Chapitre 2 – Kendra
Le hangar des Cobra est on ne peut plus désert. Je caresse du regard cette table basse improvisée à base de jantes en alu, avec l’idée malsaine de la ramener chez moi. Steven me tuerait si je faisais une chose pareille.
Lui et moi, c’est une longue histoire bien compliquée, faite de hauts et de bas, surtout de bas. Nous nous connaissons depuis le collège, et comme nous habitions la même tour, un rapprochement entre nous a été inévitable. À mes quatorze ans, j’étais secrètement amoureuse de lui et de ses grands yeux bleus. Il me faisait rire, rêver, et il embrassait à merveille.
Dix ans plus tard, je suis devenue sa femme, sa « régulière » comme il aime le dire, cette nana qui a plus de droits que les autres, cette nana qu’il est censé aimer avec dévotion et passion. Mais ses sentiments pour moi sont bien enfouis sous la carapace de dur qu’il se forge, parce que chez les BlackD les femmes n’ont pas leur mot à dire. Nous sommes toutes là par amour. Rien d’autre. Aucun job important ne nous est confié. Pour nous occuper, nous nettoyons et préparons le repas.
Alors que je pensais vivre un conte de fées à son bras, je vis de coups et d’insultes parce que j’ai une trop grande gueule que je ne parviens pas à fermer.
Le voir se vider les couilles auprès de Shana, la plus grosse p**e du gang me dégoûte.
« Mais tu comprends, Kend’, c’est la sœur de Dreck ! Alors ferme ta bouche » me raille ma conscience.
Je suis sa femme, je devrais être la seule à m’allonger sous lui, à le chevaucher. Je rêve qu’il n’ait d’yeux que pour moi et qu’il me dise « viens, on se barre ».
La mort de Bastian lui a donné des ailes dans le dos, puisqu’il est devenu le bras droit de Dreck.
Il ne vit que pour le gang, assoiffé d’oseilles et de drogues.
Plus, toujours plus.
C’est la devise des BlackD, et l’incarcération des Cobra leur a été plus que bénéfique.
Si mon père me voyait d’où il est, s’il connaissait mon mode de vie instable et merdique, il me hurlerait de fuir, il tuerait Steven de ses propres mains, il se retournerait dans sa tombe. Sauf que la fuite n’est pas envisageable quand on est la femme d’un gangster et tant que je serais en vie, je n’ai aucune issue de secours.
Accroupie, je ramasse un papier chiffonné sur le sol, et y lis les quelques annotations.
Ça ressemble à un mot d’amour, mais l’encre y est partiellement estompée, me compliquant la lecture.
« … tellement désolée… retrouve-moi là-bas, je ne parviens pas à vivre sans toi… je t’aime éperdument Aaron ».
Les mots écrits par cette nana folle de son Aaron, m’arrachent un sourire de compassion, même si je devrais crever de jalousie que son mec accepte ce genre de choses quand le mien me tabasserait si je me permettais une telle gaminerie.
Parce que ce A que je ne connais que de nom et de rumeurs, n’a pas le même fonctionnement en amour que chez nous à ce que je voie.
Une seule fois j’ai osé dessiner un cœur, et plus jamais je ne m’y risquerais.
— Un coup de main ?
Je sursaute et tombe sur les fesses, quand une voix grave me surprend.
Le mec au crâne tatoué devant moi pointe son flingue dans ma direction, et je retiens mon souffle, soudainement paniquée.
— Je…
— T’es qui toi ? T’es chez moi ici !
L’homme hurle, et mes mains deviennent moites tant je suis nerveuse.
— Je vais partir, balbutié-je. Je vais y aller.
Son regard sombre me fixe intensément, ses yeux marrons qui se baladent sur mon corps me foutent mal à l’aise, sa carrure imposante m’impressionne.
— Je t’ai demandé qui tu étais !
— Kendra ! Je m’appelle Kendra ! Laisse-moi repartir s’il te plaît.
Je lève les mains devant moi, pour lui montrer que je ne suis pas armée, et que je ne vais pas lui sauter dessus pour l’abattre.
— Tu parlais à quelqu’un, aboie-t-il. Qui ?
— Mon mec !
Le mastodonte glisse son arme sous son pull, la coinçant dans son pantalon et s’approche de moi, l’air vorace sur le visage. Il s’accroupit, et se gratte la fine barbe qui ombre ses joues en ne me quittant pas des yeux.
— Je suis désolée, je ne savais pas que c’était habité, mens-je.
— BlackD, ricane-t-il.
Mes joues s’empourprent, mais je réfute.
