Chapitre 4 - Kendra

2505 Mots
Chapitre 4 - Kendra Depuis que Steven est parti ce matin, je n’ai pas bougé du lit. Je n’ose pas. Pourtant, derrière la porte de la chambre je sais que la vie suit son cours normalement, que mon altercation avec celui que je pensais aimer n’a rien changé pour les autres. Ce que je crains le plus, c’est de croiser le regard de Shana. Elle doit être satisfaite de cette soirée, de ce que j’ai dû endurer. Elle doit se réjouir de me voir débarquer dans la pièce de vie, les yeux rougis et la joue noircie de coups. Mon corps refuse le moindre mouvement, comme si je n’étais qu’une vulgaire poupée de chiffon. Sur le réveil devant moi, il est indiqué onze heures. Je devrais déjà m’activer et aider les filles au nettoyage des pièces communes, ou encore préparer le déjeuner. Je devrais aussi téléphoner à ma mère et la supplier pour revenir auprès d’elle. Sauf que si je fuis, ils me tueront. Un soupir m’échappe lorsque je saisis mon téléphone sous l’oreiller. Mon doigt plane sur la touche « appeler », et j’hésite longuement. Pleurer auprès de ma mère ne m’apportera rien de bon, si ce n’est ses remontrances pour ne pas l’avoir écoutée. Lorsqu’elle a su que je m’en allais pour suivre un des voyous du quartier, elle a hurlé. Elle s’est égosillée jusqu’en bas de l’immeuble, me suppliant de réfléchir. Fière et sûre de moi, je lui ai ri à la tronche, en lui sommant d’arrêter ses gamineries. Six ans plus tard, je me rends compte à quel point j’ai été pathétique de penser que la vie que m’offrait Steven allait être merveilleuse. Il mettait en avant l’argent, le bonheur d’enfin être libre de mes mouvements. Foutaises. J’ai honte. Honte de l’aimer, honte de me laisser détruire par un homme, pour un homme. Au départ, l’intégration au gang s’est bien passée. Nous vivons tous dans cette maison spacieuse, et j’étais heureuse de le voir si épanoui dans ce qu’il faisait, même si c’était un boulot illégal. Puis, Steven a changé. Il s’est endurci et les ordres donnés par Bastian m’épuisaient. J’ai commencé par trouver des excuses pour échapper aux rassemblements fatiguant qui s’éternisaient jusqu’à tard dans la nuit, puis j’évitais les relations sexuelles trop lassée à force de m’ennuyer. Ç’a duré dans le temps et Shana a fait son entrée à la mort de Bastian. Dreck son frère a dû insister pour qu’elle accepter d’emménager ici. Elle disait qu’elle avait son appartement bien à elle, mais la solitude l’a finalement convaincue. Au début réservée et secrète sur le mec qu’elle venait de larguer, elle a fini par se lâcher en écartant les cuisses à tout va. Rien ne l’effraie, et ça plaît à mon mec. Voilà comment j’ai perdu le contrôle de mon couple, de ma vie. Steven en a eu marre de mes mots hurlés, de mes reproches, de mes sautes d’humeur, de mes refus… De moi. Puis, pourquoi se prendre la tête avec moi quand il peut avoir mieux ? — Kend’ ! Sors de là et viens nous aider ! Merde ! Jessica tambourine sur la porte de la chambre, me forçant à me lever. Tel un automate, je me mets debout, enfile un jeans et un pull que je prends dans mon armoire. Une fois prête, je rejoins les filles qui sont déjà en train de nettoyer. Directement, mes yeux se posent sur la grosse s****e de la maisonnée, occupée de danser, un balai à la main. Son microshort dévoile ses fesses bronzées, et deux autres filles rient de son spectacle. — Le rhume du cul, tu ne connais pas ? lancé-je. Elle s’immobilise, haussant ses sourcils de stupéfaction. Je jubile, mais m’arrête quand Loreïla se poste devant moi. — Kendra, faut qu’on parle toi et moi. Merde. Si la femme du Dreck veut me parler et qu’elle a son air mauvais sur le visage, c’est que ça n’est pas vraiment bon pour moi. — D’accord. — Dehors, ajoute-t-elle. Elle repousse sa crinière blonde sur une de ses épaules et se retourne vers les filles. — Vous avez terminé au lieu