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Nora
Assise ici entre les bras de Julian, je retrouve la sensation d’excitation mêlée à l’appréhension. Notre séparation n’a rien changé chez lui. Il est toujours celui qui a failli tuer Jake et qui n’a pas hésité à enlever la fille qu’il voulait.
Et celui qui a presque perdu la vie en venant à ma rescousse.
Maintenant que je sais ce qui lui est arrivé, je vois les marques que lui a laissées son épreuve. Il est plus mince qu’avant, sa peau bronzée est plus tendue sur ses pommettes saillantes. Il a une cicatrice rose irrégulière à l’oreille droite et ses cheveux noirs sont presque ras. À la gauche de son crâne, ses cheveux poussent de manière un peu irrégulière, comme s’ils cachaient une autre cicatrice à cet endroit.
Malgré ces minuscules imperfections, il est toujours le plus bel homme que je connaisse. Je ne peux détourner les yeux de lui.
Il est vivant. Julian est vivant et je suis de nouveau avec lui.
Mais ça ne parait toujours pas réel. Jusqu’à ce matin, je le croyais mort. J’étais persuadée qu’il avait trouvé la mort dans l’explosion. Pendant quatre longs mois épouvantables, je me suis obligée à être forte, à continuer à vivre et à essayer d’oublier celui qui est assis à côté de moi en ce moment.
Celui qui a volé ma liberté.
Celui que j’aime.
Levant la main gauche je suis doucement le dessin de ses lèvres de l’index. Il a la bouche la plus extraordinaire que je connaisse, une bouche faite pour le péché. Sous mon doigt, ses belles lèvres s’ouvrent et il m’attrape avec ses dents blanches coupantes, me mordille légèrement, puis me s**e.
Je tremble d’excitation en sentant sa langue chaude et humide m’humecter le doigt. Mes muscles intimes se contractent et je sens ma culotte se mouiller. Mon Dieu, impossible de lui résister. Il lui suffit de me regarder, de me toucher, et je le désire. Mon sexe est un peu enflé et douloureux après la manière dont il m’a baisée tout à l’heure, mais mon corps a de nouveau envie de lui.
Julian est vivant et il m’emmène de nouveau avec lui.
Tout en commençant à réaliser ce qui se passe je sors mon doigt de sa bouche, tout à coup un frisson me parcourt et refroidit mon désir. Impossible de revenir en arrière et de changer d’avis. Julian contrôle ma vie, et cette fois c’est moi qui me suis précipitée dans le piège et qui me suis mise à sa merci.
Évidemment je me souviens que ça n’aurait servi à rien de résister. Je me souviens de la seringue qui était dans la poche de Julian et je sais que de toute façon le résultat aurait été le même. Consciente ou pas, je serais avec lui maintenant. C’est idiot, mais ça me réconforte et je repose la tête sur l’épaule de Julian en me laissant aller et en me détendant entre ses bras.
Il est inutile de lutter contre son destin, je commence à l’accepter.
Comme il y a de la circulation, le trajet pour se rendre à l’aéroport prend un peu plus d’une heure. Mais je suis surprise de m’apercevoir que nous n’allons pas à O’Hare, l’aéroport de Chicago. À la place, nous arrivons sur une petite piste d’atterrissage où un assez gros appareil nous attend. Sur sa queue, je lis l’inscription « G650 ».
― Il est à toi ? ai-je demandé à Julian quand il m’ouvre la portière de la voiture.
― Oui ! Mais il ne me regarde pas et n’en dit pas davantage. Il inspecte les alentours du regard comme s’il y cherchait un traquenard. Contrairement à autrefois, il est sur le qui-vive, et pour la première fois je comprends que pour lui aussi l’île était un sanctuaire, un endroit où il pouvait se détendre et ne plus être sur ses gardes.
Dès que je descends de voiture, Julian me prend par le coude et m’entraîne vers l’avion. Le chauffeur nous suit. Je le découvre, un panneau séparait le siège arrière de l’avant de la voiture, et je lui jette un coup d’œil en me dirigeant vers l’appareil.
Ce type doit être un des commandos de Julian. Ses cheveux blonds sont coupés court, ses yeux pâles sont glacés et il a de fortes mâchoires. Il est encore plus grand que Julian et il se déplace avec la même grâce athlétique, une allure guerrière dont chaque mouvement est parfaitement maîtrisé. Il tient un énorme fusil d’assaut et je suis sûre qu’il sait exactement comment s’en servir. Encore un homme dangereux… et un homme que bien des femmes trouveraient séduisant, avec ses traits réguliers et son corps musclé. Il ne m’attire pas, mais je suis trop gâtée. Il n’y a pas beaucoup d’hommes qui peuvent rivaliser avec l’apparence d’ange déchu de Julian.
― C‘est quelle sorte d’avion ? ai-je demandé à Julian en montant les marches de la passerelle et en entrant dans une cabine luxueuse. Je ne suis jamais allée dans un jet privé, mais celui-ci me semble particulièrement somptueux. Je fais de mon mieux pour ne pas être béate d’admiration, sans le moindre succès. Il y a d’immenses sièges en cuir couleur crème et un sofa derrière une table basse. Et derrière une porte ouverte à l’arrière de l’appareil j’entrevois un grand lit.
J’en reste bouche bée. Il y a une chambre dans cet avion !
― C’est l’un des Gulf Stream les plus haut de gamme, répond-il en me faisant pivoter pour m’aider à enlever mon manteau. Ses mains chaudes m’effleurent le cou et me font frissonner de plaisir. Un jet d’affaires long-courrier. Il peut nous emmener directement à destination sans avoir besoin de faire halte pour se ravitailler en fioul.