— Non.
— Hum… Hum… Ne me prends pas pour un con, Kendra.
— Je…
Putain il m’a grillée en deux secondes, même pas !
— Je vais devoir y aller…
— Crew.
Mes sourcils se froncent, mes lèvres s’entrouvrent de stupéfaction quand il me tend une main.
— Crew, d’accord, réponds-je en me relevant sans prendre cette main tendue.
Nous ne sommes pas potes, mais ennemis.
— Kendra, la prochaine fois que ton mec voudra venir fouiller ici, dis-lui de ne pas envoyer sa jolie copine. Parce que la laisser seule avec un homme qui rêve de se mettre une nénette sous la dent, ce n’est pas très intelligent.
Mon dieu. Et moi, si je n’étais pas la nana d’un type bien trop dangereux, je le laisserais me croquer de ses dents parfaitement alignées. Je passerais mes mains sous ce pull pour toucher la série d’abdominaux que je devine et j’embrasserais cette bouche bien dessinée. Merde. Je dois dérailler, devenir folle à cause du danger qui émane de ce type parce que jamais je ne penserais cela si j’étais censée.
— Va te faire foutre, connard, sifflé-je.
Crew ricane encore et mon épiderme se couvre de frissons, me jetant un froid glacial sur ma conscience. J’avance, pour le dépasser et me barrer le plus vite possible loin de cet énergumène, mais ses doigts s’enroulent autour de mon bras, m’attirant presque contre lui.
— On se reverra, Kendra, j’en suis certain.
Je me dégage de sa prise, et trace rapidement jusqu’à la porte sous son rire.
∞
Je fais les cent pas dans la cour de notre maison. Je suis nerveuse. Steven discute avec les mecs ce qui me soulage, parce que l’affronter quand mes pensées sont dédiées à un autre, ça n’a rien de bon pour moi. Je finis par m’asseoir et ferme les yeux. Son sourire féroce me revient en tête, ses iris noirs, et sa voix de crooner. Et si… Et s’il m’avait tuée ? Après tout, j’étais chez lui, dans l’antre du gang adverse de la ville, là où je n’aurais jamais dû mettre un pied.
— Ça va, Kendra ?
Devant la porte du bâtiment, Loreïla m’observe, un sourcil haussé.
Ses longs cheveux blonds retombent sur son épaule dénudée alors qu’il ne doit faire que trois degrés au grand maximum.
— Ouais, pourquoi ?
— T’as l’air… Stressée… Enfin, je ne sais pas ?
Je secoue la tête par la négative.
— Non, juste fatiguée. Je pensais à aller dormir une petite heure…
Loreïla s’approche de moi, et me prend la main, un sourire sur le visage.
— Même pas en rêve. Nous préparerons le repas et deux jolies mains en plus ne seraient pas de trop pour nous aider.
Malgré mon soupir, j’acquiesce. Cette nana est la femme de Dreck, notre chef. J’aimerais dire qu’elle est aussi pourrie que lui, mais je mentirais. Elle est la douceur incarnée, la sagesse dans cette maisonnée de dingues, la maman qu’il nous manque à tous.
— Tu sais bien que si t’as le moindre souci, tu peux m’en parler, n’est-ce pas.
— Oui, je sais, mais je vais bien, cesse de t’inquiéter.
Je presse ses doigts entre les miens, comme si ça allait apporter du poids à mes mots et je rentre.
Dans la cuisine, une vraie cohue. Les nanas préparent un plat de pâtes et de la sauce tomate. L’odeur de la viande qui cuit est divine, et m’ouvre déjà l’appétit. J’ignore volontairement Shana, qui est ma concurrente numéro un.
Avec sa taille mannequin et ses grands yeux verts, elle a fait fondre Steven en un seul clin d’œil, et si j’étais honnête avec moi-même, je le comprendrais. Elle est belle, sublime même, et a tout ce dont je rêverais, ce qui me fait complexer, et surtout… Elle a le sang des BlackD. Si Steven et elle, sortent ensemble, je suis certaine qu’il gagnerait le statut de chef haut la main le jour où la place serait à prendre. Je ne suis pourtant pas moche, loin de là, je suis plutôt longiligne, une jolie poitrine, et mes yeux légèrement bridés me donnent un air asiatique qui détonne avec mes origines purement américaines. Adolescente, j’ai noirci ma peau d’encre pour provoquer mes parents, pour leur prouver qu’ils n’avaient pas le monopole sur la gamine que j’étais.