de nous écouter ? Je la suis jusqu’à l’extérieur et les trois nanas reprennent leurs tâches ménagères. Dehors, l’air est glacial. Loreïla me tend une cigarette que je refuse. Elle s’assied sur le muret qui nous fait office de banc et me regarde des pieds à la tête. — Que s’est-il passé hier ? — Pas grand-chose. — Kendra. Je dois rendre des comptes à Dreck sur ce qu’il s’est passé durant son absence, moi ! Steven t’a fait quoi ? T’as tellement hurlé que je tremblais dans mon lit ! Je déglutis, fuis son regard perçant et me triture les doigts. — Il m’a juste confirmé que Shana lui plaisait. Elle grogne, m’arrachant un rire des plus lamentables. Je pourrais lui dire la vérité, mais c’est horriblement gênant de relater la soirée, atrocement douloureux de répéter ces paroles, ces gestes. C’en est humiliant. — Il t’a cognée, constate-t-elle. Dreck rentre probablement demain soir, il va péter un câble. — Dreck ne va rien faire, parce que d’un, c’est de sa sœur qu’il s’agit et de deux, je ne veux pas qu’il fasse quoi que ce soit, m’énervé-je. Je gère. — Tu ne gères rien ! Regarde-toi ! Mes cils se bordent de larmes. Je n’ai pas envie de recevoir de nouvelles foudres, ni de subir encore une fois les conséquences de ma grande bouche. — Je te le dis parce que je t’aime bien, sourit-elle. Mais tu devrais prendre ton sac et partir loin de Logen. Steven est nocif pour toi. — Je ne peux pas… — Prends le temps de réfléchir, ne jette pas ma proposition sur un coup de tête. Tu veux te battre, très bien, mais il ne se bat pas à armes égales. Tu uses de tes mots et de ta franchise, quand il abuse de ses poings et de violence. Elle écrase le mégot dans le pot de sable à côté du muret, et en descends. — Pense à toi, Kend’, pas à lui. ∞ Alors que le repas est prêt, je pose l’assiette devant Steven. Un geste trop maladroit, trop abrupt qui l’irrite. — p****n, t’en fous partout, grogne-t-il. Je ne réponds rien, je ne m’excuse pas. Je ne ressens que de l’amertume à son encontre. En vingt-quatre heures seulement, je suis passée officiellement de l’amour éteint à la haine. Je prends place à côté de lui, et plante rageusement ma fourchette dans un morceau de pommes de terre. Durant le diner, j’observe Shana face à Steven. Elle lui sourit, elle laisse traîner sa langue de vipère sur ses lèvres avant de lécher sa cuillère. Il remue sur sa chaise, étouffant un rire gêné. L’envie de les égorger tous les deux me prend, alors je repose mon couteau sur la table. Simple prudence. Je me dépêche d’avaler le poisson et les patates posés dans mon assiette, me lève en faisant grincer ma chaise et dépose la vaisselle dans l’évier de la cuisine. — Kendra, nous n’avons pas fini ! vocifère Steven. Il me toise de ses grands yeux verts assassins lorsque je reviens dans la pièce. — Bonne fin d’appétit dans ce cas. Je vais me coucher. Je traverse le salon, le couloir et entre dans la chambre. Il va me faire payer mon arrogance, mais là, je m’en fous. Tout l’après-midi, les paroles de Loreïla ont tourné dans mon esprit. Je me dis qu’elle n’a pas tort, que je devrais foutre le camp d’ici ; qu’à l’autre bout du monde, il ne pourra rien me faire. Demain matin, quand il partira avec les autres hommes, je ferais mon sac, et je m’en irais. Comme à l’accoutumée, la porte claque contre le mur lorsque Steven entre dans la chambre. Je ne réagis pas, continue de délacer mes chaussures. — Je ne sais pas ce que je vais devoir faire de toi pour que tu comprennes enfin que ta gueule doit rester fermée ! Je me lève, prends mes chaussures et les range à leur place avant de fouiller dans la commode pour trouver un pilou bien chaud à mettre pour dormir. — Tu m’écoutes ? — Oui. — Et ? T’as rien à dire ? — Non. Il ricane, exaspéré. J’ose un regard dans sa direction et le découvre à bout, plus qu’irrité par mon comportement. Dans un geste frénétique, il se