Je suivais donc la duchesse hors de ma chambre et à travers les couloirs. Le soleil commençait déjà à se lever je n'avais donc pas dormi bien longtemps. De plus la duchesse portait encore sa tenue de bal. Elle avait donc dû venir à ma chambre dès la fin de ce dernier.
Nous arpentâmes les couloirs baignés dans les premières lueurs du jour jusqu'à l'escalier central. Les couloirs que nous passions étaient complètement vides sûrement parce que tous les membres du personnel devaient être occupés avec le ménage pensant que la duchesse était endormie.
Je suivais la duchesse à l'étage et me rendis soudain compte que nous allions dans le couloir dont nous avait parlé le garçon.
Je continuais à suivre la duchesse sans un mot me disant que je devais me tromper mais nous allions bel et bien dans le couloir sans gardes. Alors que nous tournions dans le fameux couloir j'aperçus de loin le tableau accroché au mur et mon cœur loupa un battement quand la duchesse s'arrêta devant ce dernier.
Avec un sourire elle retira le tableau et ouvrit le passage secret qui menait à sa chambre. Sans me lancer le moindre regard elle s'engouffra dans la fente et monta les marches doucement.
Je restais figé quelques instants avant de finalement la suivre à mon tour dans le passage secret. Tandis que je montais je pouvais avoir une meilleure vue de son dos. Malgré le tissu de sa robe qui voulait cacher ce qui venait de se passer, les tâches de sang venaient nous confirmer que ce que je venais de voir n'était pas un cauchemar. Même sans le sang nous aurions pu nous douter que quelque chose n'allait pas parce que la duchesse marchait différemment de d'habitude. En temps normal la tête haute et le dos droit, ce dernier était courbé imperceptiblement.
Elle avait beau faire comme si de rien n'était, elle restait humaine et je voyais bien qu'elle avait du mal à se déplacer. À chaque marche je l'entendais souffler à travers ses lèvres pour contenir la douleur.
Je ne comprenais pas pourquoi elle s'infligeait une telle douleur tandis que ce n'était pas du tout nécessaire. Malgré tout ça avait eu son effet parce que je n'arrivais plus à la détester. Toute la colère, le dégoût et la déception que j'avais pu ressentir pour sa personne s'étaient évanouies avec le premier coup de fouet. À présent j'étais revenu à la case départ. J'étais de nouveau simplement intrigué par ce personnage mystérieux qu'était la duchesse.
C'était frustrant de revenir en arrière mais je devais avouer que c'était confortable de retrouver un sentiment que je connaissais déjà. J’aurais préféré la détester et je m’en voulais d’avoir été manipulé aussi facilement mais je n’arrivais pas à ressentir autrement.
La voir ainsi me renvoya immédiatement au souvenir de son hurlement. Sur le coup je n'avais pas pu m'attarder sur son expression tellement j'avais été ravagé par la colère mais maintenant que je m'étais calmé je ne pouvais voir rien d'autre que son visage douloureux.
La duchesse avait haussé le ton. Cela faisait depuis mon arrivée que je voulais en arriver là mais maintenant que j'avais réussi je me sentais juste vide. Je ne ressentais pas la satisfaction que j'avais pensé ressentir. C'était comme si ce souvenir n'avait rien de normal ou même de réel. J'avais plus l'impression d'avoir rêvé cet événement qu'autre chose.
Je n'avais encore jamais vu cette facette de la duchesse. Torturée et douloureuse. Je ne savais moi-même pas comment je devais me sentir par rapport à cette vision. Elle m'avait tellement troublé que même la pensée de me rendre dans la chambre de la duchesse n'arrivait pas à la chasser de mon esprit. Elle était comme brûlée dans ma rétine.
L'escalier finit par prendre fin au bout de ce qui me sembla être une éternité. Je ne m'étais pas rendu compte mais tandis que nous montions il faisait de plus en plus obscure dû au manque d'éclairage.
La Duchesse poussa doucement le mur et avança au centre de la pièce avant de se retourner vers moi. Sa chambre était plus sobre que je ne l’aurais pensé. Je ne savais pas vraiment à quoi je m’étais attendu mais j’étais quand même surpris. Je tournais doucement sur moi-même pour intégrer toutes les informations de ce nouveau lieu tout en sentant le regard de la Duchesse brûler sur mon visage.
Il fallut quelques instants à mes yeux pour s’habituer à l’obscurité des lieux. Les draps et rideaux noirs ou rouge sombres n’aidaient pas dans cela. Une fois que j’étais sûr de me souvenir de chaque détail je me retournais vers la Duchesse. Je la détaillais en silence me demandant ce qu’elle attendait de moi.
