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991 Mots
Jody Le premier dimanche du mois ou le pire jour de chaque mois. Ce jour-là, nous devons faire particulièrement attention à la propreté et au bon comportement des plus petits et des jeunes adolescents avant la visite longue et tortueuse des Bienfaiteurs, ceux à qui nous devons le bon fonctionnement de notre Children's House. Par nous, je veux dire Tom, Charlie, Angela et moi. Les Aînés, comme nous surnomme affectueusement Miss Amélia Haswell, en charge de la direction du lieu. Selon elle, nous sommes suffisamment grands et débrouillards maintenant pour pouvoir nous occuper de tout préparer et de nous assurer à ce que les quatre-vingt-dix-sept autres pensionnaires se tiennent tranquille face aux Bienfaiteurs. En toute honnêteté, je dirais plutôt qu'il s'agit là d'une excuse pour se décharger au maximum du calvaire des préparatifs et de l'organisation de chaque visite, mais… — Jody, dépêche-toi un peu, râle Angela me tirant de mes pensées. Elle s'occupe d'aller remplir les seaux d'eau chaude et de savon tandis que je finis de faire les lits, m'assurant à ce qu'il n'y ait pas le moindre pli. — Qu'est-ce qui t'a pris autant de temps tout à l’heure ? Je lui jette un coup d'œil furtif. Je m'empresse de finir de faire le dernier lit et la rejoins afin de la décharger un peu. Nous attrapons deux tabourets, que nous plaçons devant les deux grandes fenêtres à carreaux de la chambre des filles, avant de monter dessus. — J'ai été retenue, je me contente de répondre. — Par quoi ? — Plutôt par qui, je la corrige. — En dehors de Miss Amélia, ta mère et peut-être un ou deux autres parents, je ne vois pas trop qui pourrait te retenir suffisamment longtemps pour risquer de te faire manquer à tes corvées. — Et pourtant. Elle me regarde, sceptique. — Qui... Des bruits de pas précipités résonnent à travers le couloir l'interrompant dans sa phrase. — Ce n'est pas vrai, ces enfants, rouspète-t-elle en descendant du tabouret. J'en fais de même, abandonnant mon seau et mon chiffon dans un coin, puis la suis, hors de la pièce. Il s'en faut de peu pour qu'elle et moi n'entrions en collision avec Tom et Charlie. Comme à son habitude, Angela les sermonne, poings sur les hanches. — Bon sang ! Combien de fois vous ai-je dit de ne pas courir dans les couloirs ? — Comment voulez-vous que les enfants nous écoutent et se tiennent tranquilles si vous leur donnez un tel exemple, j'ajoute d'une voix théâtralement autoritaire. Les garçons échangent un regard avant d'éclater de rire en chœur avec moi. Angela me jette un regard noir que j'ignore sciemment puis se concentre à nouveau sur eux. — Peut-on savoir ce qui vous met dans un tel état ? leur demande-t-elle froidement. Elle a beau faire comme si de rien n'était, sa susceptibilité en a pris un coup. — Monsieur le petit-fils du Comte est de retour, annonce Charlie du tac au tac. Angela fronce les sourcils, confuse. — Monsieur le petit-fils du Comte ? — Loras Pembleton ! — Milord Loras Edward Jervie Pembleton, je te prie, le rectifie Tom d'un ton hautain tout en lui assénant une tape derrière la tête. J'émets un rire discret tandis qu'Angela soupire et lève les yeux au ciel, exaspérée par leur comportement enfantin. — Savez-vous pourquoi il est là ? Tom et Charlie se tournent lentement vers moi, un grand sourire plein de sous-entendus au coin des lèvres. Je sens le feu me monter aux joues et s'emparer lentement de moi à cette idée. Un doux frisson me court le long de la colonne vertébrale. Les derniers mots que Loras et moi avons échangés viennent se rejouer dans ma tête, telle une douce musique. Quelque chose me dit qu'il va y avoir du changement...De quel changement pouvait-il bien vouloir parler ? Je suis rapidement sortie de mes pensées par le rire froid et ironique d’Angela. — Cela m'étonnerait fortement qu'une personne aussi importante que Lord Pembleton prenne le temps de s'attarder sur une enfant de la honte. Aouch. J'aspire ma lèvre inférieure et serre les poings afin de me retenir de lui en rendre une bonne en retour. — Si Lord Pembleton est ici ce ne peut être que pour deux raisons. Soit il a l'intention d'investir plus, soit il a l'intention d'offrir des études à l'un ou l'une de nous quatre. Ou alors, ajoute-t-elle, sa future femme et lui ont pris la décision d'adopter, c’est possible aussi. Je sens mon cœur faire une embardée dans ma poitrine à l'entente de ces mots. Sa future femme ? Le sol se met à tanguer sous mes pieds. Prenant une grande inspiration, je ferme les yeux et expire lentement. Sa future femme. Cela ne devrait pas me surprendre. Après tout, quelqu'un comme lui se doit de trouver une épouse de son rang et fonder une famille avec elle afin de transmettre l'héritage familial. C'est comme ça. Et pourtant... Tom s’approche de moi et pose une main sur mon épaule. Clignant des yeux, je relève la tête juste à temps pour croiser son regard soucieux. — Est-ce que ça va ? J'acquiesce, un sourire aussi convaincant que possible sur le visage. — Juste un léger vertige, rien de grave. — Veux-tu que nous appelions Miss Amélia ? propose Charlie. — Non ça va vraiment. Je ne veux pas la déranger pour rien. Les Bienfaiteurs ne devraient pas tarder et Angela et moi avons encore beaucoup de choses à faire. — Jod… — On se voit tout à l'heure. Je les salue furtivement et retourne dans la chambre des filles le cœur gros et la gorge serrée. La voix d'Angela résonne à travers la porte que je referme derrière moi. — Ce ne sont que des rumeurs que j'ai entendues. Mais qu'elles soient véridiques ou non, il est grand temps que Jody grandisse et arrête de se bercer d’illusions. ** ** ** ** **
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