frotte le visage, avant de foncer sur moi. — Tu sais que tu ne me facilites pas la vie, hein ?! Son corps heurte le mien avec puissance, nous faisant tomber. Lui sur moi, je ne respire plus vraiment alors que je me débats. — Tu pourrais tellement être plus sympa ! De son coude sur ma gorge, il m’étrangle. Je tente de retirer son bras, je cherche mon air. Il brandit un couteau, me faisant paniquer encore un peu plus. — Je dois t’arracher la langue pour que tu fermes ta gueule ?! C’est ça que tu veux Kendra ?! — Non... parviens-je à balbutier. La porte s’ouvre, le coude de Steven s’enlève de ma trachée et je porte mes mains à mon cou. Alors que je pensais m’en être tirée par une quelconque interruption, je me rends compte de la personne qui vient de verrouiller derrière elle : Jo. — Tu dois vraiment apprendre à ta nana à te respecter, mon frère. Steven se redresse, me laissant allongée et essoufflée sur le sol de cette chambre. — J’ai beau faire ! hurle-t-il. Elle est complètement ingérable ! Insoumise ! Jo le prend par l’épaule, lui parle à l’oreille en me regardant du coin de l’œil. Tous mes sens se mettent subitement en alerte quand il renifle, un sourire diabolique aux lèvres. Ces mêmes sens me hurlent que c’est le moment de partir, qu’ils s’apprêtent à me faire subir les pires choses. Difficilement, je me redresse avant de m’écraser sur la moquette. Steven me tire par le pied, mes ongles s’enfoncent dans le sol, le ratissent pour ne pas lâcher prise. Mes cris résonnent dans la pièce, mes sanglots de peur me brûlent la gorge. D’un geste brusque, il me retourne sur le dos. Mes coups de pieds le touchent, mais à deux contre moi, ils ne restent pas suffisants pour me protéger des deux démons. Vêtements arrachés, coups donnés, sang écoulé. Ma lutte fut acharnée. — À chaque fois que tu me feras chier, voilà ce qu’il t’arrivera ! Je pleure, je me débats plus faible que jamais lorsque Jo s’allonge entre mes jambes. Le sourire qu’il affiche est flippant, ses cheveux roux et gras sont gerbant. Steven rigole en me clouant les bras de ses deux mains. Je serre les cuisses, j’hurle à la mort en sentant son sexe aussi proche du mien. Steven me crie des choses que je n’entends plus à force. Mes larmes et suppliques ne le font pas céder, ne le font pas changer d’avis, ne lui enlèvent pas son sourire diabolique. De ses mains dégueulasses, Jo écarte mes cuisses, s’enfonce en moi, arrachant sur son passage ma foi en l’être humain, mes espoirs. Je ne bouge plus, je le laisse prendre ce qu’il veut de moi et ferme les yeux. Fort. Les larmes inondent mon visage, mes pensées fusent dans tous les sens. Je voudrais revenir en arrière. Dire à ma mère que je l’aime au lieu de lui tirer la tronche. Ne penser à rien, mourir. C’est tout ce que je désire en ce moment. Je voudrais aller voir mon père, lui dire que je l’aime. Sa bouche aspire mes seins lorsqu’il bouge en moi. S’il m’aimait… Il ne me ferait pas ça. Je hurle quand Steven détache son pantalon, en sort son sexe. Il m’étouffe avec, me forçant à le prendre dans ma bouche. Les hauts le cœur me retournent le ventre au gré de ses vas et vient, je vomis sur lui, sur moi, sur Jo. Une gifle m’est envoyée, des coups de poing déferlent sur mon corps avec tant de virulence, que je perds connaissance. ∞ — Kendra ? La lumière ambiante m’aveugle lorsque je tente lamentablement d’ouvrir les yeux. Mon crâne va exploser, mon corps entier n’est qu’un amas de douleurs. — Oh mon dieu, Kend’… Loreïla souffle ses mots, m’arrache une grimace quand elle pose un linge humide et froid sur mon front. Elle pleure silencieusement, essore le tissu dans une bassine avant de me l’appliquer de nouveau sur le visage. Je me sens vide, sale. Je me sens morte. Morte de honte, morte de souffrance. Je clos les yeux, sentant mon visage brûler sous ses effleurements ; je les ferme pour ne pas la voir