Cette dernière soutint mon regard pendant un long moment me poussant à le demander si elle me voyait bel et bien dans cette obscurité. Elle finit cependant par prendre une grande inspiration qui me donna des frissons :
« Tu perds du temps quand tu donnes des coups. »
Je ne savais quoi répondre. Elle avait parlé si vite qu’il me fallut du temps pour comprendre ce qu’elle venait de dire. Tandis que je réfléchissais la Duchesse agrippa un sac noir accroché à un pic de fer et le planta au milieu de la pièce. Je me demandais d’où il sortait et pour une certaine raison n’arrivais pas à imaginer la Duchesse frapper dedans.
« Frappe. »
Je n’aimais pas recevoir des ordres alors je restais planté à soutenir son regard. La Duchesse soupira avant de frapper le sac dans un bruit sourd. Ce dernier s’étala au sol de tout son long dans un fracas alarmant. Je me tournais vers la porte me demandant quand est-ce que les gardes allaient débarquer mais personne n’entra.
J’avais beau m’être déjà battu contre la Duchesse, je fus surpris que toute cette force pouvait être contenue dans ce corps de statue.
« Tu sors ton coude quand tu frappes. Cela te faire perdre de la force et du temps. »
Elle me montra donc comment je devais faire et je la regardais avec sérieux. Elle se décala ensuite pour me laisser essayer. Je le fis donc. Encore et encore. Je frappais jusqu’à ce que mes poings saignent. En voyant cela la Duchesse leva les yeux au ciel. J’ignorais ce qu’elle pouvait bien penser. Peut-être qu’elle me trouvait faible de saigner si vite ou peut-être m’y prenais-je encore mal. Je ne pouvais pas lire dans ses pensées malgré toutes mes tentatives et je me retenais de toutes mes forces de demander ce qu’elle pensait.
J’ignorais combien de temps j’avais passé à ses côtés mais elle finit par ranger sans dire un mot puis elle s’approcha de la porte secrète et se mit de côté pour me laisser sortir. J’étais déçu que l’entrainement prenne fin mais je devais avouer que je ne sentais plus mes bras.
Malgré l'ambiance étrange qui planait autour de nous depuis les événements récents j'avais envie de revoir avec la Duchesse. Je voulais en apprendre plus de cette femme. Après tout je ne pouvais pas nier qu'elle s'y connaissait nettement plus que moi en combat rapproché. Et m'entraînant avec elle je pouvais entrer dans sa chambre librement. Je n'aurais jamais cru m'approcher aussi près de mon ennemie.
Je me mis donc à la visiter tous les soirs. Une fois que le château s’était endormi je passais par le couloir secret et la retrouvais dans sa chambre. Audrey et Jean furent perplexes en m'entendant annuler nos plans et je sentais bien qu'ils n'étaient pas convaincus par mes excuses mais ils décidèrent de me faire confiance. Cela n’avait pas dû être facile pour eux. Ils avaient été vraiment paniqués et avaient voulu s’enfuir au plus vite. J’avais senti toute l’urgence dans leur regard et je les avais stoppés sans prévenir mais pour une certaine raison je n’arrivais pas à leur dire ce que je faisais avec la Duchesse.
Je ne voulais pas leur cacher quoi que ce soit mais je n’arrivais pas à expliquer la situation. Je leur assurais que j'avais tout sous contrôle et à part de nombreux regards inquiets ils ne dirent rien. Du moins pas devant moi. Une fois que je quittais la salle j'étais persuadé qu'ils débattaient longtemps de mon bien-être mental mais ils ne me firent pas part de leurs inquiétudes. Que je le veuille ou non j’étais devenu le chef de notre petit trio et ils me suivaient aveuglément. Si je leur disais que nous devions attendre alors ils allaient le faire malgré eux.
Missy ne voulut pas me reprendre en cuisine pendant de nombreux jours me renvoyant dans ma chambre tant que je n'étais pas complètement remis sur pied. Evidemment elle était loin de se douter que je me battais avec la Duchesse loin de me reposer. Pour être sûre que je me remettais vite sur pieds elle envoyait souvent Jean dans ma chambre avec des tasses de thé, des bols de soupes ou des petits biscuits que Jean entamait souvent sur le chemin. Pendant ces jours de repos, Jean me donnait des comptes-rendus tellement détaillés des événements de la cuisine que jetais persuadé d'avoir été présent.