Un mec de la cité tatouait dans son garage, avec une machine qui faisait plus de bruit qu’un tracteur, et qui fonctionnait une fois sur deux. Le premier dessin fut une rose, sur mon bras droit, et les autres ont suivi me recouvrant une partie des jambes.
Aujourd’hui, je n’assume plus tous ces tatouages. J’en ai beaucoup trop, partout, même mon visage en comporte un, puisqu’un « S » est encré sous mon œil droit. Je pourrais les faire enlever, un par un, mais je n’ai pas la force d’affronter les remontrances d’un médecin qui prendrait peur en voyant une gamine de vingt-quatre piges dans cet état.
Je me lave les mains, et me fais une place entre les filles pour rouler la viande hachée entre mes paumes. La discussion va bon train entre elles, parlant de performance au pieu de leur chéri et je stresse d’entendre Shana nous vanter celles de Steven. Parce que même si tout le monde sait ce qu’il se passe entre eux deux, ça n’en reste pas moins blessant pour moi qui ne peut pas réagir.
Pourtant, ce n’est tellement pas moi de me taire et de me laisser faire. Mais depuis l’intégration de Steven dans les BlackD, j’ai appris à m’effacer, pour éviter sa colère et les coups qui en découlent. Je sais qu’un jour ou l’autre, je péterai un câble, et que je signerais mon arrêt de mort par la même occasion.
Lorsque les hommes débarquent, ils prennent place autour de la table en chêne, dans la salle à manger. Je dépose la marmite de pâtes et Steven s’assied, me donnant une tape sur les fesses. Je m’installe à ses côtés, et laisse Shana nous servir.
— Faudra qu’on parle, Kendra.
— De quoi ? demandé-je en feignant l’ignorance.
Je tends son assiette, évitant absolument son regard qui doit probablement être menaçant, et souris à Loreïla qui a compris mon jeu.
— De ta façon de me parler au téléphone, souffle-t-il contre ma joue.
Je devrais lui dire ce que j’ai sur le cœur, l’envoyer se faire foutre une bonne fois pour toutes, mais j’en suis incapable. Parce que sans lui, je ne suis rien, sans lui je n’ai aucun endroit où me réfugier, ni plus aucune raison de vivre. Alors je hoche la tête, ravalant ces maudites larmes et dépose son assiette.
∞
Dans la chambre, je l’attends. Je voudrais que ce soit de pieds fermes, mais c’est faux. Je tremble, je panique quant à la teneur de cette discussion. Steven n’est pas du genre à prendre des gants pour parler.
Je tourne en rond dans cette pièce qui embaume la clope, sur cette moquette sombre et tachetée. Je ramasse un pull et le balance sur le fauteuil qui trône dans un coin juste avant qu’il n’entre.
La porte claque derrière lui, mon regard noir croise ses yeux verts qui me toisent. Je déglutis violemment, et contiens la rage qui noie mon être. Si j’étais entièrement libre de mes mots, je lui hurlerais que j’en ai ma claque de vivre ici, parmi ces gens que je ne blaire pas. Je lui cracherais que j’en ai marre d’entendre Shana se vanter d’avoir baisé avec lui. Mais je me tais, me contentant de l’affronter du regard.
— Alors ? siffle-t-il.
J’ose relever un sourcil, le provoquant même si je suis morte de trouille.
— Alors quoi ?
— Tu es inconsciente de t’adresser à moi ainsi, Kend’.
Je ricane, dégoûtée.
— Sais-tu que pendant ma fouille du hangar, je suis tombée sur un type quatre fois comme moi ? Sais-tu que j’étais morte de peur, hors de moi ? Et s’il m’avait butée ? Et s’il me cherche pour le faire ?
— T’es vraiment conne quand tu t’y mets, rit-il froidement. Tu serais déjà crevée s’il voulait te tuer. T’es là, c’est parfait.
Il s’avance vers moi et la bile envahit ma gorge. Je ne comprends pas pourquoi il ne s’inquiète pas, pourquoi il ne me demande pas ce qu’il s’est passé, ou si du moins l’autre molosse tatoué s’en est pris à moi.
— Dorénavant, je n’irais plus dans leurs quartiers, dis-je. Vous vous démerderez sans moi !
Sans que je ne le voie venir, Steven me pousse contre le mur derrière moi. Ses mains encerclent ma gorge, ses iris plongent dans les miennes.
— Je t’ai déjà dit que t’allais ravaler ton caractère de merde ! Tu te prends pour qui ? Tu n’es qu’une meuf, tu n’as pas ton mot à dire !
Mes yeux se brouillent de larmes, et je les clos pour fuir son regard assassin.
