Chapitre 1 – Crew

1311 Mots
Chapitre 1 – Crew Corps en sueur, souffle saccadé, et yeux brouillés de larmes que je me force à retenir, je fixe le plafond. Elle détesterait l’homme que je suis devenu. Parce qu’elle aimait le rire franc du gamin que j’étais, elle aimait son regard téméraire et tellement insouciant en même temps. De gosse paumé, je suis devenu meurtrier avéré. Ma mère est morte quand j’avais dix ans, rouée de coups, puis exécutée pour avoir osé demander son dû à un proxénète qui profitait d’elle et de son cul. Son décès m’a plongé dans un monde de délinquance, loin de la douceur avec laquelle elle saupoudrait mon enfance. J’ai vécu avec mon père, qui avait plus d’amour pour son Bourbon que pour son mioche. Lassé de ma vie morne, blasé d’être ce rejeton sans amis, esseulé dans ma piaule qui puait la pisse, je passais mes soirées derrière la fenêtre, à rêver de l’existence trépidante que j’aurais si j’étais un gangster. Les Cobra traînaient chaque nuit dans la ruelle qui longeait l’arrière de la baraque dans laquelle je vivais, et Bugsy, le chef me faisait plaisir en m’octroyant un signe de la main. Tous ses hommes l’imitaient, parce qu’ils avaient pris l’habitude que je sois là. Durant des années, une partie de mes nuits leur était consacrée, à les épier avec envie, à frémir quand ils étalaient leurs artilleries sur les capots de caisses démentes. Je n’aurais raté ça pour rien au monde, petit spectateur que j’étais, admirateur de ces hommes fourbes et tatoués. Un mec plus jeune que les autres y était, et son regard noir me passionnait autant qu’il m’impressionnait. Il avait mon âge, j’en étais sûr, et pourtant sa façon d’être me donnait l’étrange sensation de n’être qu’un moins que rien face à sa prestance, face à son aura de tueur. Il était grand et tout en muscles, tatoué sur les mains et dans la nuque. Il assurait derrière un volant alors que je n’avais aucune idée de comment démarrer une bagnole. J’étais complètement fan de ce qu’il dégageait. Je voulais que ce soit mon pote. Qu’il m’apprenne à devenir aussi impressionnant que lui. Je voulais qu’on me respecte comme lui. J’ai su que les Cobra seraient ma famille le jour où ils m’ont ramassé dans la mare que mon sang formait autour de mon corps, qu’ils ont défoncé la gueule de mon père et qu’ils m’ont transporté jusqu’aux urgences de Logen. Chaque jour Bugsy était venu à mon chevet. Il ne me parlait pas, ne me tenait pas la main, ne m’embrassait pas, non. Mais sa simple présence était une dose de réconfort. Jusqu’au jour où Poings Tatoués avait débarqué dans ma chambre stérile, veste en cuir sur le dos, bonnet sombre sur le crâne. Je me souviens d’avoir été nerveux, presque pétrifié sur mon lit tandis qu’il s’avançait vers moi. Il s’était présenté, ne m’octroyant pas sa main tendue et cette initiale qu’il m’énonçait allait m’apporter tout ce dont j’avais espéré : un ami, un frère, une famille. Mon enfance ne m’avait pas épargné, mais mon futur allait enfin avoir un sens, grâce à eux, Bugsy et A. ∞ Ça fait exactement deux jours que je suis sorti de taule. Deux longs jours que je suis rentré chez moi. Je pensais naïvement que Jenny serait là, qu’elle n’avait juste pas eu le cran de venir me voir au parloir, par peur de trop souffrir, mais non. Elle est belle et bien partie, emportant avec elle toutes ses affaires et quelques-unes ne lui appartenant pas. Au fond de moi, je le savais qu’elle s’était barrée, mais je refusais de croire qu’elle foutait à la poubelle six ans de vie commune comme ça, pour six années et demie derrière les barreaux. Ça ne m’a pas broyé le cœur, parce que je m’en doutais, ça a juste confirmé ma crainte de me retrouver sans rien, et plus seul encore que je ne l’étais déjà. Sale p**e. Je finis par me lever, même si le soleil continue de pioncer. Faut que je me bouge si je veux retrouver un semblant de vie. Je file vers la salle de bains face à ma chambre et prends une douche rapide. En partant, Jenny a embarqué notre plumard. Je dors donc sur un vieux matelas posé à même le sol, et faut que ça change. Je