― C’est très joli, ai-je dit en regardant Julian mettre mon manteau dans la penderie qui se trouve près de la porte avant d’enlever son blouson. Je ne peux le quitter des yeux et je m’aperçois qu’une partie de moi redoute encore que tout ça ne soit pas réel, que je vais me réveiller et découvrir que ce n’était qu’un rêve… que Julian est vraiment mort dans l’explosion.
Cette pensée me fait frissonner des pieds à la tête et Julian s’aperçoit de ce mouvement involontaire.
― As-tu froid ? demande-t-il en s’approchant de moi. Je peux faire modifier la température.
― Non, ça va. Mais la chaleur de Julian qui m’attire vers lui et me frotte les bras quelques instants me fait du bien. Je sens la chaleur de son corps traverser mes vêtements et chasser le souvenir de ces mois affreux où je pensais l’avoir perdu.
Je lui entoure la taille et je le serre farouchement dans mes bras. Il est vivant et je l’ai à mes côtés. Désormais, c’est la seule chose qui compte.
― Nous sommes prêts à décoller. Une voix masculine que je ne connais pas me fait sursauter et je lâche Julian ; je me retourne et je vois le chauffeur blond à côté de nous, il nous regarde avec une expression indéfinissable sur son visage dur.
― Bien. Julian ne me lâche pas et me serre plus près de lui quand j’essaie de me dégager. Nora, voici Lucas. C‘est lui qui m’a traîné à l’extérieur du hangar.
― Oh, je vois. Je lui adresse sincèrement un grand sourire radieux. Cet homme a sauvé la vie de Julian. Je suis très heureuse de faire votre connaissance, Lucas. Je ne sais comment vous remercier pour ce que vous avez fait…
Il hausse légèrement les sourcils comme s’il était surpris par mes paroles.
― Je n’ai fait que mon travail, dit-il d’une voix grave et légèrement amusée.
Les lèvres de Julian dessinent un léger sourire, mais il ne réagit pas. À la place, il demande :
― Est-ce que tout est prêt pour nous accueillir au domaine ?
Lucas hoche la tête.
― Tout est prêt. Puis il se tourne vers moi, le visage aussi impassible qu’avant. Moi aussi je suis heureux de faire votre connaissance, Nora. Et il se retourne pour disparaitre sans la cabine de pilotage à l’avant de l’appareil.
― C’est ton chauffeur et ton pilote ? Je demande à Julian quand Lucas a disparu.
― Il est très versatile, dit Julian en me conduisant vers les sièges bien rembourrés. C’est le cas de la plupart de mes hommes.
Dès que nous sommes assis, une brune exceptionnellement jolie arrive dans la cabine, elle vient de l’avant de l’appareil. Sa robe blanche semble avoir été cousue sur ses rondeurs et avec son maquillage élaboré elle est aussi glamour qu’une star de cinéma, sauf qu’elle porte un plateau avec une bouteille de champagne et deux coupes.
Elle me jette un bref regard avant de dire à Julian :
― Aimeriez-vous autre chose, M.Esguerra ? Et elle se penche pour poser le plateau sur la table qui se trouve entre nos sièges.
Sa voix est douce et mélodieuse et le regard avide qu’elle jette sur Julian me fait grincer des dents.
― Non, ça devrait suffire pour le moment. Merci, Isabella, dit-il en lui adressant un rapide sourire qui provoque immédiatement ma jalousie. Un jour, Julian m’a dit qu’il n’avait baisé personne depuis qu’il m’avait rencontré et pourtant je ne peux m’empêcher de me demander s’il a couché avec cette femme à un moment ou à un autre. Elle est incroyablement séduisante et son comportement indique clairement qu’elle serait ravie de donner à Julian tout ce qu’il veut, elle-même comprise, nue et sur un plateau d’argent.
Avant de laisser mes pensées se poursuivre dans cette direction je respire profondément et je m’oblige à regarder par le hublot, la neige tombe doucement. Je sais en partie que c’est de la folie, qu’il n’est pas logique d’être si possessive avec Julian. N’importe quelle femme douée de raison serait ravie de voir l’attention de son ravisseur se détourner d’elle, mais quand il s’agit de lui, je n’ai plus ma raison.
Le syndrome de Stockholm. L’attachement de la captive. L’attachement provoqué par un traumatisme. Ma thérapeute a utilisé tous ces termes pendant les brèves séances que j’ai passées avec elle. Elle a essayé de me faire parler des sentiments que j’éprouve pour Julian, mais c’était trop douloureux pour moi de parler de lui alors que je croyais l’avoir perdu, et je ne suis plus retournée la voir. Mais plus tard, j’ai cherché la définition de ces termes et je vois comment ils s’appliquent à ma situation. Mais je ne sais pas si c’est aussi simple que cela ni si cela a la moindre importance désormais. Et ce n’est pas en nommant quelque chose qu’on le fait disparaitre. Quelle que soit la cause de mon attachement pour Julian et des sentiments qu’il m’inspire, je ne peux la faire disparaitre. Je ne peux pas me forcer à l’aimer moins.
Quand je me retourne vers lui l’hôtesse est partie. J’entends gronder les moteurs de l’appareil et j’attache machinalement ma ceinture de sécurité comme on m’a toujours appris à le faire.
― Du champagne ? demande-t-il en prenant la bouteille sur la table.
― Oui, pourquoi pas ? Et je m’installe confortablement dans le vaste siège en savourant lentement les bulles tandis que l’avion commence à rouler.
Ma nouvelle vie avec Julian vient de commencer.