D’après Jean, la Duchesse n'était pas venue dans les cuisines depuis l'incident. Jean avait appris plus tard par les autres que Missy l’avait congédiée pour une durée indéterminée. Ils ne l’avaient jamais entendue autant en colère et n'avaient pas osé la regarder pendant toute la soirée de peur qu'elle tourne sa colère vers eux.
Je croyais tous les dires de Jean mais avais quand même du mal à croire que Missy pouvait être sincèrement en colère contre quelqu'un.
"Pourquoi se sont-elles disputées ?"
Jean pinça les lèvres.
"À cause du bal.
-À cause des coups de fouet ?"
Je ne savais pas pourquoi j'étais tant surpris. Peut-être parce que je n'étais pas habitué à ce que les autres prennent ma défense. Surtout pas Missy qui avait l'air tant attachée à la Duchesse. Je l’avais toujours vue comme la plus dévouée de ses suivantes mais j'eus soudain énormément envie d'aller la voir.
Je me rendis compte à quel point sa chaleur ainsi que l'ambiance de la cuisine m'avaient manquées.
"Certains disent même que la Duchesse était en pleurs. Mais ça j'en suis moins sûr."
J'émis un petit rire.
"J'admets que je n'imagine pas la Duchesse comme quelqu'un de sentimental."
Mais en disant cela je j'entendis sa voix brisée dans mes oreilles. Ce cri qui lui avait échappé dans la chambre. Cette détresse sur son visage. Je n'arrivais pas à m'en défaire.
"Ça va ? me demanda Jean inquiet."
Je hochais la tête vivement. Je devais arrêter d'y repenser. C'était dans le passé et me repasser les événements n'allait rien changer.
"Elle est sortie sans un mot après avoir écouté tous les reproches de Missy.
-Elle n'a même pas essayé de se défendre ?
-Au début si. On m'a dit qu'elle a insisté sur le fait qu'elle ne pouvait rien faire d'autre. En entendant cela Missy a perdu tous ses moyens et est devenue encore plus effrayante qu'avant. Elle qui était toujours si calme… »
****
« Tu as vraiment aucune honte de te présenter ici comme si de rien n’était. Tu peux m’expliquer ce qui a bien pu te passer par la tête, ma fille ? Qu’est-ce qui a bien pu expliquer un comportement aussi abject je me le demande bien.
-Je n’avais pas d’autre choix.
-Pas d’autre choix ? Ne dis pas de telles idioties ma belle parce que je risque de perdre mon sang froid. Pour qui est-ce que tu te prends au juste ? Parce que tu es une Duchesse tu as soudainement le droit de frapper quiconque tu as envie ? Dans ce cas pas de soucis je t’en pris fais toi plaisir. Après tout il n’est qu’un être humain innocent. Ne sois surtout pas repoussée par le fait qu’il ressente la douleur. Loin de toi l’idée. »
Missy s’approcha dangereusement de la Duchesse qui était droite comme une statue.
« Je vais te dire ma belle, j’ai honte de toi. Je croyais que tu étais tellement mieux que cela. Mais visiblement je me trompais. Je n’aurais jamais cru que tu pourrais autant me décevoir. Je ne te reconnais même plus. Toi qui as tant fais pour ne pas devenir comme ton père. J’ai soudain l’impression de me tenir en face de lui. »
La Duchesse fut parcourue de frissons qu’elle réprima tant bien que mal.
« Je te connais depuis toute petite et j’ai toujours su que tu valais nettement plus que ta famille. Je voyais dans tes yeux que tu étais une petite courageuse et juste mais je me demande où cette petite fille a disparue. Aurais-tu oublié tout ce que ton père a fait ? Ou peut-être que tu t’es rendu compte que tu veux devenir comme lui ? Je ne te retiens pas ma chérie fais comme bon te semble. Vas frapper tous les esclaves du voisinage et quand tu auras fini tu pourras t’en prendre à moi pour changer. Après tout qu’est-ce que ça changerait ? Je pensais que tu étais du genre à te jeter devant le fouet pour protéger les innocents. Je n’aurais jamais cru que tu étais assez lâche pour le brandir toi-même. »
Missy soupira tout en se frottant le front.