— Je n’aurais pas dû prendre une nana aussi conne, aussi p**e et moche que toi, souffle-t-il. Mais t’étais là, à me coller au cul, et j’ai su que j’obtiendrais tout de toi dès que t’as écarté les cuisses. Dommage que ta grande gueule ne veuille pas se faire la malle, parce qu’elle gâche presque tout…
Il parle en desserrant ses doigts, il débite ses mots à une allure hallucinante, me charcutant l’âme. Mais je ne l’écoute plus, je le laisse me bousiller.
— Je n’en peux plus, chuchoté-je en contenant mes sanglots. Tu b****s avec elle, avant de venir te coucher auprès de moi… Tu m’insultes, me blesses, me frap…
Je me tais tandis que la fureur émane de chacun de ses pores, craignant d’en dire trop.
— Ferme-la et assieds-toi !
Sa voix est sèche, tranchante. Comme à l’accoutumée, il ordonne et j’exécute.
— Bouge pas de là où je te défonce la gueule.
Il sort de la chambre, me laissant seule, dans l’incompréhension la plus totale. Je ne sais pas de quoi demain sera fait, mais je sais qu’il ne sera pas radieux pour moi. Ouvrir mon cœur à Steven ne sert à rien. Il prend tout ce que je lui offre, et me donne en retour la souffrance accompagnée de poussières de tendresse quand bon lui semble. Le reste n’est que douleur, coups, mots qui fâchent et regards noirs. Est-ce ça l’amour ? Je ne pense pas, mais dans le fond, je n’en sais rien. Il est le premier à partager ma vie, il sera le dernier.
Je suis seule, je devrais me lever, enfoncer mes affaires dans un sac et partir. Mais je n’en ai pas la force, je n’en ai pas le courage. La peur de représailles m’empêche d’agir, la peur de mourir seule dans une flaque de sang aussi.
Des rires et des chuchotements dans le couloir se font entendre, attisant ma colère et mon amertume. Jo pousse la porte, et me contemple d’un œil vif. Du haut de ses deux mètres, il m’a toujours impressionnée, tétanisée. Et la réputation qui l’accompagne ne calme pas mes craintes : traqueur, violeur, assassin. Il a à lui tout seul ce qu’il existe de pire.
Je retiens ma respiration quand il se positionne devant moi, et que d’un coup sec il avance le fauteuil. Son haleine fétide me fouette la joue lorsqu’il se penche vers moi, et qu’il souffle en prenant son arme :
— Prête pour le spectacle ?
Mon silence lui répond, ma répulsion me fait taire, me fait rêver d’un départ que je veux proche. Spectacle de quoi ? Plus rien ne peut autant m’atteindre que les paroles de Steven, plus rien ne peut encore plus me faire mal que son regard de dégoût sur mon corps.
J’ouvre les yeux quand ils entrent dans la chambre, me donnant envie de hurler et de les violenter.
Steven tire par la main Shana, qui elle jubile en sachant ce que je m’apprête à vivre.
Il n’osera pas… Il ne peut pas me faire ça, comme ça… Il la relâche devant notre lit, et me sourit diaboliquement avant de s’adresser à Jo.
— Si elle ferme les yeux ou détourne sa grande gueule, tu l’achèves.
— Je… Quoi ?!
Je crie, je me lève, horrifiée. Une main puissante me cloue au siège, un canon froid se colle contre le sommet de ma tête, des rires résonnent dans la chambre.
Shana se fout à poil, sans même qu’il le lui demande. Les larmes coulent sur mes joues lorsque Steven empoigne ses fesses et qu’il l’embrasse à pleine bouche.
— Arrête… Je t’en supplie…
Je pleure, je l’implore de ne pas m’infliger ça, mais mes mots restent qu’un douloureux écho. Il n’y a plus qu’eux qui se touchent, qui se caressent, qui gémissent. Jo ricane dans mes oreilles, me rendant l’image plus dure encore.
Shana s’agenouille sur le lit, alors que Steven se déshabille. Nu, il s’approche d’elle qui me regarde le sourire accroché aux lèvres.
— T’as vu comme il b***e ? commente-t-il.
Elle le prend dans sa bouche, et je geins sous la torture.
— Tu vois Kend’ ? vocifère celui que j’aimais, ça c’est de la pipe !
La nausée me broie les tripes lorsqu’il pousse Shana sur le matelas, avant de la retourner sur le ventre. Ses mains relèvent son cul vers son sexe, et il l’empale sur lui. Elle crie de plaisir, je vomis de désespoir.
