Fatima

C'est un jeudi au bord de la plage, une marche habituelle...rien de special.Les dernières heures du jour sont avalées par l'horizon. Le ciel timide regardait tendrement Fatima. Les vagues en éternel conflit grondaient vigoureusement et la rendait presque admirative. En effet, elle aurait aimé avoir le quotidien aussi mouvementé que celui de cette mer intimidante. Elle se sentait inutile, presque inexistante, un sentiment horrible qui la hante depuis ses premières années d'ado pubère. Elle aimerait se prouver à elle-même qu'elle était capable d'accomplir de grande chose mais ce qu'elle ne sait pas c'est que ses pensées négatives qui s'invitent dans son esprit depuis son adolescence influencent son comportement et dirigent presque ses actions. Une marionnette dirigée par son complexe d'inferioté, voilà ce qu'elle était. Elle se rappelle de ses premières années au collège marquées en grande partie par son amour pour l'écriture. Vu qu'elle était très timide, elle prenait son carnet pour son meilleur ami et avait la sensation que seul ce carnet avait le grand pouvoir de soigner ses maux et de l'écouter sans la juger. Elle pouvait parler sans être interrompue,rire, pleurer sans forcer pour prouver au monde qu'elle existait. Elle vivait juste sa petite vie avec son simple carnet, elle était heureuse. Elle lui accordait tellement d'importance que le jour où ce carnet est tombé par accident dans l'eau, elle a pleuré toutes les larmes de son corps.Ce jour là , ses cousines étaient venues dormir à la maison , plus particulierement dans sa chambre. Elle avait peur qu'elles ne découvrent son petit monde secret qu'elle cachait dans son carnet c'est pourquoi elle avait decidé de le garder avec elle ce jour là.Elle faisait les corvées de la maison , le carnet rangé soigneusement à l'interieur de sa pagne...seul un bout du carnet dépassait au niveau de sa taille. Malheureusement , alors qu'elle faisait la vaisselle , elle s'était un peu trop penchée et le carnet a finit dans l'eau pleine de mousse et d'eau de javel. Sa mère était inquiète de voir sa fille pleurer pour une si petite chose qu'elle pourrait avoir à nouveau si elle le voulait. Mais sa mère ne savait pas que ce carnet représentait tout le vécu de la jeune fille.On pourrait même le comparer à un ami qui nous a accompagné pendant les bons et les mauvais moments et si jour on venait à perdre cet ami, on aurait la sensation que le monde s'écroule sous nos pieds. Et c'est ce qui est arrivé à notre chère Fatima. Depuis ce jour, elle a arrêté d'écrire. Elle a compris que même ce carnet n'était pas éternel et qu'il ne pourrait pas l'accompagner toute sa vie. Elle se sentait trahie. Elle s'est enfermée dans un mutisme assourdissant qui rendait folle sa famille. Vous voyez quand l'on est accro à quelque chose et que l'on décide du jour au lendemain de tout arrêter, les conséquences ne seront pas seulement physique mais morale. Elle était frustrée car elle accumulait trop de chose dans son cœur.Elle ne pouvait parler à qui que ce soit ni même écrire. Elle ne pouvait non plus sortir de cette frustration car elle avait peur de s'attacher à autre chose qui finira elle aussi par la lâcher d'une manière ou d'une autre. La sensation d'être incomprise par tous s'empira. Tout le monde ne comprenait pas pourquoi elle était si asociale et repliée sur elle-même. Finalement, sa famille a arrêté de s'inquiéter pour elle. Elle avait finalement conclu que c'était juste de sa nature et que tôt ou tard, elle changera de comportement. Tout le monde pensait qu'elle suivra juste les pas de son frère ainé qui était comme elle. Encore aujourd'hui, âgée de 22 ans, marchant le long de la plage, elle se demande comment serait sa vie si elle avait décidé de faire comme son frère c'est-à-dire se battre et se faire une place dans ce monde. « La vie est dure » pensa-t-elle. Aujourd'hui