Chapitre 2-3

2009 Mots
Durant la demi-heure locale qui suivit, la médiatrice ne fit que retenir son souffle. L’agilité de l’individu se révélait phénoménale et les risques qu’il prenait, audacieux. Contrôlés par des robdranhs, les robs d’assaut, sortes de corps buboniques, métamorphiques et luminescents, pulsaient par intermittence des lasers meurtriers en gonflant leurs membranes translucides. L’énergie destructrice fusait à une cadence effarante et le virtuose devait absolument les éviter. Sous l’action de l’un d’eux, un montant métallique avait littéralement fondu. Comment le prince pouvait-il prendre de tels risques sans bouclier ni combinaison ? Il avait ôté cette dernière, ne gardant que son masque. Torse nu pour la première fois devant Kathleen qui ne laissait rien paraître de son émotion, il était sans défense contre ces faisceaux mortels et n’avait pour lui que sa dextérité stupéfiante. Pour unique vêtement, il ne portait qu’un collant noir et ajusté qui ne cachait rien de sa morphologie ni de sa virilité. En observatrice avisée, Kathleen dissimulait mal une confusion croissante derrière un visage impassible. L’homme exécutait des bonds souples d’une grande agilité. Son corps luisait de transpiration, ses muscles puissants se tendaient sous sa volonté. Manquant se faire lacérer par les flux de feux, il jetait parfois un regard éloquent en direction de son ambassadrice, et sous sa chaude attention d’homme, Kathleen s’empourprait, ne lui celant rien de son admiration. Pourtant, quand elle rejoignit Laïenden, derrière la baie de protection, ce fut pour s’en prendre à lui férocement. – Comment pouvez-vous admettre ce genre de pratique sans précédent ? Voulez-vous la mort de votre roi, lieutenant ? – C’est néanmoins lui qui la brigue, ambassadrice ; moi, je ne fais que lui obéir. Voyez plutôt, c’est vous qu’il regarde comme s’il déposait son existence à vos pieds. Acceptez ce don qu’il vous fait. Dans son esprit, cela représente si peu en comparaison de ce que vous avez déjà réalisé pour notre peuple. – Qu’ai-je donc fait ? s’étonna Kathleen. – Peut-être que vous nous avez simplement insufflé un peu d’espoir ? Qu’une Stelhene se préoccupe de notre cause est en soi exceptionnel, mais vous avez apporté plus encore en exposant votre vie pour nous autres, même à présent… Il n’en dit pas davantage, sachant qu’elle avait deviné à quelle menace il faisait allusion. Malgré tout, pensait-elle, pourquoi le prince se lançait-il à corps perdu dans ce type d’exploit stupide ? À qui ou à quoi voulait-il échapper ou fuir ? Voilà ce que les yeux du prince clamaient et ce que Kathleen comprenait. Elle cria quand un trait de laser le frôla si près qu’elle vit le collant fumer sur sa cuisse. Louan se retourna et au mépris des autres rais, darda sur elle un regard fanatique comme s’il se moquait de sa peur. Sous le masque, brillaient ses yeux, d’un éclat insoutenable. – Faites cesser ce jeu stupide ! s’énerva-t-elle à l’intention de Laïenden. Votre prince n’est plus dans son état normal ; il est devenu fou. « Fou de toi, ma princesse », fut la pensée qui l’assaillit tandis que l’homme, tourné vers elle, pliait sa haute taille pour la saluer au travers du panneau translucide ; un petit sourire flottait sur ses lèvres. Les robs d’assaut s’étaient éteints, ne laissant qu’un vague brouillard fumant dans la pièce. – L’exercice d’échauffement se termine. Regardez à présent ! C’était Laïenden qui s’adressait à elle. Dans sa voix perçait une admiration sans borne. Cinq Xénobians à la charpente massive envahissaient les lieux alors que les derniers rayons d’énergie s’évanouissaient. Par tous les Sages4 ! s’insurgea Kathleen, cela n’est-il pas bientôt terminé ? Au signal de Laïenden, le combat débuta. Les mastodontes humanoïdes s’en prirent à leur roi, dans un ensemble parfait, sans atténuer leur frappe, sans retenir leurs coups, s’élançant vers lui comme s’ils y allaient de leur vie. Le prince en mit un au tapis presque aussitôt, puis un second, mais ils revinrent à l’assaut. Louan s’effondra sous l’impact d’un choc plus v*****t que les autres et fut enseveli sous cette marée xénobianne. Seul, l’or profond et iridescent de sa peau tranchait sur l’or plus pâle de ses compagnons de combat et le différenciait dans la mêlée. Quand il se releva, du sang coulait de ses lèvres qui dessinaient cependant un sourire machiavélique comme s’il prenait enfin plaisir à cette lutte d’apparence inégale. Son regard farouche croisa celui de sa médiatrice. Il parut vouloir lui communiquer ses pensées qu’elle ne comprit pas tout d’abord, mais dans les yeux du Xénobian, braqués sur elle, un message