Jo me tire par les cheveux pour me redresser la tête, et je vomis encore en le voyant la b****r comme si je n’étais pas là, en les entendant hurler de jouissance, en appréhendant chacun des claquements de leurs peaux.
∞
Je n’ai pas bougé du fauteuil même quand ils ont eu fini de b****r.
Elle dort là, à ma place.
Dans mon lit.
Jo est parti avec Steven, qui ne m’a pas adressé un seul regard ni un seul mot après s’être vidé en elle. Je me sens impuissante, inexistante.
Si je pensais avoir connu les pires souffrances qu’il puisse exister, je me trompais. Celle-ci est la plus ignoble de toutes celles qu’il m’a fait subir, est la plus terrassante.
Mon pull baigné de vomis, mes joues brûlantes de larmes et les yeux douloureux, je hoquète. Mes sanglots s’espacent, mon souffle se fait plus calme.
Le « spectacle » m’a dévastée, m’a assassinée. Je revois encore et encore ces images de leurs corps ne faire plus qu’un, je ressens encore la violence de leurs respirations erratiques.
C’est fini. Je ne peux plus rester ici, à vivre cela. Combien de fois encore va-t-il la prendre sous mes yeux ? Combien de fois va-t-il encore me dire avec tellement de force que je ne suis qu’une imbécile ? Parce qu’il a raison dans le fond… Une autre l’aurait égorgé pour avoir fait ça.
Ma mère avait l’habitude de me dire que la violence ne réglait rien. Elle n’avait pas entièrement tort puisque la menace de violence et les flingues sur une tempe anéantissent beaucoup de personnes qui se battent pour être fortes.
— Oh !
Je sursaute quand Steven fait son retour. Mon corps tremble, mes oreilles bourdonnent. Shana fait un bond, faisant glisser les draps de sa poitrine. Il ramasse sa robe et lui balance.
— Dégage. T’as ton pieu, non ?
Elle bredouille quelque chose d’incompréhensible et je me morfonds un peu plus. Je la hais, mais je préférais qu’elle reste pour qu’il ne s’approche pas de moi. Elle enfile sa robe, se lève et sort sans un regard, pensant probablement que je me réjouis de la voir se faire jeter.
— T’es dégueulasse, siffle-t-il en détachant ses chaussures. Tu pues la gerbe. Nettoie cette merde et va te laver.
Je devrais lui obéir, me lever, aller prendre un seau et frotter le sol avec autant de conviction qu’il le voudrait. Mais je suis paralysée, complètement anéantie par la soirée.
— T’es bouchée ou quoi ?
— Je te déteste…
Ma voix n’est que murmure, son rire n’est qu’une torture de plus.
— Tu ne diras plus ça quand je te ferai nettoyer ma bite, Kend’. Grouille-toi, j’ai pas que ça à foutre de t’attendre.
— Je vais partir… Quand tu ne t’y attendras pas, mais je partirai…
Assis sur le lit, il cesse de bouger, ses yeux me fixent intensément.
— T’es certaine ? me nargue-t-il.
Mes mots se coincent dans ma gorge, ils refusent de sortir. Mais mon corps ne se trahit pas puisque j’acquiesce.
— C’est ce qu’on verra, sourit-il.
Il se lève, et s’avance. Je ne le quitte pas des yeux, sachant pertinemment qu’il n’en a pas fini avec moi. Je viens d’aller trop loin en lui affirmant mes plans, il a été trop loin en me bousillant.
— Et tu comptes faire quoi de ta vie ? T’es moche, t’es bête et t’as pas un rond. Tu pensais quoi ? Qu’un gentil samaritain allait t’héberger ? Que t’allais avoir un petit job miteux et que t’allais recommencer ta vie ailleurs ? Mais tu n’es qu’une merde ma pauvre fille. Une sombre bouse qui sera forcée de me lécher le g***d dès que j’aurais fini de b****r encore une fois Shana.
Je gerbe. Encore. Je ne peux plus retenir ces nausées, ni faire comme si ses mots ne m’atteignaient pas. Mon corps me fait comprendre que je suis arrivée à bout de ce que je peux endurer. Je m’écroule sur le sol, je tombe à genoux dans la flaque que je viens de remettre, je grimace quand il se moque.
— Laisse-moi partir, le supplié-je. Je veux seulement partir. Je te promets que je ne dirais rien de ce que j’ai vu, je te le promets !
Il s’accroupit, redresse mon visage vers le sien. La dureté de ses traits extermine mes souhaits et mes larmes et suppliques n’y changeront rien.
D’un revers du bras, il me balaie sur le sol et écrase mon visage dans le vomi.
— Tu restes ou tu crèves.