pleurer, quand moi-même j’ai dû mal à me situer dans l’espace, dans le temps. Les souvenirs de la soirée s’enchaînent dans ma tête. Ils s’élancent, se dessinent et se heurtent de plein fouet tel qu’ils forment un carambolage cauchemardesque dans mon esprit. L’espace d’un instant, j’espère me réveiller et me dire que tout ceci n’était qu’une vaste blague, qu’un terrible songe qui serait à lui seul un atroce tissu de mensonges. — Tu aurais dû partir, murmure-t-elle. Tu aurais dû le faire dès que tu sentais le danger. Sous mes paupières se rejoue le film de la veille. Je peux tout revoir, comme si je n’avais pas été l’actrice principale mais bien la spectatrice, la voyeuse friande de scènes sordides. Coups de batte dans les côtes, coups de pied dans le ventre et coups de poing dans la tronche. Je ressens encore tout. Insultes, cris et rires résonnent dans ma tête creuse d’images peu flatteuses. Et eux. Eux deux. Presque nus, saouls et ignobles. Imbuvables, et agresseurs. Puants, dégueulasses et sadiques. Leur odeur de transpiration m’enveloppe, leur souffle me gifle la peau ; leurs doigts me griffent, me charcutent. — Chuuuuttt… Tu trembles. Je tremble d’effroi, de souvenirs ; je tremble de la réalité que je voudrais tant pouvoir réfuter. Ils m’ont violée. Mon soi-disant petit-ami et un homme que j’exècre ont abusé de moi. Un spasme douloureux m’opprime les côtes, m’empêche de respirer. Dans un geste dur, je repousse la main de Loreïla qui ne comprend pas mon agressivité. Sa bassine d’eau se déverse au sol, quand je me redresse douloureusement. Sanglots étouffés de mes mains, je panique lorsque la gravité cruelle de leurs actes me revient en pleine face. Je ne veux pas craquer. Je deviens folle, ceci n’est qu’un mauvais rêve. J’ai tout imaginé. C’est juste une combine de mon cerveau. Je ne suis pas blessée et nue. Il ne peut m’avoir fait ça. Pas à moi, pas comme ça, pas... Sous mes phalanges, je sens les blessures que porte mon épiderme, me faisant grimacer et hurler. La confirmation de ma nudité sonne un couperet. — Kendra, tente de me calmer Loreïla, prends tes affaires, et pars d’ici. Mes yeux croisent enfin les siens larmoyants. Elle est tout aussi tétanisée par la situation, et de la voir ressentir autant de pitié pour moi finit de m’achever. Je voudrais lui dire que je n’ai nulle part où me rendre, nulle part où me cacher, nulle part où pleurer ma rage. Je voudrais lui dire que je ne peux pas partir, pas quand c’est mon imaginaire de dingue qui me joue des tours. Mais je n’y parviens pas, je ne fais que de m’effondrer un peu plus en apercevant le sang et le vomi tacher la moquette de la chambre. Je me revois, nue et allongée. Je me débattais avec hargne, étouffée par le poids de cette enflure. Clouée sur le sol par celui qui… — Je vais t’aider à te laver, et à te changer. Je préparerais ton sac après. Alors que je secoue la tête par la négative, elle pose ses deux mains sur mes épaules et chuchote en me regardant droit dans les yeux : — Ils reviennent dans trois heures, Kend’. Juste le temps de te préparer et de prendre un bus qui te mènera loin. Prends n’importe quelle destination, on s’en fout. C’est juste pour te protéger. Je te filerais du fric pour te payer un motel, mais fuis d’ici. Tu dois te protéger ! Elle me serre contre elle, tandis que je reste anéantie par le cauchemar qu’est en train de devenir mon existence. Qu’est-ce qu’il m’arrive ? — Si tu restes, tu ne repartiras d’ici qu’en cendres. Elle me relâche, se dirige vers la commode et saisit une pile de vêtements. — Reste là, je vais remplir la bassine d’eau, et quand tu seras prête, tu partiras et prendras soin de toi. C’est un ordre, Kendra. La seule chose dont je suis capable, c’est de hocher la tête, ravalant mes larmes, ma pudeur et mes espoirs du mieux possible.
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