elle travaille comme secrétaire dans une entreprise du coin alors qu'elle voulait être journaliste. Malheureusement elle n'a pas pu continuer ses rêves car elle manquait de confiance en elle. Elle ne s'est pas présentée au concours car elle était convaincu au fond d'elle qu'elle n'y arriverait pas . L’école où elle voulait poursuivre sa formation est l'une des meilleures de sa ville et tout le monde voudrait participer à ce concours. Elle était médiocre et ne pouvait pas faire le poids face aux autres pensait-elle donc il était inconcevable qu’elle fasse ce concours au risque de se faire humilier par les autres personnes plus forte qu’elle en écriture. Grace à son père, elle a pu trouver un travail et pense que tant qu'elle arrive à avoir ce minimum de salaire qui couvre ses dépenses, ça va. -p****n de m***e tu ne peux pas regarder où tu vas... Elle sort de ses rêveries et se rend compte qu'elle venait de bousculer une jeune femme. Une très belle et jeune femme. Jamais elle n'avait vu une beauté pareille, on aurait dit que le soleil n'illuminait que son visage. Fatima devint soudain intimidée face à tant de beauté. Elle se compara intérieurement à un singe face à cette magnifique créature. Se comparer à cette femme est même un sacrilège se disait- elle. Cette personne en face d'elle lui semblait irréelle tant était grande sa beauté. Elle portait une robe blanche, un peu sale mais qui ne gâchait en rien la silhouette qu'elle lui avait dessinée. Les traits fins de son visage lui donnait envie de la regarder toute sa vie. Fatima était tellement occupée à la regarder qu'elle n'entendait même pas que la femme était en train de la gronder pour l'avoir bousculer. -Je suis....vraiment ....désolée balbutie Fatima d'une voix tremblotante en baissant la tête ne supportant pas le regard dur que lui lançait cette femme. -Tu es bête ou quoi ? Je viens de te dire que c'est moi qui t'ai bousculé. Tu semblais être dans les nuages et je m'ennuyais seule dans cette plage avoue-t-elle d'un ton fier et pleine d'assurance -Je vous présente mes excuses s'excuse Fatima derechef. La femme était ébahie face à tant de douceur ou de stupidité venant de cette femme. Elle venait de lui dire qu'elle l'avait provoqué alors pourquoi elle s'entêtait à s'excuser ? Elle voulait discuter avec quelqu'un pas parler avec une débile. -Non mais je rêve! Ce n'est clairement pas possible d'être aussi molle cria la femme peinant à comprendre le comportement de Fatima. Cette dernière aussi semblait très confuse ne comprenant pas pourquoi cette fille voulait tant lui créer des problèmes. Tout ce qu'elle voulait c'est qu'on la laisse tranquille. -Bon, j'ai pitié de toi. Comment tu t'appelles ? Fatima marmonna son prénom dans sa barbe ce qui exaspéra la femme. -Tu as une bouche tu sais et c'est fait pour parler FORT. -Je m'appelle Fatima Kane répéta cette dernière un peux plus fort cette fois ci. -Bon Fatima c'est quoi ton problème ? Demanda la femme. Fatima trouvait audacieuse cette question puisque c'est elle qui devait la poser à la femme mais elle avait trop peur de l'agacer, elle préféra alors répondre tout simplement et le plus poliment possible. -Je n'ai pas de problème, je veux juste renter chez moi dit-elle d'une petite voix. -Tu veux rentrer juste au moment où je viens te tenir compagnie. T'es pas drôle dit-elle en faisant une moue qui fit un peu rire Fatima malgré sa nervosité. Elles étaient face à face, la mer derrière elles témoin de leur échange qui part dans tous les sens. Malgré la peur que ressentait Fatima, elle avait quand même cette sensation bizarre dont elle ne saurait mettre un nom qui animait son être. Être au milieu de nul part avec une inconnue à la beauté insolente lui semblait tellement improbable qu'elle doutait de sa réalité. Elle n'arrivait non plus à juger son aura. Tantôt Fatima sentait que son interlocutrice