« Vas-t-en. Sors de ma cuisine. Je ne veux plus te voir. Tu me rends malade. Rien que de voir ton visage j’ai envie de vomir. J’espère ma chérie que tu sais que je t’aimerais toujours quoi que tu fasses mais là tout de suite je souhaite de tout mon cœur que tu pleures. Je veux que tu comprennes ce que tu as fais et que tu en souffres. Je ne veux plus jamais que tu refasses une telle chose. Parce que si ça arrive encore tu pourras me dire adieux. Mais ce n’est pas le pire dans toute cette histoire. Parce que si tu ne te reprends pas vite en mains tu pourras te dire adieux à toi aussi. »
Elle marqua une pause pendant laquelle elle scruta le visage impassible de la jeune femme.
« A part si ce n’est déjà le cas… »
Missy soupira de nouveau avant de secouer la tête.
« Sors. Réfléchis à ce que tu as fait. »
Et c’est ce qu’elle fit. Droite comme un pic et le visage ne montrant aucune émotion particulière mais la peau légèrement plus pâle que d’habitude, la Duchesse sortit. Elle glissa sans un bruit vers la porte et disparut.
****
Jean se mit à rire.
"Je n'arrive pas à y croire. Pourquoi est-ce que Missy était si déçue ? Qui est-ce qui pourrait croire en la bonté de la Duchesse ? Cette femme prête à torturer un innocent pour amuser la galerie."
Il se tut d'un coup en croisant mon regard.
"Désolé. Tu ne veux peut-être pas en parler."
J'hossais les épaules.
"Je m'en fiche."
Je le pensais vraiment. Toutes ces fois où j'avais été frappé auparavant je m'étais senti souillé, furieux. Mais tout ça s'était envolé. Je m'en fichais. Je l'avais même presque oublié. Ce n'était qu'en voyant mes cicatrices que je me souvenais des événements passés.
« Eh bien pas nous. Rassure-toi on ne va pas la laisser faire ce que bon lui semble impunément.
-Et qu’est-ce que vous comptez faire ? »
Je ris devant l’expression impuissante de Jean.
« Arrête de rire. On va trouver un plan. Elle doit sûrement avoir un secret qui pourrait lui faire perdre sa fortune. Tous les nobles en ont. Des lettres qui critiquent la royauté ou autres. Avec Audrey nous allons mener l’enquête et en un temps record elle aura perdu sa tête tu verras. »
Je ris de nouveau de bonne humeur.
« Quoi ? Tu ne pensais tout de même pas que nous te laissions tout le travail ? Qu’est-ce que tu fais d’ailleurs pendant que nous menons notre enquête ?
-Quelle enquête ? Je suis sûr que vous ne savez même pas où commencer. »
Jean fit mine d’être blessé.
« Je ne te permets pas. Je te rappelle que nous sommes des détectives en herbe.
-Mais oui, mais oui. Plus sérieusement mettez votre enquête en pause. Audrey a besoin de se reposer. Le bébé approche elle ne doit pas se stresser avec de tels problèmes.
-Je sais mais-
-Je m’occupe de tout je vous l’ai dit.
-Mais dis-nous au moins ce que tu fais.
-Quelque chose de nécessaire. »
Je ne mentais pas. La Duchesse avait raison. Si je voulais me faire ma place dans ce monde je devais apprendre à me battre convenablement. Fuir pouvait bien attendre et vous n’imaginiez pas tout ce que nous apprenions sur une personne en nous battant contre elle.
Jean leva cependant les yeux au ciel en entendant ma réponse.
« Rah tes phrases courtes me tapent sur les nerfs. »
Un jour ennuyé de passer tout mon temps dans ma chambre malgré les visites de Jean ou celles d’Audrey, je décidais de me rendre aux cuisines. En me reconnaissant Missy leva immédiatement les mains au ciel me faisant comprendre que je n'avais rien à faire ici mais je m'asseyais sur une chaise auprès d'elle. Missy finit donc par soupirer et m'apporta un bon thé chaud.
Elle s'assit en face de moi et je sentis l'air se figer autour de nous. Les voix baissèrent d'un ton comme pour ne pas nous déranger. J'avais comme l'impression que nous étions séparés du reste du monde.
Missy soupira en se frottant les yeux. Je me rendis soudain compte des cernes qui se dessinaient sous ses cils. Les événements récents devaient vraiment la travailler. Elle aimait la Duchesse profondément, c’était visible, elle ne pouvait sûrement pas s’empêcher de s’inquiéter.
"Je suis tellement désolée pour ce qu'elle a fait. Il n'y a aucune excuse pour son comportement. Je suis tellement déçue."
Elle croisa les doigts en soupirant longuement.
"Quand je pense qu'elle a passé sa vie à défendre ceux qui n'en étaient pas capables. Elle s'est vraiment perdue de vue."
