Chapitre 11
LE POINT DE VUE DE Mathieu
Le reste de la journée passe dans un brouillard. Je cuisine mécaniquement, aboyant des ordres à mon équipe, mais mon esprit est ailleurs.
Avec Léa. Toujours avec Léa.
Elle va rentrer du travail dans quelques heures. Elle viendra probablement directement chez moi, comme elle le fait tous les soirs maintenant. Elle m'embrassera, me sourira, me dira qu'elle m'aime.
Et je lui mentirai. Par omission, mais un mensonge quand même.
Parce que comment lui dire la vérité ? Comment lui expliquer que j'ai couché avec Anaïs cet après-midi ? Que ce n'était rien, que c'était juste pour la faire partir définitivement ?
Elle ne comprendrait pas. Comment le pourrait-elle ? Moi-même, je ne comprends pas vraiment pourquoi je l'ai fait. Si, je comprends. C'était une démonstration de pouvoir. Une façon cruelle de montrer à Anaïs qu'elle ne signifie rien pour moi. Que je peux la prendre et la jeter comme ça me chante. Ça fait de moi un connard. Un p****n de connard.
Mon téléphone vibre. Un message de Léa.
"Grosse journée. J'ai vraiment besoin de tes bras ce soir. Je t'aime."
La culpabilité me ronge, acide dans ma gorge.
"Je suis là. Toujours. Je t'aime aussi."
Les mots me semblent faux maintenant. Comment puis-je dire que je l'aime alors que j'ai fait ça ?
Pierre entre dans la cuisine, me regardant avec inquiétude.
— Chef ? Le service est terminé. Vous voulez que je ferme ?
— Oui. Merci, Pierre.
— Ça va ? Vous avez l'air... ailleurs.
— Je vais bien. Juste fatigué.
Un mensonge de plus. Je collectionne les mensonges aujourd'hui. Je rentre chez moi, prends une douche brûlante, frottant ma peau jusqu'à ce qu'elle soit rouge. Comme si je pouvais effacer ce qui s'est passé. Comme si je pouvais me laver de ma trahison.
Mais l'eau ne peut pas effacer la culpabilité. Ni la honte. Quand Léa frappe à ma porte une heure plus tard, j'hésite avant d'ouvrir. Je ne mérite pas de la voir. De la toucher. De prétendre que je suis l'homme qu'elle croit que je suis. Mais je ne peux pas résister. Je ne pourrai jamais lui résister. J'ouvre la porte, et elle est là. Magnifique, fatiguée, souriante.
— Salut toi, dit-elle en se hissant sur la pointe des pieds pour m'embrasser.
Je la prends dans mes bras, la serrant trop fort, comme si je pouvais la fusionner à moi. Comme si je pouvais me perdre en elle et oublier ce que j'ai fait.
— Ça va ? demande-t-elle en se reculant légèrement, fronçant les sourcils. Tu as l'air bizarre.
— Juste fatigué. Grosse journée au restaurant.
Un autre mensonge. J'empile les mensonges comme des briques, construisant un mur entre nous.
— Viens, dit-elle en me tirant vers le canapé. Laisse-moi prendre soin de toi pour une fois.
Et elle le fait. Elle me masse les épaules, me raconte sa journée, me fait rire avec des anecdotes sur ses collègues. Elle est parfaite. Lumineuse. Pure.
Tout ce que je ne suis pas.
— Matthieu ? dit-elle finalement, son ton devenant sérieux. Il s'est passé quelque chose. Tu peux me le dire.
Mon cœur s'accélère. Est-ce qu'elle sait ? Est-ce qu'elle peut sentir ma trahison sur moi ?
— Anaïs est venue au restaurant aujourd'hui.
C'est au moins une partie de la vérité. Son expression se durcit.
— Qu'est-ce qu'elle voulait ?
— Faire une scène. À cause de l'article. J'ai dû la mettre dehors.
Techniquement vrai. J'ai omis juste... tout ce qui s'est passé dans mon bureau.
— Cette fille est folle, dit Léa avec un soupir. J'espère qu'elle va enfin te laisser tranquille.
— Elle le fera. Je m'en suis assuré.
Léa me sourit, posant sa tête sur mon épaule.
— Bien. Parce que tu es à moi. Et je ne partage pas.
Ses mots sont un coup de poignard dans mon cœur coupable.
— Je suis à toi, je murmure. Seulement à toi.
Un autre mensonge. Le plus grand de tous. Parce que pendant quelques minutes cet après-midi, j'ai appartenu à mon passé. À mes démons. À ma cruauté.
Et Léa ne le saura jamais.
Du moins, c'est ce que je me dis alors que je la porte vers ma chambre, faisant l'amour avec elle comme si je pouvais effacer mon péché avec passion. Mais au fond de moi, je sais la vérité.
Les secrets ont toujours une façon de refaire surface. Et quand celui-ci le fera, il pourrait nous détruire.
LE POINT DE VUE DE D'ANAÏS
Je suis assise dans mon appartement vide, fixant le plafond, encore sous le choc de ce qui s'est passé aujourd'hui.
Il m'a baisée. Littéralement et métaphoriquement.
Mes doigts tremblent en portant mon verre de vin à mes lèvres. C'est mon troisième. Ou mon quatrième ? Je ne compte plus.
"Prends ça comme un cadeau d'adieu."
Ses mots résonnent encore dans ma tête, cruels et définitifs. Comment a-t-il pu ? Comment a-t-il pu me toucher comme ça, me faire ressentir ce que j'ai ressenti, puis me jeter comme un déchet ?
Je le déteste. Je le déteste tellement.
Mais je l'aime aussi. Et c'est ça qui me tue.
Mon téléphone vibre sur la table basse. Encore un message de ma mère me demandant si je vais bien. Je l'ignore, comme j'ai ignoré les douze précédents.
Je ne vais pas bien. Je ne vais pas bien du tout.
Je me lève, vacillante, et me dirige vers ma chambre. C'est là que je les garde. Toutes les preuves de notre histoire. Les photos. Les messages. Les souvenirs.
J'ouvre le tiroir de ma commode et en sors une boîte en carton. À l'intérieur, des dizaines de photos de Matthieu et moi. À la plage. Au restaurant. Dans son lit.
Des moments où j'étais sûre qu'il m'aimait. Ou du moins, qu'il pourrait m'aimer un jour.
Mais en les regardant maintenant, je vois la vérité. Dans ses yeux. Dans la façon dont il me sourit. C'est poli. Affectueux, peut-être. Mais jamais amoureux.
Jamais comme il regarde cette Léa dans les photos du magazine.
Je ferme les yeux, et je le revois cet après-midi. Dans son bureau. La façon dont il m'a touchée avec une expertise froide, mécanique. Comme un chef exécutant une recette qu'il connaît par cœur mais qui ne l'enthousiasme plus.
J'ai cru, pendant ces quelques minutes, qu'il revenait vers moi. Que le sexe nous reconnecterait comme avant.
Mais il n'y avait pas d'avant. Pas vraiment. J'ai juste été trop aveugle pour le voir.
Mon téléphone vibre à nouveau. Cette fois, c'est un message d'un numéro inconnu.
"On devrait parler. Café demain, 14h ? Je sais des choses sur Matthieu qui pourraient t'intéresser. - Thomas"
Thomas. L'ex de Léa.
Une partie de moi sait que je devrais ignorer ce message. Que je devrais tourner la page, comme Matthieu me l'a si clairement demandé.
Mais l'autre partie celle qui est blessée, en colère, humiliée veut savoir.
Je tape une réponse.
"D'accord. Envoie l'adresse."