ne peux pas indéfiniment rester comme un con à m’apitoyer sur mon sort, il en est hors de question. Surtout que Aaron m’a chargé d’une mission bien précise : redresser notre business. Rien n’est perdu, nous avons notre réputation à Logen et ailleurs ; les petits consommateurs reviendront toujours vers leur meilleur fournisseur, c’est avec les gros bonnets que ça va être plus compliqué. Parce que je suis tout de même sous surveillance judiciaire, et que je n’peux pas quitter le territoire durant un bon laps de temps. Quelle merde de saleté de justice de merde ! Aaron aurait dû sortir le fric lui aussi, comme le maire l’a fait pour se blanchir le cul et nous faire payer en nous enfermant, mais sa témérité l’a poussé à assumer jusqu’au bout son appartenance aux Cobra, nos conneries et délits. ∞ Dehors, l’air est frais, le vent est bien levé depuis plusieurs heures faisant rouler une canette sur le trottoir. Je l’écrase de mon pied lorsqu’elle arrive à moi, et m’allume une clope, en observant la rue. Rien n’a changé en presque sept années, pourtant tout me semble différent. Les baraques sont toujours aussi moches et sales, les tacots longeant les trottoirs sont identiques, ou presque, et les mauvaises herbes dans les rigoles m’arrivent quasiment au-dessus des chevilles malgré l’hiver qui pointe le bout de son nez. Certains voisins m’épient derrière leurs rideaux, croyant probablement être discrets, et pour les emmerder, je leur adresse un signe, les faisant disparaître de leurs fenêtres. Je remonte ma capuche sur mon crâne, et enfonce mes mains dans les poches de mon pantalon avant de me mettre en chemin. Je trace jusqu’au hangar qui a abrité durant de longues années les Cobra et c’est avec un pincement au cœur que j’arrache les scellés avant d’ouvrir la porte pour m’y enfermer. Plongé dans le noir, je m’adosse contre le mur et respire cet air chargé de poussières. Ça va aller, mec. Je ne suis pas censé avoir autant de mal, ni même avoir peur de relancer la machine seul, pourtant, c’est le cas. Parce que je n’ai jamais été un meneur. Je suis arrivé jeune dans le gang. J’ai d’abord été guetteur. Je prévenais les grands de la venue des flics en sifflant à l’entrée du quartier de la tour F. Puis, je suis devenu un sbire, et je le suis toujours resté. J’aime mieux suivre les ordres qu’en donner, j’ai besoin qu’on me dicte ma conduite pour ne pas partir en couille. Sauf qu’il ne reste plus que David, Dam, et moi. Je retiens mon souffle en pressant l’interrupteur. Plus aucune bagnole, plus aucune caisse en carton si ce n’est celles qui sont retournées, vidées sur le sol. Des tas de papiers jonchent le béton, les canapés sont éventrés. p****n, on n’a vraiment plus rien si ce n’est cet endroit vide et dégueu. Je grimpe les marches pour accéder au loft. Les flics ont laissé la porte entrouverte. Triste spectacle ici aussi. Vide. Juste une cuisine à l’évier dégueulant de vaisselles moisies, un cendrier posé à côté plein de mégots et un matelas ouvert à la lame. Quel merdier ! Va falloir que je gère ça, si j’en ai le courage, mais là n’est pas ma priorité. Je dois avant tout avancer, me trouver un portable, et de quoi poser mon cul dans ma propre baraque. La suite attendra bien. Je me dirige vers la sortie quand un bruit au rez-de-chaussée attire mon attention. La main en suspend sur la poignée de la porte, je cesse de bouger pour écouter. — Je pense que ça doit être des squatteurs… Les Cobra sont encore en taule pour un bon bout de temps. Une voix féminine retentit dans le hangar, piquant ma curiosité. — Oui, oui, je me dépêche ! Écoute, c’est toi qui m’as envoyée ici non ? Justement ! Elle s’énerve la nana. Parfait. Sa voix n’est plus, pourtant ses pas sur les papiers au sol se font toujours entendre. Silencieusement, je fais marche arrière, me hisse sur la pointe des pieds et ouvre la hotte de la cuisine, satisfait que ces enfoirés de flics n’aient pas découvert cette arme. Elle est parfaitement chargée, je descends à la rencontre de cette intruse.
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