Je ne savais pas quoi dire. Je n'arrêtais pas de revoir la manière dont elle avait brandi le fouet pour retourner l'arme contre elle-même.
Missy soupira de nouveau avant de poser sa main sur la mienne. Une vague de chaleur m'envahit en voyant toute cette inquiétude dans ses yeux. Je ne me souvenais pas quand quelqu'un m'avait regardé comme cela pour la dernière fois.
« Et moi qui t’ai demandé de lui laisser une chance… J’étais loin de me douter que ça allait arriver.
-Ce n’est pas votre faute. »
Elle hocha doucement la tête le regard perdu dans le vide.
« Je le sais… Je le sais bien. Mais je me sens tout de même coupable. Malgré tout ce qu’elle a fait j’ai envie de la défendre.
-Je comprends. »
Je me figeais. Je comprenais ? Qu’est-ce qui m’arrivait ? Est-ce que tous ces moments à se battre m’avaient complètement vidés de ma rage accumulée ? Pourquoi est-ce qu’au fond de moi j’avais envie de défendre la Duchesse ? Il n’y avait aucune excuse pour ce qu’elle avait fait. J’aurais dû la haïr, la tuer. Mais j’en avais juste marre que les autres en parlent sans cesse. Je voulais passer à autre chose.
J’étais vraiment vidé de ma rage. Je me sentais nettement plus léger et apaisé que d’habitude. Je ne savais pas si c’était une bonne chose ou si je devais prendre peur mais c’était le cas. Dans un combat il était toujours mieux d’y aller la tête apaisée.
« Elle n’a pas eu une vie facile non plus. Je ne dis pas que sa vie a été plus dure que la tienne ou que ce que tu as vécu n’a pas été traumatisant. Je ne suis personne pour comparer vos douleurs. Mais elle en a eu sa dose. Je ne voulais pas t’en parler parce que je voulais que tu la connaisses pour qui elle est aujourd’hui et pas pour qui elle était mais j’ai l’impression que j’ai commis une erreur. Si c’est le cas je m’en excuse. Ce dont tu avais besoin était peut-être des réponses. »
Je ne répondis pas. J’étais pendu aux lèvres de Missy ne voulant rater aucune miette. Allais-je en apprendre plus sur la Duchesse ?
« Peut-être que ce n’est pas moi qui devrais t’en parler. »
Elle sourit enfin.
« Mais ce n’est sûrement pas Leonord qui va te faire part de son passé. Elle est beaucoup trop timide pour ça. »
Timide n’était pas l’adjectif que j’aurais utilisé pour la décrire mais je n’en fis pas des histoires.
Missy regarda autour de nous et vit toutes les oreilles curieuses se tendre dans notre direction.
« Si tu veux en savoir plus alors je suis disposée à te raconter son histoire. Mais nous devrions nous retrouver dans un endroit plus calme. »
Je hochais la tête.
« Très bien. Dans ce cas nous devrions aller nous promener.
-Tout de suite ? »
Missy émit un rire gras.
« Pourquoi ? Tu as autre part où te rendre ?
-Non, pas du tout, je suis juste surpris que vous quittiez les cuisines aussi facilement.
-Je ne suis pas attachée ici, tu sais. Je suis un être vivant aussi. »
Je la suivais donc dans les jardins et nous marchâmes un long moment en silence. Nous nous retrouvâmes dans un bois aux arbres majestueux et aux feuilles d’un vert émeraude. J’aurais pensé que j’aurais été intenable à l’idée d’en savoir plus sur le secret de la Duchesse mais à ce moment précis j’étais apaisé. Comme si je savais déjà ce qu’elle allait me dire. Comme si tout ce qu’elle allait me révéler n’allait absolument rien changer à ma vie.
J'oubliais même presque ce que je faisais là, ou la présence de Missy dont les pas lourds sur le gravier ainsi que le souffle haché aurait dû me garder sur la terre ferme. Je me perdais dans la beauté des lieux et dans la fraicheur de l'air. Je m'imaginais grandir dans ce cadre plus jeune et à quel point ma vie aurait pu être différente si j'étais né ici.
Je m'imaginais grimper dans ces arbres et tomber me cassant presque la jambe. Je me voyais boitillant jusqu'à ma mère qui me passait un savon, tout de même soulagée que je m'en étais sorti indemne. Imaginer toutes ces scènes me fit sourire mais mon cœur se tordit de douleur.
Je me rendis soudain compte que j'aurais pu être vraiment heureux. Tout aurait pu être différent si seulement je n'étais pas devenu un esclave.