insistant qu’elle perçut enfin : message d’amour et de quelque chose de funeste comme un destin inexorable vers lequel l’un des deux s’acheminerait ; lui ou elle ? Ou bien, lui et elle, ensemble ? Elle s’affranchit de l’emprise psychique et le prince, rendu encore plus furieux, devint incontrôlable. Il fut jeté impitoyablement contre un mur par deux de ses guerriers, mais contra immédiatement. Une soif soudaine de meurtre décuplait sa violence et celle-ci, alliée à sa puissance mentale et physique, le métamorphosait en une véritable machine de guerre. La Stelhene tressaillit et se focalisa sur les soldats qui ne se battaient plus qu’avec une lenteur circonspecte, encaissant les coups du personnage, un par un, sans plus y répondre. Elle les plaignit. Ils paraissaient lutter contre eux-mêmes comme si un ennemi avait usurpé leur esprit et s’acharnait de l’intérieur. – Il est véritablement infernal, argua Laïenden, fier de son poulain. Je ne lui connais aucun adversaire qui soit à sa hauteur, Kathleen ; aucun ! Pas même les princes consorts de notre monde. Regardez ! Il s’aperçut de ce qu’il venait de s’adresser à l’ambassadrice par son prénom, mais celle-ci ne le remarqua pas. Sous les assauts psychiques de leur assaillant, les hommes se retournaient à présent contre leurs frères et se défiaient entre eux sous la vigilance amusée du prince qu’ils ne parvenaient plus à acculer désormais. Ce dernier mit le holà au combat rapidement et remercia ses opposants qui battirent en retraite, harassés, le corps couvert de blessures sans gravité. Tandis qu’il la cherchait des yeux, la jeune femme se précipitait à sa rencontre. Et bien qu’elle ait décidé de ne pas lui montrer son admiration, les mots furent plus rapides que sa pensée et plus forts que sa volonté. – C’était formidable et vous étiez merveilleux ! lui avoua-t-elle, enthousiaste. À le côtoyer, elle le revouvoyait, perdant le fil de ses idées, négligeant tout ce qui n’était pas lui. – Ne le suis-je pas toujours ? la taquina-t-il. Il se séchait le torse d’une serviette avec un plaisir torve, sidéré qu’elle le tolère aussi près, dans sa tenue présente. Laïenden aurait dû lui interdire la zone d’entraînement. Elle ne répondit pas à la provocation, mais continua sur sa lancée : – Comment avez-vous pu prendre de tels risques avec ces choses, ces robs ? Êtes-vous fou ? Ou plutôt, es-tu fou ? – Oui. Je croyais te l’avoir dit, tout à l’heure. Kathleen rougit. Elle n’avait donc pas rêvé ces pensées alors qu’il combattait. Il la fixait d’un regard de braise, et elle réalisa leur imprudence à se tenir si près l’un de l’autre. – Ne prends-tu pas de risque toi-même en restant à mes côtés, en ce moment même ? contra-t-il avec raideur. En lui, l’amertume côtoyait l’ivresse de la sentir si proche de lui alors qu’il était à peine vêtu. Elle se mit de nouveau à rougir, et tenta de détendre l’atmosphère entre eux, trop lourde. – Tout Xénobian que vous soyez, Monsieur, vous êtes de ces princes comme on en cite dans les vieilles sagas des mondes disparus… Mais il y a chez vous…, ce côté obscur, plus propre à votre personnalité qu’à votre race, et… ce masque qui vous dénature et vous fait plus monstrueux que vous ne l’êtes. Voilà, moi, ce que j’ose vous dire en retour, mufle ! Louan tressaillit sous la saillie. Bien sûr, elle était en droit de lui reprocher son comportement irrationnel. – Je suis un rustre, bougonna-t-il. Efface ce que je viens de dire, Kathleen ! Laïenden, je t’enlève notre ambassadrice, je vais lui montrer l’équipement de mon bureau. Je te retrouve à narwen achevé, ici même… Bonsoir. Ahuri et mécontent, son lieutenant ne put qu’assister impuissant, à leur départ précipité. Le prince entra dans sa chambre ; elle le suivit. Que faisait-elle dans la chambre d’un Xénobian torse nu ? Elle recherchait effectivement les difficultés. Il lui ouvrit pourtant une seconde porte, au fond, donnant sur une autre pièce ; son bureau ? – Voulez-vous m’attendre là, Kathleen ? émit-il tout bas en la lui indiquant. J’enfile une tenue plus sécurisante et je suis à vous. Néanmoins, au lieu de se retirer, il atermoyait à présent, incapable de la moindre pensée directive. La Stelhene paraissait perdue ; son attitude incohérente devait la décontenancer, et cette indécision chez elle éveillait en lui des instincts inqualifiables. Il marmonna : – À moins que vous ne me permettiez de rester ainsi… Il la scrutait, conscient de dépasser les limites de l’incorrection, mais incapable d’agir autrement. Aucun d’eux n’était dupe au sujet de son attitude. Chacun voyait bien qu’il la testait comme il éprouvait sa propre résistance. Changeant subitement