est gentille, inoffensive tantôt elle sentait émaner en elle une force obscure qu'elle ne saurait expliquer et le pire c'est que plus le temps passe plus l'idée de partir lui semblait inenvisageable. -Je m'appelle Djinniya lui dit-elle soudainement avec un sourire que Fatima jugeait presque amical. Presque car elle sentait que ce sourire cachait un truc beaucoup plus malsain. Drôle de prénom pensa Fatima mais elle s'interdisait d'en faire tout commentaire. Ne sachant pas quoi dire Fatima lui sourit tout simplement. -Bon ma chère Fatima qu'est-ce qui t'amène ici. Je te vois souvent trainer par ici, ça m'intrigue lui dit- elle ce qui laissa Fatima perplexe car jamais elle ne l'avait vu dans les parages. Cette plage est souvent déserte et chaque personne peut remarquer une autre à des kilomètres, elle ne comprend donc pas comment elle a fait pour ne jamais la croiser ici. Elle n'en fit pas trop cas et décide d'imiter cette femme en s'asseyant à même le sol. -Cette plage est un havre de paix pour moi. C'est le seul endroit où je peux être pendant des heures sans avoir envie de rentrer chez moi répond Fatima après quelques secondes d'hésitation. -Oui, on t'a tous remarqué ici avoua Djinniya en regardant son interlocutrice d'une manière qui ne lui a pas vraiment plu. -On ? Demande Fatima avec assurance en devenant de plus en plus perplexe concernant cette jeune femme. -Laisse tomber! En tout cas ravie de faire enfin ta connaissance. Je n'ai pas beaucoup d'amie fille et je trouve ça dommage. Veux-tu être mon amie Fatima ? Cette dernière sentait que cette question sonnait plus comme un ordre qu'autre chose mais encore une fois elle a décidé de ne pas écouter son instinct et accepter l'amitié que cette femme lui offrait. De toute façon se dit-elle, elle n'a pas d'amie les choses vont peut être changé pour une fois. Elle serre la main que Djinniya lui tendait pour sceller leur amitié nouvelle. Fatima pensait que pour mieux officialiser les choses, il fallait lui demander son âge mais surtout où elle habitait. Joignant la pensée aux paroles elle lui dit : -Où habites-tu ? -Tu connais l'hôpital de LOLENIS ? J'habite la maison en face lui repond sa nouvelle amie -Celle du docteur NDOUR ? lui demande Fatima -Exactement ... -Ah c'est juste à côté de chez moi ! Je connais tata Nanou .C'est ta mère ? -Oui on peut dire ça comme ça. -C'est quand même bizarre, je ne t'ai jamais vu là bas. Il m'arrivait d'aller là bas car ma mère connait la tienne, elle m'envoyait souvent vers elle.Tu habites autre part ? Djinniya se tait pendant une minute, l'air dans ses pensées avant de se tourner vers Fatima pour lui répondre. -La curiosité est un vilain défaut ma chère lui dit-elle en se levant. Je te laisse continuer ta promenade mais si j'étais toi je rentrerai vite. Cette plage est loin d'être calme, tu n'imagines même tout ce qui s'y passe et le monde qu'il y a. Je ne reviendrai pas ici si j'étais toi. Passe une bonne soirée lui dit-elle avant de partir. Comme d'habitude l'information a tardé avant de monter à son cerveau, elle était déjà loin avant qu'elle ne puisse dire quoi que ce soit. Elle se lève et se met à la chercher du regard mais plus aucune trace d'elle. Elle est rapide pensa Fatima. Toute retournée face aux conseils que sa nouvelle amie venait de lui faire elle n'avait même pas remarqué qu'un foulard blanc avec des motifs en fleurs trainaient juste à côté d'elle. Elle le prend et se dit que ça devait surement appartenir à Djinniya. C'est quand même une sacré rencontre se dit-elle. Jamais elle n'avait rencontré une personne aussi bizarre. Bizarre.. est l'adjectif parfait pour décrire Djinniya mais aussi leur rencontre. Tout est confus dans sa tête en ce moment, elle se propose d'attendre de rentrer à la maison pour réfléchir à ce qui vient de se passer mais elle aimerait d'abord passer chez Djinniya pour lui remettre