elle se dirigea vers la petite pièce qu'elle avait aménagée pour ses recherches, un sanctuaire discret à l'écart du tumulte de la ville. Cette pièce, située à la périphérie de Saint-Pétersbourg dans un appartement ancien aux murs tapissés de papier jauni, était devenue le théâtre de sa quête silencieuse.
Les murs étaient couverts d'étagères chargées de dossiers, de notes griffonnées sur des feuilles volantes, de photos jaunies et récentes. Des câbles s'entremêlaient au sol, connectant une série d'appareils électroniques : plusieurs écrans d'ordinateur, des disques durs externes, des clés USB, un scanner, et des livres techniques ouverts à même la table. Un tableau blanc était couvert de schémas complexes et de noms entourés de cercles rouges, reliant les uns aux autres des indices fragmentaires, comme une cartographie de l'ombre.
Aliona s'assit lentement sur son siège, le cuir usé de l'ancienne chaise grinçant légèrement sous son poids. Ses doigts effleurèrent le clavier avant de commencer à taper avec une précision mécanique, ses yeux rivés sur l'écran lumineux. Le fichier qu'elle cherchait à déverrouiller était protégé par une suite de quatre pare-feux ultra sophistiqués, conçus pour repousser les intrusions les plus déterminées, et enveloppé dans un silence de plomb que seule une concentration totale pouvait briser.
Recluse dans cette pièce qui lui servait à la fois de refuge et de champ de bataille, Aliona laissa défiler ses lignes de code, cassant une à une les protections numériques comme autant de barrières entre elle et la vérité. Chaque frappe était mesurée, sans tremblement, portée par la rage contenue et la détermination qui l'habitait depuis trop longtemps.
Puis, soudain, sur l'écran apparut un nom. Un seul, clair, net, qui déchira le voile de mystère : Viktor Volkov.
Son cœur s'accéléra, battant dans sa poitrine comme un tambour sourd. Ce nom n'était pas juste une piste, c'était la porte d'entrée dans l'empire du monstre qu'elle cherchait à faire tomber depuis des années.
Elle resta un instant figée, le souffle court, le regard fixé sur le nom qui brillait sur l'écran. Viktor Volkov. Ministre de l'économie numérique, homme puissant, intouchable. Celui dont sa mère avait osé dénoncer les affaires douteuses, celui qui, d'une manière ou d'une autre, avait fait basculer sa vie dans le chaos.
Aliona sentit la colère remonter en elle, une flamme glacée qui embrasait chaque fibre de son être. Elle pensa à Elena, à ses combats, à ses secrets, à cette dernière enquête qui l'avait menée trop près de la vérité.
Autour d'elle, la pièce semblait rétrécir, la lumière se faisait plus crue, plus impitoyable. La solitude pesait lourd, mais elle était prête. Plus que jamais, elle savait que cette quête n'était pas seulement la sienne, mais celle d'une justice qu'on avait étouffée.
Elle prit une profonde inspiration, puis commença à tracer les premiers contours de son plan. Décortiquer les données, infiltrer les réseaux, remonter les fils de corruption, jusqu'à ce que tout éclate au grand jour.
Une longue nuit venait de commencer.
Aliona se leva lentement, laissant son fauteuil pivoter légèrement derrière elle. Son regard passait d'un écran à l'autre, absorbant les bribes de données, les connexions, les noms, les dates, les visages. Elle attrapa un carnet noir posé sur le bureau usé, raturé, relié à la main dans lequel elle notait tout ce qui comptait : pistes, hypothèses, bouts de vérités arrachés au néant.
Elle tourna lentement une page. L'écriture nerveuse d'un soir de doute y croisait une coupure de presse pliée en deux :
"Une journaliste retrouvée morte overdose présumée".
Ce titre lui donna la nausée. Elle se souvenait de ce jour, ou plutôt de ce que son cerveau avait choisi de ne pas oublier : le sac mortuaire noir glissant sans bruit sur la table d'acier, le refus catégorique de voir le visage, l'absence d'explication. Officiellement, Elena Rakitina s'était tuée avec de la morphine. Officieusement, elle en savait trop.
La vérité, c’était ce qui l’avait tuée.
À suivre