d’idée, il revint vers elle lentement, obéissant impulsivement à son désir et se maudissant intérieurement. – Oui, grinça-t-il, m’autoriseriez-vous à rester si près de vous, ainsi dévêtu ? Elle le fixait d’un regard éperdu tandis que graduellement, il se rapprochait. Était-il en train de l’hypnotiser, de lui ordonner mentalement de ne pas bouger ? Ou bien lui permettait-elle de jouer de sa propre volonté, parce qu’elle le désirait aussi bien que lui ? Il avançait imperceptiblement. – Mais votre combinaison vous protège encore de moi, continuait-il. Même si je vous touchais, elle vous protégerait… Oui ; le vil tentait de l’endormir comme le serpent renégat, répétant les mêmes mots soporifiques pour ne plus la heurter, ni l’éveiller du songe dans lequel, insidieusement, il la guidait. La protéger…, la protéger…, mais qui pourrait vraiment la protéger de lui ? Elle voulut réagir, mais trop tard ! D’un mouvement brusque, il fut sur elle, gémissant de ne pouvoir entrer en elle, grondant de ne pouvoir l’embrasser. – Tu ne sens pas ma peau, Kathleen, mais moi je peux imaginer la tienne. Est-ce que tu ne me perçois pas tendu vers toi, mon amour ? Discerne ce qu’il y a de plus intime en moi vouloir ce que je me refuse à prendre. La jeune femme recevait contre son ventre bardé du tissu protecteur, son sexe mâle qui se gonflait, prenait vie, bien inutilement, bien misérablement, puisqu’il n’y aurait aucune suite au rêve partagé. – Kathleen, gémit-il encore, si maintenant que je te tiens ainsi, je me mettais à t’embrasser, à caresser des miennes ces lèvres qui me hantent, qu’aucune barrière ne préserve… de moi. Je t’aime, mais…, peut-être que je te tue aussi. Il se penchait, aimanté à son tour, mais par sa bouche comme elle l’était par la sienne. Kathleen percevait les battements de son cœur d’homme, son torse puissant l’emprisonnant, son odeur mâle après le combat ; une délicieuse langueur continuait de l’emporter plus loin dans la folie. Elle eut envie d’enlever leurs gants, de les lui arracher pour qu’il puisse la toucher ; elle leva vers lui son beau regard émeraude dans lequel il plongea pour mieux se perdre… Les lèvres humides du Xénobian n’étaient plus qu’à quelques millièmes de sa bouche, quand elles s’arrêtèrent ; il faillit ne pas résister, mais au dernier instant de folie, il entendit sa voix qui lui parvenait comme assourdie, et d’un effort féroce, il se retint sans encore reculer… – Mon Prince ! Je vous en prie, ne faites pas cela… nous le regretterions tant… Je vous en prie… Il se rejeta vivement en arrière, comme brûlé par ce qu’il n’avait pas encore effleuré. D’une main égarée, il eut un geste sans signification. Des larmes dans les yeux, il s’éloigna pour se revêtir d’une tunique et de chausses métalliques après l’avoir repoussée vers le bureau d’à côté. De cet endroit, elle l’épiait, l’esprit ailleurs, perdu dans un autre monde. Il revint vers elle, habillé d’une nouvelle combinaison et osa affronter ses yeux humides des larmes qu’à son tour elle contenait. – Par les dieux, Kathleen, pardonne-moi, fit-il humblement. Je m’en veux de ce jeu cruel entre nous. La jeune femme mit un doigt ganté sur ses lèvres, lui faisant comprendre de ne plus rien dire. Un bref instant, il eut l’envie de happer ce doigt dans sa bouche et de le caresser. Sa salive peut-être s’insinuerait sous le gant et glisserait sur la peau de la Stelhene. Un élan de pur sensualité l’électrisa ; horrifié, il se recula et attendit. Kathleen s’écarta à son tour et le précéda dans la pièce. Il patienta et ne fut pas déçu par son exclamation qui le fit sourire et libéra la tension entre eux. Il prit ensuite un malin plaisir à la taquiner sur sa non-connaissance des instruments entreposés dans le bureau. – Mais c’est un véritable h********e ici ! Un pan de mur entier représentait un hologramme d’une scène de désolation du territoire de Brann Ikenjhaï, apparemment. L’hologramme très réaliste plongeait l’arrivant dans un enfer en mouvement. Un volcan, haute masse de terres noires, zébrées de coulées de sang, crachait son feu ardent ; une animation dynamique agitait la lave en profondeur, de soubresauts inquiétants. – C’est là que je suis né, Kathleen ; sur Althaïe, dans les Hotzones de Xénobia. Ça ressemble à ce que l’on peut parcourir dans le Plein Centre, sur l’un de vos territoires stelhens, Brann Ikenjhaï, tu ne trouves pas ? Je t’y mènerai à mon retour, pour une mission d’exploration. Viendras-tu avec moi ? – Oui, je t’accompagnerai, souffla-t-elle. De nouveau, il s’était rapproché, faisant confiance au métal qui les cuirassait.
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