ce foulard. Elle marche le plus vite possible avant qu'il ne fasse totalement nuit. Elle n'avait pas vu l'heure passer, elle se retournait à chaque coin de rue pour voir si quelqu'un ne la suivait pas. Bien qu'elle soit paranoïaque de nature, les paroles de Djinniya ne quittaient pas sa tête et avaient empiré les choses. Elle pensait que des individus l'avaient surement remarqué à la plage et attendait le moment propice pour s'en prendre à elle. Heureusement, elle venait tout juste d'arriver devant la maison de tata NANOU, la mère de Djinniya. Elle sonne à la porte et attend que l'on vienne lui ouvre. Quelques minutes plus tard, elle se retrouve face à face avec Tata NANOU. Elle aurait aimé que ça soit Djinniya pensa-t-elle -Ah ma fille comment tu vas ? Entre, entre lui proposa la dame en s'écartant un peu de la porte pour la laisser entrer. -Je vais bien et vous ? réplique-t-elle d'une petite voix comme à son habitude, la tête baissée . -Entre ma fille, comment va ta mère ? -Elle va bien, je suis juste venu rendre ce foulard à Djinniya lui répond t-elle en lui tendant ledit foulard mais face à l'absence de réaction de la dame, Fatima leva la tête et constata avec effroi l'expression de l'amie de sa mère. Son visage est complément déformé par ses yeux écarquillés et sa bouche grande ouverte. Fatima ne comprenait pas ce qui se passait mais se doutait bien qu'il y'avait quelque chose qui clochait. Si cette dernière est dans un état total de confusion, la dame l'est encore plus. -où....où...où... as-tu trouvé ça ? Balbutie t-elle en essayant de prendre le foulard dans ses mains mais celles ci tremblaient beaucoup et ne pouvaient remplir leurs fonctions de préhension. -C'est Djinniya votre fille qui l'a fait tomber à la plage, je suis venue le lui apporter. Qu'est-ce-qui se passe ? Osa demander Fatima qui prend peur face à la réaction de Ta NANOU. -C'est impossible ...ce foulard appartient à ma fille Khadija. Elle est morte dans un accident de voiture quand elle avait 17ans et je n'ai pas de fille qui s'appelle Djinniya. C’est quoi cette histoire ma fille ? Fatima ne savait que répondre. Elle sentait dans la voix de cette dame une détresse qui lui donna la chaire de poule. Que se passe donc t-il ? -Mais...c'est elle-même qui m'a dit qu'elle habitait ici, je ne comprends pas finit-elle par répondre. -Je n'ai eu qu'une fille et c'était Khadija. Je lui ai acheté ce foulard et j'ai tricoté ces motifs en fleurs...oh mon Dieu qu'est ce qui se passe ? se demande-t-elle en pleurant, l'expression de peur et de surprise ne quittant pas son visage. Le visage de Fatima devint livide, on aurait même dit que son âme avait quitté son corps. Son cerveau commença à lui jouer des tours en lui faisant rappeler les livres qu’elle avait lu qui traitaient parfaitement ce genre de cas; des apparitions mystérieuses. Elle se demandait même si elle n’était pas prisonnière dans son rêve mais la main de Tata Nanou lui fait comprendre qu’elle était bel et bien entrain de vivre un cauchemar éveillée. Cette dernière lui tient durement le bras et l’amène de force avec elle. Fatima tente de la retenir mais sa force n'était même pas comparable à celle de Tata NANOU. Elle respirait difficilement et n’arrivait pas à suivre le rythme finalement elles pénétrèrent dans une chambre au fond du couloir. Laissant Fatima derrière, NANOU se précipite vers un des tiroirs du commode et y sort une photo. Elle le contemple un long moment sans s'arrêter de pleurer avant de la montrer à la jeune femme tout aussi paniquée qu'elle. Et là, Fatima sentit le sol se dérober sous ses pieds. C'était Djinniya sur la photo avec la même robe que celle qu'elle avait porté aujourd'hui à la plage et le foulard qu'elle a oublié, noué autour de son cou. Elle lâche la photo qui tombe immédiatement sur le sol et s'enfuit loin de cette chambre, loin de cette maison.